Bruxelles, Belgique, le mercredi 16 juillet 1997
LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs,
D'abord, merci d'être venus à ce point de presse. Je voudrais remercier Jean-Luc DEHAENE. C'est un ami, pour moi, déjà depuis longtemps.
Je me fais une réflexion. Nos intérêts, nos relations, nos sentiments sont si imbriqués, si intenses, si nombreux, si anciens entre la Belgique et la France que l'on s'interroge parfois sur l'opportunité de rencontres officielles, tant les rencontres ordinaires sont naturelles, le téléphone spontané. Et pourtant, comme le remarquait le Premier ministre, ces relations sont utiles et nécessaires.
Dans la voiture, le Vice-Premier ministre, ministre des Finances belge, qui a eu la gentillesse de venir me chercher, me disait : "Nous avons maintenant une relation régulière, indépendamment de nos relations naturelles entre ministres des Finances de Belgique et de France, et c'est une chose extrêmement positive". Je sais que c'est vrai, également, pour le ministre français des Affaires étrangères qui, naturellement, m'accompagne. Il est dans la même situation avec son collègue belge.
Pourquoi est-ce que je souligne cela ? Parce qu'au fond, ici, on est un peu en famille, les uns chez les autres. Je parlais de l'intensité de nos relations. Je ne parle pas de la francophonie, naturellement, pour beaucoup de Belges et de Français, de nos relations, d'ailleurs avec la Flandre aussi qui, sur le plan culturel, sont aussi intenses et aussi importantes.
Mais sur le plan économique - je me faisais donner les chiffres par curiosité - et je notais que la France était le troisième fournisseur du Benelux et son second client, que la France avait mille filiales qui emploient 170 000 salariés en Belgique et que la France est le deuxième investisseur étranger en Belgique. Je notais, également, que les entreprises belges emploient 46 000 personnes en France et que 10 millions de Belges passent 33 millions de nuitées en France chaque année.
J'étais, l'autre jour, il y a peu de temps, dans un grand hôtel parisien pour une rencontre et, en sortant, je parlais avec le directeur que je connais. Nous parlions, naturellement, du marché, de ses affaires et, à ce moment-là, arrive un car, un magnifique car d'ailleurs, dont j'observe qu'il était immatriculé en Belgique ; en descendent une quarantaine ou cinquantaine de personnes qui entrent dans l'hôtel. Je dis au directeur : "Voyez, là je vois que vous avez une clientèle étrangère constante et importante, je vous félicite". Il me dit : "Ce ne sont pas des étrangers, ce sont des Belges". Il y a du vrai dans tout cela.
Nous avons, naturellement, parfois comme dans toutes les familles, et je dirais, notamment, les familles unies, un problème, une crise, un drame qui surgit d'un coup. C'est tout à fait évident. Vilvorde a été un gros problème, notamment compte tenu de la façon, je le reconnais bien volontiers - je l'avais dénoncé immédiatement en Conseil des ministres -, dont les choses ont été présentées. Le Premier ministre évoquait les difficultés que crée, pour la Belgique, le fait que la France conserve une exception Schengen sur sa frontière nord, en raison du trafic de stupéfiant en provenance de Hollande, alors que la Belgique n'y est, naturellement, pour rien du tout.
Mais quand on y réfléchit, on se dit que ces contentieux, que l'on compte sur les doigts d'une main, même si certains sont tout à fait dramatiques, ne sont pratiquement rien par rapport à l'importance de nos relations, de toute nature, politique, économique, culturelle.
Je voulais simplement dire, en terminant par là - pour le reste, le Premier ministre vous a dit ce dont nous avions parlé et nous allons maintenant répondre naturellement à vos questions - qu'il y a entre nos deux pays une unité qui se traduit d'ailleurs par le fait que, dans tous les problèmes importants internationaux, qu'il s'agisse de l'Union européenne, de l'OTAN, au-delà du détail, dès que l'essentiel arrive, tout naturellement et spontanément, nous avons une vision commune des choses et nous nous apportons un appui réciproque.
Voilà, ce que je voulais dire. C'est pour cela que j'étais content, aujourd'hui, de venir témoigner mon estime et mon amitié au Premier ministre et, au-delà de lui, à son Gouvernement mais, surtout, à l'ensemble du peuple belge avec lequel, je le répète, la France a une relation sentimentale privilégiée.
Je suis prêt, naturellement, maintenant avec M. DEHAENE, à répondre à vos questions.
QUESTION - Un homme politique de ce pays, M. Claude EERDEKENS, qui est Président du groupe socialiste à la Chambre des députés, a déclaré, il y a peu de temps, que les Belges francophones n'auraient absolument rien à perdre à réintégrer la République française. Qu'est-ce que la France et les Français auraient à gagner dans cette hypothèse ?
