Palais de Lopez, Assomption, Paraguay, le dimanche 16 mars 1997
QUESTION -
Ma deuxième question : vous venez de donner les trois points de ce que pourraient être les deux journées du Sommet : le premier étant un aspect politique, le deuxième économique, le troisième éducation. Concernant le deuxième point économique, le Mexique, qui est un pays latino-américain et également membre de l'ALENA, espace économique régional, équivalent à celui de l'Union européenne, sera-t-il invité à ce Sommet ?
LE PRÉSIDENT - J'ai eu l'occasion de dire à plusieurs reprises que, bien entendu, avant de faire cette proposition, j'avais consulté nos partenaires. D'abord M. AZNAR, ensuite M. GUTTIEREZ, la présidence hollandaise et plus généralement nos autres partenaires, en particulier le Chancelier KOHL, enfin je ne vais pas tous les citer. J'avais trouvé chez tous un avis tout à fait favorable. J'avais d'ailleurs également informé la présidence de la Commission.
Deuxièmement, j'ai indiqué comment je voyais cette réunion. Vous aurez peut-être observé que j'ai dit : "premièrement, MERCOSUR-Union européenne, deuxièmement, le lendemain, Groupe de Rio". Alors le Mexique fait partie du Groupe de Rio, je crois, et donc la réponse va de soi.
QUESTION - Une question qui s'adresse à M. le Président de la République française. Un recul éventuel, du point de vue politique au Paraguay, à la suite de l'accès au pouvoir de puissances autocrates qui ont un concept extrêmement restreint du processus d'intégration, dans une telle hypothèse, est-ce que cela pourrait affecter les relations entre MERCOSUR et l'Union européenne et, en particulier, l'assistance économique dont a besoin le Paraguay pour se développer ? Dans quelle mesure une telle hypothèse aurait-elle une influence sur ces relations ?
LE PRÉSIDENT - Je ne veux naturellement pas faire d'ingérence dans les affaires intérieures du Paraguay. Mais l'idée d'un retour en arrière me paraît une hypothèse d'école, c'est-à-dire me parait impossible. Si vous observez toutes les intégrations régionales, vous verrez qu'il n'y a pas d'exemple de retour en arrière, et donc je n'y crois pas.
M. WASMOSY - Le Paraguay, à l'époque, n'était pas à l'intérieur de l'intégration avec le Brésil et l'Argentine, parce que le système, à l'époque, n'était pas démocratique. Une des conditions essentielles de l'inclusion dans un processus d'intégration était justement la démocratie. Alors, ceux qui ne seraient pas d'accord avec les différents éléments, il est évident que si le Paraguay n'était pas d'accord avec tout cela, il devrait sortir du MERCOSUR.
QUESTION - Monsieur le Président, nous sommes, nous les journalistes, un peu attentifs aux images. Lorsque je vois, j'allais dire la brochette, tous les militaires derrière vous, je me dis que finalement le système militaire n'est pas aussi loin de cela peut-être. Est-ce que je me trompe ?
M. WASMOSY - Vous vous trompez totalement. La France est immortelle, vous le savez, elle a été envahie, certes, mais jamais vaincue. Le Paraguay a connu deux guerres : une guerre d'extermination et une guerre victorieuse. C'est la raison pour laquelle les Paraguayens sont fiers de porter l'uniforme militaire. Aujourd'hui, étant donné le nouveau rôle qui est celui des forces armées, ce sont eux qui sont les gardiens jaloux de notre démocratie et ils nous ont donné la preuve il y a à peu près un an. S'il y a une modification de l'ordre constitutionnel, alors à ce moment là, ce sont eux les garants et le peuple le sait.
LE PRÉSIDENT - J'ajoute tout de même, premièrement qu'ils sont très élégants, deuxièmement que moi aussi j'ai un militaire également très élégant (NDLR : l'Aide de Camp) et troisièmement que si vous assistez aux cérémonies officielles à l'Elysée lorsque je reçois quelqu'un, vous voyez aussi toute une série de militaires, et notamment nos gardes qui sont également très beaux.
QUESTION - Monsieur le Président, dans cette tournée latino-américaine sont inclus les pays membres du MERCOSUR plus la Bolivie, qui va entrer prochainement sans doute dans le MERCOSUR, mais, toutefois, vous n'avez pas inclus le Chili dans votre tournée. J'aimerais bien savoir pourquoi et si cela a quelque chose à avoir avec le fait que le Chili a été contre les essais nucléaires sur l'atoll de Mururoa ? Est-ce qu'il y a un rapprochement à faire ?
