Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC Président de la République et de M. John MAJOR Premier ministre du Royaume-Uni (Londres)

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC Président de la République et de M. John MAJOR Premier ministre du Royaume-Uni (Londres)

(LONDRES - 30 OCTOBRE 1995)


M. John MAJOR - Permettez-moi tout d'abord de vous souhaiter la bienvenue. C'est ma septième réunion avec le Président Chirac depuis neuf mois et, à cette occasion, il a amené une équipe très nombreuse, ministres de la Défense, des Finances, des Transports, des Affaires étrangères, qui ont eu des entretiens séparés et qui ensuite nous ont fait rapport. Collectivement nous avons abouti à toute une série de décisions. Je voudrais tout d'abord signaler que le Président et moi- même sommes allés à High-Wycombe, une base de la RAF, et ce pour deux raisons toutes particulières, d'abord pour inaugurer le groupe aérien franco-britannique et, deuxièmement, pour remettre des décorations au général de La Presle et au général Rose qui pendant si longtemps ont travaillé ensemble en Bosnie avec de si bons résultats.

Cette cérémonie, c'est-à-dire à la fois l'inauguration et la remise de distinctions illustrent le partenariat de plus en plus étroit entre la France et le Royaume-Uni. Il s'agit d'un partenariat mondial et ce thème du partenariat mondial a été le fil conducteur de ce Sommet. Permettez-moi de vous expliquer exactement ce que j'entends par là. La Grande-Bretagne et la France sont deux pays européens à vocation mondiale. Nous sommes les seules puissances nucléaires en Europe occidentale, chacun de nos pays apporte une contribution énorme à la défense européenne c'est nous qui contribuons le plus aux forces de maintien de la paix des Nations Unies. Nous sommes des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies et nous participons aux Sommets économiques et nous avons des obligations vis à vis de certaines parties du monde comme l'Afrique avec laquelle nous avons des liens qui remontent très loin.

Pour la défense, à laquelle nous avons consacré beaucoup de temps ce matin, le Président et moi même avons conclu que les intérêts vitaux de l'un ne pouvaient être menacés sans que les intérêts vitaux de l'autre ne soient aussi en danger. Pas à pas, en matière de défense, nos positions se rapprochent. En matière d'achat, par exemple, la Grande-Bretagne a plus de projets communs avec la France qu'avec tout autre pays. Nous discutons ensemble des structures les plus efficaces pour la défense européenne en tirant les leçons que nous avons apprises ensemble en Bosnie.

Le Groupe aérien européen franco-britannique est une nouvelle dimension bilatérale et nous avons décidé d'autres dispositions pour la Royal Navy et la Marine française qui auront des manoeuvres et des formations communes. Nous avons également énormément progressé dans l'approfondissement de notre coopération nucléaire. Notre objectif est de renforcer la dissuasion tout en préservant l'indépendance de nos forces nucléaires.

Cet approfondissement de la coopération renforcera la contribution européenne à la dissuasion globale. Nos forces armées, si l'on considère tous les aspects, sont plus proches aujourd'hui qu'à n'importe quel moment des cinquante dernières années ; et le Président et moi même allons essayer de trouver encore d'autres façons de renforcer cette coopération.

Nous avons également abordé toutes les questions européennes. Nous avons des positions différentes sur certaines, mais nous sommes convenus de travailler ensemble sur certains aspects liés à la Conférence intergouvernementale, la subsidiarité par exemple, où nous avons des intérêts et des préoccupations communes, la subsidiarité c'est à dire préserver ou renvoyer le niveau de décision au niveau national ; voire une politique commune étrangère et de sécurité plus efficace fondée sur un accord. Nous avons également des positions communes en matière de justice et d'affaires intérieures et quant au rôle des Parlements nationaux. Nous sommes convenus de poursuivre les discussions sur ces aspects et d'autres qui seront certainement soulevés à la Conférence intergouvernementale.

Nous avons passé quelque temps à parler de l'élimination des réglementations et de la bureaucratie. Nous convenons tous deux que les PME ont un rôle vital à jouer dans nos économies, car se sont elles qui produiront les emplois et la croissance à l'avenir. Nous avons décidé par conséquent de lancer une initiative commune pour réduire les charges sur les entreprises et nous invitons les entrepreneurs des deux pays à y contribuer.

