Cotonou (Bénin), lundi 4 décembre 1995.
M. SOGLO - Mesdames et Messieurs les journalistes, nous vous souhaitons la bienvenue dans ce lieu, du Palais de la République du Bénin. Vous savez qu'il est de tradition, à la fin d'une grande réunion, comme celle de la Francophonie, que nous puissions vous rencontrer. La tradition veut également que le Président en exercice, c'est-à-dire le Bénin et que le Président du pays choisi pour être le pays hôte du prochain Sommet soient présents à cette conférence de presse, avec évidemment, nos deux grands partenaires que sont la France et le Canada. Donc, c'est pour sacrifier à cette tradition que nous sommes ici, et que nous sommes prêts à répondre à vos questions, à vos interrogations.
Vous avez suivi ce qui a été dit, de long en large, à ce sommet, qui est celui de la confirmation, le sommet de la confiance et également le sommet de l'offensive. Nous sommes donc très heureux que vous ayez été les témoins privilégiés de cet événement. Mais au nom du Bénin, du gouvernement, du peuple béninois nous tenons à vous remercier d'être venus si nombreux à cette conférence. On savait évidemment, que c'était un pari redoutable à relever parce qu'on n'avait strictement rien au moment où nous avons fait acte de candidature à Chaillot, et on s'était demandé si l'on avait perdu la raison. Mais heureusement, grâce à tous les amis, à leur indulgence, à leur aide, leur soutien, nous avons tout fait pour relever le défi. Comme l'a dit l'un des doyens des chefs d'Etat, nous avons essayé de nous plier en plusieurs morceaux, pour quand même vous permettre de suivre ce qui se passe dans notre grande famille. Donc à nouveau je compte sur votre indulgence, pour pardonner nos faiblesses, nos insuffisances inévitables. Mais vous avez devant vos yeux, un pays en reconstruction, un pays qui suit également la voie de la démocratie, et je crois que tous ces éléments font l'originalité et la force de la francophonie.
Voilà ce que je voulais dire, simplement, en quelques mots d'introduction, en vous remerciant tous à nouveau d'être venus ici, dans ce petit pays perdu du golfe de Guinée, que grâce à vous, maintenant, les gens ont placé sur la carte du monde. Voilà ce que je voulais vous dire, et maintenant, nous sommes à votre disposition pour répondre à toutes les questions que vous voudrez bien nous poser.
QUESTION -Vous avez essayé, Monsieur le Président de la République française, de dissiper les craintes de vos pairs africains, quant à un désengagement militaire ou politique de la France en Afrique. En revanche, on ne sait toujours pas quels seront les efforts économiques et financiers que vous pensez entreprendre afin de répondre notamment à la requête de votre collègue béninois pour un plan Marshall pour l'Afrique ?
LE PRESIDENT - Avant de répondre à la question de votre confrère de Mauritanie, je voudrais dire combien ce sommet a été bien organisé, et donc remercier le Président de la République du Bénin, qui a mis tout son coeur, toute son expérience, toute sa compétence et surtout toute sa connaissance des questions internationales au service de la francophonie, en organisant ce sommet à Cotonou, qui a été, à tous égards, une réussite, et pour une large part, grâce à lui.
Mais je ne voudrais pas sous-estimer le rôle d'un autre Béninois, le Président ZINSOU, qui a la tête du Conseil permanent de la francophonie encore, jusqu'à la fin de cette année, c'est-à-dire pour quelques jours, avant de céder sa place à Madame BINH, vice-présidente du Viêt-Nam. Il a mis aussi le meilleur de lui-même et nous lui devons également beaucoup. Cette réunion a été une réunion à la fois fraternelle, comme cela a toujours été le cas dans nos sommets francophones, mais aussi très positive par l'ampleur des décisions que nous avons prises, tant au niveau de la réforme de nos institutions avec la création d'un secrétaire général politique, au sens noble du terme qui sera désigné à Hanoi pour notre institution, pour la francophonie, que par les sujets qui ont été abordés, ceux qui concernent l'enseignement de base dans la langue maternelle et en français, et plus généralement ceux qui touchent au progrès de l'Etat de droit qui suppose ou qui est nécessaire pour créer la confiance, dont les pays en développement ont besoin, et enfin sur les problèmes de développement. C'est à partir de là que je réponds à votre collègue de Mauritanie.
