Bonn, Allemagne, le mercredi 25 octobre 1995
M. KOHL - Monsieur le Président de la République, mon cher Jacques,
Mesdames et Messieurs,
Il est très tard, je suis heureux de vous accueillir à notre conférence de presse. Pour moi, c'est un grand plaisir de pouvoir accueillir à mes côtés le Président de la République française, et je tiens à vous rappeler que, depuis que le Président Chirac a pris ses fonctions de Président de la République, c'est déjà notre sixième rencontre en quelques semaines, et là, je parle des rencontres où nous avons parlé, personnellement, ensemble. Mais il y a eu également de nombreuses communications téléphoniques, je n'en parlerais pas ici et nous poursuivrons d'ailleurs ces relations intenses.
Je suis heureux également de vous annoncer que le Président a accepté de me rendre visite au début du mois de janvier, avec son épouse, dans ma demeure dans le Palatinat - c'est d'ailleurs sa deuxième visite -, il le fera au début de l'année prochaine, et je trouve que c'est une très bonne chose.
J'ai donné ces indications de manière à faire taire un petit peu tous les commentaires étonnants qui se font sur le sujet d'une panne éventuelle des relations franco-allemandes. Il ne saurait en aucun cas en être question ; et d'ailleurs, si c'était cela notre politique ce serait une très mauvaise politique parce que pour nous à Bonn - et je crois que c'est tout à fait la même chose à Paris, le Président vous le dira tout à l'heure -, il y a une chose qui est sûre, le résultat de ce siècle qui a vu tant de misère, tant de guerre, tant de souffrance, cinq ans avant le début du XXIe siècle, c'est que l'amitié franco-allemande a permis d'envisager un avenir de paix, un avenir réussi pour l'Europe. On peut dire que c'est presque une loi de la nature, une loi de la physique en politique et je tenais à le répéter ici.
Nous avons bien sûr évoqué toute une série de sujets au cours de cette soirée, et je voudrais peut-être dire pour la partie allemande, que j'ai profité de l'occasion pour dire au Président de la République française qu'après la fin du mandat de Gerhard Stoltenberg comme coordonnateur des affaires franco-allemandes j'ai choisi Manfred Rommel pour le remplacer et pour exercer ces fonctions. Manfred Rommel quittera ses fonctions de maire de Stuttgart, vous savez qu'il ne se représente pas. Je crois que Manfred Rommel est quelqu'un qui peut faire un travail tout à fait exceptionnel, il est très connu et très apprécié en France, il connaît bien la vie culturelle française, il l'apprécie beaucoup et je suis heureux de vous dire qu'il a accepté mon offre tout de suite.
Nous avons également parlé de la préparation du Sommet franco-allemand le 7 décembre. Ce Sommet sera bien sûr aussi axé sur la préparation du Sommet européen du 15 au 17 décembre à Madrid, comme nous le faisions jadis. Nous avions bien sûr ici aussi créé un petit groupe de travail qui prépare ces Sommets et nous nous sommes mis d'accord pour présenter des propositions communes. Nous présenterons cela à Monsieur Gonzalez.
Nous nous sommes également mis d'accord pour le premier semestre de 1996. Nous savons qu'il y aura le début de la conférence intergouvernementale, sous présidence italienne, et donc là on a prévu de créer un groupe de travail germano-français qui aura pour objectif de présenter des propositions communes, comme cela s'est toujours fait et a toujours été possible de par le passé. Nous ne voulons exclure personne, mais comme l'expérience a montré au cours des dix dernières années que les progrès décisifs y compris dans les conférences intergouvernementales - comme cela avait été le cas au début de l'été 1987- toutes ces conférences ne peuvent réussir que lorsque la France et l'Allemagne avancent ensemble.