LE PRÉSIDENT - Vous n'attendez pas de moi une ingérence dans les affaires intérieures belges ? Non. Je vois que nous nous sommes compris. La France a toujours été très attachée, si j'ose dire, sur le plan amical, à l'unité de la Belgique comme à l'unité de la France, ou d'ailleurs, à l'unité de l'ensemble de nos pays amis. Je n'ai donc pas de commentaires à faire sur ce sujet qui n'a pas été sur notre agenda et j'en parlais avec le ministre français des Affaires étrangères qui a eu une conversation approfondie avec son collègue belge et j'observe qu'il n'a pas, non plus, mis ceci à l'ordre du jour de ses discussions.
QUESTION - Mais sur le fond, vous n'avez pas de...
LE PRÉSIDENT - Non, je n'ai pas. Je veux vous dire, pas du tout même. Parce que, tout simplement, c'est un problème belge. Moi, je respecte et je suis attaché à l'unité de la Belgique. Point final.
QUESTION - Je suis content d'entendre que pour Dassault, cela semble s'arranger. Renault, c'est l'entreprise, mais Schengen ? Est-ce que là, la France et la Belgique vont bientôt arriver à une solution ?
LE PRÉSIDENT - Pour Dassault, je vais confirmer ce qu'a dit le Premier ministre. Chacun sait que la divergence de vues portait sur un certain nombre de documents que la justice belge souhaitait obtenir et que la justice française ne voulait pas transmettre. Le ministre français de la Justice, Mme GUIGOU, a réexaminé, personnellement, cette affaire, s'en est entretenue avec son homologue belge, et a décidé, sagement, de transmettre tout ce qui était transmissible et que souhaitaient les autorités belges, enfin la justice belge. Je crois que l'accord est maintenant conclu et c'est demain que se feront ces transferts de documents.
Pour Schengen, c'est un peu différent. Cela me fait toujours de la peine de parler de Schengen avec Jean-Luc DEHAENE parce qu'il a des arguments tellement évidents et tellement forts que je suis toujours gêné pour lui répondre. J'ai l'impression que c'est, peut-être, le seul sujet sur lequel on ne parle pas la même langue.
Je disais au Premier ministre, tout à l'heure, que je m'étais fait donner les chiffres avant de partir, et que sur les dix-huit mois qui viennent de passer, 6 600 personnes ont été interpellées. 254 kg d'héroïne ont été saisis entre autres. Je ne parle pas des autres drogues. 15 000 comprimés d'ecstasy ont été saisis. L'ecstasy est une saloperie épouvantable. Les conséquences sur les gens qui en usent, et ensuite en abusent, sont tout à fait dramatiques.
Je note d'ailleurs que la criminalité dans la zone frontalière, si j'en crois les statistiques belges, a sensiblement baissé. Plus de 70 % des 254 kg d'héroïne venaient, ce qui fait, tout de même, une chose importante, du Benelux mais pour l'essentiel, naturellement, des Pays-Bas et la totalité ou 90 % d'ecstasy également, puisque la plus grande partie de l'ecstasy est fabriquée aux Pays-Bas.
Cette affaire de drogue est une affaire dramatique, il faut bien le reconnaître. La consommation de drogue dans le monde augmente. Et cela, c'est l'aliénation assurée. C'est le drame épouvantable dans les familles. Cela détruit les structures familiales et sociales. Cela détruit les individus, cela détruit tout ! Donc, tout doit être fait pour lutter contre ce qui est en réalité l'une des choses les plus indignes de notre société, tout.
Nous avons en Europe, et notamment en Belgique, des législations qui sont tout à fait adaptées, ou aussi adaptées que possible, mais malheureusement ce n'est pas le cas des Pays-Bas. Nous voulons aussi contrôler autant que faire se peut, l'arrivée de la drogue, ecstasy, héroïne ou le reste, en provenance des Pays-Bas qui détruit notre jeunesse.
Alors, naturellement, le Premier ministre me dit : "Mais il faut qu'on ait, qu'on voit dans quelle mesure on ne peut pas compenser le retrait des contrôles par une coopération policière plus importante". Je suis tout à fait d'accord et je suis tout à fait favorable à une réunion qui pourrait avoir lieu, par exemple, à Bruxelles entre le Luxembourg, la Belgique, la Hollande, l'Allemagne et la France. Je suis tout à fait disposé, naturellement, et même au niveau des chefs d'Etat et de Gouvernement, à m'y rendre.