Nos deux pays ont des intérêts historiques et très puissants en Afrique et nous lançons aujourd'hui une initiative commune sur la résolution des conflits et le maintien de la paix en Afrique. Nous aiderons les pays africains à développer leurs propres capacités et nous invitons nos partenaires de l'UEO à se joindre à nous dans l'envoi d'équipes consultatives ou de conseillers en Afrique.

Vous avez dû trouver sur vos sièges une note détaillée concernant d'autres démarches communes en Afrique y compris certaines sur lesquelles vous voudrez poser des questions tout à l'heure, mais je ne voudrais pas m'y attarder pour l'instant.

Permettez-moi, par ailleurs, de soulever quatre autres sujets parmi les très nombreux sujets que nous avons abordés.

Tout d'abord la Bosnie : nous allons continuer à travailler ensemble de très près sur la Bosnie et nous avons l'intention, tous les deux, d'apporter notre contribution aux négociations de paix et à la mise en oeuvre d'un règlement de paix.

Deuxièmement le terrorisme : je déplore les attentats récents en France. J'ai promis au Président toute l'aide possible et nous sommes convenus de mesures précises pour renforcer la coopération entre la France et le Royaume-Uni pour traiter à la fois du terrorisme et de la criminalité organisée.

Sur la réforme des Nations Unies, nous en avons tous les deux parlé lors de la réunion récente aux Nations Unies, nous voulons en fait suivre les travaux du G8.

Finalement sur une note très positive, nous lançons le système de bourses de l'entente cordiale, un projet plein d'imagination, à financements privés, qui aidera les jeunes britanniques et français à étudier dans la langue de l'autre et dans le pays de l'autre.

Voilà donc quelques uns des grands points que nous avons abordés au cours de ce qui a été un Sommet, nous en convenons tous les deux, particulièrement fructueux.

Je demanderai au Président d'ajouter ses observations ensuite nous répondrons à vos questions.

LE PRESIDENT - Sur le fond, je n'ai rien à ajouter ou à modifier dans ce que le Premier ministre vient de dire. Pour les précisions nous répondrons l'un et l'autre aux questions des journalistes que je salue, anglais, français ou peut être étrangers. Mais je voudrais simplement faire une observation pour commencer. Cela fait très longtemps que j'assiste à des réunions franco-britanniques, et j'ai suivi leur évolution. Ce qui me frappe beaucoup c'est le changement de nature de nos échanges. On ne trouve plus aujourd'hui dans les échanges franco-britanniques trace de mauvaise humeur, d'agressivité, il y a une espèce de facilité naturelle à parler de tout avec franchise, de ce qui nous unit, de ce qui peut nous séparer, sans aucune espèce de drame d'aucune sorte et avec une convergence de vue sur un nombre sans cesse plus important de sujets essentiels pour l'avenir de nos deux pays. C'est-à-dire en réalité une conviction qui s'affirme toujours davantage de la solidarité de nos deux destins. Et ça c'est extrêmement agréable, cette convivialité, cette amitié, qui dépasse les hommes et qui touche les peuples et les systèmes, c'est à mes yeux très important. Je suis très frappé par cette évolution qui se confirme sans arrêt.

Voilà, c'était ma seule observation avant de répondre aux questions qui pourraient nous être posées.

QUESTION - M. Le Président, sur la question du terrorisme, pensez-vous que le gouvernement britannique fait tout ce qu'il peut pour empêcher un débordement de la guerre en Algérie vers la Grande-Bretagne et pour empêcher la Grande-Bretagne d'être utilisée comme une sorte de havre de paix par les radicaux islamistes ?

LE PRESIDENT - Pour ce qui concerne la lutte contre le terrorisme je ne pense pas, je suis sûr, de la détermination du gouvernement britannique, sûr de la coopération efficace entre les services compétents français et anglais, je n'ai de ce point de vue que des remerciements à exprimer aux autorités de Londres. J'ajoute que le Premier ministre a souhaité aller au-delà et m'a proposé un renforcement de notre coopération dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, comme d'ailleurs il m'a proposé un renforcement de notre coopération dans la lutte contre la drogue et, naturellement, je suis tout à fait d'accord avec lui.

QUESTION - Je voudrais vous demander à tous les deux quelle est l'importance pour les relations franco-britanniques et la coopération nucléaire de la décision britannique d'appuyer les essais français malgré les protestations des pays du Commonwealth ?

