Rencontre avec la presse du Président de la République lors de son déplacement dans les Deux-Sèvres.

Rencontre avec la presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de son déplacement dans les Deux-Sèvres.

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Niort, Deux-Sèvres, le vendredi 26 janvier 1996

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LE PRÉSIDENT - Un mot de remerciement aux journalistes de la région ou parisiens qui m'ont accompagné pendant ces deux jours qui furent pour moi bien remplis et pour vous aussi, j'imagine.
Je suis prêt à répondre à vos questions, après ces remerciements, étant entendu naturellement que je n'ai pas l'intention de faire une conférence de presse portant sur autre chose que sur ce que j'ai fait ou vu pendant ces deux jours, comme vous le savez, voilà.

QUESTION - J'aimerais savoir quelles conclusions prioritaires tirez-vous de ces deux jours d'entretiens dans les Deux-Sèvres, et très concrètement quelle suite comptez-vous leur donner à votre retour à Paris ?

LE PRÉSIDENT - Quelles conclusions, je tire ? D'abord, ce n'était pas l'objectif essentiel mais c'était important, j'ai conscience d'un certain nombre de problèmes spécifiques à ce département que je connaissais ou que je ne connaissais pas, et qu'en tous les cas, j'ai mieux compris, ce qui n'est pas inutile. Par conséquent je m'efforcerai de les souligner aux ministres compétents.
La deuxième chose qui était pour moi plus essentielle, était le contact avec un certain nombre de gens qui, à un titre ou un autre, soit responsable, expérimentés ce qui leur permet de parler des choses. Cela permet de voir notamment quels sont les problèmes les plus importants et j'ai été frappé par le fait que l'ensemble de mes interlocuteurs ont spontanément et généralement placé le débat et leur propos sur le plan national.
Et enfin j'ai été intéressé de voir, comment ici dans ce département des Deux-Sèvres, on avait créé une espèce de synergie en ce qui concerne les initiatives prises pour lutter contre le chômage. C'est vrai que tout le monde s'est mobilisé, ce n'est pas le seul département naturellement, et c'est un département qui reste touché par le chômage, mais on s'est ici mobilisé, on a su faire tomber un certain nombre de barrières traditionnelles qui existent entre les services, entre les organisations syndicales et professionnelles, souvent pour être plus efficaces.
Voilà les principales conclusions que j'ai tirées de ce voyage qui me permettra de souligner auprès du Gouvernement un certain nombre de lacunes ou certain nombre d'initiatives qui pourraient être prises.
J'ai été aussi très attentif à l'application sur le terrain des mesures décidées par le Gouvernement. Parce qu'on décide des choses au niveau gouvernemental, on fait des déclarations et puis on s'aperçoit, que souvent cela ne suit pas, et j'ai beaucoup interrogé mes interlocuteurs sur la perception qu'ils avaient de l'action gouvernementale et la mise en oeuvre des décisions qui ont été prises par le Gouvernement. Et ça c'est très enrichissant.

QUESTION - Comment expliquez-vous ce fossé qu'il y a justement entre les décisions prises à Paris et leur application sur le terrain ?

LE PRÉSIDENT - Il y a bien des raisons à cela, surtout dans les périodes où l'on veut engager des réformes. Il y a toute l'inertie naturelle du système, et notamment de l'administration, et parfois l'insuffisante volonté des ministres, une fois la décision prise, de vérifier que les services les appliquent normalement. Il y a un phénomène de résistance qui existe. Ils ne font pas de le mauvaise volonté naturellement mais cela freine ou même purement et simplement annule les effets positifs d'une décision politique.

QUESTION - Vous avez quand même beaucoup parlé pendant ces deux jours à tous les interlocuteurs que vous avez rencontré. Vous avez parlé et répondu à leurs questions, à leurs préoccupations.

LE PRÉSIDENT - Oui, je ne pouvais pas rester complètement coi lorsqu'ils me posaient des questions. Naturellement que j'ai parlé, mais je les ai surtout beaucoup interrogés, n'est-ce pas, beaucoup écoutés. Je n'ai pas fait de discours.

