Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC Président de la République et M. Helmut KOHL chancelier de la République fédérale d'Allemagne.

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC Président de la République et M. Helmut KOHL chancelier de la République fédérale d'Allemagne .

Strasbourg - Bas-Rhin, le jeudi 18 mai 1995.

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais saluer et remercier très chaleureusement le chancelier fédéral allemand, Helmut Kohl. Nous sommes de vieux amis ; nous nous connaissons, en effet, depuis très longtemps et nous avons, dans bien des circonstances, travaillé ensemble soit au gouvernement, soit au sein des organisations politiques internationales, au titre de nos responsabilités, soit dans l'Etat, soit dans les partis politiques. J'ai été heureux que mon premier geste après ma prise de fonctions ait été de le rencontrer et que ce soit à Strasbourg, où le chancelier faisait une visite au Parlement. Heureux d'abord de le retrouver, heureux de marquer par cette rencontre l'étroitesse des relations entre l'Allemagne et la France. Il s'agit là d'une tradition, mais d'une tradition qui se renforce et se renforcera chaque jour davantage.

Nous avons évoqué les problèmes actuels et en particulier ceux qui découlent de la préparation du Sommet de Cannes et, une fois encore, nous avons constaté que nos approches des problèmes étaient identiques et que notre volonté, s'agissant de la construction européenne, était aussi forte. Voilà pourquoi j'étais heureux d'inviter dans cette préfecture le chancelier Kohl, à qui je donne la parole.

Le Chancelier: - Je voudrais, tout d'abord, remercier le président de la République de l'hospitalité qu'il a bien voulu nous réserver ici. Comme vous le savez tous, nous sommes des amis de très longue date et c'est la raison pour laquelle je suis très heureux de pouvoir le rencontrer tout particulièrement ici à Strasbourg. Strasbourg qui représente l'interface entre l'Allemagne et la France, et Strasbourg où l'idée européenne se montre de la façon la plus efficace.

Cette soirée d'aujourd'hui, c'est le début du nouveau mandat du nouveau président de la République française élu, c'est un septennat qui nous conduira dans le nouveau millénaire. Ce sont des années aux cours desquelles nous connaîtrons des changements importants, dans nos pays, en Europe et dans le monde entier. Et justement ces jours-ci, nos idées se reportent à une idée d'il y a cinquante ans. Et nous étions tous d'accord, et nous sommes tous d'accord pour dire que nous n'oublierons jamais l'histoire, même les expériences très amères et très fâcheuses que nous avons faites. Mais nous ne voulons pas nous arrêter ici, dans le passé, nous voulons porter le regard vers l'avant.

L'Europe connaîtra un futur à condition que les Français et les Allemands s'y attachent coude à coude. Jacques, on nous soupçonnera toujours, et je l'ai dit au Parlement européen, à midi : lorsque les relations entre la France et l'Allemagne sont excellentes, on nous reproche de faire de l'hégémonie, lorsque les relations sont mauvaises on nous reproche de ne pas avoir appris les leçons de l'histoire. Nous deux, nous savons depuis longue date, depuis les longs entretiens que nous avons eus, étant donné que nous sommes amis, nous voulons que les Français et les Allemands aillent coude à coude et affrontent l'avenir en commun, avec les autres. Mais notre situation est particulière et notre mission historique est particulière. Et je suis très heureux d'avoir l'occasion d'essayer d'aller de l'avant ensemble, la France et l'Allemagne, toi et moi.

Question: - Des rumeurs vous ont prêté l'intention d'opérer et de demander au chancelier Kohl des modifications au sein du système monétaire européen. Qu'en est-il exactement ?

Le Président: - Ces rumeurs sont aussi absurdes que dénuées de tout fondement. Il ne faut pas toujours croire ce que l'on lit. Nous avons évoqué les problèmes monétaires, le chancelier et moi, dans des termes qui n'avaient rien à voir avec ceux auxquels vous faites allusion. Nous avons simplement marqué notre volonté commune de faire en sorte que les engagements pris par l'Union européenne, dans le cadre du traité de Maastricht, soient tenus et ils le seront. Il n'est pas question, bien entendu, que la France ait une politique économique et monétaire qui ne soit pas conforme à ses engagements.