M. John MAJOR - Permettez moi de répondre le premier. Le Président a eu des conseils scientifiques lui enjoignant de faire des essais sur les armes de dissuasion françaises et je crois que vu ce type de conseil il aurait été extrêmement difficile pour le chef de quelque Etat que ce soit de ne pas se plier à ce conseil scientifique et d'éprouver ces armes nucléaires. Et c'est sur cette base que je lui ai apporté mon soutien pour l'action qu'il a entreprise. Quand on est une puissance nucléaire, on a certaines obligations dont certaines impliquent de veiller à ce que l'arme nucléaire soit en bon état de fonctionnement, qu'elle apporte les résultats escomptés et dans ces circonstances par conséquent il faut faire des essais si c'est ce que disent les conseillers. C'est bien ce qu'ont dit les conseillers au Président, il a suivi ces conseils et je crois très honnêtement qu'il n'avait pas le choix, d'où mon soutien.

LE PRESIDENT - Un soutien auquel j'ai été sensible et qui relève également de la solidarité entre les pays de l'Union européenne.

Mais je voudrais dire que j'avais parfaitement conscience des réactions de l'opinion publique internationale quand j'ai pris cette décision mais elle était inévitable pour la sûreté, la sécurité et la fiabilité des armes françaises. Donc il eut été irresponsable de ne pas prendre cette décision.

C'est le côté négatif mais il y a un côté positif et le côté positif c'est que cela me permet aujourd'hui de confirmer que la France, comme l'Angleterre, signera le traité portant interdiction de tout essai nucléaire ; que la France, comme l'Angleterre, a indiqué que nous soutiendrions l'option zéro contrôlée sur le site, c'est à dire aucun essai même de petite puissance ; que la France, comme l'Angleterre, vient de signer les protocoles du traité de Rarotonga qui permettront au printemps prochain de déclarer zone dénucléarisée l'ensemble du Pacifique sud. Par conséquent le problème des essais ne se posera plus. Les Etats-Unis, vous le savez, après nos propres décisions, ont accepté le principe de l'option zéro. Lors de mes derniers entretiens avec le Président russe je crois avoir compris que ce sera également la position de la Russie, je n'engage pas, bien entendu, la Russie par mon propos, je dis "je crois avoir compris que" ; et je n'exclus pas l'hypothèse que la Chine prendrait la même position ce qui serait, alors là, le côté positif et optimiste des choses.

M. John MAJOR - J'ajouterais quelque chose si vous me le permettez. Le Président, au nom de la France, les Américains et les Britanniques sont donc convenus de signer les protocoles liés à la convention de Rarotonga, je crois que c'est quelque chose dont nous devons nous féliciter. Ce que nous voyons maintenant, qui est à l'horizon immédiat, d'ici quelques mois, c'est une fin des essais nucléaires et la signature du Traité d'interdiction des essais nucléaires, avec un peu de chance c'est une question de mois et je crois que c'est un progrès considérable qui me réjouit.

QUESTION - M. le Président lorsque vous avez accédé à vos fonctions, l'un des premiers discours, qui a été reconnu au niveau international, a été d'envoyer des soldats pour sauver la population de Srebrenica. le gouvernement néerlandais vient de publier ses conclusions sur ce qui s'est passé à Srebrenica et c'est vraiment quelque chose de tragique.

Le ministre de la Défense néerlandais dit que le concept des zones de sécurité a été un échec total, puis-je vous demander, ainsi qu'au Premier ministre, si, en tant, après tout, que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies vous acceptez le moindre degré de culpabilité dans ce qui s'est passé. Après tout, nous sommes face à une situation où 8000 habitants de la ville sont, soit morts, soit portés manquants ?

LE PRESIDENT - Vous faites allusion à des faits qui se sont produits au moment même où je prenais mes fonctions. Je crois que les forces des Nations Unies n'étaient pas adaptées à leur fonction, ou à la fonction que l'on voulait leur faire jouer. On a certainement dans le passé eu tort de confondre une mission humanitaire et une mission militaire et naturellement on en est arrivé à des événements de cette nature. Alors qui est responsable ? Ce n'est pas l'ONU car on ne lui a pas donné un véritable mandat. Je crois que c'est une responsabilité collective, qui a été prise en compte par le Gouvernement britannique et la France lorsque ensemble nous avons décidé, face à ces événements, de réagir, de changer de politique et de créer ensemble la Force de réaction rapide - dont j'observe d'ailleurs que beaucoup d'observateurs se sont moqués au début - mais qui a permis de donner à des soldats les moyens d'atteindre un objectif, qui était un objectif de paix et qui est à l'origine du processus positif que nous connaissons maintenant.

