Majorque - Espagne, le samedi 23 septembre 1995.
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de vous rencontrer ici pour un rapide commentaire sur une réunion qui a été à la fois utile et sympathique et pour répondre à quelques questions, bien entendu.
Cette réunion a été utile et sympathique parce que je trouve que petit à petit, au fil des ans, se constitue entre les membres, entre les représentants des Etats de l'Union, un type de relations qui nous permet sans aucun doute de progresser grâce à une meilleure connaissance des hommes et de progresser vers une meilleure solution des problèmes.
D'autre part, cette réunion était très bien organisée et nous a permis finalement après trois tours de table, deux hier, l'un lors de la réunion, l'autre lors du dîner, et le troisième ce matin, de voir que pratiquement, je dirais à des détails près ou à des sensibilités naturelles près, aujourd'hui la plupart des membres de l'Union s'exprime à peu près de la même façon ; et quand on a comme moi participé depuis longtemps aux réunions de cette nature on voit bien le progrès. Helmut Kohl l'a souligné fortement et je crois qu'il a eu raison.
A partir de là, nous avons évoqué l'ordre du jour si j'ose dire, puisqu'il n'y en avait précisément pas. Ce sont les sujets que vous connaissez et si j'en tire un peu la synthèse telle que je la vois puisqu'il n'y a pas de compte-rendu officiel, il n'y a pas de papier (tout l'intérêt de ces réunions c'est précisément de permettre des échanges de vue extrêmement libres), je dirai que la vision que je me fais de l'Europe de demain me paraît être pour une large part partagée par la plupart ou même la quasi-totalité, pour dire vrai, de nos partenaires.
L'échéance que nous préparons, tant dans le domaine politique et institutionnel que dans le domaine économique, financier et monétaire, connaîtra un moment important lors de la conférence de Madrid. Ce que je souhaite pour ma part c'est que d'abord en ce qui concerne les institutions et l'aspect politique des choses, c'est-à-dire la conférence intergouvernementale, on arrive à une solution qui nous permette d'avoir une conférence relativement courte - et je pense que tout le monde est à peu près d'accord sur ce point - c'est-à-dire une conférence qui ne durerait pas plus d'un an et qui pourrait commencer tout naturellement au début de l'année prochaine et d'avoir une conférence qui se limite aux aspects institutionnels, c'est-à-dire à préparer l'ouverture de l'Union, c'est-à-dire son élargissement qui exige, chacun en a conscience, une modification des institutions mais qui n'ignore pas pour autant, la plupart des intervenants l'ont souligné, les aspects de proximité, les aspects qui concernent le plus directement les Européens, c'est-à-dire tout ce qui touche notamment à la lutte contre la grande criminalité, à la lutte contre la drogue et à la lutte contre le terrorisme, tant ce qui concerne la sécurité et d'autre part à tout ce qui touche naturellement à la lutte contre le chômage et la lutte pour l'emploi.
Je crois que chacun a conscience que nous devons progresser vers une Europe qui soit à la fois plus efficace et plus juste. Pour qu'elle le soit, il faut que de plus en plus elle soit en mesure de se prononcer à la majorité. Cela c'est l'efficacité. Mais il faut également que ceci soit fait de façon juste, c'est-à-dire que chaque citoyen européen représente la même capacité de responsabilité. Donc cela suppose que l'on rediscute, que l'on examine les problèmes liés à la pondération des voix. Nous n'avons pas évoqué ce problème, ceci c'est simplement une observation que j'ai faite mais qui ne m'a pas paru soulever de grandes difficultés.
Il faut aussi une Europe plus souple et je crois que chacun en est conscient, c'est-à-dire qu'une Europe à vingt-cinq ou à trente doit pouvoir comprendre en son sein des pays qui veulent aller plus vite vers des objectifs communs. D'ailleurs c'est en réalité ce qui se passe aujourd'hui. C'est ce que traduira notamment la mise en oeuvre de l'Union économique et monétaire et c'est que qui doit être plus facilement réalisé dans l'avenir étant entendu que chacun de ces groupes qui avancent plus vite vers un objectif finalement commun doit par définition rester ouvert à l'ensemble des membres de l'Union.
