Conférence de presse conjointe du Président de la République et du Premier ministre à l'issue de la réunion informelle des chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union européenne.

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, et de M. Lionel JOSPIN, Premier ministre, à l'issue de la réunion informelle des chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union européenne.

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Pörtschach, Autriche, le dimanche 25 octobre 1998

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais tout d'abord vous dire que tout le monde est d'assez bonne humeur. Je veux dire que, pour ce qui vous concerne, c'est un phénomène habituel, mais je parlais non seulement de la délégation française, mais de l'ensemble des délégations, parce qu'on a eu un Sommet informel agréable et chaleureux.

L'Autriche est un pays, chacun le sait, particulièrement hospitalier et sympathique. J'avais gardé un très bon souvenir de ma visite d'Etat et je dois dire que ce Sommet nous laissera un très bon souvenir. Je comprends le goût de beaucoup d'Européens pour ce pays et je comprends que Julien Green ait souhaité y terminer son destin en étant, comme vous le savez, enterré à l'église de Klagenfurt. J'aurai l'occasion d'ailleurs de m'y rendre.

Je vous ai donc dit, des discussions qui ont été utiles et chaleureuses. Il y a eu les discussions d'hier, en séance de travail, vous en êtes tout à fait informés. Donc, je ne rentrerai pas dans les détails. Nous avons souligné l'importance que la France attache au modèle social européen qui est en train de s'élaborer et qui est maintenant sur une bonne voie, l'Europe doit servir à la fois l'emploi et la dignité des hommes. L'importance qu'elle attache aussi à la nécessité de coordonner ses politiques économique, fiscale et également de l'emploi et de s'assurer que la représentation extérieure de l'euro sera bien faite. Importance qu'elle attache aussi à la nécessité de progresser vers une vraie politique étrangère et de sécurité et de mettre en place une politique européenne de défense. Enfin, l'importance qu'elle attache à la politique de sécurité intérieure. Là, l'unanimité s'est faite sans difficulté, notamment sur les problèmes de contrôle aux frontières extérieures et les exigences d'un espace judiciaire européen.

Hier soir nous avons eu un dîner qui a été également très agréable et très chaleureux aussi et un débat très utile sur les problèmes monétaires et financiers qui préoccupent actuellement l'ensemble de la planète. Chacun a donné ses informations de façon totalement informelle. C'était vraiment ce qu'on appelle le propos au coin du feu, même s'il n'y avait pas de feu.

Nous avons été très intéressés par ce que nous ont dit Monsieur Aznar et Monsieur Guttieres, sur le compte rendu du sommet ibéro-américain qui vient de se terminer.

Chacun a fait part de ses propres réflexions sur ces sujets difficiles. J'ai eu le sentiment que chacun faisait un peu progresser la réflexion collective et celle des autres.

Nous avons ensuite évoqué, plus rapidement, le Kosovo. Chacun s'étant exprimé sur la nécessité d'une grande fermeté pour des raisons essentiellement humanitaires. A été soulevé le sujet un peu inquiétant des conditions dans lesquelles pourra être assurée la sécurité de la force civile de contrôle qui doit se déployer dans le Kosovo.

Enfin, nous avons évoqué le problème de la Russie. Tout le monde était d'accord sur la nécessité d'aider la Russie et de l'aider, quelles que soient les difficultés que cela représente, notamment au niveau de la Douma, à assumer les réformes indispensables pour qu'un accord puisse intervenir avec le Fonds monétaire et que la coopération internationale puisse s'exprimer.

Ce matin nous avons eu une réunion sympathique. Nous avons évoqué les problèmes de subsidiarité et aussi les problèmes de légitimité, de démocratie, etc.

