Extrait du discours " Notre Europe " prononcé par le Président de la République devant le Bundestag.

Extrait du discours " Notre Europe " prononcé par le Président de la République devant le Bundestag (Berlin - Mardi 27 juin 2000

(...) Mais, au-delà de ces échéances immédiates, la responsabilité qui nous incombe, à nous, membres fondateurs, est de poser sans cesse la question du sens et de l'avenir de l'Europe. De ne jamais laisser s'affaiblir notre volonté. Je salue l'esprit profondément européen qui a présidé ici, tout récemment, à la relance d'un débat dont les enjeux sont, au sens propre du mot, existentiels. Un débat qui engage nos nations et nos peuples, leur histoire et leur identité, et qui touche à l'organisation même de nos sociétés, à la volonté et à la capacité des Européens d'aller plus loin dans l'Union. Ce n'est pas rien ! Il est des moments où il faut savoir prendre des risques. Sortir des sentiers battus. La poursuite de la grande aventure communautaire est à ce prix !

Et, je voudrais, ici, à Berlin, éclairer le chemin. Vous faire part de mes convictions. Ouvrir avec vous des perspectives.

Ma première conviction est que l'élargissement de l'Union européenne est une grande ambition légitime et nécessaire. Il est en marche. Ce sera difficile, pour les pays candidats comme pour les États membres. Mais, demain, nous serons trente et plus représentés à Bruxelles, à Strasbourg, à Luxembourg.

C'est un accomplissement ! Pour la paix et la démocratie, enracinées sur notre continent et qui donnent tout son sens à notre aventure commune. Pour les pays candidats, soutenus dans leur combat pour la liberté par l'espoir de nous rejoindre. Pour l'Union elle-même qui en sera plus forte, politiquement et économiquement.

Mais, pour autant, l'exigence est claire. L'élargissement ne sera pas une fuite en avant. Nous ne laisserons pas se défaire le projet européen auquel vous et nous, avec nos partenaires, avons, depuis près d'un demi-siècle, consacré tant de volonté et tant d'énergie. Et qui, en retour, nous a tant apporté, non seulement la paix, mais aussi le succès économique, et donc le progrès social. Qui s'est avéré, pour nous tous, un formidable multiplicateur de puissance. Notre Union ne sera plus tout à fait la même demain. Mais elle ne connaîtra ni dilution, ni retour en arrière. Notre responsabilité est d'y veiller.

Une autre de mes convictions est que le rythme de la construction européenne ne se décrète pas. Il résulte, pour une large part, des progrès, parmi nos peuples, du sentiment d'identité et d'appartenance européennes, de leur "vouloir vivre ensemble" dans une communauté solidaire. Et j'ai confiance car ce sentiment est de plus en plus fort, surtout parmi les jeunes.

Enfin, je crois nécessaire d'éclairer le débat sur la nature de l'Union. C'est déformer la vérité de dire qu'il y a d'un côté ceux qui défendent la souveraineté nationale et, de l'autre, ceux qui la bradent. Ni vous ni nous n'envisageons la création d'un super État européen qui se substituerait à nos États nations et marquerait la fin de leur existence comme acteurs de la vie internationale.

Nos nations sont la source de nos identités et de notre enracinement. La diversité de leurs traditions politiques, culturelles et linguistiques est une des forces de notre Union. Pour les peuples qui viennent, les nations resteront les premières références.

Envisager leur extinction serait aussi absurde que de nier qu'elles ont déjà choisi d'exercer en commun une partie de leur souveraineté et qu'elles continueront de le faire, car tel est leur intérêt. Oui, la Banque centrale européenne, la Cour de Justice de Luxembourg ou le vote à la majorité qualifiée sont des éléments d'une souveraineté commune. C'est ainsi, en acceptant ces souverainetés communes, que nous acquerrons une puissance nouvelle et un rayonnement accru. Alors, de grâce, renonçons aux anathèmes et aux simplifications, et convenons enfin que les institutions de l'Union sont et resteront originales et spécifiques !

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Mais reconnaissons aussi qu'elles sont perfectibles et que le grand élargissement à venir doit être l'occasion d'approfondir la réflexion institutionnelle, au-delà de la Conférence intergouvernementale. Dans cette perspective, je souhaite que nous puissions nous entendre sur quelques principes.

D'abord, rendre l'Union européenne plus démocratique. La construction communautaire a trop été l'affaire des seuls dirigeants et des élites. Il est temps que nos peuples redeviennent les souverains de l'Europe. Il faut que la démocratie en Europe vive mieux, notamment à travers le Parlement européen et les parlements nationaux.

Ensuite, clarifier, mais sans la figer, la répartition des compétences entre les différents niveaux du système européen. Dire qui fait quoi en Europe avec le souci que les réponses soient apportées au meilleur niveau, au plus près des problèmes. Bref, mettre enfin en application le principe de subsidiarité.

Nous devons aussi veiller à ce que, dans l'Europe élargie, la capacité d'impulsion demeure. Sans cesse, il faut pouvoir ouvrir de nouvelles voies. Pour cela, et comme nous l'avons fait dans le passé, il faut que les pays qui veulent aller plus loin dans l'intégration, sur une base volontaire et sur des projets précis, puissent le faire sans être retardés par ceux qui, et c'est leur droit, ne souhaitent pas avancer aussi vite.

