le Caire, le 25 octobre 1996
LE PRESIDENT MOUBARAK - Je souhaite la bienvenue à mon ami le Président Jacques CHIRAC. Nos relations remontent à 1975, c'est-à-dire, vingt et une années de connaissance. Je le rencontrais au Caire en visite privée. Je peux dire que c'est, sans doute, la personne qui m'a le plus poussé à promouvoir les relations franco-égytiennes du temps où j'étais Vice-Président.
Notre première rencontre date du temps où il était Premier ministre et où j'étais moi-même Vice-Président, et depuis ce temps là, les relations n'ont pas arrêté de se développer et de se renforcer. C'est pour cela qu'il est toujours le bienvenu en République arabe d'Egypte. Je lui dis : vous n'avez pas besoin d'invitation de ma part pour venir à n'importe quel moment au Caire. Il en est de même pour moi, je peux venir en France sans invitation. Le Président CHIRAC vient d'accomplir une très grande tournée au Proche-Orient. Il a été en Syrie, en Israël, en Palestine où il a rencontré les autorités palestiniennes, en Jordanie, au Liban et, ici même, où il passe quelques heures.
J'ai pu avoir connaissance des derniers résultats concernant les Palestiniens. La cause palestinienne est une cause centrale pour le processus de paix. Certes, la question palestinienne rencontre quelques difficultés mais il faudra les résoudre et que les accords soient appliqués afin que la paix soit instaurée dans la région.
Nous le disons avec le Président CHIRAC, nous le reconnaissons, c'est le rôle des Etats-Unis qui est le principal rôle pour le processus de paix. L'Europe a aussi son rôle à jouer dans cette question car elle est proche de la région, et, à sa tête, la France. Le Président CLINTON déploie des efforts considérables en faveur de ce processus de paix depuis qu'il est venu aux affaires aux Etats-Unis. Jusqu'au tout dernier Sommet à Washington, il a insisté en dépit des complications que connaissait ce processus, il a insisté pour que les choses aillent de l'avant. Encore une fois, soyez le bienvenu, Monsieur le Président Jacques CHIRAC, au Caire.
LE PRESIDENT - Je n'ai pas beaucoup de choses à ajouter, je voudrais saluer la presse égyptienne et dire à la presse française que je comprends l'envie qu'elle a de rentrer le plus rapidement possible. Je tiens à lui exprimer ma gratitude pour la patience dont elle a fait preuve.
En deux mots, avant de répondre à quelques questions, nous avons fait une revue complète des problèmes de la région et des problèmes bilatéraux franco-égyptiens, et une fois encore, nous avons constaté que nos approches des choses, nos analyses, nos inquiétudes, nos conclusions étaient tout à fait convergentes. Le mieux est de vous laisser maintenant nous poser quelques questions.
QUESTION - Monsieur le Président CHIRAC, après votre tournée dans les pays concernés par la paix : Israël, la Palestine, la Syrie, le Liban, la Jordanie et l'Egypte, comment envisagez-vous le futur du processus de paix et que pensez-vous de l'idée d'un envoyé spécial européen, concrètement quelles sont les mesures pour réaliser cette idée ?
LE PRESIDENT - J'envisage le futur du processus de paix avec une certaine inquiétude compte tenu des blocages que nous observons actuellement et avec un certain optimisme dû, d'abord à ma nature, et ensuite, au fait que je pense que ce processus est inéluctable. Il serait vain de vouloir le stopper. S'agissant d'un envoyé spécial européen, c'est une proposition faite, je crois par l'Italie, et la France est toute prête à se rallier à cette proposition.
QUESTION - Monsieur le Président MOUBARAK, le monde peut-il continuer de faire confiance à Monsieur NETANYAHOU qui, tous les jours, démontre un peu plus qu'il fait le contraire de ce qu'il dit ?
LE PRESIDENT MOUBARAK - Nous souhaitons d'abord parvenir à une solution de cette question et parvenir à l'objectif principal. Cela ne va pas plaire à certains, si je dis que cela fait à peine quatre mois que le Premier ministre NETANYAHOU est arrivé au pouvoir. Certes, ce n'est pas là une longue période, mais ce que je peux dire, c'est que je souhaite de tout coeur que l'on en vienne à résoudre cette question, à savoir appliquer les accords car c'est là la solution vraiment fondamentale. Si ces accords ne sont pas appliqués, ce sera véritablement un désastre. A ce moment là, nous pourrions nous dire que même les accords que l'Egypte a passés avec Monsieur BEGIN, pourraient être également reconsidérés. Et ceux que la Jordanie a également passés avec Israël pourraient ainsi être remis en question.