Sur la subsidiarité, j'ai pris un exemple. Vous savez que le gouvernement, -mais le Premier ministre en parlera peut-être- prépare actuellement une loi sur le dopage qui est un problème auquel nous avons été brutalement confrontés ces derniers temps, une loi donc nécessaire. Mais il est évident qu'un problème de cette nature ne peut pas être traité utilement et efficacement au niveau de chacune des nations qui composent l'Europe. Il est indispensable -c'est l'une des applications vers le haut du système de subsidiarité- et évident que la lutte contre ce fléau ne peut se faire qu'au niveau européen et même mondial en réalité, mais en tous les cas pour ce qui nous concerne ici, européen. L’harmonisation des législations européennes est une nécessité. Nous avons décidé d’en reparler au Sommet de Vienne au mois de décembre. Enfin, nous avons rencontré Monsieur ARAFAT. Nous avons été unanimes à le féliciter, à nous féliciter du succès des efforts engagés par le Président CLINTON et de la réussite de cette réunion difficile. Il faut naturellement maintenant que les engagements qui ont été pris de part et d’autre soient, strictement et au pied de la lettre et dans l’esprit, respectés. Nous avons également décidé de soutenir la demande du Président ARAFAT pour l’organisation d’une Conférence des donateurs en faveur des Palestiniens.

Une note d’ambiance, si vous voulez. D’abord, nous avons été heureux de trouver le Président ARAFAT en bonne forme, malgré l’épreuve qu’il venait de subir, et deuxième réflexion, j’ai été frappé par l’unanimité, la chaleur, la durée des applaudissements qui ont salué la fin de son exposé. Il y avait véritablement quelque chose qui exprimait espoir, confiance de la part des Quinze et de la Commission, espoir, confiance, appui. Ce Conseil informel était utile. Utile parce qu’il y a eu une discussion libre entre nous, à bâtons rompus, librement. Cela permet de renforcer les convergences, d’atténuer les divergences, de mieux se connaître et de mieux se comprendre. Et au total, c’est un résultat que je considère moi comme très positif. Mais le Premier ministre va probablement vous donner son sentiment qui, sur ce dernier point, est probablement très proche du mien.

LE PREMIER MINISTRE - Sur l’ensemble des points que vous avez abordés, Monsieur le Président, c’est vrai que dans la forme, ce Sommet informel a tenu ses promesses dans la mesure où il a été justement moins formel, moins académique. Nous avons pu pousser plus loin les discussions, plus que je ne l’avais jamais constaté depuis seize mois, en tout cas sur les questions économiques, sociales et financières, qui ont constitué la dominante de la première journée, de la première après-midi et de la soirée, même si, comme l’a indiqué le Président, d’autres thèmes ont été abordés, et notamment si le Président ARAFAT s’est exprimé devant nous. Il y avait moins d’interventions longues et plus d’interventions de chacun, c’est-à-dire qu’il y avait des prises de parole pour préciser, contredire éventuellement, mais pour qu’on connaisse bien les positions et que les arguments soient échangés. J’ai trouvé que c’était de ce point de vue extrêmement précieux. Si vous le souhaitez, je pourrai bien sûr revenir sur certaines questions économiques, sociales et financières qui ont été abordées un peu plus tard. Je ne vais pas là prolonger davantage le propos du Président. La dominante d’aujourd’hui a été une dominante institutionnelle, fonctionnelle, on peut dire démocratique, peut-être plus fonctionnelle qu’institutionnelle, c’est-à-dire qu’on s’est davantage tourné, au moins à court terme, vers la façon pratique dont on pouvait améliorer les fonctionnements que vers une démarche de réforme institutionnelle, abordée dans Amsterdam, qu’il faudra prolonger, mais qui n’a pas constitué peut-être l’actualité. Là aussi, je pense qu’un certain nombre de choses utiles ont été précisées qui devraient permettre et à la Commission, et au Conseil des affaires générales de remplir peut-être leurs fonctions de façon plus concentrée et de façon plus efficace. Voilà l’essentiel de ce que je veux dire à ce stade. Je peux revenir en partie sur les questions économiques, sociales et financières si vous le souhaitez plus tard.