Il faut aussi une Europe également plus démocratique, c'est-à-dire où la relation avec les parlements nationaux soit mieux affirmée et cela je crois que tout le monde en a aujourd'hui conscience, notamment pour ce qui concerne la mise en oeuvre du principe de la subsidiarité, et j'ai observé que le Président de la Commission est très attentif à corriger dans ce domaine les erreurs du passé.
Il faut aussi une Europe, mais cela je l'ai évoqué pour ce qui concerne les préoccupations de la Conférence, qui soit plus attentive aux préoccupations quotidiennes en termes de sécurité et en termes d'emploi des Européens. Ces sujets ont été très fortement mis en exergue par, je dirai, la totalité des intervenants.
Et puis je pense qu'il faut une Europe plus présente dans le monde. J'ai pour ma part proposé que l'ensemble du domaine de la politique étrangère et de sécurité commune relève de l'intergouvernemental et non pas du communautaire mais soit assumé vers l'extérieur par une personnalité identifiable et identifiée, une sorte de secrétaire général ou de haut représentant, peu importe, et je pense que c'est pour demain utile afin que l'Europe ait une voix et un visage. Il faut d'autre part que l'Europe se donne les moyens de sa sécurité, c'est-à-dire développe, en réalité, le pilier européen de l'alliance atlantique, en liaison naturellement étroite avec nos alliés américains et ce pilier c'est en réalité l'Union de l'Europe occidentale. Il y a longtemps vous savez que je défends cette thèse. J'avais été à l'origine de l'élargissement et de la confirmation de la vocation de l'Union de l'Europe occidentale dans les années 86/88 et je vois qu'aujourd'hui, et je m'en réjouis, tout le monde a à peu près adopté cette ligne de conduite.
En marge de cette discussion, ce matin j'ai eu la possibilité et l'occasion - j'avais fait savoir à la présidence que je le souhaitais - d'expliquer à certains de nos collègues, à quelques-uns de nos collègues qui peut-être n'avaient pas très très bien compris la réalité du problème, ce que représentait, quels étaient les enjeux, de l'achèvement par la France de la série d'essais nucléaires qui avaient été interrompus en 1992. Et je dois dire que j'ai été heureux de l'appui qui m'a été fermement apporté par un certain nombre de nos collègues et, je dirai, parmi ceux qui sont les plus anciens dans notre groupe.
Un dernier point : en revanche, contrairement à ce que j'avais lu ici ou là, personne n'a évoqué le problème de l'éventuelle reconduction de la demande de la France en ce qui concerne la liberté de passage aux frontières ; ce sujet n'a pas été évoqué, mais enfin, vous connaissez ma position sur ce point, je n'en ai naturellement pas changé.
Une dernière observation sur les questions bilatérales : ce matin j'ai pu avoir un long entretien, comme nous l'avons toujours en tête à tête à l'occasion des réunions multilatérales, avec le chancelier allemand et comme ici ou là j'avais entendu tel ou tel commentaire - il est vrai outre-Rhin, en provenance d'outre-Rhin - sur tel ou tel dissentiment - il y a des choses qui sortent on ne sait pas d'où ni comment - eh bien je vais vous dire, j'avais ce matin cet entretien, nous avions neuf points à l'ordre du jour pour des problèmes qui touchent soit l'ensemble de l'Europe, soit les relations franco-allemandes, nous avons traité les neuf points en 35 minutes avec un accord complet sur chacun d'entre eux. C'est vous dire que, je le signale puisque le sujet a été évoqué, s'agissant de l'Union économique et monétaire, l'accorda été complet sur la nécessité et la volonté commune de la France et de l'Allemagne - et j'ajoute d'ailleurs qu'il est apparu que c'était celle de tous les participants à cette réunion - de ne pas changer quoi que ce soit aux critères définis lors du traité de Maastricht, ce qui veut dire que l'ensemble des quinze chefs d'Etat et de gouvernement plus le Président de la Commission s'en tiennent à une position très claire et sans ambiguïté : la totalité des traités et critères pour le passage à la monnaie unique, tous les critères et rien que les critères, personne ne remet sérieusement cela en cause. Et deuxièmement j'ajoute la volonté, que j'ai naturellement une fois encore réaffirmée avec le chancelier, la volonté de la France d'être en mesure, sans aucune réserve, de passer à la phase ultime de la monnaie unique en respectant la totalité des critères dans les conditions prévues par le traité de Maastricht.
