Birmingham - dimanche 17 mai 1998
Bonjour Mesdames,
Bonjour Messieurs,
Je ne sais pas si vous avez remarqué combien les gens sont aimables, ici, et sympathiques, aussi bien de jour comme de nuit. C'est une constatation, les gens sont aimables, ils sont gentils, ils ont le sourire, ils disent bonjour gentiment. Mais ce ne sont pas seulement mes impressions pédestres que je voudrais vous faire partager. Je vais, simplement, puisque que vous avez suivi les choses de très près, vous dire un peu comment j'ai ressenti ce Sommet.
Pour vous dire d'abord qu'il était bien préparé, bien organisé. Ce qui est bien agréable. Et d'autre part que ce n'était -on dit cela à chaque fois, d'ailleurs c'est chaque fois, en réalité, vrai- peut-être pas très médiatique mais sans aucun doute, important.
Important, d'abord, en raison des concertations informelles sur les grands sujets d'actualité que cela permet. Chacun a eu un certain nombre de contacts. J'ai rencontré le Président américain, le Président russe, le Chancelier allemand, longuement. Nous avons parlé, aussi bien à huit que dans les entretiens bilatéraux, des problèmes qui nous préoccupent : le Proche-Orient, bien entendu, le Kosovo, les essais nucléaires indiens et éventuellement pakistanais parce que nous ne sommes pas encore sûrs de ce qui s'est passé au Pakistan, l'Indonésie, naturellement, l'Irlande du Nord et d'autres. Vous avez eu connaissance des déclarations officielles que nous avons faites.
Il a été important, aussi, je crois, parce que les dossiers y ont été traités dans l'esprit qui avait justifié, en 1975, la création du G7. Je voudrais noter que le G7 qui avait été créé, en 1975 -c'était, je crois, à l'initiative de M. GISCARD d'ESTAING- avait pour objectif de permettre précisément aux chefsd'Etat et de Gouvernement des sept pays, à l'époque c'était même cinq, de se rencontrer de façon informelle. Et comme il arrive souvent, il y a eu une dérive, on a voulu aborder de plus en plus de sujets, on a impliqué de plus en plus de collaborateurs, les ministres ont été conviés et c'est petit à petit devenu une structure de concertation et d'impulsion, sans aucun doute très importante, mais qui est devenue un peu trop formelle. Et la Présidence britannique a eu cette initiative de renverser un peu la vapeur et de revenir à l'inspiration initiale. Ce qui est beaucoup plus efficace. Nous avons décidé, tout à l'heure, de poursuivre dans cette voie pour les prochains G8.
Important aussi par les dossiers économiques qui ont été traités. D'abord l'analyse de la situation actuelle en Asie et la confiance renouvelée et l'appui renouvelé aux Gouvernements asiatiques. Une nouvelle impulsion donnée au nécessaire renforcement, je ne dis pas réforme, je dis renforcement du système financier international. En ce domaine, vous le savez, il y a eu trois initiatives françaises qui ont été soit adoptées, soit qui le seront prochainement.
Il y a eu quelque chose qui m'a fait plaisir et qui était lié probablement au voyage que le Président américain a fait récemment en Afrique, c'est que l'on a parlé de l'Afrique en termes plus positifs que les années précédentes. Les années précédentes, et notamment à Lyon, la France et le Japon étaient en quelque sorte les deux pays qui défendaient la situation en Afrique, qui expliquaient qu'elle n'était pas si mauvaise, que les afro-pessimistes le disaient, et nous avions dû nous battre beaucoup, notamment dans le domaine de l'aide du Fonds monétaire international, de l'aide publique au développement, de la réduction des dettes des pays africains, notamment pour les pays les moins avancés. Cette année, j'ai trouvé que le langage et l'esprit des Huit étaient beaucoup plus positifs, et beaucoup plus ouverts à l'Afrique -je n'ai pas besoin de vous dire à quel point je m'en suis réjoui. Et contrairement à ce qui avait été prévu par les experts avant la réunion, j'ai pu faire adopter le Fonds de solidarité pour le sida, de façon à faire en sorte qu'il n'y ait pas, dans le monde à venir, deux catégories de malades, ceux qui ont accès aux thérapies modernes, aux trithérapies et ceux qui n'y ont pas accès. J'avais proposé, à Abidjan, il y a de cela quelques mois, la création d'un Fonds de solidarité pour le sida. L'Union européenne l'avait pris en considération lors du dernier Sommet européen, et cette fois-ci, contrairement, je le répète, à ce qu'avaient pensé les experts, cette décision de principe a été prise. Naturellement il va falloir monter les mécanismes de financement, mais je ne suis pas pessimiste. De la même façon, il y a eu un plan très intéressant, une initiative anglaise, en ce qui concerne la malaria, dont je me suis également réjoui.