M. DEHAENE - Je voudrais simplement confirmer que ce n'est pas au niveau de la politique par rapport à la drogue que nous avons quelques divergences de vues. Au contraire, nous avons la même approche. Si divergences de vues il y a, c'est que la France considère qu'elle peut lutter contre cela par des contrôles frontaliers alors que nous défendons que ce sont par d’intenses coopérations policières au-delà des frontières que l'on peut le mieux s'y attaquer. Je pense, qu'en effet il y a eu des contacts intenses entre les Pays-Bas et la France qui ont permis des progrès. Si on peut s'y mettre à cinq, on pourra arriver à des solutions.
LE PRÉSIDENT - Je crois que c'est la sagesse.
QUESTION - La Commission européenne vient de rendre public son " Agenda 2000 ". Elle a annoncé sa propre sélection des pays qui seront appelés à négocier leur entrée dans l'Union européenne dans les années qui viennent. Etes-vous d'accord avec cette sélection et n'avez-vous pas le sentiment d'avoir un peu court-circuité des choix qui formellement doivent relever du Conseil ?
LE PRÉSIDENT - Mais, je n'ai pas le sentiment que la Commission ait voulu se substituer au Conseil. Nous avons d'abord décidé, et c'était d'ailleurs un point sur lequel la Belgique et la France étaient d'accord, qu'il n'y avait pas a priori et que les dix pays candidats partaient sur la même ligne. Deuxièmement, que la Commission étudiait chacune de ces candidatures, elle a fait d'ailleurs un travail considérable pour déterminer quels étaient les pays qui répondaient aux critères ou qui étaient susceptibles de répondre plus au moins vite aux critères, notamment économiques mais aussi politiques, de l'adhésion. La Commission a fait ce travail extrêmement important. Le Premier ministre de la République tchèque me disait récemment avec un peu d'humour : "J'ai reçu un mètre cinquante de dossiers à remplir". J'ai dit : "oui, il faut savoir ce que vous voulez, n'est-ce pas ? Si vous voulez entrer dans l'Union européenne, il faut nous donner un certain nombre d'informations et la Commission a raison de vous demander ces informations". Donc, la Commission n'a pas choisi des pays. Elle suggère. Elle constate que certains pays sont plus près que d'autres à entrer mais, naturellement, c'est sur son rapport que le Conseil européen prendra des décisions.
QUESTION - Vous avez même dit que si la Commission n'avait pas pris des positions claires par rapport à chacun des pays, elle n'aurait pas fait son boulot.
LE PRÉSIDENT - Eh oui ! Alors, il y a un tout petit problème à mes yeux - je m'en suis ouvert au Premier ministre belge qui m'a dit qu'il y réfléchirait - parmi les cinq pays que la Commission considère comme aptes à franchir les premiers la porte, il y a l'Estonie. Ce qui pose un petit problème. Doit-on considérer les trois Pays baltes ensemble, ce qui est la position d'au moins deux d'entre eux à ma connaissance, ou bien peut-on considérer qu'ils peuvent entrer à des dates différentes ? A priori, la France est favorable a une entrée ensemble des trois Pays baltes, sauf, naturellement, si la Commission ou le Conseil engagent une négociation diplomatique, un contact diplomatique, pour voir ce qu'il en est dans ces pays, s'ils acceptent ou non de se dissocier.
QUESTION - Monsieur le Président, la Belgique est devenue depuis quelques décennies un Etat fédéral, et donc, un certain nombre de compétences ont été données aux régions et non plus aux régions fédérales et, en particulier, les compétences culturelles. Or, la France, malgré la demande de la communauté française de Belgique, n'a pas encore signé un accord culturel linguistique avec la communauté française ? Trouvez-vous cette situation normale ?
LE PRÉSIDENT - Je suis au courant.
M. DEHAENE - Je ne puis que confirmer que cela fait partie de l'autonomie des communautés de faire des accords culturels avec les pays qui le désirent. Où en est la communauté française avec la France, M. l'Ambassadeur peut, peut-être, nous le dire ? (...)
LE PRÉSIDENT - Moi, je vais vous dire que les relations culturelles entre la Belgique et la France sont intenses, spontanées, naturelles, considérables et nous nous en réjouissons. Je voudrais tout de même noter que rien que cette année, parmi les événements majeurs, il y a trois expositions qui sont des expositions de standing mondial : Paris-Bruxelles, Rodin en Belgique, et Verhaeren, un musée imaginaire. Bon, quand on est capable de prendre des initiatives de cette importance, c'est que les relations culturelles sont tout de même excellentes. J'ajoute que nous avons mille quatre cents accords universitaires franco-belges. Alors, vous voyez que nous ne sommes pas dénués de relations et de liens.