Nous avons bien sûr également parlé de la question yougoslave et je voudrais souligner ici tout le travail accompli par la France, toute sa contribution immense sur un sujet aussi complexe, aussi délicat, le travail des soldats. La mission des soldats français qui ont parfois payé de leur vie pour que l'on arrive à rétablir la paix, à mettre un terme à cette guerre cruelle. Nous sommes tous les deux d'avis, et nous pensons qu'il est important d'avancer pas à pas sans perdre de temps. Je crois que nous sommes tous les deux d'accord pour dire que nous trouverons une solution qui permettra une participation de la Russie dans tout ce processus de paix en Yougoslavie, parce que nous pensons l'un et l'autre qu'il faut une contribution russe, y compris sur le plan militaire, si les différents belligérants le souhaitent, si les pays souverains concernés le souhaitent, et bien qu'ils soient présents sur le terrain. Nous pensons qu'il n'est pas raisonnable de vouloir marginaliser la Russie ou l'exclure, tous ceux qui connaissent un peu l'histoire connaissent, les relations privilégiées entre les orthodoxes, les relations avec la Serbie, et ce ne serait donc pas une bonne politique.
Voilà cher Président, cher Jacques, ce que je voulais dire. Maintenant je te donne la parole pour que tu puisses dire ce qui est important de ton point de vue. Ensuite, nous sommes bien sur prêts à répondre à vos questions, vous n'imaginez pas à quel point nous nous réjouissons de parler avec vous à cette heure tardive, Messieurs.
LE PRÉSIDENT - Un mot d'abord pour remercier le chancelier d'un accueil toujours chaleureux et amical, pour remercier aussi le Président Herzog avec lequel j'ai eu un entretien extrêmement intéressant et agréable en arrivant ici ; puis un petit mot de commentaire.
Il y a quelques jours, quelques semaines, je lisais un journal dans lequel j'apprenais que les relations franco-allemandes étaient tendues ou se dégradaient. Alors je me suis dit ça c'est un journaliste mal informé et je n'y ai pas attaché d'importance et puis deux ou trois jours après, j'ai lu dans un autre journal, un autre article de la même nature et j'en ai lu comme cela trois ou quatre, allemand ou français. Alors, je me suis dit il y a un problème, il y a quelque chose qui m'échappe. Je suis en contact permanent avec le chancelier, le gouvernement français ne cesse de me dire que l'on est d'accord sur tout et il semble qu'il y ait un problème. Alors, je me suis dit, je vais aller voir, je vais aller en Allemagne, c'est pourquoi j'ai appelé le Chancelier et je lui ai dit, il faut que je te voie, parce que je ne comprends pas ce qu'il se passe. Alors s'il y a des problèmes autant le savoir.
Il n'y a jamais naturellement de fumée sans feu et après avoir examiné les choses, après avoir parlé avec le chancelier, j'ai compris. J'ai compris que s'il n'y avait aucun problème entre nos gouvernements, entre nous, il y avait probablement une irritation de l'opinion publique qui est toujours prompte à être touchée par tel ou tel événement, je me suis dit peut-être que l'achèvement des essais nucléaires français a créé un traumatisme dans l'opinion publique allemande et que ceci explique cela, peut-être que l'opinion publique allemande s'interroge sur la capacité de la France à réussir sa politique d'assainissement financier pour lui permette de jouer tout son rôle, dans les conditions prévues par le traité de Maastricht pour l'entrée dans la période de la monnaie unique. Je me suis dit ça doit être ça.
Alors, j'ai voulu faire le point avec le chancelier et je voudrais dire à ceux qui doutent qu'ils sont dans l'erreur et à ceux qui font confiance à la solidité inébranlable de la volonté commune française et allemande de poursuivre dans la voie de la construction de l'Europe, dire à ceux-là qu'ils ont raison.
Vous savez, je suis sûr que l'histoire conservera de cette période cet effort considérable qui a été fait en Europe pour organiser les choses de façon à permettre la stabilité, la paix et le progrès économique et social. Et cette politique n'est pas possible sans un accord profond, pas un accord verbal, pas un accord superficiel, mais un accord profond entre la France et l'Allemagne. Ce n'est pas une condition naturellement suffisante pour réussir, mais c'est une condition nécessaire et je le répète cet accord ne peut pas être un accord de circonstance, cela ne peut être qu'un véritable accord sur le fonds, sans aucune réserve ou divergence.