Autre sujet, nous y reviendrons peut-être, parce que cela mérite d'être plus développé, ce sont les problèmes de croissance, d'emploi et de lutte contre l'exclusion qui, pour la première fois, ont fait l'objet d'un long débat, qui a duré tout un déjeuner, avec ce qui se fasse avant et après, et avec, pour la première fois, un exposé fait par chacun des responsables des pays pour indiquer ce qui, dans son pays, avait marché ou pas marché. Ensuite, cela a ouvert une vraie discussion. Nous en reparlerons, si vous le voulez, tout à l'heure, mais c'était la première fois, à ma connaissance, que les problèmes de la croissance, de l'emploi et de la lutte contre l'exclusion ont été traités de façon approfondie entre les Chefs d'Etat et de Gouvernement.
Le dernier élément, pour lequel je dis que ce Sommet est important, c'est qu'il nous a permis de traiter un certain nombre de dossiers globaux, toujours préoccupants, naturellement, mais, pas après pas, on avance. C'est le cas de la lutte contre la criminalité organisée, et à chaque Sommet, on fait un pas de plus. On avait fait un pas important à Lyon et à chaque Sommet on fait un pas de plus dans la mise en oeuvre d'un système de maîtrise, de recherche, de punition du crime organisé.
Deuxièmement la drogue, sujet dont j'ai parlé et sur lequel nous avons également approfondi notre maîtrise ou notre volonté de maîtriser ce phénomène en ayant bien conscience que les responsabilités étaient partagées entre les pays producteurs et les pays consommateurs.
L'environnement, cela a été assez bref, puisqu'il s'agissait simplement de dire notre décision commune d'appliquer ce qui a été décidé à Kyoto.
Puis, le nucléaire civil, dont nous avons pas mal parlé.
Voilà donc ce qui s'est passé. Et cela s'est passé, je dirais, de façon décrispée, de façon intéressante, amicale et agréable. Ce qui est une bonne manière de faire progresser les choses.
QUESTION - Avez-vous discuté de la proposition du Président russe de tenir le prochain Sommet à Moscou ?
LE PRÉSIDENT - Effectivement, le Président ELTSINE a fait cette proposition et plaidé avec beaucoup de coeur et de foi pour qu'on adopte cette proposition. La Présidence britannique a fait remarquer, à juste titre, qu'on ne pouvait pas traiter cela de cette façon-là, et qu'il fallait y réfléchir et en discuter ensemble. Elle fera donc des propositions dans ce sens.
J'ajoute que le sujet est venu au moment où le Chancelier allemand était obligé de partir dix minutes avant les autres, et qu'on ne pouvait pas discuter de cela sans lui.
QUESTION - M. le Président, quel est votre message du G8 au Pakistan qui, apparemment, est prêt aussi à faire un test nucléaire ?
LE PRÉSIDENT - Le message officiel, c'est : soyons tous raisonnables. La prolifération est un danger pour l'ensemble de la planète. La déstabilisation politique de la région est très dangereuse, et par conséquent, ne faites pas d'essais nucléaires.
Dans l'hypothèse où le Pakistan ferait néanmoins un essai nucléaire, nous ferions un communiqué tout à fait identique à celui que nous avons fait sur l'Inde.
QUESTION - Est-ce que vous avez mentionné la loi d'Amato, avez-vous parlé du marché transatlantique, notamment. Avez-vous parlé du Sommet euro-américain qui aura lieu à Londres demain ?
LE PRÉSIDENT - Naturellement, nous avons parlé de ce Sommet avec la Présidence, avec la Commission, avec le Président de la Commission. Pour ce qui concerne la loi d'Amato et la loi Helms Burton, comme vous le savez, il y a la position de la France, qui n'accepte pas le principe même des lois extra territoriales. Il y a la position de l'Europe, qui est exactement la même, c'est-à-dire le refus sans réserve ni concession du principe même des lois extra territoriales, donc, nous ne nous sentons pas concernés. Néanmoins, nous souhaitons que les choses puissent s'arranger, sans que les principes que je viens de rappeler soient mis en cause. Cela, c'est une discussion qui a lieu entre la partie américaine et la Commission, c'est-à-dire M. SANTER. Ce sera évoqué, je crois demain, au Sommet euro-américain.