LE PRÉSIDENT - Je vais vous dire, ce n'est pas pour cette dernière raison, sinon je ne serais allé nulle part en Amérique latine, parce qu'il n'y a pas que le Chili à ma connaissance, tous les pays de l'Amérique latine ont été contre, et ont condamné nos essais nucléaires, ça c'est une page tournée.
J'aurais beaucoup aimé aller au Chili. Je le souhaitais vraiment, mais mon voyage dure déjà huit jours et des raisons, tout simplement de politique intérieure, exigent que je ne m'absente pas trop. Donc, j'ai limité cette visite. J'irai naturellement au Chili. Je regrette de ne pas y être allé. Je reçois le Président chilien, M. FREI, dans quelques semaines, très prochainement et évidemment, j'irai le plus vite possible au Chili, ainsi que dans tous les autres pays de l'Amérique latine, c'est un problème d'emploi du temps et non pas du tout de choix politique.
QUESTION - Ma question s'adresse aux deux Présidents. Hier, le Président de la République française a longuement parlé de la lutte contre la drogue avec son homologue brésilien et au Congrès et il nous en a fait part lors de sa conférence de presse en Bolivie. Je voudrais savoir si ce sujet a été abordé dans vos entretiens. Que pensez-vous, Monsieur Jacques Chirac, Monsieur le Président, de ce problème de la lutte contre la drogue, ici au Paraguay ?
LE PRÉSIDENT - Un mot avant la réponse du Président du Paraguay. La drogue cela touche le monde entier et j'ai dit, hier, en Bolivie, que c'était une responsabilité partagée. Le problème, ce n'est pas d'accuser les uns ou les autres, les producteurs ou les consommateurs. Le problème, c'est d'associer nos efforts dans la lutte contre ce phénomène dont les conséquences sont dramatiques à tous égards. Notre coopération avec le Paraguay est, de ce point de vue, excellente. Nous l'avons naturellement évoqué mais la coopération est très bonne.
M. WASMOSY - Je voudrais vous dire que le Paraguay ne produit pas ce genre de drogue. En fait, il y a des délinquants qui existent, bien sûr, c'est un pays de transit pour l'Europe et pour les Etats-Unis, mais très peu naturellement. Nous avons abordé la question, c'est évident. Nous en avons conclu que c'est une question mondiale. C'est la responsabilité de tous et s'il n'y a pas une stratégie d'ensemble, en donnant à chacun sa responsabilité qu'il doit assumer, alors, on ne va pas trouver une solution, on ne trouvera pas une réponse mais le Paraguay s'engage profondément contre le blanchiment.
QUESTION - Monsieur le Président, vous avez dit que le MERCOSUR serait la troisième puissance mondiale dans le prochain siècle. Je voudrais savoir quelles sont les raisons de votre opinion, de votre affirmation ?
LE PRÉSIDENT - Le développement prévisible du MERCOSUR, le potentiel de cette région, sont considérables. En six ans, les progrès qui ont été faits, sont des progrès énormes et, en tant qu'Européen et très impliqué dans la construction européenne, je peux vous dire, que ce sont les débuts qui sont les plus difficiles, parce qu'il faut modifier les habitudes, changer des traditions, des comportements, des cultures économiques ou financières.
Et quand on voit l'énergie qui a été mise au service du développement, grâce c'est vrai aussi, sur le plan politique à la démocratie, si on extrapole, on peut dire sans aucun risque, que le MERCOSUR sera demain la troisième puissance économique du monde. Comme il est évident, pour l'observateur de l'extérieur que je suis, que cette intégration régionale est destinée à s'approfondir et à s'élargir, comme on le voit partout pour l'ASEAN, en Asie du sud-est, pour l'APEC, pour l'Union européenne bien sûr.
Alors, on peut dire sans se tromper que la région latino-américaine, après avoir été la troisième puissance économique du monde, sera sans aucun doute la première ex aequo si j'ose dire. C'est ça la perspective, la vision que l'on peut avoir pour les 25 ans qui viennent. Comme cela quelques grandes puissances régionales économiques doivent prévoir, dès maintenant, leur développement dans l'harmonie et non pas dans le conflit. C'est pourquoi, il n'est pas trop tôt pour mettre en place les structures de concertation, d'évolution permettant à ces puissances de se développer dans l'harmonie et non pas dans le conflit.
QUESTION - Monsieur le Président, ne craignez-vous pas que cette offensive française se concentre dans les grands pays du MERCOSUR au détriment des petits pays comme Paraguay, Uruguay et Bolivie, ce qui pourra aggraver le déséquilibre régional, à l'intérieur du MERCOSUR et de l'Amérique latine ?