Cette politique aura été fondée d'abord sur la stabilité politique en Allemagne et le rôle historique de M. Helmut Kohl sera, j'en suis sûr, noté à cet égard et sur une politique continue d'accord franco-allemand, d'entente franco-allemande. Et je tiens à vous le dire aujourd'hui, ce n'est pas maintenant que cela va changer, naturellement. Le chancelier et moi-même partageons les mêmes options pour ce qui concerne l'avenir de notre région de l'Europe. Alors naturellement la France est obligée de faire un effort important. Trop longtemps, elle s'est laissée aller à des pratiques, notamment en matière de dépenses, qui étaient excessives. Plus rapidement que nous, l'Allemagne a réalisé les dangers de ces pratiques et a redressé la barre comme nous le faisons aujourd'hui. Mais, là encore, le résultat sera celui que nous avons souhaité. C'est-à-dire que nous serons ensemble prêts pour les échéances internationales, européennes, monétaires auxquelles ensemble nous avons souscrits.
Voilà simplement ce que je voulais vous dire ce soir mais je suis naturellement, avec le chancelier, prêt à répondre à d'autres questions. Je suis également très heureux que Monsieur Manfred Rommel pour qui j'ai beaucoup d'estime, ait été désigné par le chancelier comme coordinateur des relations franco allemandes et je l'en remercie.
M. KOHL - Oui j'aurais peut-être encore une remarque à ajouter à ce que vient de dire le Président de la République sur l'évolution de l'Europe et la construction de l'Union économique et monétaire. Il a parlé effectivement des efforts de la France. Je dois vous dire que personnellement je n'ai aucun doute je suis persuadé que le gouvernement français, le Président français ont la volonté de réaliser cette politique et la France arrivera donc à remplir les critères de Maastricht nous sommes tous deux d'accord pour dire que ces critères ne doivent en aucun cas être remis en compte, qu'il ne faut en aucun cas les atténuer, donc j'insiste, je ne suis absolument pas d'accord avec ce qui a été dit hier par les instituts d'estimation économique sur l'atténuation des critères de Maastricht je crois qu'il nous faut donc appuyer les efforts de la France, il faut leur rendre hommage, notre souhait c'est d'arriver à construire l'Europe ensemble et à avancer ensemble sur la voix de l'avenir.
QUESTION - Est-ce que vous êtes d'accord avec l'offre de la France d'offrir un parapluie nucléaire à l'Allemagne ?
M. KOHL - Cela n'a pas été un sujet abordé dans notre discussion, mais nous sommes bien d'accord que dans l'évolution de la discussion, sur tous ces problèmes au cours des années à venir, le problème de la sécurité européenne est prioritaire et nous sommes tous deux d'accord pour dire que, dans le cadre d'une politique de sécurité européenne, il faudra aborder le problème de la sécurité nucléaire.
QUESTION - Monsieur le chancelier, Monsieur le Président de la République, vous insistez toujours sur l'importance du rapprochement franco-allemand pour l'Europe pour l'OTAN, est-ce que vous avez parlé du candidat au poste de Secrétaire général, est-ce que vous êtes d'accord ?
M. KOHL - Non, disons que nous sommes d'avis qu'il n'y a pas de raison de parler de tout cela tant que M. Claes est encore en poste, c'est une question de politesse, de délicatesse, de part et d'autre. Lorsque M. Claes aura quitté son poste, nous mènerons toute une série de discussions. Je téléphone, moi aussi, à toute une série de collègues, je rencontre les uns et les autres, le Président de la République française fait de même de son côté. Notre intérêt commun c'est d'arriver le plus rapidement possible à résoudre la situation difficile en Yougoslavie par exemple. Pour tout ce qui est décision sur telle ou telle personne, je suis persuadé que nous arriverons à une solution. Tout ce que j'ai tenu à préciser à Jacques Chirac, c'est que cela ne sera pas un candidat allemand. J'aimerais, que partout où vous avez une influence quelconque, vous cessiez de laisser sous-entendre que l'Allemagne pourrait avoir un candidat ; nous n'avons pas de candidat au poste de secrétaire général de l'OTAN.