QUESTION - En ce qui concerne le Proche-Orient, vous avez demandé aux Israéliens et aux Palestiniens d'arrêter de prendre des actions unilatérales. Que faire si la situation continue, que les Palestiniens, par exemple, déclarent leur Etat indépendant ?
LE PRÉSIDENT - Vous savez, nous sommes dans une situation totalement bloquée, malgré les engagements qui avaient été pris à Madrid et à Oslo. Nous avons tous déploré cette situation, qui est très dangereuse, et qui a quelque chose d'inhumain. Nous l'avons dit dans le communiqué que vous avez. Nous avons tous souhaité que la proposition américaine soit adoptée et nous l'avons tous soutenue. Mais nous avons considéré qu'elle ne pouvait, en aucun cas, être réduite, qu'elle était déjà à l'extrême limite de ce qui pouvait être accepté par la partie palestinienne. Nous continuons d'espérer. Nous souhaitons faire d'amicales pressions pour que le Premier ministre israélien M. NETANYAHOU, comprenne que tout report de la décision augmente le danger, et que la sécurité de l'Etat d'Israël à laquelle nous sommes très attachés, passe, d'abord et avant tout, par la paix. Et que si on ne fait pas la paix, il n'y aura pas de sécurité.
QUESTION - M. le Président, vous nous avez dit que concernant l'emploi et la lutte contre l'exclusion chacun avait indiqué ce qui marchait et ce qui ne marchait pas dans son pays. Qu'avez-vous dit pour la France et qu'est-ce qui vous a intéressé dans les expériences de vos partenaires ?
LE PRÉSIDENT - D'abord, nous avions déjà dans le passé discuté de ces problèmes, mais je vous l'ai dit, jamais de façon aussi approfondie.
Ce que j'ai retiré de cette discussion, ce qui devait être fait, c'est d'abord rendre confiance à nos concitoyens dans l'emploi. Beaucoup trop nombreux sont ceux qui, aujourd'hui, en quelque sorte désespèrent, que ce soient les jeunes ou que ce soient des gens plus âgés, qui recherchent un emploi. Le désespoir conduit à des comportements négatifs. Nous avons également constaté que, dans un monde tel que le nôtre, c'est-à-dire où les évolutions vont très très vite, le problème essentiel était celui de la formation. Que l'une des clés de l'emploi de demain, c'est une formation adaptée. Alors à l'école naturellement, et cela suppose que l'on fasse les réformes nécessaires pour donner une formation toujours meilleure. Je note d'ailleurs que la formation française est particulièrement appréciée à l'étranger. Nous sommes réputés pour avoir des gens bien formés. D'ailleurs, le temps passé à l'école par les jeunes Français est plus important, plus long que la moyenne européenne ou occidentale.
C'est également le développement des formations alternées et là, nous sommes encore un peu en retard, même si depuis trois ou quatre ans, nous avons fait des progrès importants. Nous ne sommes pas encore arrivés au stade qu'il faut et nous continuons à progresser dans ce domaine.
Ce sont enfin les formations tout au long de la vie, pour lesquelles nous sommes tous très en retard. Pour permettre aux salariés de s'adapter aux rapides mutations. Vous savez, j'ai déjà appelé à plusieurs reprises depuis trois ans à une espèce de réforme fondatrice, pour répondre à ce besoin d'une formation tout au long de la vie. Cela a été très souligné et chacun, à sa manière, a eu les mêmes conclusions.
Pour ma part, j'ai souligné l'importance, en tous les cas dans un pays comme la France, naturellement dans les autres aussi, de la lutte contre l'exclusion, c'est-à-dire de la lutte contre un phénomène qui fait qu'un nombre croissant de gens, pour un certain nombre de raisons que chacun connaît, se trouvent en quelque sorte rejetés de la société moderne. Or, on ne peut pas traiter ce problème exclusivement par l'assistance. L'assistance est nécessaire pour palier les difficultés immédiates, mais ce n'est pas une réponse, ni une solution, à aucun point de vue. La seule solution, c'est le retour dans la société, et donc le retour dans l'emploi. J'ai donc insisté sur le fait qu'aujourd'hui, dans notre pays, l'emploi des jeunes s'améliore sensiblement, ce qui est dû à un certain nombre d'initiatives qui ont été prises par les Gouvernements successifs en faveur des jeunes, et aussi parce que la croissance, que l'on retrouve, privilégie l'emploi des jeunes.