M. John MAJOR - Je crois que peut-être il est trop facile quelquefois d'ignorer la réalité, c'est-à-dire que ce sont les Britanniques, les Français et leurs soldats sur le terrain qui, à eux seuls, ont eu le plus d'influence pour passer de ce qui pourrait être une guerre pan-balkanique à autre chose et finalement éviter le massacre d'énormément de gens.

Nous avons maintenant une zone en Bosnie centrale où il y a la paix et peut-être connaîtrons-nous la paix dans l'ensemble de la Bosnie. Cela ne serait pas arrivé sans l'intervention des gouvernements français et anglais qui ont envoyé le plus de soldats, et non seulement le plus de soldats, mais les ont envoyés le plus tôt. Et puis il y a d'autres pays qui ont participé aux différentes conférences qui se sont tenues et qui, avec la Force de réaction rapide, ont décidé de réagir à certains événements qui se produisaient.

Donc personne ne met en doute les horreurs des génocides, des premiers génocides ou des génocides qui ont eu lieu par la suite. Mais je crois que les soldats français et britanniques sont ceux qui ont joué le rôle prédominant pour essayer d'atténuer un peu ces tueries et pour sauver des vies et je ne crois pas qu'il soit outrancier de dire, que sans l'activité des soldats français et britanniques et de leur commandement, des centaines de milliers de gens seraient morts, qui sont aujourd'hui vivants. Je crois que, quand il s'agit de peser qui a fait quoi et de juger du résultat, il faut être pesé selon une juste mesure.

QUESTION - Monsieur le Premier ministre, Monsieur le Président, pourriez-vous expliciter un peu ce que vous avez dit lorsque vous disiez que vous n'imaginiez pas de situation où les intérêts vitaux de l'un pourraient être menacés sans que ceux de l'autre soit aussi menacés ? Est-ce que c'est un petit peu comme la déclaration de l'OTAN sur l'invasion d'un seul pays ? Qu'est-ce que vous entendez exactement par là ?

LE PRESIDENT - Je crois qu'il n'y a pas besoin d'un long propos. Nous sommes liés fortement, politiquement, économiquement, culturellement et surtout géographiquement. Je ne fais pas allusion au lien fixe trans-manche, je fais simplement allusion au fait que nous sommes tout à côté les uns des autres. C'est vrai qu'on n'imagine pas que puisse intervenir une forme de conflit, en tout les cas dans l'avenir prévisible, où l'Angleterre et la France ne seraient pas, par définition, du même côté. Nous serons forcément du même côté. Alors il faut en tirer, sans aucun doute, quelques conclusions sur le plan stratégique.

M. John MAJOR - Je crois qu'en fait les choses sont très simples. Ni le Président, ni moi-même ne pouvons concevoir des circonstances où la France serait menacée militairement et où les intérêts britanniques ne seraient pas menacés de la même façon et de même le Président n'imagine pas de circonstances où le Royaume-Uni serait menacé militairement alors que les intérêts vitaux de la France ne seraient pas en jeu. Nous avons pensé qu'il était bon de dire cela de la façon la plus claire pour illustrer la coopération plus étroite qui existe entre nous dans toutes les questions de défense.

QUESTION - Monsieur le Président, il y a plus de cinquante ans, en évoquant ces rapports compliqués, difficiles, avec le général de Gaulle, Winston Churchill a dit : "de toutes les croix que je suis obligé de porter, c'est la croix de lorraine qui est la plus lourde".

Je demande donc au successeur du général de Gaulle, c'est-à-dire à vous-même, Monsieur le Président, si, aujourd'hui pèse sur vos épaules à vous, comme une croix lourde à porter, la politique de plus en plus eurosceptique du gouvernement de Sa Majesté, où si, par contre, cette politique, cet euroscepticisme présente pour vous un apport, un soulagement et un confort.