QUESTION - Monsieur le Président de la République est-ce qu'il y a sous votre présidence des nouveaux accents ou des changements dans les relations franco-allemandes ?
QUESTION - On sait, Monsieur le chancelier, que vous aviez une relation étroite avec le Président Mitterrand, est-ce que pour vous le changement de Présidence française a modifié l'axe franco-allemand ?
M. KOHL - Je connais Jacques Chirac depuis bien longtemps déjà, lorsque nous étions tous les deux dans l'opposition ; nous avons travaillé en étroite collaboration. Il y a également des liens étroits entre nos partis politiques. Nous avons ensuite travaillé ensemble et ce n'était pas facile puisque c'était sous la cohabitation en France, une spécialité française assez difficile à gérer et à réaliser pour nous autres Allemands, mais comme je suis un élève attentif, aussi bien de François Mitterrand que de Jacques Chirac, j'ai beaucoup appris, mais je tiens à vous dire que je n'introduirai pas cela en Allemagne. Nous avons donc des relations personnelles depuis bien longtemps déjà. Nous sommes en fait, tous les trois, très différents de par nos personnalités, de par nos caractères ; François Mitterrand, Jacques Chirac et Helmut Kohl ce sont trois personnalités à part entière, différentes. Mais bien sûr pour toutes les questions politiques, on tend à l'oublier, il y a quand même la possibilité de s'entendre et de se comprendre. Vous savez, nous n'avons pas, en allemand, de terme pour rendre la notion de chimie des psychologies, mais on pourrait peut-être introduire ce mot comme emprunt dans la langue allemande ; donc on peut dire que les relations chimiques entre Jacques Chirac et moi passent bien.
QUESTION - Monsieur le Président et Monsieur le chancelier, est-ce que vous avez parlé également des résultats de votre rencontre avec Boris Eltsine, est-ce que vous avez parlé de l'élargissement de l'OTAN à l'est et quel a été la réaction du Chancelier Kohl ?
LE PRÉSIDENT - Monsieur le chancelier Kohl a donné sa réaction. Mais je voudrais d'abord répondre à la question qui m'avait été posée gentiment en français en disant que non, je ne crois pas qu'il y ait de véritable différence dans la politique et les relations franco-allemandes avec le changement de septennat. Il y a des différences dans d'autres domaines, naturellement, mais je crois que la politique franco-allemande est devenue une espèce de constante qui figure au coeur même du dispositif national français et qui n'est donc pas soumise aux fluctuations politiques. C'est en tous les cas comme cela que je le ressens.
S'agissant des entretiens que j'ai eus avec Boris Eltsine vendredi et samedi, j'en ai évidemment rendu longuement compte au chancelier Kohl. Il a fait tout à l'heure quelques observations auxquelles je souscris totalement. La Russie est un grand peuple, un grand pays, c'est une grande nation qui connaît aujourd'hui de graves difficultés, comme toutes les grandes nations en connaissent à un moment quelconque de leur histoire. Boris Eltsine essaie aujourd'hui malgré les difficultés, de faire face. J'ajoute qu'il a des élections dans neuf mois. Je crois que la vocation de l'Occident, c'est de lui tendre la main, et par-delà lui au peuple russe qui souffre actuellement, et non pas de lui faire peur, de le gêner ou de l'humilier. Dans ce domaine, j'ai eu l'occasion de le dire au Président Clinton tout récemment encore et je sais que c'est un sentiment que partage tout à fait le chancelier, il faut être attentif à ne pas humilier les Russes. L'élargissement de l'OTAN est parfaitement concevable. Il peut se concevoir efficacement, après une concertation avec les Russes, il ne faut pas leur donner l'impression que l'on va les encercler militairement. Les choses sont perçues de cette façon-là en Russie. Ce n'est pas l'intention de l'OTAN, ni celle des Américains, mais elles sont perçues de cette façon-là en Russie. Il y a donc des malentendus qu'il faut lever avec l'amitié et la considération que l'on doit aujourd'hui au peuple Russe et à ses dirigeants.