M. WASMOSY - Non, moi je n'en ai pas peur du tout, absolument pas. Je crois que le processus d'intégration est né comme un système pour nous aider tous. Le transfert de technologie de pays avancé vers des pays qui le sont moins, qui sont en développement permettent l'intégration. Nous avons besoin les uns des autres, c'est évident. Il y a des avantages comparatifs qui sont tout à fait salutaires en faveur de l'Uruguay, du Paraguay, de la Bolivie par rapport à l'Argentine et au Brésil.
De toute façon en réalité, il y a des avantages et des inconvénients partout, mais en fait ce que l'on recherche, ce ne sont pas des avantages ou des inconvénients, ce que l'on cherche en fait c'est, d'ici dix ans, une véritable intégration. Une intégration complète.
En Europe, ils ont commencé par six puissances. Nous, nous commençons et nous faisons même des pas en avant gigantesques en six ans, et même, s'il y a une certaine asymétrie sur le plan économique entre nos pays, s'il y a des différences entre nos pays en ce qui concerne l'inflation, eh bien, il est évident que tous les chiffres macro-économiques doivent converger les uns vers les autres grâce à l'intégration précisément.
Il est évident que chacun apporte ses avantages aussi bien au sein du MERCOSUR qu'en dehors du MERCOSUR. Par exemple, nous avons des avantages économiques en ce qui concerne les impôts sur le revenu. Il n'y a pas de loi sur les investissements. Il y a une liberté d'exportation des bénéfices dans le pays que l'on veut, dans la devise que l'on veut. Le prix de l'énergie, vous pouvez le comparer avec d'autres pays qui sont de 30 à 40 centimes, alors que nous, c'est un millième de dollar. Le Brésil, en fait, veut même augmenter ses tarifs, vous vous rendez compte.
Nous, en fait, nous avons de l'énergie en abondance, nous avons des terres vierges, nous avons des jeunes, 70% de notre population n'a pas plus de 35 ans de telle sorte, qu'en fait, moi je n'ai absolument pas peur de relever le défi. En fait, j'ai peur de l'égoïsme, ça c'est tout à fait autre chose. L'égoïsme me fait peur, c'est-à-dire l'esprit qui veut désintégrer, qui veut démanteler les choses, et malheureusement dans le monde, il y a encore des gens comme cela.
Mais je peux confirmer que la seule issue de tous les pays, quels qu'ils soient, non seulement en Amérique du Sud, mais en Europe et en Afrique. La seule solution c'est l'union, l'union entre tous pour que tous nos concitoyens voient des jours meilleurs.
LE PRÉSIDENT - J'ai cru comprendre que vous demandiez si des relations privilégiées avec le Brésil et l'Argentine ne vont pas creuser l'écart avec l'Uruguay et le Paraguay ou la Bolivie.
Naturellement non, sans intégration cela creuserait l'écart mais avec l'intégration, déjà, nous parlons de moins en moins de relations franco-brésiliennes, franco-euro-brésiliennes, euro-argentines, etc. Nous parlons de relations avec le MERCOSUR. C'est avec le MERCOSUR, c'est au MERCOSUR que nous pensons.
Quand nous pensons au Paraguay, nous pensons aux cultures, nous pensons politique, nous pensons économie aussi naturellement, mais nous pensons à des relations qui nous permettent par le Paraguay d'entrer au Brésil, d'entrer en Argentine, d'entrer ailleurs. Pour nous, le Paraguay c'est 40 millions d'habitants, c'est-à-dire le Paraguay et ce qui est autour. A partir du moment où il y a intégration pour nous, c'est 40 millions d'habitants, au-delà de la réalité politique.
Je vous dirais, deuxièmement, que dans un concept d'intégration régionale, ça aussi, c'est une expérience que nous avons faite, il n'y a pas de petits ou de grands pays. Regardez en Europe, il y avait de tout petits pays, et il y avait de très grands pays. Aujourd'hui, il y a le Luxembourg et il y a l'Allemagne, et bien, ils ont la même voix. Si, par hasard, l'Allemagne ou la France veulent quelque chose qui ne convient pas au Luxembourg et bien le Luxembourg proteste avec la même vigueur que s'il avait 60 millions d'habitants.
Donc, le phénomène d'intégration régionale est également un phénomène qui permet d'éviter l'exclusion des pays les moins peuplés ou les moins riches par rapport aux pays les plus riches ou les plus peuplés, parce que très rapidement chacun a sa voix et on ne peut pas les distinguer.