Donc, cela susciterait de très grandes inquiétudes dans la région. Il y a, aujourd'hui, une très grande perplexité en raison de la non application de ces accords. C'est ce que nous pouvons craindre. Quant à la rumeur selon laquelle l'Egypte aurait conseillé aux Palestiniens de reporter la signature de l'accord sur Hebron, M. ARAFAT aurait été prêt, prétend-t-on, à signer mais les Egyptiens lui aurait conseillé de ne pas le faire. A ceux qui prétendent cela, je dis : - ce sont des voisins, ils le comprendront - ce n'est pas vrai, ce sont des rumeurs infondées.
M. ARAFAT a-t-il renoncé à son intelligence pour que nous puissions, nous, lui dire ce qu'il faut qu'il fasse ? Il peut signer ce qu'il veut, c'est lui qui est responsable devant son peuple. M. NETANYAHOU m'a dit : vous pourriez être derrière cela, je lui ai répondu : non, c'est une rumeur totalement infondée, c'est d'ailleurs vous, qui avez commencé à répandre cette rumeur. Nous avons bien établi que nous étions, au contraire, tout à fait d'accord pour toute solution que M. ARAFAT signerait et qui serait bonne pour son peuple, car enfin, c'est devant son peuple qu'il est comptable et non pas devant le peuple égyptien.
QUESTION - Monsieur le Président CHIRAC, la France porte un intérêt évident à la stabilité économique et politique dans la région. Quel est le niveau de la représentation française dans la Conférence économique, et quels seraient les impacts de cette Conférence, notamment dans les circonstances actuelles ?
LE PRESIDENT - Toute conférence, rassemblement des hommes de bonne volonté aujourd'hui, qu'il s'agisse de la politique ou de l'économie, est importante. La France approuve totalement la Conférence du Caire, elle sera représentée au niveau ministériel. Naturellement, nous ferons tout pour qu'il y ait le maximum de chefs d'entreprises importantes françaises, mais aussi de petites et moyennes entreprises, donc, nous espérons beaucoup que cette Conférence soit un succès.
Vous aurez remarqué, j'ajoute juste une phrase, que la France soutient toujours les initiatives égyptiennes dans le domaine politique, comme dans le domaine économique ou financier, parce qu'il s'agit toujours d'initiatives sages, venant d'un pays qui est un peu la clef de voûte de cette région.
LE PRESIDENT MOUBARAK - La France va participer, bien entendu, mais également l'Europe et des responsables du monde entier. Des responsables officiels, des hommes d'affaires, vont en grand nombre participer à cette Conférence. C'est une Conférence économique qui ne peut que bénéficier d'une stabilité politique, car la stabilité politique sous-tend toujours la prospérité économique.
QUESTION - Concernant cette approche, vous dites une approche commune, une analyse commune, des conclusions communes. Avez-vous également des visions communes pour sortir de cette impasse actuelle ?
LE PRESIDENT MOUBARAK - C'est le Premier ministre israélien qui doit savoir quelle approche il a, et quelle vision il a. Nous, de notre côté, nous ne pouvons que fournir toute l'aide pour amener le processus de paix à bon port, enfin, que s'instaure dans la région, une paix juste et durable. Les gouvernements et les peuples pourront, à ce moment-là, s'atteler à la tâche du développement. Donc, pour cette question sur la vision, il faut que les lsraéliens comprennent qu'ils doivent se tenir engagés par les accords qu'ils ont signés. Si à chaque gouvernement nouveau qui arrive au pouvoir, on va faire exploser les accords conclus, c'est le désastre qui va régner. Si les travaillistes de demain reviennent et disent non sur le Golan, on va changer ceci, pour le Sinaï, on voudrait le récupérer, pour la Cisjordanie ceci ou cela, non ce n'est pas possible.
La vision est entre les mains du Premier ministre israélien. Nous ne demandons pas quelque chose de miraculeux. Vous savez, pour Taba, pour Eilat, cela a pris des heures pour négocier ces choses-là. Les deux délégations se réunissaient à dix heures du matin et restaient en séance jusqu'à trois heures du matin, avec tous les détails que cela impliquait. Donc, c'était un processus laborieux et on ne peut plus le remettre en question. Les accords signés doivent être appliqués. Ils ont été signés d'ailleurs aux Etats-Unis, et c'est la seule solution, de l'application des accords déjà engagés.