M. KOHL - Si vous le permettez, je vais faire à mon tour une remarque sur ce sujet. Je suis très heureux de voir que la position de l'Allemagne et de la France - et surtout nos deux positions personnelles - sont identiques sur ce point. Je considère que c'est une faute grave et une erreur grave et dangereuse que de laisser apparaître des deux cotés de l'Atlantique en Occident -et je vais exagérer un petit peu- le sentiment qu'il y aurait eu une Troisième guerre mondiale et que celle-ci aurait été gagnée par l'Occident et perdue par la Russie. Cette conception est absurde. Nous sommes heureux qu'il n'y ait pas eu de Troisième guerre mondiale. S'il y en avait eu une, nous ne serions probablement pas ici ensemble ce soir. Nous sommes heureux également, bien sûr, que l'hégémonie communiste de l'Union soviétique se soit effondrée et que les pays de l'ancienne Union soviétique et du Pacte de Varsovie se soient engagés sur la voie de la réforme démocratique, de l'économie de marché, etc.
Jacques Chirac a dit un mot très important, il a parlé d'humiliation. Le peuple Russe est un grand peuple, c'est un peuple qui a une histoire importante qui a une longue tradition. Un peuple qui a fait des choses magnifiques dans le domaine culturel et qui, du point de vue européen, ne saurait être porté assez haut. Le peuple Russe est, qui plus est, un peuple fier. C'est pourquoi il est vraiment absurde d'entendre ici ou là que nous n'avons plus besoin des Russes. C'est une thèse absurde, stupide. Je suis heureux de voir que, l'un et l'autre, nous sommes d'accord pour dire que le rôle de la France et de l'Allemagne, c'est de tendre la main à la Russie pour qu'elle puisse avancer sur la voie des réformes et que nous devons aller au devant des autres. C'est pourquoi je l'ai dit à Moscou, je l'ai dit à Varsovie et je l'ai dit aux Etats-Unis, il est faux de faire de l'élargissement de l'OTAN un thème de campagne électorale, où que celle-ci se passe, à Washington ou en Russie à Moscou.
Pour ma part, je suis tout à fait d'accord avec le Président de la République française pour des négociations raisonnables et en tenant compte des intérêts de sécurité de la Russie et de l'Ukraine (pour prendre un autre exemple). Il serait certainement possible d'arriver à des résultats positifs. Mais je crois que ce n'est pas très malin que d'utiliser la période des campagnes électorales pour aborder un tel sujet.
QUESTION - Monsieur le Président, le terrorisme est devenu un sujet prioritaire dans la politique française. En avez-vous parlé avec le chancelier Kohl ? La France abordera-t-elle ce sujet de façon prioritaire lors de la Conférence des pays du bassin méditerranéen à Barcelone ?
LE PRÉSIDENT - Ce n'est pas un sujet à l'ordre du jour de la Conférence de Barcelone. En revanche, nous nous en sommes entretenus avec le chancelier. Je tiens à dire que les autorités allemandes et françaises travaillent en excellente coordination dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Il nous appartient aujourd'hui de faire les efforts nécessaires pour lutter contre le terrorisme en France et c'est ce que nous faisons. Nous avons mobilisé nos énergies. Vous aurez observé que le peuple français assume avec un très grand calme ... et sans aucune inquiétude manifestée, a fortiori affolement, cette période difficile, je souhaite que nous arrivions à la terminer le plus vite possible en ayant trouvé et puni les terroristes.
QUESTION - Le côté allemand a fait une proposition, celle de créer une zone de libre échange entre l'Europe et les Etats-Unis mais le ministre des Affaires étrangères français, Monsieur de Charette a dit qu'il ne serait sans doute pas d'accord avec une telle proposition parce qu'à son avis l'heure n'était pas encore venue. Est-ce qu'entre temps il y a eu un changement de position du côté français, sinon, pouvez-vous nous dire quelle est votre position sur ce point ?