LE PRESIDENT - Je ne sais pas ce qu'est l'euroscepticisme, c'est surtout une mode, et il existe dans tous les pays de l'Union européenne, pas seulement en Grande-Bretagne, alors je resterai sur le plan des réalités.

Sur le plan des réalités, il y a un véritable progrès de la construction européenne, il y a des domaines où la France et la Grande Bretagne ont des approches différentes, eh bien nous en discutons. Je peux vous le dire sans aucune nervosité, et ce n'est pas un poids lourd à porter. Et puis, il y a des domaines où nous sommes parfaitement convergents. Tout à l'heure le Premier ministre les a cités. Tout ce qui touche à la construction d'une Europe plus proche des citoyens, plus démocratique, d'une Europe élargie. Sur tous ces points nous n'avons pas de divergences de vue. Permettez-moi de vous dire que je ne voudrais pas faire d'idéologie, nous sommes des gens pragmatiques, nous progressons à notre rythme mais de façon positive et sans qu'il y ait le moindre malentendu entre nous.

QUESTION - Pour revenir sur la question du terrorisme, trois questions distinctes :

Première question : est-ce que le gouvernement français a évoqué les craintes que certains des éléments islamistes liés à la campagne d'attentats en France aient pu se réfugier ou même venir de Grande-Bretagne ?

Deuxième question : est-ce que vous avez évoqué les informations selon lesquelles le FIS serait prêt à ouvrir un bureau officiel à Londres -cité par la BBC cet après-midi ?

Troisième question : sur le fait que Abdulha Hanas, qui est un membre fondateur du FIS, et actuellement en Grande-Bretagne, ait fait une demande d'asile politique ?

LE PRESIDENT - Sur la première question je vous répondrai non. Il n'y a absolument aucune espèce de divergence de vue entre nous. Sur les deux autres questions je n'ai pas de sentiment à exprimer. Mais je reviens surtout à la conclusion que nous avons évoquée tout à l'heure, c'est que je considère que la coopération entre l'Angleterre et la France dans le domaine de la lutte contre le terrorisme est une coopération excellente, efficace et dont je me réjouis.

QUESTION - Peut-on connaître les modalités de renforcement ce cette coopération entre les gouvernements britannique et français, en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme ?

LE PRESIDENT - Permettez-moi de vous dire que s'agissant de la lutte contre le terrorisme il n'est pas d'usage d'expliquer à l'avance, et publiquement, toutes les modalités de l'action. Je pense que vous le comprendrez.

M. John MAJOR - J'ajoute cependant quelque chose. Bien que le Président ait tout à fait raison de dire que nous ne faisons pas d'annonce en public sur les formes que revêt cette coopération, permettez-moi de vous dire deux choses.

Tout d'abord, cette coopération est déjà très étroite et, deuxièmement, le Président et moi sommes convenus ce matin de modes qui permettraient de la renforcer encore. Le terrorisme est une plaie pour l'ensemble des pays et, bien entendu, nous travaillerons à le combattre mais, bien entendu, nous n'allons pas dire exactement ce que nous allons faire.

QUESTION - J'aimerais savoir si vous avez évoqué qui pourrait être le prochain Secrétaire général de l'OTAN ? Y aura-t-il ou non un candidat britannique, et s'il ne doit pas y avoir de candidat britannique, que pensez-vous de la candidature de M. Lubbers ?

M. John MAJOR - Nous avons évoqué la possibilité non pas d'un - j'ai vu un nom passer dans la presse britannique - mais de plusieurs britanniques. Mais nous avons également examiné d'autres candidatures déjà connues.

Le Docteur Lubbers n'est pas encore officiellement candidat, que les choses soient claires. Mais, s'il devait se porter candidat à ce poste de Secrétaire général de l'OTAN je crois qu'il recevrait un appui prononcé de la part du Gouvernement britannique.

LE PRESIDENT - Je ne vous étonnerais pas en vous disant que là encore nous partageons le même sentiment, Français et Britanniques.

QUESTION - Monsieur le Premier ministre, êtes-vous d'accord pour dire que l'euroscepticisme est une mode ?

M. John MAJOR - Je crois qu'il y a bien des façons de décrire l'euroréalisme, l'eurosceptiscisme, l'europhobie, tout ce que vous voudrez, et il y en a beaucoup. Mais ce qui compte, c'est d'examiner les problèmes liés à l'Europe, avec l'esprit ouvert, les idées claires et de décider quelle est la réponse la plus appropriée aux intérêts britanniques ou aux intérêts européens, c'est ainsi que nous procédons.

