Genêve - Suisse , le 5 juillet 1995.
Mesdames,
Messieurs,
Je voudrais d'abord saluer et remercier l'ensemble des journalistes qui ont bien voulu attendre un bref point de presse. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion, en venant ici, de voir dans la salle des "pas perdus" une oeuvre superbe qui a été faite par un indien Navajo et qui est particulièrement réussie.
J'ai eu dans la journée le privilège de voir un certain nombre de personnalités, le secrétaire général, les principaux directeurs des grandes organisations onusiennes, le Président de la Confédération helvétique, les autorités de la République et Canton de Genève, ainsi que Monsieur Carl Bildt et Monsieur Yasser Arafat et je viens de rencontrer Monsieur Ruggiero, le directeur général de l'Organisation mondiale du commerce.
Au fond, ce que j'ai voulu dire en venant ici, c'est d'une part l'importance que la France attache à l'action conduite par l'Organisation des Nations unies, très généralement, et la reconnaissance qu'elle éprouve à l'égard de cette action, même si nous savons très bien que tout peut être amélioré, c'est d'ailleurs l'objectif recherché par le secrétaire général.
Deuxièmement, j'ai voulu marquer l'importance que la France attache à Genève, à Genève internationale, qui naturellement, - ce n'est pas là une ingérence dans les affaires intérieures de la Suisse - est pour les Français un atout important et que nous souhaitons, naturellement, soutenir dans toute la mesure où les autorités de la République et Canton le souhaitent, et puis enfin, j'ai voulu avec Monsieur Ruggiero indiquer l'importance que la France attache à la mise en oeuvre le plus rapidement possible de l'Organisation mondiale du commerce et à la priorité absolue dans le domaine des échanges internationaux que donne la France à la mise en place et à la mise en oeuvre de cette organisation.
QUESTION: ... (sur les relations Suisse - Union européenne)
LE PRESIDENT : - La Suisse a décidé, dans la sagesse, c'est sa décision et je n'ai pas de commentaires à faire sur ce point, qu'elle ne pouvait pas aujourd'hui entrer dans l'Union européenne, je le regrette, mais je le comprends. C'est un problème de culture, c'est un problème qui touche à la tradition helvétique et je la respecte. A partir de là nous n'avons pas du tout l'intention de faire, je le répète, la moindre ingérence dans les affaires de la Suisse, ce qui ne nous empêche pas d'avoir avec Genève des relations tout naturellement excellentes et d'être en permanence le soutien de Genève, lorsque Genève est candidate par exemple pour l'installation d'une organisation, par exemple je prendrais le débat en cours actuellement avec plusieurs candidats pour l'organisme dépendant des Nations unies et qui concerne la biodiversité, Genève est candidat et bien la France appuie la candidature de Genève.
QUESTION: ... (sur les essais nucléaires)
LE PRESIDENT : - Permettez moi de vous dire, qu'il ne s'agit pas pour nous de faire cela plus près de la France puisque nous le faisons, en France. Nous sommes dans la Polynésie française, en France, premièrement. Alors vous pourriez me dire pourquoi vous ne les faites pas ailleurs en France, tout simplement parce qu'on n'improvise pas une installation extrêmement importante que nous avons là-bas sur place, et enfin pour vous rassurer pleinement, je vous indiquerais que j'invite tous les savants à la fois compétents et responsables qui voudraient porter un jugement sur place à la suite des essais nucléaires sur l'éventualité d'une pollution à venir. Et je ne crains rien, parce que ces essais ne comportent aucune espèce de pollution ou d'atteinte à l'environnement ou à l'écologie. Les grandes personnalités australiennes du monde scientifique et néo-zélandaises en ont témoigné, il y a de cela quatre ou cinq ans, je suis tout prêt à en inviter d'autres ou celles-là pour qu'elles puissent faire le même témoignage.
QUESTION: ... (sur le processus de paix au Moyen-Orient)
LE PRESIDENT : - J'ai d'abord dit naturellement à Monsieur Arafat que la France était décidée à soutenir le processus de paix. Je crois qu'il n'y a pas d'alternative au processus de paix. Alors ce processus à un aspect politique, il a aussi un aspect économique, un aspect de développement. L'administration palestinienne qui se met actuellement en place a besoin, je dirais de donner à la fois un toit et un travail aux habitants de Gaza. La France souhaite participer activement à ce développement sur le plan financier et d'ailleurs elle est, vous le savez peut-être, le premier contributeur financier, l'Europe étant aussi un contributeur très important. A partir du moment où on apporte une aide importante, cela suppose naturellement des liens qui ne sont pas seulement économiques, qui sont également politiques ; ce qui veut dire - vous venez de le souligner - que la France, effectivement, a l'intention d'apporter, sa part sur le plan politique pour le processus de paix.
QUESTION: Vous avez cité l'Allemagne et le Japon, comme nouveaux membres possibles du Conseil de sécurité et vous avez parlé de grands pays du Sud, pourriez-vous me dire le nombre de ces grands pays du Sud ?
