Djeddah, Arabie Saoudite, le dimanche 7 juillet 1996
Je voudrais d'abord saluer et remercier de leur présence les journalistes je dirais étrangers, par rapport à la France, Saoudiens ou d'autres pays et puis saluer bien sûr les journalistes français qui ont fait le voyage.
Ce voyage, vous le savez je crois, j'avais souhaité le faire un peu plus tôt et des circonstances ont fait qu'il a été reporté. Je dirais qu'il en a été d'autant plus agréable. Je voudrais d'abord remercier les autorités saoudiennes de l'accueil qu'elles ont bien voulu me réserver et notamment, j'ai été naturellement très sensible au fait que le Gardien des Lieux Saints se soit personnellement déplacé pour m'accueillir à l'aérodrome de Djeddah.
Ce voyage, je l'avais voulu et souhaité dans le contexte politique actuel de la région et dans le cadre des relations entre la France d'une part, et le Moyen-Orient et les pays arabes d'autre part. Je l'avais souhaité politique, c'est-à-dire ayant pour objet de renforcer voire de recréer des liens politiques entre le Royaume d'Arabie saoudite et la France. J'ai donc eu les entretiens que vous connaissez, avec Sa Majesté, avec le Prince Héritier, avec le Prince Sultan, avec le Prince Naef et puis un certain nombre de personnalités, y compris et cela m'a fait plaisir, avec le secrétaire général du CECA, M. El Al Jailhan, que vous connaissez puisqu'il a été, près de vingt ans, ambassadeur de son pays à Paris.
Ces entretiens je les avais souhaités de nature à permettre de créer un partenariat nouveau. Dans l'Europe d'aujourd'hui, la France est certainement le pays qui s'intéresse le plus à cette région du monde. Dans cette région, l'Arabie saoudite est naturellement incontournable, qu'il s'agisse du Golfe, qu'il s'agisse du Moyen-Orient, qu'il s'agisse plus généralement de nos relations avec les pays islamiques. Des relations ou un partenariat cela suppose un certain nombre de liens qui sont, d'abord de nature politique et qui doivent être ceux du respect, de l'amitié, de la confiance réciproque. J'ai voulu dire aux autorités de ce pays, que ces sentiments étaient bien ceux que j'éprouvais pour le Royaume. Ces liens doivent également être forts dans le domaine économique et de ce point de vue, si le Royaume reste le premier fournisseur de pétrole de la France et s'il est également le pays de la région où la France exporte le plus, ces liens peuvent et doivent être renforcés.
Enfin, il n'y a pas de relation entre deux peuples qui ne soit fondée sur des relations culturelles. Quand on exclut la culture, c'est-à-dire la compréhension les uns des autres, alors généralement on bâtit sur le sable ou en tous les cas sur l'instant. C'est pourquoi j'ai voulu également parler de nos relations culturelles et envisager ce qui pouvait être fait pour les renforcer.
Voilà, en gros, le contexte dans lequel s'est déroulé ce voyage, je reviens très heureux d'avoir, me semble-t-il, mis sur les rails ce partenariat que je souhaite entre nos deux pays notamment, à un moment où un certain nombre d'incertitudes pèsent sur l'avenir de la région, en particulier pour ce qui concerne le processus de paix qui est un sujet, je n'ai pas besoin de vous le dire, qui a été longuement évoqué au cours de mes entretiens.
Voilà en gros, le cadre dans lequel s'inscrivaient ces entretiens.
Je suis maintenant prêt à répondre aux questions que vous souhaiteriez me poser.
QUESTION - Monsieur le Président, une fois de plus vous avez mis l'accent durant ce voyage sur la politique arabe de la France, quelles sont les démarches communes que vous comptez entreprendre concernant le processus de paix et le Liban ?
LE PRÉSIDENT - Je dirais d'abord que la France entend avoir une politique arabe forte et dynamique. Je voudrais qu'il soit bien clair que, lorsque je dis, politique arabe, j'inclus la politique moyen-orientale. Je n'exclus évidemment pas Israël.