Il ne fallait pas oublier que le phénomène d'exclusion trouvait sa source essentielle dans le chômage de longue durée et qu'il n'était pas vrai que l'on devait baisser les bras. Il y avait une possibilité de réintégrer dans l'emploi les chômeurs de longue durée. J'ai fait état d'ailleurs de l'expérience française des Contrats Initiatives Emploi, qui avaient été à l'origine conçus par M. MADELIN, qui ont été appliqués et qui font que plus de 500 000 de ces contrats existent aujourd'hui avec, si j'ai bon souvenir, je ne vous garantis pas le chiffre, les deux tiers qui sont des contrats à durée indéterminée. Ce qui prouve qu'il faut être très attentif aussi à cet aspect des choses si l'on veut lutter contre l'exclusion.
Enfin, nous avons évoqué, de façon à peu près identique, la nécessité de faciliter la croissance des entreprises et donc de donner une première chance et même une deuxième chance aux jeunes entrepreneurs, notamment dans les technologies nouvelles et la nécessité impérieuse -mais là tout le monde est d'accord- de diminuer sensiblement les charges financières pesant notamment sur le travail le moins qualifié. C'est une politique qui est menée plus ou moins rapidement et plus ou moins efficacement, mais elle est dans tous les pays.
QUESTION - Il y a quelques minutes, vous avez utilisé, concernant la crise au Proche-Orient, le terme "déplorer". J'ai envie de vous demander si les Huit ne passent pas le plus clair de leur temps à déplorer ce qui s'est passé en Indonésie, avec l'Inde, avec le Pakistan et s'il n'y a pas là un terrible aveu d'impuissance ?
LE PRÉSIDENT - Cela est facile à dire ! On peut s'efforcer de discréditer, en les présentant de cette façon-là, les efforts qui sont faits par les gens responsables. On a tort, parce que par cette présentation des choses on décourage ceux qui sont responsables et on encourage ceux qui ont tendance à se laisser aller. Donc, je le répète, soyons prudents dans ces jugements. Les huit puissances les plus importantes du monde s'expriment et ensuite par la voie diplomatique -sans pour autant vouloir donner de leçon à la terre entière de façon arrogante, ce qui est trop souvent leur tentation d'ailleurs, quand elles s'expriment- elles relayent leurs décisions. Ne croyez pas que ce soit négligeable. J'ai reçu une lettre de M. VAJPAYEE, le Premier ministre indien, dont j'ai retiré l'impression et même la certitude que l'Inde était prête à discuter et à négocier dans les conditions qui resteront à déterminer et sur lesquelles je ne m'étendrai pas. Mais ne croyez pas que ces discussions, ces décisions et ces communiqués soient uniquement quelque chose de superficiel. Ce n'est pas vrai du tout.
QUESTION - En quelques années le G7 est devenu G8, voyez-vous d'ici quelques années un éventuel élargissement à un autre membre, c'est-à-dire la Chine ?
LE PRÉSIDENT - Je vais vous donner un sentiment purement personnel qui n'engage que moi, qui n'engage ni la France, ni a fortiori le G8 : je le souhaite. Je voudrais signaler que ce matin, nous avons évoqué l'attitude extrêmement responsable et solidaire qui a été l'attitude de la Chine dans la crise asiatique. Si la Chine n'avait pas accepté de conserver la parité de sa monnaie et d'accepter les contraintes sociales et économiques considérables que cela lui impose, la crise aurait été catastrophique dans l'ensemble du monde.
Nous avons été unanimes, c'est à la suite d'une initiative que j'avais prise, à exprimer notre estime et notre reconnaissance à la Chine pour son comportement dans la crise. Je le répète, c'était une décision très difficile à prendre avec des conséquences très rudes.
QUESTION - Vous venez de dire que vous avez reçu une lettre du Premier ministre indien. Pouvez-vous préciser sur quoi l'Inde serait prête à discuter ? Avez-vous le sentiment qu'elle pourra signer le traité d'interdiction des essais nucléaires ?
LE PRÉSIDENT - Je ne le précise pas, parce que je ne ferai pas de commentaires sur un courrier qui n'était pas destiné à être publié. Je souhaite vivement que l'Inde soit en situation de signer le plus vite possible le CTBT.
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