QUESTION - Pour les deux Présidents : est-ce que vous pourriez nous dire si ce nouveau rapprochement semble exister, que va-t-il en être pour l'axe franco-allemand dont on parle tellement ?

M. John MAJOR - Vous avez parlé de deux Présidents, pourquoi pas ? Je suis ravi d'avoir été élu au titre de Président, mais je ne sais pas si je puis accepter, je crois que je laisserais au Président le soin de répondre à cette question.

LE PRESIDENT - Vous savez l'axe, si j'ose dire, c'est à dire l'amitié franco-allemande est inscrite dans notre destin. D'abord pour des raisons historiques et géographiques, que je n'ai pas besoin de développer, et ensuite parce qu'étant deux pays au coeur de l'Europe il est tout à fait évident que l'Europe ne se fera que s'il y a une entente franco-allemande. Donc s'il n'y a pas d'entente franco-allemande, il n'y aura pas d'Europe mais, en revanche, l'Europe ce n'est pas seulement la France et l'Allemagne.

L'Europe, c'est d'autres pays, au premier rang desquels s'inscrit la Grande-Bretagne avec son originalité, son histoire, sa tradition, mais qui ne peut pas être en marge. Donc si l'amitié franco-allemande et l'accord franco-allemand est nécessaire, il n'est pas suffisant. Il faut autre chose. Cet autre chose c'est en particulier la présence britannique et donc la prise en considération de l'histoire, de la tradition, des intérêts de la Grande-Bretagne et je pense que, peut être mieux que d'autres, la France est en mesure de faciliter cette synergie nécessaire entre la conception britannique des choses et, je dirais, la conception allemande. On peut toujours imaginer que les écarts sont grands quand on regarde les choses de plus près, on s'aperçoit qu'il n'y a pas d'écart qui ne puisse être réduit et je pense que la coopération franco-britannique qui, c'est vrai, se renforce, je vous l'ai dit, d'année en année, et à chaque rencontre davantage, est un élément important pour la vision d'une Europe solidaire, stable et en développement, de demain.

QUESTION - Je voudrais savoir, Monsieur le Président, si vous avez évoqué ensemble le référendum qui se déroule en ce moment au Québec et quelle est la position de Paris et de Londres ?

LE PRESIDENT - Cher Monsieur, vous aurez observé comme vous venez de le noter que le référendum se déroule en ce moment, vous n'attendez pas de moi et, j'imagine, vous n'attendez pas du Premier ministre britannique le moindre commentaire.

QUESTION - Je me demande pourquoi il a fallu si longtemps pour que les anciennes puissances dominantes en Afrique lancent cette initiative. C'est-à-dire résolution de conflit et maintien de la paix, et qu'est-ce qui a incité à cela ?

M. John MAJOR - On peut toujours se dire que les bonnes choses auraient dû se faire plus tôt . Cela dit, nous avons, à plusieurs reprises déjà, évoqué cette question avec le Président et nous avons par formation un intérêt pour l'Afrique, et donc, il était tout à fait normal que nous abordions cette question, déjà lors de nos premières rencontres, et que nous fassions avancer les choses, c'est évidemment important.

Si vous considérez ce qui s'est passé en Afrique depuis cinq ans certains vous dirons "c'est déprimant de voir ce qui s'y passe". Je crois que ce n'est qu'une demi-vérité, au mieux, et au pire une erreur totale, parce que beaucoup des changements qui se sont produits en Afrique ont en fait été bénéfiques, beaucoup de gouvernements africains se débattent, font des efforts considérables pour se détourner de mauvaises politiques économiques pour passer à de bonnes. Beaucoup de pays africains, qui n'étaient pas démocratiques, se transforment en démocratie. Bien sûr, il y a encore des cas où les choses ne vont pas bien mais il y a eu énormément de progrès et le président et moi-même voudrions aider chaque fois que nous le pouvons.

