La Croix – Quotidien
Vendredi 21/11/2008 par BIENVAULT Pierre, journaliste
« Willy Rozenbaum veut toujours « guérir le sida »
« Jacques Chirac a été le premier chef d’État à plaider pour un accès universel aux traitements dans les pays du Sud. »
Willy Rozenbaum ne sera peut-être jamais prix Nobel de médecine. Honnêtement, cela n’a pas l’air de l’indisposer plus que cela. Début octobre, la récompense suprême a été décernée à Luc Montagnier et Françoise Barré- Sinoussi, pour la découverte du virus du sida. Pour de nombreux spécialistes, le professeur Jean-Claude Chermann, le troisième « co-découvreur » du virus, aurait dû faire partie du trio gagnant.
Mais il n’aurait pas non plus été scandaleux que l’académie suédoise fasse entrer dans l’histoire Willy Rozenbaum, pour le rôle moteur qu’il a joué au sein du petit groupe de scientifiques qui, au début des années 1980, ont réussi à devancer les Américains en étant les premiers à identifier l’agent causal de ce qui allait devenir une des maladies les plus meurtrières du XXe siècle. « En médecine, le Nobel est toujours un catalyseur de frustrations potentielles, car une découverte n’est jamais le fruit d’un ou deux chercheurs », constate Willy Rozenbaum, qui ajoute qu’une bonne dizaine de personnes « ont directement été impliquées dans l’identification du virus, puis la confirmation qu’il était bien responsable du sida ».
Un jour de juin 1981, Willy Rozenbaum, 36 ans, universitaire et chef de clinique, voit arriver en consultation un patient avec de la toux, de la fièvre et des diarrhées, le tout premier touché par cette nouvelle maladie qui ne s’appelle pas encore le sida. Le premier d’une longue, très longue série. À l’époque, cette pathologie, qui touche majoritairement les homosexuels et les toxicomanes, ne passionne guère les mandarins. Ce qui laisse le champ libre à quelques jeunes médecins, Willy Rozenbaum en tête, qui très vite vont s’investir totalement auprès de ces malades, pas toujours bien vus à l’hôpital. Au point qu’en 1982 Willy Rozenbaum, alors contractuel à l’hôpital Claude-Bernard à Paris, est prié par son supérieur hiérarchique d’aller exercer ses talents ailleurs. « On m’a dit : si tu veux continuer à t’occuper des homosexuels, tu t’en vas », raconte-t-il.
Il en faut évidemment plus pour décourager Willy Rozembaum, qui part alors à la Pitié-Salpêtrière, avant de rejoindre quelques années plus tard l’hôpital Rotschild. Il y crée son propre service, où il devra affronter les années noires du sida, celles d’avant les trithérapies. « À cette époque, dans le service, on avait 20 décès par mois en moyenne, se souvient-il. L’équipe était en deuil permanent. Ce qui nous a fait tenir, c’est notre engagement dans la recherche qui, heureusement, a abouti à des résultats relativement rapides. »
Il y a deux ans, Willy Rozenbaum, accaparé par les tâches administratives, a choisi d’abandonner son poste de chef de service pour se consacrer à plein-temps à l’enseignement, à la recherche et à ses malades. Tout en présidant le Conseil national du sida, il voyage aussi à l’autre bout de la planète, en Afrique ou en Asie. Pour un autre combat, celui de l’accès aux traitements.
« Aujourd’hui, ce qui fait cruellement défaut, c’est un leadership politique au niveau international sur la cause du sida. Davantage qu’un prix Nobel de médecine, c’est un prix Nobel de l’engagement politique qu’il aurait fallu pour briser le silence assourdissant autour de la maladie », affirme-t-il, ajoutant que cette récompense aurait pu être attribuée à Kofi Annan, l’ancien secrétaire général des Nations unies, ainsi qu’à Jacques Chirac.
« Ils ont tous les deux joué un rôle majeur. Kofi Annan a mis le sida sur l’agenda des grandes puissances et imposé la nécessité de lier la lutte contre la maladie au développement des pays. Et Jacques Chirac a été le premier chef d’État à plaider pour un accès universel aux traitements dans les pays du Sud. »
Willy Rozenbaum dit aussi qu’il a un projet qui lui tient particulièrement à cœur, qu’il aimerait bien concrétiser avant de prendre sa retraite… « simplement de parvenir un jour à guérir le sida ».