LE PRÉSIDENT - Vous savez, nous sortons d'une longue négociation, difficile et utile, qui était la négociation du GATT. Nous avons décidé à cette occasion de mettre en place une Organisation mondiale du commerce et cette organisation est en train de se mettre en place. Elle mobilise à la fois nos énergies et nos initiatives. Tout cela n'est pas facile parce que cela met en jeu d'importants intérêts et pourtant c'est indispensable pour permettre un développement aussi sain que possible du commerce international et donc de la richesse du monde. Alors moi ce que je dis, c'est que, mettons d'abord en place ce qui existe, ce qui est prévu et puis nous verrons ce qui doit être fait plus tard. Je crois qu'une initiative nouvelle n'est pas aujourd'hui à l'ordre du jour.
QUESTION - Monnaie unique : Est-ce que l'Allemagne remplira à temps tous les critères ?
M. KOHL - Oui, bien sûr.
LE PRÉSIDENT - La France aussi et c'est un domaine sur lequel nous n'avons aucune divergence de vue.
QUESTION - Après l'entrée en vigueur de la Monnaie unique, faudra-t-il des procédures supplémentaires ?
LE PRÉSIDENT - Nous n'en avons pas parlé mais nous sommes prêts à discuter de toute évolution qui serait rendue nécessaire.
M. KOHL - Je voudrais ajouter une remarque si vous le permettez. Je n'ai aucun doute en ce qui me concerne sur le fait que la France et l'Allemagne avanceront ensemble sur cette voie et que nous rentrerons par la grande porte et non pas par la porte arrière. Je pense que nous respecterons les critères de stabilité tels qu'ils sont prévus sans les atténuer et à quoi cela sert, je vous le demande un peu, de toujours se redemander quand arriverons nous au but, laissez-nous avancer, je suis optimiste. Lors de mon premier Sommet, c'était en décembre 1982 à Copenhague, on parlait comme si l'apothéose était proche, comme si la fin du monde, plutôt, était proche et je suis peut-être un idéaliste et un optimiste un peu fou - je suis passé à l'époque pour un fanatique de l'Europe - mais moi j'avais dit que l'Europe avancerait et puis je suis toujours là d'ailleurs pour en parler, vous le voyez.
QUESTION - Comment expliquez-vous, Monsieur le Président et Monsieur le chancelier, ou avez-vous réfléchi à cette question qu'il y ait régulièrement et de façon cyclique des campagnes dans la presse visant à dénigrer la bonne entente franco-allemande ?
M. KOHL - Il y a bien des raisons à cela. De toute façon, il y a toujours des campagnes dans tous les domaines de la politique, je ne vais pas parler de politique intérieure française mais vous etes un connaisseur de la politique allemande et vous entendez parler depuis treize ans déjà de ma chute prochaine. Il y a toujours des campagnes et je suis toujours là et vous entendez toujours dire aussi que les fonds de retraite vont être en faillite, que ceci, que cela et il n'en est pas question en fin de compte. Vous vous souvenez, il y a cinq ans, lorsque l'on a dit que les Allemands voyaient trop grand, qu'ils ne feraient pas face au coût de l'unification et il y a eu des grands gourous de l'économie, des gens qui ne font jamais rien mais qui vendent leur théorie et qui font beaucoup d'argent avec cela, ils nous ont prédit une inflation de plus de 10 % et puis cinq ans après on a une inflation de 1,8 %. Pour moi, ce n'est peut-être pas idéal, mais c'est un résultat qui est quand même très, très positif. Je suis sûr, et d'ailleurs le Président de la République en a parlé, que la France a un besoin de rattrapage dans certains domaines, nous aussi d'ailleurs face à la concurrence mondiale, la nouvelle situation de la concurrence vis-à-vis de l'Europe de l'Est où apparaît une nouvelle structure industrielle mais pourquoi douterai-je du dynamisme de la France et de sa force. Ce sont des bêtises, il faudrait les avoir laissées derrière nous dans la première partie de ce siècle.
LE PRÉSIDENT - Je voudrais ajouter que ces campagnes en règle générale, curieusement commencent toujours en Allemagne même si ensuite il y a un phénomène de contagion mais elles sont généralement dépourvues de tout fondement, c'est très curieux mais il doit y avoir des périodes avec des courants cycliques peut-être telluriques qui conduisent à des échauffements temporaires de différentes villes qui se traduisent par un certain nombre d'affirmations généralement dépourvues de fondement.
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