Le Chancelier: - Je souscris entièrement à ces paroles.

Question: - Avez-vous traité le problème du chômage et comment pourrait-on ensemble lutter contre le chômage ?

Le Président: - C'est un souci du chancelier et c'est un grand souci pour le gouvernement français. Chaque gouvernement fait un effort dans ce domaine, je dois reconnaître que le gouvernement allemand a eu plus de succès que le gouvernement français, nous allons essayer de faire aussi bien. Nous sommes également de l'avis que l'Union européenne doit avoir pour préoccupation importante celle de la lutte contre le chômage, dans des conditions raisonnables, notamment par le financement d'un certain nombre des grands travaux d'infrastructures communs qui intéressent l'ensemble de l'Europe.

Le Chancelier: - Sur le principe, nous voyons les choses de la même façon. Naturellement, les conditions ne sont pas toujours les mêmes chez nous et en France. Une partie des problèmes que nous rencontrons sont des problèmes particulièrement graves dans les nouveaux Länder, après l'unification des deux Allemagnes. Mais nous avons des problèmes communs à tous les pays industrialisés. C'est une expérience très amère que nous avons faite au cours des dernières décennies ; dans toutes les sociétés industrielles, le taux du chômage, une fois la récession terminée, devenait plus important. Il n'y a pas de panacée, mais il y a beaucoup de choses que l'on peut faire.

Par exemple, une observation que nous avons faite et qui est à peu près la même en France. Moins la formation est bonne, plus le danger du chômage est grand, plus on se fait vieux, plus le danger d'être au chômage et de ne plus trouver du travail est grand. Ce qui est très grave à mes yeux et de voir des gens de cinquante ans ne plus trouver de travail. Un défi particulier résiste dans le fait de trouver des emplois pour les femmes. Aussi bien sur le plan national que sur le plan européen, nous allons coopérer très étroitement sur ce dossier. Je le répète encore une fois, il n'y a pas de panacée mais, on pourrait arriver à trouver des solutions à condition de mettre toute notre énergie dans la solution de ces problèmes.

Le Président: - Je voudrais juste ajouter une phrase à ce que vient de dire Helmut Kohl. Le nouveau gouvernement français entend faire de la lutte contre le chômage le coeur même de sa politique et donc le moteur de toutes les décisions qui seront prises, dans tous les domaines.

Question: - Monsieur le chancelier, avez-vous dit il y a trois ans et demi lorsqu'il s'agissait de l'entrée en vigueur de l'Union monétaire en 1999 : " il faut avant d'y arriver, au cours de la conférence intergouvernementale de 1996, avoir fait des progrès considérables en matière de politique européenne ? "

Le Chancelier: - Très certainement. Car nous ne voulons pas d'une zone de libre échange de luxe, mais l'intégration européenne.

Question: - La campagne électorale en France a pris beaucoup de temps. Sur la préparation du Sommet de Cannes, quel est maintenant le but que vous pensez atteindre lors de ce Sommet ?

Le Président: - Il y a un certain nombre de problèmes qui seront traités au Sommet de Cannes, j'espère que les contacts préalables - en particulier, entre la France et l'Allemagne -, mais aussi entre la France, l'Allemagne et les autres pays permettront d'avancer. Il y a d'abord la préparation de la Conférence intergouvernementale, dont votre confrère vient de parler, et le chancelier a raison de dire que cette conférence est extrêmement importante avant les échéances, notamment monétaires, qui suivront. Je partage sur ce point son avis.

Nous avons également des problèmes importants qui concernent l'aide que l'Union apporte à un certain nombre de régions, qu'il s'agisse de l'aide générale à l'Europe du centre et de l'est, qu'il s'agisse des pays de la zone méditerranéenne, ou qu'il s'agisse des pays en développement. Et vous le savez, nous ne sommes pas encore arrivés à un accord sur ces sujets ; il faudra essayer de le trouver, la France est très attachée, en particulier, a ce qu'un accord convenable intervienne pour les pays en développement, pour le Fonds européen de développement et nous souhaitons, le chancelier et moi, que les autres pays fassent un effort, comme la France et l'Allemagne, un effort de solidarité dans ce domaine. Il y a des questions relatives à la mise en oeuvre d'Europol sur lesquelles nous n'aurons pas, je le pense, beaucoup de difficultés à nous entendre et puis il y a la préparation du sommet des sept pays les plus industrialisés qui aura lieu dans quelques semaines et là aussi, nous devons avoir une approche et une présentation commune des problèmes pour ce sommet de Halifax.