La France conduit actuellement une très forte campagne pour s'opposer à ceux qui, parmi les grands pays, industrialisés sont tentés aujourd'hui par le désengagement en matière d'aide au développement. Nous tentons d'expliquer à ces pays que les exigences de la morale et leur propre intérêt politique c'est d'assumer les responsabilités de la solidarité, et que l'exclusion n'est pas plus acceptable sur le plan des pays qu'elle ne l'est sur le plan des citoyens.
A ce titre la France a mis comme premier point de l'ordre du jour du Sommet du G7 à Lyon en juin prochain les problèmes du développement. Elle a décidé d'inviter, et c'est la première fois, le Président de la Banque mondiale, le directeur général du Fonds monétaire international et le secrétaire général de l'ONU à l'occasion de cette réunion du G7 à Lyon. La France se bat actuellement pour que soit trouvée une solution à la reconstitution qu'elle souhaite et qu'elle finira bien par obtenir, comme elle a obtenu la signature convenable du VIIIe FED, la reconstitution de l'AID et aussi des fonds d'ajustements (qui ont été créés à l'initiative de la France, à Venise, il y a quelques années au G7) du Fonds monétaire international et qui exige également une reconstitution. En ce qui concerne sa propre participation à l'aide bilatérale naturellement, la France a confirmé que, malgré les difficultés qui sont actuellement les siennes, elle continuerait son effort de développement et de coopération bilatérale.
Voilà, je crois que c'est ce que l'on peut dire sur la position de la France.
QUESTION -Monsieur le Président, vous écrivez dans votre ouvrage "La France pour tous" : "l'Europe est pour la France un horizon irremplaçable, il n'est pas le seul". Les décisions du VIe Sommet vont-elles aider la France à activer l'autre dimension de sa politique extérieure, la dimension communautaire francophone ?
LE PRESIDENT - Oui, cela va de soit. La France a une vocation mondiale qui s'exprime au travers de plusieurs priorités. Une priorité européenne avec la construction européenne, et je n'ai pas besoin de développer ce point. Elle s'exprime sur le plan de la francophonie et la France est, et restera, un militant francophone, c'est-à-dire, pour la constitution d'un espace de solidarité politique francophone, car il en va, non seulement de l'avenir du français, mais surtout du refus du mono-culturalisme, de l'uniformisation culturelle mondiale qui nous paraît un immense danger pour la planète. C'est d'ailleurs dans cet esprit que notre appel de Cotonou a été formulé et qu'il s'adresse aussi à ceux qui s'expriment au travers d'une grande langue véhiculaire différente. S'agissant des médias nouveaux, les autoroutes de l'information, nous appelons également les arabophones, les hispanophones, ceux qui parlent les grandes langues véhiculaires, le hindi, le russe, le chinois, le japonais et autres, à se mobiliser pour ne pas tomber dans le piège de la facilité, qui serait celui du déclin de l'uniformisation culturelle qu'impliquerait la disparition progressive des grandes langues véhiculaires, de même que la disparition progressive des langues maternelles. Là est le début du déclin pour une nation. C'est pourquoi, vous l'aurez observé, nous nous battons également pour le plurilinguisme dans les pays c'est-à-dire, le développement des langues maternelles qui sont aussi un élément essentiel de la richesse culturelle d'une nation et donc de la communauté internationale. Enfin, la France a d'autres priorités. La France a une politique méditerranéenne et doit avoir une politique arabe, elle doit avoir une politique active vis-à-vis des grands continents nouveaux comme l'Asie et l'Amérique latine, la France a vocation à être présente partout dans le monde.
QUESTION -Monsieur le Président est-ce que vous regrettez qu'il n'y ait pas eu mention de l'Algérie dans la résolution finale, saluant l'élection présidentielle. Deuxièmement, puisque la francophonie a un rôle de plus en plus politique, est-ce qu'une démarche est possible vis-à-vis de l'Algérie pour l'inciter à rejoindre ce club ayant le français en partage ?