Le mot de politique arabe est en quelque sorte une facilité. Je crois que la France, par sa tradition, peut apporter dans cette région une présence et prendre des initiatives allant dans le sens de la paix. Oui, elle a l'intention être présente, elle l'a démontré notamment lors de la dernière crise au Liban. La démarche commune pour le moment, se traduit par le fait que l'ensemble des pays de l'Union européenne à Florence ont pris une position unanime concernant leur souhait de voir se dérouler, tel qu'il était prévu le processus de paix, c'est-à-dire conformément aux accords d'Oslo et de Taba. Ceci a également été réaffirmé à l'occasion du communiqué du G8 à Lyon et, je dirais, dans des termes à peu près identiques, de la part des pays arabes à l'occasion du Sommet du Caire. Nous sommes donc en quelque sorte sur la même ligne d'initiatives et de démarches, s'agissant du processus de paix. Quant au Liban qui est le dernier point de votre question, vous savez les liens qui unissent depuis toujours la France et le Liban, par conséquent tout ce qui concerne le Liban nous concerne, et nous ferons toujours ce que nous pourrons, comme nous l'avons fait récemment lors de la dernière crise pour aider les Libanais à retrouver leur équilibre.
QUESTION - Monsieur le Président, je voudrais vous poser une question sur la politique menée par le Conseil de sécurité des Nations Unies d'embargo à l'égard de l'Irak. Est-ce que la position de la France, c'est-à-dire votre position, est aujourd'hui que cet embargo est à la fois injuste et contre-productif, il faut d'abord que vous me confirmiez ou que vous infirmiez cette assertion. D'autre part, je voudrais savoir si vous en avez parlé avec les autorités saoudiennes et quelle est leur opinion sur ce sujet et où en est le débat entre la France et les Saoudiens sur ce sujet ?
LE PRÉSIDENT - Il n'y a jamais eu de débat compliqué entre la France et les Saoudiens. Quant à la position des Saoudiens il ne m'appartient pas de la commenter. Pour ce qui concerne le fond, c'est-à-dire l'embargo sur l'Iran, vous savez que la France a été active pour soutenir la mise en application de la résolution 986 qui finalement, et grâce aux efforts du secrétaire général des Nations Unies, a pu entrer en vigueur. La France s'en est réjouie. Je le répète, elle avait été un élément actif pour appuyer la mise en oeuvre de cette résolution. Je n'ai pas observé de la part des autorités saoudiennes la moindre réticence sur ce point, et je souhaite que les choses puissent maintenant se dérouler comme elles ont été prévues.
QUESTION - Monsieur le Président, comme vous le savez, les dernières positions du Premier ministre israélien Netanyahou étaient entachées d'extrémisme, il a dit qu'il n'y aura pas de retrait du Golan et pas d'Etat palestinien. Comment voyez-vous le progrès éventuel du processus de paix devant la position israélienne, et quel est le rôle de la France dans ce domaine ?
LE PRÉSIDENT - Je voudrais, d'abord, ne faire de procès d'intention à personne. S'agissant du gouvernement israélien, nous connaissons les thèmes sur lesquels le Premier ministre a fait sa campagne. Nous ne connaissons pas encore les décisions que prendra son gouvernement. Je souhaite de tout coeur qu'elles soient aussi conformes que possible au processus de paix tel qu'il avait été arrêté. Vous me dites : "quelle est la position de la France" ? Elle est très exactement celle que nous avons exprimée à Florence et à Lyon à l'occasion du Sommet européen et du G7, plus les Russes, et elle est identique à celle qui a été exprimée au Caire lors du dernier Sommet arabe. Je le répète, je ne veux pas faire de procès d'intention, pas plus d'ailleurs, qu'avec sagesse, le Sommet Arabe ou le Sommet de Lyon n'en ont fait. Nous attendrons de voir ce que le gouvernement israélien entend réellement avoir comme politique. Je répète une dernière fois, que notre souhait, et je dirais que c'est le souhait unanime de l'Europe et des Pays Arabes, c'est que le processus de paix soit poursuivi conformément aux engagements qui ont été pris.
QUESTION - Monsieur le Président, le Sommet de Lyon a pris une position ferme contre le terrorisme. Entendez-vous comme Président de ce Sommet prendre des initiatives concrètes dans le cadre d'une coopération internationale pour la lutte contre le terrorisme ?