LE PRESIDENT : Non, je ne le dirais pas parce que c'est une discussion qui doit avoir lieu à l'intérieur de l'ONU et que je ne vais pas....
QUESTION: Mais, il y en a déjà un certain nombre qui sont déjà candidats.
LE PRESIDENT : Oui, il y en a un certain nombre effectivement. Eh bien, c'est une discussion qui doit avoir lieu au sein de l'ONU. Elle a déjà eu lieu pour l'Allemagne et le Japon. J'ai donc cité l'Allemagne et le Japon. Pour les autres, je ne veux pas en préjuger.
QUESTION: ...(Sur un bombardement de l'aviation bosnie-serbe sur Bihac)
LE PRESIDENT : Ecoutez, je ne connais pas l'information encore. J'étais ici et je n'ai donc pas d'informations. Mais si l'information est exacte, je ne peux que le déplorer, que condamner l'intervention serbe.
QUESTION: Monsieur le Président, avez-vous évoqué avec M. Boutros Boutros-Ghali et avec M. Carl Bildt la possibilité d'une initiative pour desserrer l'étau de Sarajevo et enfin alimenter la ville ?
LE PRESIDENT : Je crois que la situation à Sarajevo exige qu'un transport soit possible, qu'une voie soit ouverte, de façon à ravitailler la ville. Il y a deux voies possibles : il y a la voie normale - si j'ose dire - celle qui passe à travers la zone serbe sur une quinzaine de kilomètres environ et qui est la route de l'Ouest. L'ouverture militaire de cette voie ne me semble pas aujourd'hui à l'ordre du jour. En revanche, j'ai le sentiment qu'une négociation doit avoir lieu, et c'est un des objectifs de M. Carl Bildt, pour obtenir des Serbes que la circulation puisse être libre sur cette voie de façon à ravitailler Sarajevo. Pour le cas où cette négociation n'aboutirait pas, je crois que nous devons immédiatement adapter la voie du Sud, c'est-à-dire la voie qui passe par le Mont Igman, qui est, en réalité, plus une piste qu'une route mais qui, moyennant certaines adaptations que nous sommes en mesure de faire - je dis nous : la Forpronu - , pourrait permettre de ravitailler la ville et j'ai indiqué à M. Bildt qu'il me semblait que sa mission devait être d'obtenir, de négocier, de telle façon qu'on puisse ouvrir la voie normale mais qu'à défaut nous prendrions nos dispositions pour ouvrir la voie qui passe par le Mont Igman.
Nous avons les moyens, grâce à la Force de réaction rapide, d'assurer les possibilités de transport par la route du Sud. Cela veut dire très clairement que l'on ait les moyens de riposter en cas d'attaque, soit sur l'artillerie serbe qui pourrait attaquer à partir de la partie serbe de Sarajevo, soit ailleurs dans l'hypothèse où ces pièces d'artillerie se trouveraient, par exemple dans des écoles ou dans des lieux où une riposte risquerait de se faire au détriment des populations civiles, en ripostant sur d'autres objectifs qui eux seraient purement militaires.
QUESTION: ...(Sur une solution négociée en Bosnie)
LE PRESIDENT : Vous savez, Madame, quand il s'agit de la paix et à partir du moment où on atteint l'objectif, tout peut être négocié. Je pense que nous devons et c'est ce que j'ai redit à M. Carl Bildt, discuter avec toutes les parties sur le terrain, sans porter de jugement sur les responsabilités des uns et des autres, même si nous avons à ce sujet des convictions qui tiennent aux évidences. Il y a, c'est vrai, les agresseurs et les agressés dans cette affaire. Mais il n'en reste pas moins que, si nous voulons arriver à la paix - je l'ai dit à Carl Bildt -, il faut négocier avec tout le monde pour être clair également avec les Serbes de Pale.
QUESTION: (sur le français et les instances internationales)
LE PRESIDENT : D'abord, m'exprimer en français, ce que je fais toujours. Ensuite, encourager tous les francophones à parler dans leur langue car on a toujours intérêt à parler dans sa langue si l'on veut être bien compris. Mais les Français ont souvent un peu tendance à vouloir absolument montrer qu'ils parlent une langue étrangère. C'est une faiblesse, d'autant qu'en général ils la parlent mal parce qu'ils ne sont pas très doués dans ce domaine et néanmoins ils veulent à tout prix parler, ce qui donne des résultats peu probants, c'est-à-dire qu'en général ils expriment mal ce qu'ils veulent exprimer. C'est une confusion dans les négociations au détriment de la France. C'est pourquoi j'encourage toujours les Français, même quand ils prétendent parler une langue étrangère, notamment l'anglais, à s'exprimer en français et à utiliser les soins d'un interprète.
QUESTION: (sur la reprise des essais nucléaires)
LE PRESIDENT : - Alors je répète parce que je l'ai déjà dit à maintes reprises que la France qui fera ses essais dans un laps de temps court, au nombre de huit, signera et militera pour la signature du Traité portant interdiction des armes nucléaires qui est en voie d'élaboration et qui devrait probablement pouvoir être signé à partir de l'automne 96. Alors je prends l'engagement ici que la France signera ce traité, que la France naturellement mettra un terme définitif à ses essais et qu'elle signera et militera pour la signature du Traité portant interdiction des essais nucléaires.