M. SOGLO - Je crois que la question politique évidemment ne s'adresse pas au Bénin mais pour ce qui concerne la francophonie, il va de soi que le français est parlé largement en Algérie, et c'est une décision qui dépend des autorités algériennes. Notre souhait en tout cas est très clair : nous pensons qu'une fois les turbulences internes apaisées et même pendant, nous allons, en tant que président actuel de la francophonie, prendre contact avec les autorités algériennes pour qu'elles voient elles-mêmes, dans quelles conditions elles peuvent participer aux travaux de cette grande famille.
Je crois que, comme l'a dit le Président Chirac, il n'y a pas d'exclusion, au contraire. Je pense que si on peut utiliser tout pour se faire entendre et même faire entendre les différents points de vue, ce serait une excellente chose. Donc nous allons dans ce domaine là, faire la démarche qui s'impose. Nous n'avons pas voulu, lorsque la discussion eut lieu au cours de cette conférence, voter une résolution spéciale sur l'Algérie. Nous pensons que des efforts énormes de démocratisation, malgré la situation terrible qui prévaut dans ce pays, sont en cours et que nous devons de façon, à mon avis efficace, essayer d'aider ce mouvement. Les pays qui sont au pourtour, qui sont en même temps leurs conseillers techniques, nous ont invité à aller dans cette direction. Cela ne veut pas dire que ça ne fait pas partie de nos préoccupations. Voilà ce que je peux répondre à votre question.
QUESTION -Ma question s'adresse aux présidents Chirac et Soglo. Elle complète un peu celle de mon confrère. On a beaucoup parlé au cours de ce sommet de la francophonie comme devant devenir une force politique. Or justement, sur les grands dossiers chauds, Nigeria, Rwanda, Algérie, les francophones ont peiné à trouver un minimum de consensus et sur le Rwanda, aucun consensus n'a été trouvé. Est-ce que cela ne montre pas les limites de cette ambition politique ?
M. SOGLO - Je crois qu'il ne faut pas être pessimiste en ce domaine là, parce que c'est vrai que nous avons décidé de donner une dimension politique à la francophonie. Elle l'avait de toute façon, mais nous l'avons formalisé. Sur des questions anciennes, là il n'y a aucun problème. Je crois que, quand on est dans une famille, n'importe laquelle, on doit débattre librement. C'est ce que nous avons fait sur toutes les questions, ce qui ne veut pas dire qu'il y a unanimité. Alors pour parler du Rwanda, ce que nous souhaitons, parce qu'après tout, nous ne pouvons plus rester les bras croisés devant un génocide, c'est hors de question. Et nous l'avons très clairement indiqué, tous. Il y a eu quelques réserves de la part de la délégation qui était présente, disant : vous savez on a voté tellement de résolutions que l'on n'a jamais appliquées... Pourquoi une nouvelle conférence ? Tout cela nous l'avons dit, c'est utile. Vous savez de toute façon, comme disait la Bible, il a fallu tourner sept fois autour du mur de Jéricho avant qu'il tombe, donc le mur de l'indifférence c'est tout ça. Il faut donc recommencer à plusieurs reprises. C'est pourquoi il y a eu cette résolution. C'est tout à fait normal. On ne demande pas d'arriver à la réunion de la francophonie et que les autres disent tous amen.
Le deuxième point qui concerne le Nigeria, et les questions de démocratisation et de Droits de l'Homme, la conférence a été très claire. Nous savons ce qui se passe dans ce pays. On nous a dit à plusieurs reprises que la démocratisation avance à des vitesses différentes partout dans le monde et en particulier en Afrique. Et c'est le cas. Parfois ça marche très bien. Dans d'autres cas il y a des accidents, des difficultés et c'est ce que nous voyons dans le pays voisin. Ce que la communauté internationale a déjà dit à propos de ce qui s'est passé, les exécutions, on peut dire, que personne ne remet cela en cause. Maintenant et nous l'avons affirmé, le tout c'est d'être nous. Nous avons des contacts permanents avec le Nigeria. D'ailleurs, hier j'ai même reçu une délégation qui est venue. Nous lui avons répété la même chose. Ce que nous souhaitons, c'est que le mouvement de démocratisation avance là bas. Ce qu'il y a de paradoxal, c'est ce que nous avons vu dans les réactions internationales, parce qu'au Nigeria, non seulement il y a ce programme de démocratisation, mais nous avons besoin de ce pays. J'en parle en qualité d'ancien président de la BCAO pour régler le problème du Liberia. Donc nous sommes obligés de tenir compte de tous ces paramètres. Voilà l'explication et ça ne veut pas dire que sur le principe quelqu'un ait varié. Il faut être simplement pratique.