QUESTION: Avez-vous eu l'occasion d'aborder la question de la dissuasion élargie, qui avait été évoquée par votre Premier ministre, et de donner des précisions à vos partenaires européens sur ce sujet ?
LE PRESIDENT: Non, ce sujet n'était pas, je ne dirais pas à l'ordre du jour puisqu'il n'y en avait pas, n'a pas été évoqué ; il pouvait difficilement l'être dans cette formation et actuellement, je peux vous dire que c'est un sujet qui implique une réflexion approfondie et qui commence par celle naturellement des experts.
Vous savez je suis depuis très longtemps, vous vous en souvenez, favorable à la défense européenne commune. J'ai été même vivement critiqué il y a quinze ou vingt ans lorsque j'avais exposé l'ensemble de cette idée lors d'une conférence que j'avais faite à la Fondation Adenauer, dont je suis sûr que vous avez gardé le souvenir parce que je crois que vous l'aviez vous-même commentée. Je suis toujours favorable, naturellement, à la défense européenne. Je crois qu'une collectivité comme l'Europe ne peut pas s'assumer, sans assumer sa défense et que par conséquent elle doit le faire.
Je ne vois pas comment la France pourrait dire : "je suis pour la défense européenne" mais, dans l'hypothèse où l'Europe serait sérieusement attaquée, garderait pour elle sa petite affaire, son ultime recours. Donc, ce sont des problèmes extrêmement complexes, difficiles et par conséquent il faut les discuter et nous les discuterons, naturellement, parce que c'est dans la nature des choses. Mais ce n'était pas le lieu.
QUESTION: - Peut-on faire comme si les déclarations de M. Waigel sur la capacité de certains pays à faire partie de l'Union économique monétaire n'avaient jamais existé ? Et ne pensez-vous pas qu'elles reflètent finalement peut-être une tendance grandissante en Allemagne de ne pas abandonner le Deutsche Mark au profit de la monnaie unique ?
LE PRESIDENT: Il ne m'appartient pas de faire de commentaire sur la déclaration de M. Waigel. Il m'appartient, en revanche, d'écouter ce que le Chancelier Kohl dit à ce sujet. Il s'est exprimé de la façon la plus claire au nom de son gouvernement et il n'y avait aucune ambiguïté dans son propos. Je crois qu'il a eu d'ailleurs l'élégance de le faire sur la télévision italienne et il l'a confirmé d'ailleurs à l'occasion de plusieurs de ses propos au cours de la réunion et je peux vous dire que je n'ai pas observé le moindre changement dans la position allemande au niveau de ses responsables ; la position allemande, est parfaitement cohérente et en synergie avec la position française, je veux dire qu'il n'y a pas de divergence de vue. Alors moi, je ne vois pas pourquoi je me fonderais d'avantage sur des commentaires que sur ce qui est indiqué clairement et officiellement par le Chancelier.
QUESTION:
- La question de la sortie de la guerre, des perspectives de paix en ex-Yougoslavie a t-elle été évoquée, et si oui dans quels termes ?
LE PRESIDENT: Oui, c'était à l'occasion du dîner d'hier soir où nous avons évoqué les problèmes relatifs à la Russie et nous avons été, je le dis en passant, unanimes dans l'affirmation que la Russie ne devait pas être traitée de façon désinvolte, que c'était une grande nation, que c'était un grand pays, un grand peuple, et que même si elle connaît aujourd'hui une crise, il faut la traiter avec amitié et respect. J'étais frappé par l'unanimité des jugements portés.