QUESTION - Monsieur le Président, je voudrais vous demander, ainsi qu’au Premier ministre, votre avis sur ce qui a été dit, apparemment, à propos de la nécessité d’une baisse des taux. J’ai l’impression qu’il y a simplement un mois, il était peu imaginable que, même de manière discrète, le Conseil européen se prononce en faveur d’une baisse des taux. On aurait estimé que c’était dangereux, que c’était exercer une pression sur la Banque centrale européenne. Pouvez-vous nous en dire un peu plus et nous dire votre opinion sur ce qui s’est passé ?

LE PRÉSIDENT - C’est le privilège d’un Sommet informel réussi que de pouvoir parler de tout. La politique des taux d’intérêt n’est pas de la compétence des gouvernements, n’est pas de la compétence des représentants des États aux Sommets. Elle est de la compétence des banquiers centraux. Nous l’avons voulu ainsi et c’est ainsi. Ceci étant, tout citoyen peut avoir sur ce sujet une idée et l’exprimer. Nous n’avons naturellement pris aucune position publique, cela va de soi ! Mais parmi l’ensemble des réflexions auxquelles nous ont conduit d’une part la prochaine entrée de nos monnaies dans l’euro et d’autre part les difficultés monétaires et financières du monde d’aujourd’hui, tout naturellement chacun a donné son point de vue sur ce qu’il serait peut-être souhaitable ou utile ou justifié en matière de taux d’intérêt, car après tout les taux d’intérêt sont aussi une des composantes d’une politique économique et financière. Alors, nous avons également parlé des taux de change, mais je le répète, nous n’avons pas fait de communiqué, nous n’avons rien décidé, nous avons simplement confronté nos points de vue, et constaté que, globalement, ils étaient de même nature, c’est-à-dire tous fondés sur notre souci de soutenir l’activité et par là-même de soutenir l’emploi.

LE PREMIER MINISTRE - Oui, je confirme le caractère de cet échange. Nous avons tenu ce Sommet informel dans un mouvement qui est celui de la création de l’euro et dans un moment qui est celui d’une crise financière. Et tout en étant conscients que l’urgence, l’actualité sont centrées sur la crise financière et sur la façon dont il faut y répondre, nous savons aussi que la décision fondamentale structurelle et de longue durée qui consiste à créer une monnaie unique entre les pays européens et pour le moment onze d’entre eux est bien évidemment beaucoup plus décisive. Cette crise financière passera, cette décision historique, elle, va avoir de très durables conséquences. Mais d’ailleurs s’il y a des liens entre les deux, nous constatons déjà que le fait d’avoir cette perspective de l’euro a protégé l’espace européen des spéculations sur les monnaies intérieures, les monnaies internes à l’Union. Et en même temps nous pensons que nous devons agir à la fois dans le court terme et dans le moyen terme. A court terme, nous devons bien sûr faire face à cette crise financière, des idées ont été avancées notamment par la France sous la forme d’un mémorandum français qui a été transmis par le ministre de l’Economie et des Finances et ses collègues de l’ECOFIN et nous avons poursuivi au sein de ce Sommet une discussion pour savoir comment l’Europe pourrait utilement, en relation avec ses grands partenaires internationaux et notamment avec les Etats-Unis, encore peser positivement face aux menaces spéculatives qui subsistent, même s’il y a eu de bonnes nouvelles dans la dernière période, notamment la décision des Etats-Unis, du Congrès américain de réaliser leur augmentation, de concrétiser leur augmentation de quota et, d’autre part, le gouvernement japonais a annoncé un plan majeur pour faire face aux problèmes des créances douteuses. Mais encore faut-il bien sûr que tout cela soit mis en oeuvre, notamment le second point. Et donc, là, l’Europe a discuté très longuement pendant plusieurs heures, cela a été vraiment, je crois, la question majeure hier, même si d’autres problèmes importants comme ceux de la politique de sécurité, la politique extérieure et de sécurité commune ont été abordées. Donc, l’Europe est là, disponible à jouer son rôle, mais en même temps dans ce contexte, le message que nous voulions faire passer, si nous en faisions passer un -je pense que Viktor KLIMA le fera dans la conférence de presse qu’il donne en ce moment- c’est que même s’il y a cette crise financière internationale, même si nous devons être attentif et agir, les données économiques en Europe sont meilleures et que, comme le disait les pays latino-américains -nos collègues portugais, espagnols- dans la réunion de Porto à laquelle faisait allusion le Président il y a un instant, le rôle que peut jouer l’Europe, c’est de contribuer à la croissance, c’est-à-dire de rester une zone de croissance. Ces éléments sont là en Europe en terme de taux de croissance aujourd’hui, mais si vous regardez ce que l’on appelle les fondamentaux, notamment la situation de l’inflation, l’Europe a les moyens d’être une zone de croissance à condition que l’euro soit l’euro d’une zone de croissance durable. Et de ce point de vue, tout ce qui a été dit sur la coordination des politiques économiques, tout ce qui a été dit sur l’harmonisation des politiques fiscales, tout ce qui a été dit sur le refus du dumping social, sont des éléments absolument décisifs et Gerhard SChrOEder, je ne peux pas encore lui donner un titre, qui était là avec nous s’est exprimé de façon très nette et sur ce sujet et autour de thèmes que la délégation française a trouvé parents de ceux que nous soutenons dans l’Union européenne et dans les instances internationales. Alors, c’est dans ce contexte qu’a pu être abordée à tel ou tel moment la question des taux d’intérêt. Comme l’a dit le Président, les banques centrales sont compétentes dans ce domaine mais les gouvernements sont compétents en matière de politique de change et il est clair que le rapport dollar-euro, le futur rapport dollar-euro, est pour nous une question tout à fait importante, pour nos exportateurs, pour notre économie. Il est clair aussi que nous sommes une zone sans inflation, pratiquement aujourd’hui. Alors, c’est un certain nombre de constantes qui peuvent inspirer ceux qui ont à prendre des décisions.