LE PRÉSIDENT - Je voudrais d'abord dire que j'ai bien entendu exprimé de vive voix, dans les heures qui ont suivi l'attentat de Dahran, mes sentiments de solidarité aux autorités, aux familles des victimes, aux blessés de cet attentat. C'est vrai que, lorsque cet attentat est intervenu, j'ai été amené à modifier l'ordre du jour et à mettre au premier point de la première réunion de travail à Lyon, le problème de la lutte contre le terrorisme. Je dois dire que la totalité de nos partenaires ont jugé cette initiative normale.
Nous avons à Lyon, dans un texte que vous avez pu voir, prévu de renforcer autant que possible notre solidarité en matière de lutte contre le terrorisme et de nous doter d'un certain nombre de moyens nouveaux afin de mettre tous les moyens légaux disponibles au service de la lutte contre le terrorisme. C'était déjà une décision qui avait été prise au sommet de Charm-el-Cheikh, convoqué à l'initiative du Président Moubarak. C'est également une décision qui a été confirmée au Sommet du Caire. Il y a à l'évidence, aujourd'hui une espèce de convergence, de volonté de la part des grands responsables du monde et notamment de cette région et de la région européenne pour lutter contre un terrorisme dont chacun voit bien qu'il peut très bien repartir, dans l'hypothèse où le processus de paix s'enliserait où une nouvelle crise se développerait. Je le répète, je suis optimiste de nature, et j'espère que ce ne sera pas le cas.
QUESTION - Monsieur le Président, vous avez défini le cadre de votre voyage qui est un cadre politique, mais l'économie n'est jamais très loin. Dans vos entretiens avec le ministre de la Défense par exemple, avez-vous parlé de certains contrats qui sont en projet comme celui de la vente de 150 chars Leclerc ou autres contrats qui, s'ils aboutissaient, seraient une bonne nouvelle pour l'emploi en France ?
LE PRÉSIDENT - J'espère que ce sera plus de 150 chars Leclerc, mais indépendamment de cela, je n'ai pas évoqué ces problèmes avec le ministre de la Défense, en revanche, ils ont été longuement évoqués avec M. Millon, ministre français de la Défense. Moi, j'ai situé mon entretien avec le Prince Sultan sur un autre plan et notamment sur tout ce qui concerne la sécurité au Moyen-Orient et dans le Golf en particulier dans différentes perspectives que l'on peut imaginer, c'était cela l'essentiel de notre débat.
Ceci étant, l'économique ne doit pas être bien entendu sous-estimé. Je vous ai dit tout à l'heure que des relations équilibrées, un vrai partenariat, supposaient des relations politiques, économiques, culturelles. L'économie est importante, les échanges sont importants.
Ce que je voudrais simplement souligner c'est que, si effectivement la France souhaite pouvoir développer sa coopération militaire avec le Royaume, les échange économiques ne se limitent pas aux échanges militaires. Il y a des discussions qui ont eu lieu entre les deux ministres de l'Intérieur, le Prince Naef et M. Debré, sur des problèmes relatifs à la sécurité en général qui sont également importants. Il y a sur le plan civil des choses qui sont actuellement prévues, notamment dans le domaine des transports, des infrastructures, du train, qui sont également des problèmes très importants et qui effectivement justifient des contacts entre les ministres.
Sur le plan économique, mon intention était bien davantage de créer un climat de confiance et d'amitié propre ensuite à faciliter les négociations entre les ministres sur des problèmes précis, techniques, de différente nature. Je n'étais pas là moi pour négocier des contrats. Mais le climat est important, il y a la chaleur extérieure et puis il y a la chaleur des relations intérieures et lorsque celle-ci est à la bonne température, cela facilite beaucoup de choses.
QUESTION - Monsieur le Président, l'Iran est un pays qui est contre le processus de paix, l'Iran menace le processus de paix, arme le Hezbollah et déstabilise certains pays de la région dans laquelle nous sommes, en l'occurrence Bahreïn. La France et l'Europe ont un dialogue critique vis-à-vis de l'Iran, est-ce que ce dialogue critique, à votre avis, porte ses fruits ?