Alors s'agissant de l'ex-Yougoslavie, c'est d'ailleurs à moi qu'avait été confié le soin de rapporter sur ce sujet, chacun s'est exprimé de la même façon-là encore : espoir de voir la paix se conforter et pour cela volonté de faire, chacun avec ses moyens, en sorte que les différents chefs d'Etats concernés par la situation en Bosnie soient respectueux du plan de paix, que personne imagine qu'il aura une espèce de priorité ou de faveur. J'ajoute que pratiquement l'ensemble des participants ont insisté sur le fait - et je suis moi-même de cet avis - sur le fait que le plan de paix, naturellement, doit être assumé sous l'autorité du Conseil de sécurité de l'ONU par les moyens de l'OTAN, mais ne saurait ignorer la part très importante qu'ont prise et prendront demain dans l'évolution de cette région d'une part la Russie, qui n'est pas membre de l'OTAN, et d'autre part un certain nombre de nations musulmanes, qui sont présentent sur le terrain, et qui ont participé à l'effort de la Forpronu et qui sont représentés par l'Organisation de la conférence islamique placée cette année sous la présidence du Maroc.
Donc il y a eu je dirais un consensus qui c'est exprimé sur de la traduction du plan de paix sur le terrain qui exigera si - il se déroule normalement, comme on le souhaite tous - la présence de forces notamment de l'OTAN mais qui doit également faire leur place à des forces qui n'appartiennent pas à l'OTAN et qui devront être coordonnées avec les premières et qui sont celles représentant la Russie d'une part et l'Organisation de la communauté islamique d'autre part.
QUESTION: - Est-ce que vous avez l'impression que vos partenaires ont évolué vers la personnification de l'Europe, est-ce que vous songez toujours à Valéry Giscard d'Estaing pour incarner cette personnification ?
LE PRESIDENT: Je crois qu'il s'agit là d'un sentiment qui m'est prêté de façon un peu superficielle. J'ai dit et je le répète que s'agissant de la politique extérieure et de sécurité commune, il me paraissait d'une part qu'elle relevait de l'intergouvernemental et d'autre part qu'elle devait avoir une aptitude à se coordonner qui suppose une voix, un visage et que donc il me paraissait utile qu'il y ait un représentant ou un secrétaire général désigné pour une période de temps suffisante, je dis trois ans mais tout ceci naturellement suppose une négociation et tout le monde n'est pas obligatoirement d'accord avec cette proposition et que j'ai reformulée à nouveau.
QUESTION: - Selon votre porte-parole, vous auriez dit hier : "notre effort de cohésion européen doit être renforcé dans nos propos et dans nos comportements". Je voulais vous demander si vous aviez l'impression que vos professions de foi européennes sont compatibles avec la méfiance que vous manifestez à l'égard de nos voisins à propos de la libre circulation dans l'espace Schengen et les accusations répétées qu'ils ne luttent pas assez efficacement contre le trafic de stupéfiants, l'immigration clandestine, etc. ?
LE PRESIDENT: Ecoutez, j'ai lu effectivement dans votre journal un article que vous venez de résumer... Je ne voudrais surtout pas vous faire la moindre peine, mais pas un seul de nos partenaires n'a évoqué cette question. Ce qui, s'agissant de gens responsables, en dit long sur ce sujet, tout simplement parce que chacun comprend bien que, compte tenu des problèmes liés au terrorisme et, hélas, au développement de la drogue, il y a des précautions qu'il faut prendre et qui ne peuvent pas être évitées. D'ailleurs, nous avons engagé notamment avec nos amis et partenaires hollandais, qui font eux-mêmes un effort dans ce domaine maintenant, une discussion pour renforcer ces éléments de sécurité. Je vous l'ai dit, je n'ai jamais vu une réunion encore où les préoccupations étaient ainsi affirmées par tout le monde sur le plan de lutte contre la grande criminalité, contre le développement des différentes formes de mafia dans l'Europe, contre la drogue avec les effets qui sont les siens, notamment sur la jeunesse mais aussi sur les effets qui sont les siens sur le financement de toutes les formes de terrorisme ou de criminalité. Sur la lutte contre le terrorisme, je n'ai jamais vu une préoccupation aussi fortement affirmée au sein de notre communauté. Elle est tout à fait unanime, si bien que, je vous le dis tout de suite, je n'ai pas ressenti à l'égard de la position que j'ai prise sur le contrôle aux frontières la moindre réserve de la part de quiconque, je l'ai d'autant moins ressenti que personne n'a jugé utile de l'évoquer même indirectement. Vous voyez, les choses ne sont pas toujours comme on penserait qu'elles sont...