Enfin, l'Europe-puissance que nous appelons de nos voeux, cette Europe forte sur la scène internationale, doit disposer d'institutions fortes et d'un mécanisme de décision efficace et légitime, c'est-à-dire faisant toute sa place au vote majoritaire et reflétant le poids relatif des États membres.

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Voilà, Mesdames et Messieurs, les grandes orientations selon lesquelles, je crois, doit s'engager le processus de refondation institutionnelle de l'Union. Le visage de l'Europe future reste encore à dessiner. Il dépendra du débat et de la négociation. Et bien sûr et surtout de la volonté de nos peuples. Mais nous pouvons d'ores et déjà tracer le chemin.

La première étape, incontournable, est la réussite, sous présidence française, de la Conférence intergouvernementale. Ne sous-estimons pas l'importance de cette conférence. Les quatre points essentiels de son ordre du jour, y compris le développement des procédures de coopération renforcée, permettront d'adapter les mécanismes de décision de l'Union à sa composition future. La réussite de la CIG est un préalable indispensable à tout progrès. Aussi, ni vous ni nous ne pourrions nous satisfaire d'un accord a minima, je dirais d'un accord au rabais, qui conduirait l'Union à la paralysie pour les années à venir !

Après la Conférence intergouvernementale, à la fin de l'année, s'ouvrira une période que je qualifierai de "grande transition" au terme de laquelle il faudra que l'Union soit stabilisée dans ses frontières et dans ses institutions. Nous devrons, pendant cette période, mener de front trois grands chantiers.

Celui, naturellement, de l'élargissement. Quelques années ne seront pas de trop pour conclure les négociations d'adhésion et assurer l'intégration réussie des nouveaux États membres.

C'est aussi de l'approfondissement des politiques, à l'initiative de ces pays que j'évoquais tout à l'heure et qui souhaitent aller plus loin ou plus vite. Rassemblés avec l'Allemagne et la France, ils pourraient se constituer en un "groupe pionnier". Ce groupe ouvrirait la voie en s'appuyant sur la nouvelle procédure de coopération renforcée définie par la CIG et en nouant, si nécessaire, des coopérations hors traité, mais sans jamais remettre en cause la cohérence et l'acquis de l'Union.

C'est de cette façon, naturellement, que se dégagera la composition du "groupe pionnier". Non pas sur une base arbitraire, mais par la volonté des pays qui décideront de participer à l'ensemble des coopérations renforcées. Je souhaite ainsi que, dès l'an prochain, le "groupe pionnier" puisse s'atteler, notamment, à une meilleure coordination des politiques économiques, à un renforcement de la politique de défense et de sécurité et à une plus grande efficacité dans la lutte contre la criminalité.

Faut-il que ces États concluent entre eux un nouveau traité et se dotent d'institutions sophistiquées ? Je ne le crois pas. Soyons conscients que ce serait ajouter un niveau supplémentaire à une Europe qui en compte déjà beaucoup ! Et évitons de figer des divisions de l'Europe alors que notre seul objectif est de préserver une capacité d'impulsion. Il faudrait plutôt envisager un mécanisme de coordination souple, un secrétariat chargé de veiller à la cohérence des positions et des politiques des membres de ce groupe pionnier, qui devrait rester naturellement ouvert à tous ceux qui souhaitent le rejoindre.

Ainsi l'Europe, dans cette période de transition, continuera-t-elle d'avancer pendant que sera menée la préparation de la refondation institutionnelle.

En effet, et c'est notre troisième chantier, je propose que, dès après le sommet de Nice, nous lancions un processus qui nous permette, au-delà de la CIG, de répondre aux autres questions institutionnelles qui se posent à l'Europe.

D'abord, réorganiser les traités afin d'en rendre la présentation plus cohérente et plus compréhensible pour les citoyens. Ensuite, définir de façon claire la répartition des compétences, vous l'avez souligné, Monsieur le Président et vous avez raison, des compétences entre les différents niveaux de l'Europe. Nous pourrions également réfléchir, dans le cadre de ce processus, aux frontières géographiques ultimes de l'Union ; préciser la nature de la Charte des droits fondamentaux que, je l'espère, nous aurons adoptée à Nice ; et enfin préparer les ajustements institutionnels nécessaires, tant du côté de l'exécutif que de celui du Parlement, pour renforcer l'efficacité et le contrôle démocratique de notre Union.

Cette réflexion préparatoire devra être conduite de façon ouverte, en associant les gouvernements et les citoyens, à travers leurs représentants au Parlement européen et dans les Parlements nationaux. Les pays candidats devront naturellement y prendre part. Plusieurs formules sont envisageables, du Comité des sages à un modèle inspiré par la Convention qui rédige notre Charte des droits fondamentaux.

Et à l'issue de ces travaux qui prendront sans doute quelque temps, les gouvernements puis les peuples seraient appelés à se prononcer sur un texte que nous pourrons alors consacrer comme la première "Constitution européenne".






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