Voilà ce dont nous avons parlé avec le chancelier. Sur tous ces points, il est vrai que la position française et la position allemande sont très proches, même si sur tel ou tel domaine il peut y avoir des divergences de vues. C'est précisément par des contacts amicaux de cette nature que nous pourrons régler ces petits problèmes. C'est dans cet esprit que j'ai d'ailleurs accepté, avec plaisir, une invitation tout à fait informelle et tout à fait amicale du chancelier à venir faire un dîner de travail, très prochainement, chez lui à Bonn.

Question: - Monsieur le chancelier, est-ce que, d'après vous, vous pourrez enchaîner sur le dossier européen là où vous vous êtes arrêté avec le président Mitterrand, ou est-ce que vous pensez qu'avec le nouveau président élu, il y aura lieu maintenant de trouver de nouvelles coordonnées, et de partir sur de nouvelles coordonnées sur le dossier européen ?

Le Chancelier: - Je ne vois aucun problème, je ne vois nullement un quelconque danger. Naturellement, il s'agit maintenant de personnalités différentes qui discuteront et qui s'entretiendront, mais cela ne change rien au fait de la question de savoir quel défi historique pour nous, quelle est notre tâche, notre mission à nous, et ce que nous allons faire. Nous sommes à Strasbourg, il ne faut pas faire de grands discours et de conférences ici. Si ce n'est pas ici qu'on le comprend où voulez-vous que l'on le comprenne ?

Naturellement, il y a certaines contradictions, mais ce qui importe et ce qui importera est ceci : est-ce que nos entretiens futurs, est-ce que notre futur sera animé par l'idée de nous aider les uns les autres, ou est-ce que nous ferons preuve d'un égoïsme personnel ou national ? Je ne crois pas que la deuxième chose puisse être la bonne solution. Peut-être que, pour un jour, on pourrait accuser un certain succès en ce faisant, mais à la longue ce ne serait certainement pas la bonne solution. Il faut être absolument réaliste et optimiste, et lorsque l'on est chancelier et président du parti CDU depuis aussi longtemps que moi je le suis, il faut forcément être réaliste et optimiste.

Question: - C'est une question pour tous les deux. Monsieur le président, vous avez parlé être coude à coude dans l'avenir. Mais est-ce que vous êtes tous les deux d'accord sur la vitesse de l'intégration de l'Europe ?

Le Président: - C'est un peu la même question que la question précédente, et le chancelier a répondu. L'Europe est une construction qui se fait jour après jour. Nous sommes partis du traité de Rome, nous avons tous ratifié l'Acte unique, nous avons chacun à notre manière adopté le traité de Maastricht, nous progressons et nous entendons continuer à progresser. Demain, nous aurons une Europe monétaire, nous aurons Europe de la défense, dont nous avons bien besoin, nous aurons une Europe de la justice, une Europe sociale, et par conséquent cette progression se fait dans le cadre de discussion où chacun apporte sa part. Dans ces discussions si on y met de la mauvaise volonté, naturellement il ne se passe rien. Mais quand chacun veut y mettre de la bonne volonté, alors on progresse. C'est ce que nous faisons et c'est ce que nous continuerons à faire. Je le dis souvent, l'entente franco-allemande qui a été à l'origine de la construction européenne, qui est une condition nécessaire de cette construction, même si ce n'est pas une condition suffisante, qui ne doit en aucun cas être qualifiée, comme le disait tout à l'heure Helmut Kohl, "d'hégémonisme" - ce n'est pas du tout dans notre esprit - mais qui reste néanmoins une nécessité, cette entente franco-allemande est dans la nature des choses aujourd'hui. Même si les hommes changent, ce qui est la loi de la démocratie, la nature des choses, ne change pas et l'amitié, le lien franco-allemand ne change pas.







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