QUESTION - Est-ce que vous avez le sentiment que vous avez ainsi renoué une sorte de lien au plus près des Français, avec ceux de tous les jours, les Français qui justement n'ont ni étiquette ni responsabilité particulière. Est-ce que c'est ça que vous souhaitiez faire et est-ce que vous avez le sentiment de l'avoir fait ainsi ?

LE PRÉSIDENT - C'est tout à fait cela que je souhaitais faire, et j'ai eu le sentiment que c'était très positif. Je continuerai. Vous savez je n'ai pas l'intention d'aller écouter les Français un fois par an, simplement pour me donner l'occasion de faire un voyage dans nos belle provinces. J'ai l'intention d'être en permanence, au tant que faire se peut naturellement, à l'écoute des Français. Je ne veux pas me laisser enfermer dans les murs physiques, psychologiques de l'Elysée ou même de Paris. J'ai toujours lutté contre cette tendance et ce n'est pas aujourd'hui que je vais me laisser enfermer. Je n'ai pas l'intention d'avoir pour seule information des rapports officiels. Les rapports officiels sont utiles, ils sont importants, mais il y a aussi d'autres choses pour se faire une véritable idée sur des situations et évolution des réformes.

QUESTION - Monsieur le Président si l'on vous entend, il va falloir que vous fassiez le tour des 92 ou 95 départements français pour aller secouer un peu l'administration.

LE PRÉSIDENT - Mais je n'ai secoué personne. Je n'ai pas du tout pour ambition d'aller secouer, j'ai l'intention d'aller m'informer pour pouvoir ensuite indiquer au Gouvernement, à mon avis, des orientations qu'il devrait prendre ou les corrections qu'il devrait faire. J'ai l'intention en permanence, car j'ai à l'occasion de campagnes électorales donné une certaine vision des choses, d'aller vérifier si cette vision est exacte, si elle doit être modifiée sur tel ou tel point, comment elle est perçue, comment les efforts qui devraient être faits pour qu'elle soit mieux perçue, etc Mais je ne suis venu donner des leçons à personne.

QUESTION - Votre voyage est centré sur l'emploi. Est-ce que vous êtes inquiet des prévisions plutôt pessimistes des experts sur l'évolution du chômage pour les prochains mois et pensez-vous qu'il faudrait peut-être un petit peu infléchir la politique économique en fonction justement de ces provisions un peu alarmistes ?

LE PRÉSIDENT - Naturellement que je suis inquiet. Tous les Français sont inquiets. La baisse de la croissance, plus forte qu'on l'avait imaginée, ne pourra pas se traduire par des difficultés en matière d'emploi. Je ne partage pas, pour tout dire, le pessimisme de certains experts. Je suis persuadé, d'après les contacts que j'ai eu hier et aujourd'hui sur le plan local, que nous aurons sans aucun doute un premier semestre un peu difficile, je suis persuadé en revanche que le deuxième semestre de l'année 96 sera beaucoup plus favorable en matière de croissance et donc en matière d'emploi. C'est d'ailleurs le sentiment qu'on a pour tous les pays européens, les choses étant liées naturellement. C'est vrai pour l'ensemble de nos grands partenaires européens. Cela veut dire probablement qu'il ne s'agit pas d'infléchir une politique mais de l'adapter. Il est certain qu'il y a des mesures à prendre pour faciliter des créations d'emplois, des mesures de toute nature. Il faut améliorer et renforcer celles qui ont été favorables. Il faut annuler celles qui n'ont pas eu d'effet. Il faut essayer en permanence d'avoir de l'imagination et il y en a beaucoup souvent chez les gens qui sont confrontés quotidiennement aux difficultés.
Les syndicats, les associations, les organisations professionnelles que j'ai rencontrés, réfléchissent, parlent en permanence de ces problèmes, ont des idées qui sont exprimées et j'en tiendrais compte. Tout cela créé une espèce de levain qui permet mieux de réfléchir et de mieux exprimer les solutions aux besoins.