QUESTION: - Vous nous avez dit que vous avez reçu un appui ferme de certains de vos collègues concernant la reprise des essais nucléaires français et est-ce que vous avez aussi reçu des critiques ? Comment y avez-vous répondu, en séance plénière ou en aparté éventuellement ?
LE PRESIDENT: Oh, je n'ai fait aucun aparté sur un sujet de ce genre, je n'ai pas besoin de vous le dire. Je n'ai pas reçu de critiques non plus.
Nous avons eu une question posée par le Premier Ministre danois et une explication confuse et longue de la part du chancelier autrichien qui voulait expliquer qu'en réalité il avait pour moi la plus extrême considération. En revanche, j'ai cru devoir, moi, dire (et je ne recommencerais pas ici parce que je l'ai dit à maintes reprises publiquement), dans quel contexte s'inscrivait l'achèvement de nos essais nucléaires, sur les quatre points : de quoi s'agit-il et pourquoi ai-je pris cette décision ? Deuxièmement, y a-t-il un danger quelconque pour l'environnement ? Troisièmement, est-ce qu'il y a là un exemple contagieux ? Et enfin dernier point, quelle est la positon de la France en ce qui concerne le traité d'interdiction des essais nucléaires ?
Je rappelle que la France a été la première, il y a trois mois, à dire qu'elle signerait naturellement le traité, mais qu'elle exigerait l'option zéro, ce qui en a conduit d'autres - après d'ailleurs des discussions que j'ai pu avoir notamment avec nos partenaires américains, d'abord les Américains, puis les Anglais et demain j'en suis sûr les autres - à prendre la même position. C'est ce qui a été en fait le point qui a été unanimement approuvé aujourd'hui et qui était le point essentiel. Le reste, c'est une affaire de médias mais qui n'a pas de réalité. Le point important est de savoir si on allait passer à une deuxième phase d'exploitation de l'arme nucléaire, c'est-à-dire l'expérimentation permettant de déterminer les petites armes ; ça c'est un autre domaine sur lequel je me suis toujours prononcé de la façon la plus totalement négative.
En revanche, j'ai reçu un appui très ferme d'un certain nombre de nos partenaires et je tiens notamment à remercier le chancelier fédéral allemand, le Premier ministre britannique, le Premier ministre portugais et quelques autres pour la clarté de leur position et leur refus de laisser entamer leur sérénité par des tentations médiatico-politiques.
QUESTION: A propos de la Conférence de Barcelone, est-ce que la question de la présence ou non présence de la Russie, des Etats-Unis, des pays de l'Est a été évoquée ou tranchée et comment faire alors avec les pays arabes du Golfe qui ne sont pas méditerranéens mais qui tout de même sont partenaires de manière claire dans la coopération économique ou le développement économique de la région ? Une deuxième question, Monsieur le Président, alors que les Etats-Unis s'apprêtent à engager la campagne électorale, ils semblent être un peu handicapés au Moyen-Orient, est-ce que la France pourrait jouer un rôle spécifique pour débloquer le processus de paix particulièrement entre Israël, la Syrie et le Liban ?
LE PRESIDENT: Sur le premier point, il y a eu une discussion effectivement. La Conférence de Barcelone est une conférence à laquelle j'attache beaucoup d'importance. Comme vous le savez, elle aura lieu à l'échelon des ministres des affaires étrangères et l'idée initiale, à laquelle nous sommes revenus, est que c'est une conférence qui, d'une part regroupe l'ensemble des quinze pays et demain des autres le cas échéant mais enfin des quinze pays de l'Union européenne et d'autre part les pays du pourtour méditerranéen. Vous avez raison de le souligner, ceci exclut un certain nombre de pays du Moyen-Orient qui n'ont pas de façade maritime mais les promoteurs de cette conférence avaient considéré qu'il fallait une limite. Alors ensuite s'est ouverte la question : faut-il répondre favorablement à la demande pressante des Russes, puis à la demande pressante des Américains, puis à la demande pressante des pays de l'Europe centrale et orientale, puis à la demande pressante des autres pays du Moyen-Orient qui n'ont pas de façade méditerranéenne ? Nous en avons discuté hier soir et il a été décidé entre nous - je dis entre nous parce que, je le répète, cette réunion n'a pas pour objet de prendre des décisions - il a été retenu comme principe qu'il s'agissait vraiment du développement d'une politique euro-méditérranéenne et qu'il fallait lui donner ses limites si l'on voulait véritablement qu'il y ait une politique européenne qui d'une part s'appuie sur la réalité de l'Europe, cela c'était l'élargissement, et d'autre part sur la réalité de son environnement et cela c'était la politique méditerranéenne. Si bien qu'il a été décidé que ni la Russie, ni les Etats-Unis, ni les pays de l'Europe centrale et orientale, ni les autres pays du Moyen-Orient ne seraient présents à cette conférence. C'est la première, nous verrons la suite.