QUESTION - Est-ce que vous avez parlé de l’idée que la communauté européenne pourrait prendre un prêt pour investir dans l’économie de la communauté européenne ?

LE PREMIER MINISTRE - De façon directe, non. Nous avons évoqué l’importance dans une politique de croissance, qui semble avoir été soutenue par tous, d’un effort décisif mené sur la question du développement des nouvelles technologies et aussi des infrastructures à l’échelle de l’Europe à condition que ces infrastructures ne soient pas conçues de façon seulement traditionnelle mais qu’elle concerne aussi tous les moyens de communication et d’information. C’est sur les moyens par lesquels on peut agir, il y a eu des propositions italiennes quand Monsieur PRODI était Président. J’ai moi-même évoqué des idées, d’autres l’ont été, mais nous ne sommes pas rentrés dans cette discussion précise hier.

QUESTION - C’est une question que je voudrais vous poser à tous les deux, Monsieur le Président et Monsieur le Premier ministre. Quelle est aujourd’hui, en Europe, la définition, le point commun de la social-démocratie ?

LE PRÉSIDENT - Il semble que la question est plus directement posée au Premier ministre.

LE PREMIER MINISTRE - Peut-être qu’on pourrait parler de ce genre de question à l’issue d’une réunion ou d’un congrès du parti socialiste des européens, non ? Pour le reste, vous êtes observateurs d’une réalité politique. Tout cela ne transgresse pas ou n’efface pas les réalités nationales, la confrontation d’intérêts nationaux. Donc le débat se poursuit en Europe quels que soient les choix que les peuples font à tel ou tel moment sur l’échiquier politique européen. Donc, je ne suis pas sûr que, bien qu’à juste titre, étant considéré comme peut-être meilleur spécialiste que le Président sur ce sujet, je ne pense pas que ce soit forcément le lieu d’en parler.