QUESTION - Monsieur le Président Chirac, que pensez-vous des avantages éventuels que présente le Paraguay lorsqu'on parle de corruption, de trafic d'armes ? Je reparle en particulier du Paraguay puisque c'est le pays qui nous intéresse.
LE PRÉSIDENT - J'ai souvent constaté qu'il y avait dans tous les peuples une sorte de masochisme qui est parfois justifiée et parfois moins. Nous avons un certain talent pour nous présenter avec des défauts très excessifs par rapports à ceux que nous avons, ce qui est une mauvaise psychologie parce que finalement cela donne de nous-mêmes une mauvaise image aussi bien à l'intérieur et donc cela démobilise ou à l'extérieur et donc cela repousse.
Vous savez le Paraguay d'aujourd'hui, si vous interrogez les étudiants, par exemple, et que vous leur demandiez si le Paraguay cela veut dire quelque chose en matière de trafic d'armes ou de corruption pour reprendre vos termes, ils vous regarderont avec de grands yeux sans comprendre pourquoi vous posez cette question. Ils ne comprendront pas. Ils ont d'autres sujets d'inquiétude, sur d'autres pays qui n'appartiennent d'ailleurs pas à l'Amérique latine.
L'image du Paraguay en Europe aujourd'hui est excellente. La dictature semble définitivement rejetée et le Paraguay est un pays considéré comme une démocratie à juste titre bien entendu et comme un pays ouvert, comme un pays moderne et sa présence dans le MERCOSUR naturellement ne fait que le confirmer, donc les vieux jugements, vous savez, cela s'estompe très vite, heureusement, on ne les supporte plus aujourd'hui mais heureusement on les oublie vite.
Donc je peux vous rassurer tout de suite, le Paraguay n'a aucune des images que vous évoquez, il a aujourd'hui une très bonne image en Europe et notamment chez les jeunes.
QUESTION - Il y a tout de même un problème d'image au Paraguay, on parle de corruption, on parle de mafia, on parle de contrebande, qu'est-ce que vous pourriez dire aux chefs d'entreprise français pour qu'ils investissent davantage, pour qu'ils travaillent davantage au Paraguay ?
M. WASMOSY - Il y a sûrement une petite mafia, comme dans tous les pays, si on cherche bien, même au Vatican. Le gouvernement est composé par trois pouvoirs : le pouvoir exécutif, législatif et judiciaire. Ces trois pouvoirs travaillent de façon totalement indépendante. Le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire sont des pouvoirs pluri-partis où le Président du Congrès appartient à un parti qui est de l'opposition par rapport à moi dans la cour suprême de justice il y a aussi cinq membres d'un parti et quatre de l'autre parti. Donc, si vous voulez, le pouvoir judiciaire quand il est jugé par le pouvoir législatif c'est fait dans les formes. Mais il est évident que le pouvoir judiciaire doit juger, dire si c'est bien ou si c'est mal.
Mais, quand il y a des problèmes de droits de douane, par exemple, lorsqu'il y a des asymétries en matière d'économie avec des pays sur ce continent ou sur d'autres, il est évident que ceux qui veulent travailler en marge de la loi peuvent trouver la possibilité de le faire. Mais cela n'est pas de la responsabilité du Gouvernement. Si le Gouvernement tolérait ce genre d'activités illégales, il serait coupable mais quel pays n'a pas de mafieux ? Quel pays n'a pas de bandits ? Si c'était le cas les prisons seraient vides dans tous ces pays.
LE PRÉSIDENT - Je voudrais dire à Sylvie Johnson, qui a posé la question, de ne pas toujours croire ceux des entrepreneurs français, puisqu'elle a fait allusion à des avis émis par des entrepreneurs, ceux des entrepreneurs français, frileux par nature, et qui cherchent des excuses pour ne pas s'engager. Ce sont les gens qui trouvent toujours que l'eau est trop froide pour aller se baigner. Ne l'oubliez pas, le Paraguay, de ce point de vue, est un pays qui a totalement intégré les règles naturelles de la démocratie.
Si je pouvais formuler un voeu, on n'est pas le 1er janvier, c'est que tous les pays avec lesquels la France commerce aient aussi peu de mafia et de corruption que le Paraguay. Cela, c'est le voeu que je ferai.
Et puis, je voudrais faire une dernière observation. C'est simplement pour exprimer au Président Juan Carlos Wasmosy, qui est mon ami, toute ma reconnaissance pour l'accueil si chaleureux, si sympathique, si amical, que lui-même et l'ensemble des autorités du Paraguay ont bien voulu me réserver aujourd'hui.
Je le remercie.
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