LE PRESIDENT - On a parlé tout à l'heure des eurosceptiques maintenant on parle des afro-pessimistes et bien moi je ne suis ni l'un, ni l'autre. Et pour l'Afrique, je crois qu'elle progresse dans la bonne direction. Je crains que beaucoup d'afro-pessimistes soient en réalité des gens qui essaient de se désengager de l'effort nécessaire pour le développement de l'Afrique. Je suis optimiste pour trois raisons : la première c'est que l'Afrique progresse vers des Etats de droit ; la deuxième c'est que la gestion des affaires publiques en Afrique s'améliore chaque année et on le voit avec le nombre croissant d'accords qui sont passés avec les institutions financières internationales ; et la troisième c'est qu'aujourd'hui les Africains, les nations africaines, ont compris qu'il y avait deux évolutions nécessaires, d'une part la prise en considération des intérêts régionaux, et d'autre part, la nécessité d'une diplomatie préventive pour éviter les crises ou les conflits autant que faire ce peu.

Ces trois évolutions sont de nature à redonner confiance, non seulement aux populations africaines, mais surtout aux étrangers susceptibles de participer au développement de l'Afrique, et voilà pourquoi je suis un afro-optimiste.

QUESTION - Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, vous avez parlé de l'avancée de la construction européenne grâce à la très bonne coopération franco-britannique, notamment en matière de défense. Mais lorsque vous abordez des sujets comme la monnaie unique, le système monétaire européen, la future Conférence intergouvernementale de 1996, cela ne risque-t-il pas de freiner la construction européenne, cela aussi c'est du pragmatisme ?

M. John MAJOR - J'ai cité certains domaines qui relèvent de la construction européenne, mais je me méfie toujours un petit peu quand les gens parlent de construction européenne parce qu'ils la définissent différemment. En ce qui concerne la Conférence intergouvernementale j'ai cité toute une série de domaines où, de toute évidence déjà, avant même que la Conférence ne démarre, il y a des intérêts communs entre la position britannique et la position française. Il n'y aura pas unanimité sur chacun de ces points entre la France et la Grande-Bretagne, ni même entre deux pays quels qu'ils soient de l'Union européenne une unanimité totale est quelque chose d'éminemment rare. Mais, il y a tout de même un fort degré d'unanimité et nous essayerons de bâtir là dessus lors de la Conférence.

Certains éléments seront inacceptables pour certaines nations, et il faudra bien déterminer cela au début de la Conférence. En ce qui concerne l'Union monétaire, la position britannique est bien connue, elle ne s'est pas modifiée. Lors des négociations du traité de Maastricht je l'ai dit très clairement lorsque j'ai obtenu pour les britanniques le droit de ne pas s'engager dans une monnaie unique européenne si elle devait être adoptée et si à l'époque on pensait qu'il n'était pas dans l'intérêt britannique de s'y associer. C'était la situation, cela reste de même.

LE PRESIDENT - Juste un mot s'agissant de la France. D'abord je voudrais vous faire remarquer que chaque fois qu'il y a un débat de cette nature, on nous explique que les choses vont mal.

Or, personne ne peut contester que l'Europe progresse. Les uns trouvent qu'elle ne progresse pas assez vite, les autres pas assez bien, mais globalement l'Europe progresse. J'ai été frappé peu de temps après mon élection - c'était la France qui présidait le Conseil - de voir réuni à Cannes quinze chefs d'Etat et de gouvernements, plus onze chefs d'Etats ou de gouvernements des pays qui potentiellement peuvent être européens ou rejoindront un jour l'Union européenne. Je n'ai pas le souvenir qu'historiquement, il y ait eu un phénomène de cette nature.

Plus personne aujourd'hui n'imagine une guerre en Europe, si on exclut naturellement l'affaire de la Yougoslavie. C'est donc un vrai progrès, un vrai progrès. A partir de là, se posent des problèmes, la Conférence intergouvernementale, c'est-à-dire la nécessité d'adapter nos institutions à un nombre croissant de pays membres, c'est nécessaire.

Nous allons développer, là encore de façon pragmatique, la réflexion qui nous permettra d'aboutir à cette réforme. Sur bien des points, la France, l'Angleterre, l'Allemagne sont tout à fait d'accord.

Sur d'autres points, il y a des divergences de vue, c'est pour cela qu'existent des diplomates et c'est pour cela précisément que l'on fixe un certain délai pour se mettre d'accord. Je ne doute pas un instant que nous finirons par trouver un accord sur les institutions qui seront les mieux adaptées, compte tenu des exigences de chacun, à la gestion de l'Europe élargie et, je l'espère, plus démocratique, plus proche des citoyens de demain, notamment grâce à l'application du principe de la subsidiarité sur lequel aussi bien les Anglais, que les Allemands ou les Français sont tout à fait d'accord.