Je dois à la vérité de dire que j'ai fait une proposition dérogatoire, partant du principe que la vertu des règles c'est d'avoir des exceptions pour les confirmer. J'ai fait une demande dérogatoire qui a été acceptée par tout le monde et qui était de constater qu'au nord de l'Afrique il y a le Machrek et le Maghreb, que le Maghreb - je ne parle pas de l'affaire libyenne qui est une affaire particulière et la Libye n'est pas actuellement invitée, c'est le seul pays méditerranéen qui n'est pas invité et qui ne sera pas présent - mais il y a la Tunisie, l'Algérie, le Maroc et la Mauritanie. Personne ne peut contester que la Mauritanie est un pays appartenant au Maghreb et par conséquent j'ai demandé que par exception, la Mauritanie soit invitée, conformément d'ailleurs aux voeux exprimés par le Président Ould Taya et la Mauritanie sera invitée.
Quant à la deuxième question sur le processus de paix et le rôle de la France, je dirai d'abord que la France a soutenu et continue naturellement de soutenir le processus de paix, et deuxièmement que la France a une tradition en ce qui concerne sa politique arabe. Cette tradition avait été un peu négligée ces derniers temps. Je souhaite redonner tout son souffle à la politique arabe de la France et j'y prendrai grand soin.
L'un des premiers points d'appui de cette politique de mon point de vue doit être le Liban, compte tenu, chacun le comprend, des liens traditionnels qui existent entre nos deux pays, mais elle doit naturellement s'étendre à l'ensemble du monde arabe et notamment s'appliquer à faire progresser les choses, en particulier le processus de paix. C'est une des raisons d'ailleurs qui font que la France est aujourd'hui le premier contributeur de fonds pour ce qui concerne le financement de l'Autorité palestinienne et qu'elle a l'intention de s'impliquer beaucoup dans le cadre. Nous avons également été tout à fait déterminés à Cannes pour faire voter les crédits méditerranéens qui intéressent l'ensemble de la région et donc nous avons vraiment l'intention d'avoir une politique arabe relancée.
QUESTION: Est-ce que vous avez le sentiment que l'Europe se fera en douceur dans le temps à quinze ou à plus ou plutôt aux forceps quand on sait quand même qu'il y a parmi vos partenaires, des gens qui ne sont pas des Européens convaincus, je pense en particulier aux Autrichiens, aux Suédois, aux Danois et aux Anglais ?
LE PRESIDENT: Vous savez, j'écoutais ce matin le Premier ministre britannique qui avait été chargé d'introduire le sujet sur la sécurité européenne, sur l'architecture de sécurité comme l'on dit, et j'adhérais totalement à ce qu'il a dit. Totalement et notamment aux cinq points de sa conclusion et à ce moment là chacun au tour de table s'est exprimé et cela a été un concert d'approbation. Cela a commencé par Helmut Kohl, j'ai ensuite donné mon point de vue et puis tout le monde a donné son point de vue et tout le monde a approuvé sans l'ombre d'une réserve le propos introductif, les propositions et les conclusions qu'avait tenus John Major. Cela me conduit à vous dire, je le regrette vivement notamment pour les médias, que je pense que l'Europe se fera en douceur plus qu'au forceps. J'en suis désolé pour vous mais je le pense.
QUESTION: Les marchés financiers ont été sérieusement agités hier en partie en raison des déclarations allemandes, celles de M. Waigel et d'autres qui ont suivi. Est-ce que vous pensez que les propos du Conseil européen, du vôtre et ceux du chancelier seront de nature à les apaiser d'ici lundi ? D'autre part il y aura une réunion des ministres des finances des quinze à Valence à la fin de la semaine prochaine, comment voyez-vous les choses dans l'hypothèse où Monsieur Waigel reviendrait avec les mêmes propositions, c'est-à-dire respecter les critères mais demander en fait des engagements nouveaux pour assurer la discipline budgétaire ?