QUESTION - Vos interlocuteurs, notamment agricoles, vous ont ce matin parlé de l'Europe. Etes-vous d'accord avec le discours de Philippe Séguin aujourd'hui qui dit qu'il faut relégitimer l'Europe ? Avez-vous l'impression qu'il faut relégitimer l'Europe et donner une initiative politique pour justifier la monnaie unique ?

LE PRÉSIDENT - Vous avez vu le programme qui a été le mien depuis hier matin. Vous ne serez donc pas étonnés d'apprendre que je n'ai pas encore lu, ce que je ferai ce soir, le discours de Philippe Séguin. Mais s'il a dit qu'il faut relégitimer l'Europe il a eu tout à fait raison. C'est vrai que l'Europe actuellement est mal perçue -et ce n'est pas les agriculteurs qui la perçoivent le plus mal loin s'en faut- par un grand nombre d'Européens, pas seulement français. Et cela tient notamment au fait que l'Europe est perçue comme étant trop technocratique. Le bilan général de l'action des organismes dirigeants de l'Europe n'est pas de ce point de vue positive, c'est ce qui explique d'ailleurs un certain nombre d'initiatives qui ont été prises, notamment par les Allemands, par les Français, par tous les autres aussi, pour exiger que le principe de subsidiarité soit réellement appliqué, que la Commission ne décrète pas tout, dans des domaines qui ne sont, à l'évidence, pas de sa compétence et qui relève de celle des Etats ou au contraire même de celle des régions, des département et des collectivités territoriales.
Deuxièmement les Européens ont le sentiment, je le dis depuis longtemps, que l'Europe ne prend pas assez en compte l'homme, ses problèmes, ses besoins notamment dans une période de crise, et en particulier de crise de l'emploi. Il faut, c'est ce que j'ai demandé vous le savez à Cannes -je l'ai redit à Madrid, à l'occasion des sommets européens de façon très ferme à l'ensemble des chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union européenne- il faut absolument aujourd'hui remettre l'homme au coeur de notre préoccupation, qu'il s'agisse de l'emploi, qu'il s'agisse des acquis sociaux, qu'il s'agisse du progrès social, c'est tout à fait indispensable, donc il faut effectivement redonner à l'Europe une certaine légitimité, je dirai dans les coeurs des Européens.

QUESTION - Monsieur le Président après ces deux jours d'entretiens est-ce qu'il y a quelque chose qui se dégage, quelque chose que vous retenez particulièrement de ce que vous ont dit vos interlocuteurs ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez beaucoup de choses se dégagent, d'abord si, me semble-t-il tout le monde est inquiet, il y a à l'évidence et notamment chez les jeunes des réserves d'optimisme, de volonté, de détermination qui sont considérables. Ensuite il y a un certain nombre de problèmes qui sont maltraités et qui devraient l'être mieux, il n'est pas normal que les primes auxquelles les agriculteurs ont droit, notamment dans le domaine de la viande bovine, soient théoriquement décidées et pratiquement non distribuées, en tout les cas indéfiniment retardées, ce qui fait penser à beaucoup qu'en réalité elles n'existent pas. Il n'est probablement pas normal qu'il y ait dans un département comme celui-ci, et vraisemblablement ailleurs, tant de maîtres-auxilliaires qui n'ont pas de place et des stocks d'heures supplémentaires qui ne cessent de s'accroître. On voit sur le terrain et dans les esprits déjà beaucoup mieux combien les formations en alternance sont aujourd'hui, non seulement une nécessité, mais sont désirées aussi bien par les responsables que par les élèves, comme on l'a vu hier au Lycée Maurice Genevoix, en particulier dans le domaine de l'apprentissage. Il n'est pas normal de continuer à détruire systématiquement de l'emploi, et même d'une certaine manière nos valeurs par les excès d'une grande distribution qui continue à se développer et dont il va bien falloir tout de même stopper les excès pervers. Enfin, il y a tout une série de sujets et de conclusions que l'on peut tirer de ces contacts.