Vient le problème de la monnaie et le grand débat sur la monnaie. Vous savez la position que j'avais prise au moment de la discussion de MAASTRICHT, c'est-à-dire une position positive. Aujourd'hui, j'ai indiqué clairement, que, quels que soient les efforts nécessaires et la nécessité que ces efforts soient justement partagés et répartis en France, la France remplirait les conditions lui permettant d'entrer le 1er janvier 1999 dans le système de la monnaie unique.

Cela, c'est l'option française et je crois que personne ne peut contester aujourd'hui que nous avons la volonté de le faire parce que nous pensons que c'est l'intérêt de la France.

Nous pensons que c'est l'intérêt de la France, parce que, tout simplement, cela suppose une réduction des déficits qui seule nous permettra de relever le défi du chômage. C'est cela mon objectif, la lutte contre le chômage. Cela passe par une gestion saine et par des changes stables. Voilà pourquoi je considère pour ma part que la monnaie unique - la France étant ce qu'elle est - est un élément positif pour la France. Un élément de nature à faciliter une politique de lutte contre le chômage et donc contre la fracture sociale que j'ai si souvent dénoncée. J'observe d'ailleurs qu'il s'agit là d'une vieille tradition française, la monnaie unique ce n'est rien d'autre que l'affirmation ultime de la stabilité des taux de change. C'est cela la monnaie unique. La France a toujours eu comme objectif, comme conception des choses, la stabilité des changes. Cela a été le grand thème de bataille du général de Gaulle, dont nous parlions tout à l'heure et cela reste la position fondamentale de la France en matière monétaire.

Le Premier ministre britannique vient de rappeler une position que nous connaissons bien, c'est-à-dire que l'Angleterre, qui n'a pas les mêmes contraintes ou les mêmes caractéristiques que la France, entend ne pas se lier les mains. Elle entend conserver sa totale liberté d'appréciation. J'observe que l'Angleterre, en toute hypothèse, remplira les conditions pour entrer dans la monnaie unique si elle le désire car sa gestion est une gestion sage, sérieuse et raisonnable. Donc, en toute hypothèse, elle ne sera pas suspecte, elle aura donc les mains totalement libres et le moment venu elle fera son choix. Je suis sûr que nous en parlerons d'ailleurs avant, comme le gouvernement britannique en parlera à d'autres, respectons la liberté de choix du gouvernement britannique dans ce domaine.

QUESTION - Je voudrais un éclaircissement sur le propos du Premier ministre concernant le partenariat mondial. Est-ce que cela veut dire qu'il est plus facile de faire une politique étrangère commune entre deux pays ayant une vocation mondiale, qu'entre les quinze pays membres de l'Union européenne ?

M. John MAJOR - Non, ce n'était pas du tout le sens du message, bien qu'une politique étrangère commune acceptée à l'unanimité et non imposée par une majorité qualifiée pour l'Europe ait quelque chose de très attrayant.

Il est évident que, si collectivement l'Europe se met d'accord sur une politique étrangère, nous sommes dans une position beaucoup plus forte que si seuls un ou deux pays sont d'accord. Cela dit, ce que je disais à propos du partenariat mondial ne traitait pas d'un aspect particulier comme la politique étrangère mais faisait référence à l'ensemble des intérêts qui sont communs à la France et à la Grande-Bretagne. Nous sommes les deux seules nations européennes qui soient des puissances nucléaires qui aient des intérêts mondiaux, qui soient membres permanents du Conseil de sécurité, qui ont des intérêts historiques très anciens dans des parties du monde telles que l'Afrique.

C'est à partir de là que nous avons un point de vue commun sur de nombreux problèmes, et c'est ce point de vue commun fondé sur des traditions et une histoire commune et des intérêts communs qui ont amené le Président et moi-même à conclure qu'il y avait place pour un partenariat mondial, et, comme pour la défense par exemple, il y a des domaines entiers qui, dans la pratique, permettent d'illustrer le partenariat qui existe déjà entre la France et la Grande-Bretagne et nous avons répété combien nous étions décidés non seulement à préserver ces domaines là, mais à les étendre chaque fois que c'était possible.

Je vous remercie.






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