QUESTION - Si vous le permettez, j'ai deux questions. D'abord, est-ce que vous avez évoqué l'Union monétaire, et est-ce que vous avez le même calendrier, est-ce que vous parlez d'une seule voix à ce niveau-là ? Et une deuxième question, vous dites que tous les documents transmissibles dans l'affaire Dassault seront transmis. Cela veut-il dire que certains documents ne seront pas transmis, combien, pourquoi et lesquels ?
LE PRÉSIDENT - Je crois qu'il y a un ou deux documents qui touchent à la sécurité nationale française, qui n'ont d'ailleurs pas, me semble-t-il, d'intérêt pour la justice belge mais qui posent un problème de principe. En dehors de cela, tous les documents ont été ou seront transmis demain.
Sur l'Union économique et monétaire, c'est évidemment un sujet qui a été abordé d'une part, par le ministre français des Affaires étrangères avec son collègue belge, et ce que nous avons évoqué tous les deux, le Premier ministre et moi. Pour vous résumer en une phrase notre position, nous sommes, la Belgique et la France, très exactement sur la même ligne - ce qui est d'ailleurs aussi le cas de l'Allemagne et d'autres - c'est-à-dire pour la mise en oeuvre de la monnaie unique à la date et dans les conditions prévues par le Traité de Maastricht. C'est la position de la France, c'est celle de la Belgique, c'est celle de l'Allemagne et celle d'un certain nombre d'autres.
QUESTION - Je crois qu'il y a eu une petite incompréhension dans une précédente, au sujet des relations entre la France et ce que nous appelons, ici, la communauté française de Belgique, c'est-à-dire les Belges francophones. Ce que demandent les Belges francophones, c'est une relation directe avec la France comme celle qui existe, par exemple, avec le Québec. Va-t-il y avoir une relation directe de Paris avec Namur ? Et est-ce que c'est quelque chose que la France commence à envisager ? Elle qui est un Etat centralisé, a peut-être du mal à saisir, si vous voulez ?
LE PRÉSIDENT - Oui, nous avons du mal, je le reconnais bien volontiers, ce n'est pas exactement dans notre conception, ce n’est pas dans notre culture. Nous n'avons pas de relations avec une partie particulière de la Belgique. Nous ne choisissons pas en Belgique les communes ou les cantons - je ne sais pas d’ailleurs s'il y a des cantons en Belgique - avec lesquels nous aurions des relations privilégiées, n'est-ce pas ? Nous avons des relations très privilégiées, mais avec toute la Belgique !
QUESTION - A propos des questions africaines, peut-on savoir si vous partagez, Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, les mêmes vues sur le nouveau pouvoir en place à Kinshasa ?
LE PRÉSIDENT - Je crois que oui, enfin, je le pense.
M. DEHAENE - Je pense, en effet, qu'il y a d'une part, une approche commune de la part de l'Union européenne que nous partageons tous, et il y a une troïka qui ira à Kinshasa incessamment, et où, j'espère, viendront les signaux qui permettront de reprendre la coopération avec le Congo. Dans ce cadre, nous, du côté belge, le ministre des Affaires étrangères a rencontré son homologue congolais et le ministre du Développement se rendra à Kinshasa incessamment et je pense que, de ce point de vue là, nous avons une approche commune et nous maintenons d'ailleurs les contacts intenses avec la France pour cette problématique et nous avons confirmé que nous désirons, de part et d'autre, que cela se poursuive.
LE PRÉSIDENT - Je voudrais simplement ajouter deux choses. La première, c'est que nous souhaitons un renforcement de la concertation entre la Belgique et la France, pour ce qui concerne les problèmes africains, et nous sommes convenus de renforcer cette coopération, cette stratégie commune, notamment, en demandant aux deux ministres compétents de la Coopération, pour ce qui concerne la France, il s'agit de M. JOSSELIN, qui est ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, nous avons donc décidé de renforcer la relation entre nos deux Gouvernements par le biais de nos deux ministres sur ce point.
J'avais juste une deuxième question sur laquelle, personne ne l'a posée, mais je vais quand même y répondre. C'est que nous sommes également sur la même ligne par rapport à l'appui que nous apportons à la Commission dans la position qu'elle a évoquée sur l'affaire Boeing-Mac Donnel. C'est-à-dire, la condamnation, ou les conditions, que la Commission entend mettre à cette opération, qui pourrait être extrêmement dangereuse pour les intérêts européens. Nos deux Gouvernements sont sur la même ligne en ce qui concerne l'approbation de la position de la Commission.
Je vous remercie.
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