LE PRESIDENT - Je voudrais ajouter un mot à ce que vient de dire le Président Soglo. Vous savez, Madame, il ne faut pas confondre l'efficacité et le tam-tam. Ce sont deux choses différentes. Sur les grands sujets il y a, en gros, unanimité dans la francophonie, dans la famille francophone, et de toute façon, nous ne recherchons pas obligatoirement l'unanimité. Ce n'est pas le problème. Ce que nous recherchons, c'est le dialogue. Un dialogue franc. Mais je vais vous dire : les donneurs de leçons sont peut-être intéressants, je le reconnais pour vous, parce qu'ils vous permettent de faire des papiers. Mais, ils ne correspondent pas à l'intérêt général. Il ne faut pas vouloir donner des leçons à tout le monde publiquement et j'observe que ceux qui le font, en règle générale, sont plein d'arrières pensées et donnent des leçons dans un sens, protègent soigneusement leurs intérêts économiques dans l'autre.
Alors nous, nous préférons être plus modérés dans notre expression et plus efficaces dans nos interventions qui sont d'autant plus facile qu'elles ne s'inscrivent pas dans un contexte de donneurs de leçons. Voilà !
M. CHRETIEN - Je voudrais ajouter quelque chose, car le Canada est très intéressé par ce virage vers l'activisme politique de la francophonie. Ces débats, au cours des autres sommets étaient généralement évités. On a cette fois, discuté du Rwanda, du Burundi. On a discuté du Nigeria. Certains pays abordaient avec une certaine timidité cette situation parce que ce n'était pas les objectifs des sommets de la francophonie dans le passé. C'est la première fois que nous en avons discuté aussi directement et c'est un progrès dans la bonne direction. Je suis très content que l'on puisse donner à ce moment-ci une direction plus politique à la francophonie, parce que nous, Canadiens, nous avons l'avantage de participer au Commonwealth. Le Commonwealth par exemple, depuis très longtemps, a joué un rôle très important au point de vue politique. Et je pense que vis à vis de l'Apartheid, le Commonwealth a banni l'Afrique du Sud. Cette année, avec grand plaisir, on a vu au Sommet de la Nouvelle-Zélande, M. Mandela et tous les membres du Commonwealth ont réalisé que l'action du Commonwealth avait aidé à régler le problème de l'Afrique du Sud mais cela a pris des décennies avant qu'il soit réglé. Alors, on commence la Francophonie d'une façon peut-être un peu timide pour certains mais pour moi c'est un départ et un départ très important dans la bonne direction.
QUESTION -Je m'adresse à M. Chirac. Est-ce que vous pourriez nous préciser votre pensée concernant un éventuel amendement qui serait prochainement apporté à la Constitution en France et qui consacrerait en quelque sorte l'engagement francophone de la France un peu sur le même plan que l'engagement européen ?
LE PRESIDENT - Je n'y suis pas hostile. Je dois dire que ce type de sujet suppose d'abord et avant tout un accord du Parlement et j'ai l'intention de soumettre cette proposition, dont j'ai été officiellement saisi d'ailleurs, aux Présidents des deux Assemblées.
QUESTION - Ma question s'adresse à Monsieur le Président Soglo et à Monsieur Chirac. Je voudrais insister sur l'aspect politique, la dimension politique de la Francophonie dont la volonté est exprimée au cours de ce sommet malgré tout. On a l'impression d'une difficulté à peser réellement en tant qu'entité politique. Pensez-vous qu'il n' y a pas une contradiction entre la diversité à la fois géopolitique et au niveau de la démocratie, au niveau de l'économie aussi entre cette réalité et l'intention, le désir de manifester une volonté politique et de peser sur le débat au sein de la Communauté internationale ?