LE PRÉSIDENT - Vous savez, les majorités évoluent au gré des élections. Mais l’Europe telle que nous l’assumons, ici, se rassemble autour de valeurs, autour d’un projet qui dépasse en réalité les appartenances politiques et qui, d’ailleurs, s’exprime au sein des institutions de l’Union. Telle que nous la pratiquons, telle que nous l’assumons, l’Europe n’est ni de droite, ni de gauche. En réalité, elle veut être une synthèse des intérêts nationaux qui sont effectivement, comme vient de le souligner le Premier ministre, à la base de notre travail. D’autre part, l’Europe doit exprimer une réponse moderne aux problèmes des nations. Voilà ce que m’inspire votre question.

QUESTION - Vous dites que l’Europe n’est ni de droite, ni de gauche. Mais il me semble quand même qu’il y a quelques mois...

LE PRÉSIDENT - L’Europe telle que nous l’assumons dans des réunions comme celle-ci n’est ni de droite, ni de gauche. Elle est l’élaboration d’une synthèse des différents intérêts nationaux.

QUESTION - Certes, mais pour prolonger la question posée tout à l’heure, il me semble qu’il y a quelques mois, on n’aurait pas entendu parler effectivement de moyens d’une relance, on n’aurait pas entendu parler d’une baisse concertée des taux d’intérêt ou d’un appel à la Banque centrale européenne pour qu’elle n’ait pas une politique trop restrictive. On n’aurait pas entendu parler aussi fermement d’une politique de l’emploi. Donc il y a quand même une réalité qui a changé. Il y a quelques mois, on aurait sans doute entendu parler de réduire les déficits publics par exemple. Là, on n’a pas eu cet écho-là. Donc manifestement, il y a un changement de la réalité européenne. La question que je vous pose, c’est : Est-ce que vous avez conscience de ce changement de réalité, est-ce que pour vous c’est un changement qui est durable ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, la prise de conscience du fait que l’Europe devait assumer des préoccupations humaines est une prise de conscience qui ne date pas d’hier. Je rappelais avec le Président Jacques SANTER, hier, que la première orientation ferme vers une Europe sociale a été donnée au Sommet de Florence, avec à la fois la proposition française en ce qui concerne le modèle social européen et le mémorandum présenté par la Commission, ou plus exactement le Président de la Commission. Si vous avez écouté les choses à Florence, ce dont je ne doute pas, vous n’avez pas entendu parler de la réduction des déficits budgétaires. Nous étions déjà sur un autre terrain, que nous ne voulions pas laisser en friche comme il l’était resté trop longtemps. Bien entendu, cette orientation s’est développée, notamment avec l’arrivée de l’actuel gouvernement français. Lorsque celui-ci a demandé la réunion d’un Conseil sur l’emploi et l’a obtenue, ce qui n’était d’ailleurs pas évident au départ, vous aurez remarqué que, dans ce domaine, il n’y a eu aucune espèce de divergence de vues entre le Premier ministre et moi-même. Nous avons ensemble soutenu cette orientation. Alors vous me demandez si ça doit être durable. Je le crois. J’en suis même tout à fait persuadé. Les choses se font pas après pas. Il est certain qu’au départ il y a eu la nécessité de donner une priorité aux problèmes économiques puisqu’il fallait intégrer, en quelque sorte, des économies. Et puis, très rapidement, on s’est aperçu qu’on ne pouvait pas intégrer des économies et ignorer les problèmes sociaux que cela posait. Dieu sait qu’ils ne sont pas tous résolus, beaucoup s’en faut. Et l’ambition est devenue effectivement une ambition plus humaine, notamment en raison des problèmes d’emploi que connaissait l’ensemble de l’Europe, et qui se sont imposés comme une priorité absolue. A quoi j’ajoute les problèmes de dignité de l’homme, qui sont en réalité l’autre face de l’emploi, celle de la perte d’emploi, celle de l’exclusion, ceux qui restent au bord de la route.