LE PRÉSIDENT - Il y a actuellement deux attitudes à l'égard de l'Iran. La première qui est celle des Etats-Unis, et je dirais qui est une attitude de rupture, la deuxième, qui est celle de l'Europe, et qui est ce que nous avons appelé, à défaut d'un autre qualificatif, le dialogue critique, c'est-à-dire le maintien de la capacité de parler sans pour autant accepter aucune concession, ou aucun compromis. Je persiste à penser que l'Europe a raison. Je peux simplement porter un témoignage. Je considère que le dialogue critique que nous sommes en mesure d'avoir avec l'Iran a été un élément positif, et même très positif, dans le cadre de l'action que nous avons menée pour tenter de ramener la paix ou pour participer à l'action conduite pour ramener la paix au Liban lorsqu'elle a été très sérieusement mise en cause récemment. Donc, je n'ai pas à me plaindre du choix stratégique qui a été fait par l'Europe.
QUESTION - Monsieur le Président, qu'entendez-vous par partenariat culturel entre la France et l'Arabie saoudite sur lequel vous insistez beaucoup ?
LE PRÉSIDENT - Ce sont davantage de relations culturelles. Le nombre d'échange d'étudiants est insuffisant, la connaissance mutuelle n'est pas satisfaisante. Nous avons prévu de faire à l'Institut du monde arabe, auquel, vous le savez, j'entends redonner toute l'importance qu'il avait dans l'esprit de ceux qui l'ont lancé, nous avons prévu de faire fin 97, je crois, une grande exposition sur l'Arabie saoudite, et sous le titre, "Arabie saoudite tradition et modernité", de façon à ce que le plus possible de Français puissent prendre un contact et apprécier autrement que par des clichés la qualité à la fois de la civilisation et de l'actualité dans ce pays.
De la même façon, je pense que l'on devrait y enseigner davantage le français et que l'on peut de ce point de vue faire des progrès non négligeables. Je parlais tout à l'heure avec un archéologue saoudien qui se plaignait, à juste titre, - c'est une idée que je développe déjà depuis quelque temps - du fait que pratiquement aucun effort n'était fait dans son domaine ici en Arabie saoudite où, pourtant, il y a sans aucun doute beaucoup à faire et des sites à exploiter pour améliorer la connaissance du passé dans cette région.
Nous avons des liens sur le plan de l'archéologie avec l'Arabie saoudite, il y a trois grands archéologues saoudiens qui parlent couramment le français. Ce n'est pas suffisant, et là encore, je crois que nous pourrions faire un effort. Vous savez l'école française du Moyen-Orient a été un élément déterminant de la présence et de l'influence de la France dans cette région, et il ne faut pas le sous-estimer. Je le disais tout à l'heure, quand on ignore la culture, on bâtit sur du sable ! Donc je crois que là aussi on pourrait faire des progrès, je pourrais multiplier les exemples. J'ai évoqué notamment au cours des divers entretiens que j'ai pu avoir ces différents points. Je crois que si nous voulons avoir un vrai partenariat, il faut qu'il soit complet et l'aspect culturel est essentiel.
QUESTION - Au Sommet de Lyon, la France a déployé un effort pour confirmer des positions de principe vis-à-vis du processus de paix. Comment peut-on passer à l'exécution des principes concernant le processus de paix, principes qui étaient annoncés donc au Sommet de Lyon ?
LE PRÉSIDENT - Les principes qui étaient annoncés au Sommet de Lyon n'étaient rien d'autre que les principes sur lesquels reposent le processus de paix, ce qui avait été décidé lors de la Conférence d'Oslo, ce qui avait été décidé lors des accords de Taba, etc. Ce que nous avons fait, je le répète, je ne le développerai pas longuement, c'est simplement de dire aussi bien à Florence, qu'à Lyon et au Caire, que nous étions tous favorables au maintien de ce processus conformément aux règles et aux engagements qui avaient été souscrits.
QUESTION - Est-ce que vous pensez que la politique arabe de la France qui est jugée globalement positive et juste peut exercer une réelle influence sur la politique proche-orientale des Etats-Unis qui elle est jugée très pro-israélienne?