M. SOGLO -- Je crois que nous avons répondu assez clairement à cette interrogation. C'est vrai que le monde est divers et c'est je crois, l'un des thèmes également de la francophonie à Chaillot. A l'île Maurice, le thème était l'unité dans la diversité. Nous combattons. C'est pour cela d'ailleurs qu'il y a la francophonie. On combat le monopole sur le plan économique. On trouve que c'est mauvais. Puis sur le plan linguistique, on admettrait que cela n'ait pas de sens. Donc, dans ce domaine-là également, nous pensons que sur le plan politique nous avons la diversité. Nous avons un dialogue parfaitement franc et ouvert alors comme l'a dit tout à l'heure le premier ministre du Canada, c'est un début. C'est la première fois que nous ajoutons une dimension politique parce que la francophonie était jusqu'à présent essentiellement culturelle puis ensuite économique. Je pense que vraiment, il faut rendre à César ce qui est à César. C'est un début prometteur. Nous n'avons pas voulu une entrée fracassante. Pour que l'on dise : "ils ont fait cela et puis maintenant voilà ce que c'est devenu". Donc, voilà la démarche que nous avons adoptée dans ce domaine. Je pense que vous qui êtes le communicateur, qui dites exactement ce qui se passe, ce que nous souhaitons, et vous vous rendez compte de ce qui s'est passé ici et de la volonté que nous avons.
QUESTION -J'ai entendu quelques commentaires disant : "on était timide...".
M. SOGLO -- : Si l'on veut discuter des mesures, prenons l'exemple du Nigeria : on peut prendre tout de suite une sanction, (on ne prendra pas de pétrole). Combien de pays sont prêts à faire ce type de sacrifices ? Ils réfléchissent d'abord, même dans les pays où je suis passé tout récemment. On a dit attention, si on fait cela, les prix du pétrole vont augmenter à la pompe etc. Il faut réfléchir. Nous sommes des responsables. Et nous sommes obligés de tenir compte de cela. Ce qui n'empêche que sur le plan des principes, on est obligé de prendre position et cela a été fait mais quand on veut aller plus loin, et alors on l'a rappelé tout à l'heure ce que disait également le premier ministre du Canada pour des questions touchant l'apartheid. Vous avez vu le temps qu'il a fallu pour que, comme on dit vulgairement, "la mayonnaise monte". Donc, c'est cela qui est le plus important. Moi, je crois que Cotonou, enfin il faut y voir cela, et c'est vrai, est un tournant important, voire un tournant décisif dans la marche de la Francophonie. Voilà ce que je voulais répondre à cela, Monsieur le Président.
QUESTION - Ma question s'adresse à Monsieur le Président du Bénin. A la cérémonie d'ouverture de ces assises de samedi dernier, vous avez dit : "la francophonie des peuples, que le Bénin appelle de ses voeux, trouvera une assise plus solide dans la solution préalable des problèmes internes à notre organisation. Après vous, le secrétaire général de l'ONU, M. Boutros Boutros-Ghali a émis le voeu que le sommet de Cotonou soit l'occasion pour tous de réfléchir à ce qui apparaît aujourd'hui comme un impératif essentiel, à savoir mettre la francophonie au service de la paix. Pouvez-vous nous dire ici, Monsieur le Président, aujourd'hui au terme de vos travaux, les décisions concrètes prises dans ce sens ?