QUESTION - Monsieur le Président CHIRAC, vous avez choisi de vous arrêter au Caire et d'en faire la dernière étape de cette tournée au Proche-Orient, alors qu'on sait que les contacts sont nombreux, que les visites sont fréquentes entre les deux pays, les deux chefs d'Etat. Or, cette visite intervient en temps de crise, après la tournée que vous venez d'accomplir. Est-ce qu'après cette tournée, après les entretiens que vous venez d'avoir avec le Président MOUBARAK, vous avez trouvé que vos vues étaient identiques sur les causes de cette crise ?
LE PRESIDENT - Je pourrais être très bref. Oui, nous avons une identité de vue sur les causes de la crise. Le Président MOUBARAK en a parlé tout à l'heure sur les conséquences qu'il faut en tirer, sur les efforts qu'il faut poursuivre, et sur les inquiétudes que l'on peut avoir et les dangers. Nous avons effectivement sur tout cela, une identité de vue.
QUESTION - Monsieur le Président CHIRAC, vous touchez à la fin de votre tournée au Proche-Orient. Pourriez-vous nous faire un bilan de ce que vous croyez avoir accompli pendant ces sept jours ?
LE PRESIDENT - Il est toujours difficile de faire un bilan à chaud, car on risque fort de ne pas avoir tous les éléments d'appréciation nécessaires. Ce qui est sûr, c'est que j'ai mieux compris les éléments de la crise que connaît actuellement le processus de paix. Que j'ai mieux apprécié le rôle qui devait être celui de tous les hommes de paix. Que j'ai pu, notamment tout à l'heure avec le Président MOUBARAK, voir quels étaient les messages que l'on pouvait faire passer, discrètement ou officiellement, pour essayer d'améliorer un peu les choses. Voilà le bilan provisoire de cette visite.
QUESTION - Quel est votre point de vue dans ce que le Président MOUBARAK a proposé pour chercher un moyen de punir le régime et non pas le peuple, par exemple l'Irak.
LE PRESIDENT - Je vais essayer d'être bref, parce que je suppose effectivement que vous visez l'Irak. J'ai eu l'occasion à plusieurs reprises de m'exprimer. Je crois d'ailleurs que le Président MOUBARAK partage le même sentiment que moi. Nous sommes dans ce domaine favorables à l'application, naturellement, de toutes les résolutions des Nations Unies, mais seulement de ces résolutions, et deuxièmement, favorables à la mise en oeuvre de la résolution 986 qui prévoit l'échange du pétrole contre la nourriture et les médicaments de façon à essayer d'enrayer la dramatique dégradation de la situation économique et sociale du peuple irakien qui n'est pour rien dans tout cela.
Je voudrais dire un mot avec l'autorisation du Président MOUBARAK. Un mot qui s'adresse, c'est vrai, surtout aux journalistes français, j'aurai dû le dire en France, mais j'ai toujours un peu de mal à me sentir à l'étranger lorsque je suis en Egypte. Je voudrais profiter de cette occasion pour dire aux journalistes, mais se sont surtout les Français qui sont intéressés, que je viens de recevoir les chiffres de l'excédent du commerce extérieur français pour le mois d'août. Ils s'élèvent à 13,9 milliards de francs. C'est le plus fort excédent historique depuis qu'il existe des statistiques du commerce extérieur français. En huit mois, nos excédents mensuels ont augmenté de 20%. Ce résultat est dû exclusivement à l'augmentation des exportations puisque les importations sont restées stables, mais ces résultats sont dus surtout à nos exportations sur l'Union européenne et le Moyen-Orient. Ce n'est pas étranger à la détermination de la diplomatie française de se mettre aussi au service de l'emploi dans notre pays. Je rappelle qu'un excédent de 70 milliards représente un point de croissance pour notre économie, c'est-à-dire, 250 000 emplois. Au terme d'un nouveau voyage où je me suis efforcé également de défendre les intérêts de la France, comme je le fais depuis que je suis élu, je voulais souligner que ces résultats n'étaient tout de même pas négligeables. Je remercie le Président MOUBARAK d'avoir accepté que je parle ici, comme si j'étais en France.
LE PRESIDENT MOUBARAK - Vous êtes un brillant avocat des intérêts français, je puis l'assurer.
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