LE PRÉSIDENT - Vous savez, nous avons avec les Etats-Unis des relations constantes, amicales bien entendu, qui ne sont pas exemptes de difficultés parfois, c'est vrai, c'est normal, mais qui nous permettent de discuter. A Lyon, j'ai beaucoup discuté avec le Président américain, de Lyon nous sommes rentrés à Paris, nous avons passé toute une soirée ensemble à discuter, et je n'ai pas eu l'impression de parler à un mur. Je ne lui ai pas donné non plus cette impression, j'imagine. Autrement dit, les échanges existent. Alors je comprends parfaitement qu'aujourd'hui les Etats-Unis sont dans une situation un peu particulière puisqu'ils sont en campagne électorale, et chacun sait que, dans tous les pays du monde, la campagne électorale impose des contraintes. Mais je comprends parfaitement l'importance que les Etats-Unis attachent, et nous aussi, à la sécurité d'Israël, mais il faut qu'ils comprennent, et je l'ai dit au Président Clinton, que lorsque des engagements sont pris, il faut les tenir, sinon on risque de susciter une grande inquiétude d'où peut sortir le pire, le pire étant naturellement la reprise du terrorisme. Donc c'est une affaire à gérer avec délicatesse.
QUESTION - La radicalisation en Israël voit suivre un raidissement en Syrie. Les dernières conversations que vous avez eues avec les responsables syriens vous laissent-elles augurer une attitude positive de la Syrie, tant pour le règlement au Liban, que pour le processus de paix israélo-arabe ?
LE PRÉSIDENT - Il ne m'appartient pas de commenter les choses. Je dirais simplement que ce que vous appelez la radicalisation en Israël doit encore être confirmée. Je le répète, ne faisons pas de procès d'intention. Pour le moment, nous ne savons pas exactement quelle va être la politique que le gouvernement d'Israël va conduire à l'égard du processus de paix. Il est normal qu'il y ait une période d'évaluation avant de prendre des décisions, et c'est tout à fait évident, donc, attendons. S'agissant de la Syrie, elle s'est clairement exprimée à l'occasion du Sommet du Caire, et c'est ce que j'ai cru comprendre de la part du Président Hafez el Assad, et elle reste déterminée dans le cadre de la sauvegarde de ses intérêts, bien entendu, à être un des acteurs du processus de paix. Encore, faut-il connaître, comprendre et intégrer ses propres intérêts.
QUESTION - Une équipe française est arrivée en Libye pour faire une enquête au sujet de l'explosion d'un avion français. Quelle est l'évolution de ce processus et quelle est l'attitude de la France au sujet de la Libye, au cas où il serait prouvé que la Libye serait impliquée dans cet accident ?
LE PRÉSIDENT - Vous appelez cela un accident, c'est peut-être d'ailleurs un défaut de traduction, j'appelle cela plutôt un attentat, n'est-ce-pas ? Et nous avons toujours dit clairement que nous étions tout à fait prêts à reprendre des relations aussi normales que possibles avec la Libye, mais qu'il y avait un préalable. Et ce préalable était que la Libye n'entrave pas la poursuite de la justice. C'est la position d'ailleurs que les Anglais et les Américains ont prise pour l'attentat de Lockerbye. Alors, nous venons effectivement d'avoir l'accord de la Libye pour que la justice puisse se rendre sur place et faire un certain nombre d'auditions que le juge estimait indispensables. Nous verrons ensuite ce que le juge décidera. Je souhaite en tous les cas que, tant pour l'attentat français, que tant pour l'attentat de Lockerbye, la Libye accepte de se soumettre aux lois internationales concernant la justice.
QUESTION - Vous avez évoqué le dossier libanais avec Son Altesse et les responsables saoudiens. Au Liban, il y a des tensions maintenant qui persistent comme le risque d'une menace d'Israël de retirer ses troupes unilatéralement. Avez-vous évoqué ce dossier avec le Premier ministre libanais, avec le Président syrien et avec les responsables saoudiens, comptez-vous prendre une initiative après toutes ces rencontres avec les dirigeants arabes cette semaine?