QUESTION: Monsieur le Président, avez-vous l'impression qu'il y a des progrès dans les dernières négociations entre les Palestiniens et les Israéliens, et comment voyez-vous l'évolution de ces négociations à la lumière de ce qu'il vous a dit ?
LE PRESIDENT : Je ne voudrais pas préjuger parce que ce sont des domaines où ma sensibilité est grande. Mon sentiment c'est que, petit à petit, le progrès s'affirme, M. Arafat m'a confirmé que les derniers entretiens avec M. Peres avaient été positifs. Naturellement tout n'est pas réglé, naturellement nous avons pris un peu de retard dans le processus de paix, mais petit à petit sur les principaux points : les élections, leurs modalités, le retrait des forces israéliennes, petit à petit les choses ont l'air de progresser. J'ai également retiré de mes derniers contacts - j'ai reçu récemment, tout récemment, à la fois le ministre des Affaires étrangères de Syrie et le Roi de Jordanie - et j'ai le sentiment que du côté des Israélo-Syriens les choses avaient probablement également un peu progressé. Naturellement ce sera long, mais je crois que cela a un peu progressé dans le bon sens, notamment après la rencontre de deux chefs d'Etat major.
QUESTION: .(Sur la Bosnie-Herzégovine... guerre civile ou conflit international...)
LE PRESIDENT : Pour le moment c'est à l'évidence un conflit international si j'en juge par le fait qu'il y a toute sorte de nations qui sont impliquées volontairement ou non dans ce conflit. Je ne peux d'ailleurs que le déplorer.
QUESTION: Monsieur le Président, dans votre discours de cet après-midi vous avez montré du doigt les Américains, mauvais payeurs pour le financement des Nations unies, n'envoient pas de troupes sur le terrain en Bosnie. Est-ce que c'est la meilleure façon, selon vous...
LE PRESIDENT : Je n'ai pas évoqué les troupes américaines en Bosnie parce que les Américains n'ont jamais dit qu'ils enverraient des troupes en Bosnie, sauf s'il devait y avoir retrait de la Forpronu, et je n'ai jamais fait un procès quelconque aux Américains sur ce point. En revanche, les Etats-Unis doivent de l'ordre d'un milliard de dollars à l'ONU et je considère que pour un pays riche comme les Etats-Unis ce n'est pas une situation normale, ni même acceptable.
QUESTION: En montrant du doigt les Américains vous n'avez pas tendance à occulter un peu la responsabilité des Européens dans ce conflit.
LE PRESIDENT : La responsabilité des Européens dans quoi... Mais attendez, cela n'a aucun rapport, ne mélangeons pas tout. Je n'ai pas parlé des Américains au sujet de la Bosnie. J'ai parlé des Américains au sujet du financement des Nations unies, cela n'a strictement aucun rapport avec la Bosnie, aucun. Alors par ailleurs, les Américains ont pris une position sur la Bosnie, elle est ce qu'elle est, mais je ne l'ai pas évoquée, je n'en ai pas parlé, je dis simplement qu'il n'est pas normal que le premier contributeur d'une organisation internationale et le pays le plus riche n'assume pas ses responsabilités dans ce domaine, cela n'a strictement aucun rapport avec la Bosnie.
QUESTION: ...( sur le bilan de la réunion de Cannes)
LE PRESIDENT : Que l'on continue à progresser, oui mais vous savez on rit parce que les choses sont difficiles surtout quand on est quinze, moi j'ai observé une chose à Cannes, je vais conclure sur ce point si vous le voulez bien, j'ai observé une chose à Cannes, nous avons donné un déjeuner j'avais invité les onze pays qui sont demandeurs d'entrer dans l'Union et qui ont un accord d'association, c'est-à-dire les six pays de l'Europe centrale et orientale, les trois Pays baltes, Chypre, et Malte. Ce déjeuner avait lieu dans un restaurant de Cannes, et pendant ce déjeuner, je me disais quand même c'est émouvant, c'est extraordinaire, il y a là vingt-six chefs d'Etat et de gouvernement qui représentent les quatre cinquième de l'Europe et qui sont réunis tranquillement en train de déjeuner sans avoir aucune espèce d'agressivité aucune espèce de mécontentement et qui s'entendent amicalement, chaleureusement et qui plaisantent. Vous savez il faut remonter très, très loin dans l'histoire pour retrouver une situation de cette nature. Alors je ne dis pas que les choses vont vite, elles vont à leur train à leur rythme, car pour mettre ensemble d'accord les quinze membres d'une même famille c'est difficile, ce sera encore plus difficile à vingt-six, mais il n'en reste pas moins que c'est un progrès. Alors je pense que l'Espagne poursuivra dans cette voie, c'est-à-dire qu'à l'occasion du sommet de Madrid un certain nombre des problèmes en suspens seront réglés comme un certain nombre ont été réglés à Cannes.
Je vous remercie.