M. SOGLO - La grande décision de Cotonou, tout le monde en convient, est que nous avons décidé tous, après réflexion et des travaux en commission, notamment depuis l'île Maurice, d'avoir un secrétaire général à la francophonie. Je crois que c'est un tournant important. Ce secrétaire général parlera non seulement des questions qui étaient débattues avant, mais sur le plan politique, sera, on peut dire, notre porte-parole. Je crois que ça, c'est important. Je crois également qu'au niveau du développement du français, c'est important. Le français pour nous, c'est un grand véhicule de développement. Un véhicule de survie. J'ai dit à plusieurs reprises, lorsque j'étais dans un certain nombre d'organisations mondiales, qu'on ne peut pas parler de développement quand on sait que les deux tiers des pays les plus pauvres de la planète sont en Afrique, au sud du Sahara et qu'on présente des documents, qu'on recrute les meilleurs spécialistes dans le domaine de la santé, de l'éducation, de l'hydraulique villageoise, des transports etc., et qu'on édite ces documents de développement dans une seule langue qui n'est même pas utilisable par les autres. Là c'est l'exclusion. Donc, c'est l'une des raisons pour lesquelles nous disons que si on veut aider ces pays, si on publie ces documents et qu'on me les envoie ici, à Cotonou, à part quelques personnes qui peuvent lire ça en mettant trois ou quatre fois plus de temps, les autres mettront ça dans un tiroir. Est-ce cela le développement ? Non.
Donc voilà la direction dans laquelle nous voulons aller quand nous parlons des peuples, c'est que, dans l'éducation de base, dans le secondaire, il y a un certain nombre de matériaux, d'expériences qui existent d'abord au sein de notre famille où en dehors de la famille, parce qu'il n'y a pas d'exclusion, ce que nous voulons, c'est simplement qu'on ne nous mette pas dans un coin alors que nous existons. Voila, ce que l'on peut dire sur la direction que nous avons prise et que nous avons réaffirmé ici, à Cotonou.
QUESTION - Vous avez parlé hier, sur TV5, de compenser les 180 millions de francs dont a été amputé le budget de Madame Sudre. Est-ce que vous pouvez nous indiquer de quelle façon cette compensation va s'effectuer ?
LE PRESIDENT - Cela c'est un problème technique et intérieur français. Je demanderai au gouvernement de faire en sorte que les moyens de la francophonie, malgré la rigueur des temps, ne soient pas diminués.
QUESTION -Ma question s'adresse à Monsieur Jean Chrétien, Premier ministre du Canada. Vous avez, récemment, fait déposer aux Communes, à Ottawa, une résolution pour reconnaître le Québec comme une société distincte. Pensez-vous que le Québec se contentera de ce lot de consolation et ne craignez-vous pas que le prochain référendum sera le bon ?
M. CHRETIEN - Une chose est claire, c'est que nous avons, comme disait le Président Chirac, nos problèmes canadiens. On les règle au Canada. Deuxièmement, nous avons déjà gagné deux référendums. Ce ne sont pas des matchs de base-ball ou de hockey où l'on doit en avoir un jusqu'à tant qu'on gagne. Troisièmement, nous avons vu des matchs de football où le score était serré. La fois d'après il était moins serré, seulement les équipes gagnantes continuent de gagner. Alors, pour moi, je pense que l'équipe canadienne, est une équipe gagnante, Monsieur....
QUESTION - Merci Monsieur le Président. Une question à deux volets. Le premier volet de ma question s'adresse au Président Jacques Chirac et le second volet s'adresse au Président Nicéphore Soglo. Monsieur le Président, le sommet de Cotonou est placé sous le signe de la solidarité et de l'entente francophone. On sait que la compagnie multinationale Air Afrique bat de l'aile en ce moment et que, ici à Cotonou, il a été arrêté un certain nombre de décisions pour sortir la compagnie du rouge. Alors, dites-nous, Monsieur le Président, est-ce que la France a déjà une idée de ce qu'elle compte faire pour sauver la compagnie multinationale Air Afrique, parce que certaines des informations qui nous sont parvenues laissent entendre que la France mettra une certaine enveloppe financière à la disposition du conseil d'administration de la compagnie multinationale Air Afrique ? En ce qui concerne le Président Soglo, je voudrais savoir : qu'est-ce que les pays-membres de la compagnie multinationale comptent faire, pour sauver cette compagnie, qui, semble-t-il, ne peut survivre aujourd'hui qu'à la faveur d'une privatisation ? Je vous remercie.