LE PRÉSIDENT - Vous le savez, la position de la France a toujours été très claire sur ce sujet. Nous sommes pour l'application de la résolution 425 du Conseil de sécurité, ce qui veut dire pour le retrait des forces israéliennes du Liban, et nous n'allons pas changé, naturellement, de point de vue. Donc, je ne parlerai pas de menace israélienne. Si Israël se retirait du Liban, je considèrerais que c'est une victoire de la communauté internationale, puisque c'est la demande qui a été formellement exprimée par le Conseil de sécurité.
Rien aujourd'hui dans les initiatives ou les propos de responsables israéliens ne permet d'envisager une initiative de cette nature. Si elle l'était, je m'en réjouirais, pour le moment je me dispenserai de tout commentaire.
QUESTION - Vous disiez tout à l'heure qu'il ne faut pas faire de procès d'intention, qu'on est dans une situation d'attente en ce qui concerne le processus de paix, et qu'on va voir ce qu'Israël va faire. A votre avis, cette attente peut-elle se prolonger longtemps ?
LE PRÉSIDENT - Si cette attente peut se prolonger ? J'espère qu'elle ne se prolongera pas trop longtemps. Cela dépend. Si Israël décide de poursuivre le processus de paix, alors je souhaite qu'ils le disent le plus rapidement possible et poursuivent ainsi sur le chemin qui avait été emprunté. S'ils décidaient d'abandonner ce processus, alors je souhaiterais qu'ils prennent un peu plus de temps pour réfléchir. Le risque qui a été souligné par la plupart des responsables à Lyon, comme au Caire, c'est évidemment que l'incertitude conduise à une reprise du terrorisme. Ce n'est pas une hypothèse d'école, c'est un vrai risque. Il y a des gens, il y a des organisations qui ont intérêt à ce que les choses aillent mal, à ce que le processus de paix soit définitivement abandonné et à ce que le terrorisme reparte. C'est un vrai danger, il faut en avoir conscience.
QUESTION - Est-ce que vous avez trouvé le Roi Fahd inquiet quant à l'avenir du processus de paix, et avez-vous parlé du Liban et de l'Autorité palestinienne ? L'Arabie saoudite est-elle prête à débloquer des aides financières à ces deux parties ?
LE PRÉSIDENT - J'ai trouvé le Roi bien entendu inquiet, si j'ose dire, comme tout le monde. Nous sommes tous inquiets. S'agissant de l'aide à l'Autorité palestinienne ou au Liban, vous savez que le Royaume fait déjà un effort important, la France aussi d'ailleurs qui est le premier contributeur financier, je le signale, pour l'Autorité palestinienne. Mais, je dois dire que les autorités saoudiennes font un effort important aussi bien pour l'Autorité palestinienne que pour le Liban.
Je ne vous cache pas que j'ai indiqué au Gardien des Lieux Saints que plus l'Arabie saoudite s'engagerait dans le soutien matériel à l'Autorité palestinienne et à la reconstruction du Liban, mieux se serait de mon point de vue. Mais enfin il ne faut pas croire qu'ils sont absents.
QUESTION - Vous avez parlé juste maintenant des vieilles traditions de la région et il y a quelques années vous avez visité la ville de Djeddah en tant que maire de Paris, et maintenant vous revenez, le bienvenu bien sûr, en tant que Président de la République. Avez-vous évoqué vos impressions et avez-vous comparé les différences entres les deux visites ?
LE PRÉSIDENT - Oui, cela je l'ai dit à mes différents interlocuteurs parce que j'ai été, au sens propre du terme, stupéfait. En quelques années, Djeddah s'est complètement transformée, est devenue une grande ville moderne, dynamique et belle. J'ai d'abord naturellement souligné, en me référant un peu à mes anciennes fonctions de maire de Paris, l'effort extraordinaire qui a été accompli ici et qui a tout changé. J'ai souligné également la qualité urbanistique et architecturale. Hélas, ce n'est pas toujours le cas en Europe. Ici, on a réussi la synthèse entre la tradition et la modernité. Les urbanistes et surtout les architectes qui ont travaillé, qui d'ailleurs sont de toutes origines, se sont vus imposer des règles strictes qui ont permis de maintenir la cohérence de la ville, d'en faire une ville et des bâtiments très modernes, tout en conservant l'harmonie et le style traditionnel de cette terre. Et cela est un très grand succès. Il faut dire que j'ai été effectivement assez impressioné.