QUESTION - Monsieur le Président, vos interlocuteurs agriculteurs, partagent-ils la détermination affichée de M. Juppé qui dit que la réforme se met en place conformément aux objectifs qui ont été prévus ?

LE PRÉSIDENT - C'est le sentiment que j'ai eu, sans aucune doute. La réforme se met en place, conformément aux objectifs initialement annoncés et la concertation a permis d'y apporter les modalités d'application convenable, je crois, mais son objectif est parfaitement clair. Il sera atteint. Il n'y a aucun doute sur ce point. Et j'ai trouvé que l'immense majorité des mes interlocuteurs y étaient favorables. Pour dire la vérité, tous les interlocuteurs que j'ai vu, je n'en ai trouvé qu'un seul, disons un et demi, qui dénonçait le caractère malfaisant de cette réforme. Sur tous ceux que j'ai vus cela ne fait pas beaucoup. Un qui l'a dit très clairement, le demi c'est un qui manifestement s'est forcé un peu pour critiquer ce plan.

QUESTION - Monsieur le Président, comment réagissez-vous aux propos de certains membres de la majorité ou depuis quelques jours de membres de Gouvernement sur le souhait de rediscuter du calendrier d'application de Maastricht, ou de renégocier ces critères d'application. Confirmez-vous les propos de M. Alain Juppé, hier soir, qui a dit que la France ne reculerait pas ni sur la date, ni sur les critères d'application ?

LE PRÉSIDENT - M. Juppé a eu tout à fait raison ce n'est pas un sujet à l'ordre du jour, et la France n'y a pas intérêt.

QUESTION - Vous venez vous informer, vous allez impulser, encourager le Gouvernement, comme vous définissez cette fonction de Président de la République, qui normalement donne les grandes orientations ?

LE PRÉSIDENT - Je suis très frappé par la curiosité que semble inspirer chez vos confrères et consoeurs mon voyage. Comme si vous n'aviez pas l'habitude de me voir faire ce type d'exercice.

QUESTION - Vous n'étiez pas Président de la République avant ?

LE PRÉSIDENT - Non, effectivement.

J'ai voulu définir un projet pendant la campagne. Pour le défendre pendant la campagne cela supposait une certaine connaissance des choses. Je l'ai acquise, je crois, en interrogeant et en écoutant les français.
Maintenant je suis en charge de leurs affaires. Alors est-ce que cela veut dire que je dois couper tout contact avec eux, et considérer que j'ai la science infuse, en quelque sorte que la vérité m'a été révélée et que maintenant je n'ai plus qu'à commander ? Ce n'est pas cela la fonction de Président de la République.
Pour définir de grandes orientations, il faut avoir une vision des choses et pour avoir une vision des choses, il faut avoir une certaine expérience et cette expérience s'acquiert sur le terrain. Ce sont des hommes et des femmes qu'il s'agit de gouverner, dont il s'agit de redresser aujourd'hui la situation. Ce ne sont pas des bureaux ou des technocrates parisiens, ce qui n'est pas une critique à leur égard, on en a aussi besoin, mais on ne peut pas juger uniquement en fonction de leurs propres réactions.
Donc il est aussi important pour moi aujourd'hui, et même peut-être beaucoup plus, dans la mesure où j'ai une responsabilité plus grande, d'avoir ce contact avec les français pour pouvoir faire ce qu'il faut à leur service et au service de la France. On ne peut pas travailler, on ne peut encore moins gouverner sans éclairer un peu son terrain ou alors c'est une méthode autocratique qui n'est pas la mienne.

QUESTION - Monsieur le Président, quelle image forte garderez-vous des Sèvriens à l'issue de ce voyage ?

LE PRÉSIDENT - Un beau département et je regrette de ne pas avoir eu plus de temps pour le visiter, notamment l'ensemble du marais poitevin.

Je vous remercie.





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