LE PRESIDENT: Je ne veux pas préjuger de ce qu'a pu être l'effet des déclarations de tel ou tel sur les marchés mais, si vous voulez le fond de ma pensée, les marchés ont été beaucoup plus influencés par la baisse du dollar que par toute autre chose. Deuxièmement, moi, s'agissant de la position allemande, je ne connais que la position exprimée par le Chancelier, qui était d'une clarté biblique. Comme je n'ai pas entendu le ministre allemand des finances, que je n'ai aucune raison de mettre en cause la volonté du chancelier, je considère que c'est là, comme disent les diplomates un "non problème".
QUESTION: La France a évoqué la possibilité d'élargir la possibilité de vote à majorité qualifiée au sien du Conseil, pourriez-vous nous définir plus ou moins quels seraient les domaines dans lesquels la France accepterait cela ?
LE PRESIDENT: Non, car ceci mérite une discussion d'ensemble et car nous avons une certaine idée de l'Europe : j'ai eu l'occasion de développer cette idée dans ces principes, je me refuse absolument à la développer dans ses détails pour une raison simple, c'est qu'une des premières règles de la diplomatie c'est la courtoisie et que lorsque l'on arrive avec son plan tout ficelé on provoque par définition une réaction négative. La Communauté c'est le dialogue, c'est la discussion. Je dis qu'on devrait étendre le champ des décisions qui sont prises à la majorité, je crois que tout le monde est à peu près d'accord et après il nous appartiendra de discuter non pas sur la place publique mais entre nous d'abord de ce que cela signifie concrètement. Cela signifie en tous cas une révision des modalités de prise en compte, c'est-à-dire une révision de la pondération des voix.
QUESTION: Est-ce que ce genre de sommet informel est exceptionnel ou est-ce que cela va se renouveler à la veille de chaque sommet traditionnel ?
LE PRESIDENT: Non, je crois que cela va se renouveler. Cela avait été initié par le chancelier Kohl à la suite du Sommet d'Essen et tout le monde a trouvé que c'était une bonne idée et cela a été considéré comme une bonne idée. Et je crois que maintenant tous les Présidents successifs feront cela et c'est très bien. Les Espagnols avaient organisé cela remarquablement.
QUESTION: Vous avez dit que vous aviez parlé tous les quinze de l'emploi, pour dire quoi de nouveau ?
LE PRESIDENT: Ce n'était pas l'un des sujets. Tout le monde a tenu à se référer à ce que nous avions dit lors de notre dernière réunion de Cannes et a pressé la Commission d'agir ; il n'y a pas eu d'éléments nouveaux. Vous savez, je répète, ce n'est pas une formation de décision, c'est une formation de convivialité et c'est pourquoi il n'y a pas de texte, on ne se réunit pas pour décider, on se réunit pour mieux se comprendre, se connaître et c'est tout à fait essentiel dans un processus d'unification. Donc, il n'y a pas de décision, dans aucun domaine d'ailleurs.
QUESTION: - Vous aviez réuni vos partenaires dans un format un peu semblable à l'Elysée en juin, et nous en avions eu dans l'immédiat l'impression d'une réunion assez lisse et puis trois jours plus tard on a eu des informations sur quelques accrochages un peu vifs qui avaient pu avoir lieu. Est-ce qu'aujourd'hui vous pourriez nous faire gagner trois jours et nous raconter un peu si sur certains sujets la vivacité s'est exprimée ?
LE PRESIDENT: Ecoutez, il n'y a pas eu de vivacité. Le Premier ministre danois, qui a essayé pendant deux jours d'initier un débat qui était prévu et qui finalement, peut-être, s'est exprimé de façon danoise, c'est-à-dire avec une vivacité tout à fait civilisée, a fini par dire ce qu'il avait à dire sur ce point. Mais je ne vois pas d'autres éléments qui pourraient tout d'un coup vous surprendre dans trois jours et que vous pourrez anticiper, non je ne vois pas.