QUESTION - Avez-vous formulé pendant votre séjour des propositions concrètes quant au partenariat que vous proposez à l'Arabie saoudite ?
LE PRÉSIDENT - Oui, dans tous les domaines que nous avons évoqués, allant des problèmes culturels que je rappelais tout à l'heure jusqu'à la systématisation des échanges politiques et notamment des rencontres de ministres, des procédures pour échanger de l'information très rapidement, qu'il s'agisse de la politique en général ou de la sécurité en particulier, l'amélioration de nos relations économiques avec l'élaboration de procédures permettant de faciliter notamment les financements, que suggèrent des participations plus actives de la France en Arabie saoudite, y compris au niveau du développement du secteur privé. En bref, j'ai effectivement fait des propositions, qui d'ailleurs allaient tout à fait dans le sens de celles qui pouvaient intéresser mes interlocuteurs.
QUESTION - Les cercles arabes ont bien salué le grand succès diplomatique dans la région : les efforts de la France pour trouver une solution à la crise suscitée par l'invasion israélienne au Sud-Liban ainsi que ses efforts pour trouver un accord entre le Yemen et l'Erythrée. Néanmoin, certains cercles américains ont exprimé une inquiétude à propos du nouveau rôle français dans la région, ces mêmes cercles ont exprimé leur préoccupation vis-à-vis de la nouvelle politique française dans la région. Est-ce qu'il y aura à l'avenir une coordination franco-américaine pour trouver des solutions aux grandes questions de la région : la paix, le terrorisme, ainsi de suite ?
LE PRÉSIDENT - D'abord la concertation est à l'évidence une nécessité. On ne va pas se mettre chacun à prendre sa petite initiative pensant que c'est son propre intérêt. Ensuite, ce n'est pas seulement une concertation franco-américaine, d'abord c'est une concertation européenne, entre l'Europe, les Etats-Unis, les pays arabes. Alors, à l'intérieur de cette concertation qui doit être permanente, il y a forcément des liens particuliers qui se sont créés et qui permettent de développer plus facilement un processus d'entente. C'est vrai que la France a avec le Liban des liens très particuliers. C'est vrai qu'elle a avec l'Arabie saoudite, et entend les développer plus encore, des liens particuliers. Donc cette concertation d'abord est totale.
Alors, vous me dites que les Etats-Unis ont exprimé quelques réserves à l'égard des initiatives françaises, je l'ai lu effectivement ici ou là. Tout ce que je peux vous dire, c'est que je n'ai eu dans mes rapports très fréquents avec le Président Clinton aucune espèce de critique de cette nature ni de problème. Lorsque la France s'est engagée auprès du Liban, je crois effectivement que les Américains n'ont pas très bien compris dans un premier temps pourquoi nous le faisions et qu'ils ont ensuite admis que la France était un pays qui était fidèle à des traditions et à des amitiés qui justifiaient un certain nombre de comportements qu'on pouvait ne pas retrouver dans d'autres pays.
Je suis donc tout à fait décidé naturellement à me concerter avec tout le monde et notamment avec les Etats-Unis, mais je suis également décidé à ce que la France retrouve sa place et elle la retrouvera dans cette région du monde. Elle a eu une place importante, elle n'a pas d'arrière-pensées, elle n'a pas d'intérêts particuliers, si ce n'est son désir de paix, son appartenance à une très vieille civilisation qui est la civilisation méditerranéenne, et plus généralement, de l'ensemble de la région. C'est notre environnement et nous souhaitons qu'il soit calme, serein et développé. Et donc, nous entendons apporter notre contribution, dans la mesure naturellement où les pays de la région le souhaitent, notre contribution active, comme ce fut le cas dans le passé, et comme ce le sera dans l'avenir. Et je le ferai bien entendu sans aucune agressivité avec quiconque et dans le cadre de la plus grande concertation avec tout le monde.
Je vous remercie.
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