LE PRESIDENT - J'ai cru comprendre que c'était la dernière question. Elle ne porte pas tout à fait sur le sujet, donc n'est pas de nature à intéresser l'ensemble des journalistes ici présents. Je n'aime pas beaucoup l'expression battre de l'aile pour une compagnie aérienne, mais chacun sait qu'il y a des problèmes à Air Afrique. Et bien, nous avons eu hier une réunion, des participants à Air Afrique, c'est-à-dire onze chefs d'Etat, pour examiner les conditions de la sauvegarde de la compagnie. Ceci exigera un effort de tout le monde. Et j'ai cru comprendre que tout le monde était prêt à faire cet effort. Je voudrais souligner deux choses qui n'ont pas fait l'objet de questions : la première c'est que la francophonie continue de s'élargir. Il y a eu l'élargissement à Cotonou, à la Moldavie et à Saint-Thomas et Prince, et cet élargissement est loin d'être terminé. Je suis persuadé que nous observerons, à Hanoi, l'arrivée de nouveaux participants. Deuxièmement, je voudrais souligner l'importance capitale que représente pour la francophonie le fait que le prochain sommet se tienne au Viêt-Nam. Le Viêt-Nam est un très grand pays, un peuple exemplaire et une vieille civilisation, une longue histoire, une culture très forte qui peut apporter beaucoup à la famille francophone. Et l'option prise par le Viêt-Nam d'adhérer à la famille francophone comporte, je l'imagine, un intérêt pour le Viêt-Nam mais une chose dont je suis sûr, c'est que cela comporte un grand intérêt pour la famille francophone.
Et je voudrais remercier le vice-Président du Viêt-Nam, Madame Binh qui assure, à partir du 1er janvier, la présidence du Comité permanent de la francophonie, jusqu'au sommet d'Hanoi. Je voudrais lui dire toute la reconnaissance de la famille francophone pour l'option et l'engagement du Viêt-Nam, engagement qui se traduira, je le répète, par le sommet de Hanoi, dans un peu moins de deux ans. Et bien, il me reste à dire que ce sommet a été remarquablement organisé et je demande au Président Soglo, qui a fait ça avec toute son intelligence et toute sa compétence, et chacun sait que les deux sont grands, de remercier l'ensemble de ses collaborateurs et de ses administrations qui ont fait un travail admirable pour la tenue de ce Sommet. Je tiens à l'en remercier sincèrement et à lui dire toute ma très fidèle amitié.
QUESTION -Mme BINH, comme vous allez effectivement assurer la présidence du prochain Sommet francophone à Hanoi, pourriez-vous nous dire en quelques mots les grandes réformes et les grands chantiers de démocratisation puisqu'on a dit que la francophonie accompagnait la progression de l'état de droit dans tous les pays qui appartiennent à cette grande famille ?
Mme BINH - Je pense que votre question a un sens très large. Nous n'aurons pas l'occasion de le présenter ici.
Mais je voudrais, tout de même, expliquer qu'au Viêt-Nam, vous le savez tous, nous entreprenons en ce moment ce que nous appelons la politique de renouveau. La politique de renouveau comporte des réformes dans tous les aspects économiques, politiques et culturels, etc.
Je voudrais dire, d'autre part, que la langue française au Viêt-Nam n'est pas utilisée aussi largement que dans de nombreux pays d'Afrique. La raison en est qu'il y a presque cinquante ans nous avons considéré la langue vietnamienne comme langue nationale et officielle du pays. Vous savez aussi que le Viêt-Nam se trouve entouré de pays anglophones, en Asie, avec lesquels nous avons de nombreux rapports de coopération dans tous les domaines et particulièrement dans le domaine économique et commercial. Mais nous considérons que la langue française constitue pour le Vietnam un héritage culturel précieux que nous voulons maintenir et développer tout d'abord pour notre développement et aussi pour renforcer nos relations d'amitié avec beaucoup de pays francophones. Nous avons des relations d'amitié de longue date, en particulier avec la France, le Canada, etc. et aussi avec les pays d'Afrique, surtout de l'Afrique de l'Ouest.
Nous sommes très contents que le VIIe Sommet se tienne au Viêt-Nam. Vous savez que nous avons assez de difficultés à tous points de vue pour préparer ce sommet, mais c'est un honneur pour nous et je suis sûre que notre gouvernement et notre peuple feront de leur mieux pour accueillir le VII ème Sommet et en faire une belle réussite.
Je vous remercie.|