LE PREMIER MINISTRE - Je voudrais ajouter quelques mots. Il y a les mots justement et les choses. Il peut être un peut délicat dans une conférence de presse tenue par le Président de la République et à ses côtés par le Premier ministre d'aborder les problèmes en termes partisans. Par contre, on peut parler des problèmes réels. On peut parler de la substance. Donc s'il y a embarras à parler en terme d'étiquette, d'étiquette politique, on peut parler assez tranquillement du flacon si j'ose dire.

De même qu'un changement de majorité ou de gouvernement dans un pays entraîne forcément des évolutions, de même des changements successifs qui s'opèrent en Europe entraînent forcément des évolutions. Aussi bien le Président de la République que moi-même le voyons, même si nous ne souhaitons pas l'aborder en des termes, comme je le disais tout à l'heure, partisans. Cela est une première chose.

La deuxième chose que je voudrais dire, c'est que si on se réfère au modèle européen, s'il y a un modèle européen, aussi fragilisé qu'il ait pu être et quelles qu'aient été les évolutions qui se sont produites au cours des quinze dernières années dans le sens d'un libéralisme idéologique, à mon sens excessif, s'il y a un modèle européen, celui qui a été construit à travers le XIXe siècle, le XXe et plus particulièrement à partir de 1945 et, de toute façon quels qu'aient été les gouvernements, qu'ils aient été de gauche ou de droite, qu'ils aient été socio-démocrates, ou qu'ils aient été conservateurs ou socio-chrétiens, cela a été quand même une certaine recherche d'équilibre entre l'économique et le social, entre l'individuel et le collectif, entre la conservation et le progrès. Ce modèle, il nous est commun.

Ce qui est vrai, et vous l'avez constaté, c'est que depuis quelques mois il y a eu des éléments nouveaux. Gerhard SCHROËDER s'est exprimé devant nous, hier, un moment, en disant : " Il y aura continuité dans la politique allemande, mais il y aura aussi des accents nouveaux. Je ne pense pas que ces accents nouveaux vous choqueront ou vous gêneront ". Du côté français, je dois dire qu'avec le Président, en aparté, nous étions plutôt positifs à l'égard de ce que nous avons entendu sur ce plan.

C'est vrai qu'au-delà de ce qui a pu être fait avant, l'arrivée du nouveau gouvernement en France a permis de poser, avec l'appui du Président, un certain nombre de questions qui n'avaient pas été posées avec autant de force avant, celle de la croissance, celle du social, celle de l'emploi, celle de la coordination économique pour entourer la création de l'euro. "L'Euro onze" par exemple, c'est une proposition très précise.

Disons que quelques changements qui s'opèrent, qui s'étaient opérés avant ou qui s'opèrent maintenant comme en Allemagne, peuvent tendre à accentuer cette orientation. Donc, cela est indiscutable.

J'y ajoute et je termine sur ce point : il y a aussi des éléments de conjoncture qui ont changé. Quand je dis conjoncture, j'entends conjoncture au sens long. A partir du moment où nous avons vaincu l'inflation en Europe, les objectifs de politique économique ou la hiérarchie des objectifs de politique économique n'a plus à être exactement la même, au-delà même des équipes politiques. Mais comme en plus il y a eu ces changements, effectivement il y a un certain nombre de thèmes : la coordination économique, le progrès social, le refus du dumping social, l'harmonisation fiscale, la volonté de mener des politiques de croissance, la volonté de participer à la régulation économique mondiale qui sont plus forts, plus présents dans l'Union européenne aujourd'hui. Si nous y avons contribué, notamment mon gouvernement, mais si nous y avons contribué, je trouve que c'est une chose positive dont la France a lieu de se réjouir.

QUESTION - Monsieur le Premier ministre, si vous permettez une question. Il y a eu cette idée de changer le pacte de stabilité dans quelques mesures pour permettre plus d'emphase sur l'investissement public, pour peut-être revoir les limites du déficit. Qu'en pensez-vous ?

LE PREMIER MINISTRE - La question n'a pas été abordée dans le Sommet. Je rappelle que c'était le Président de la République française, Jacques CHIRAC, à Dublin je crois, qui avait souhaité qu'à " pacte de stabilité " soit ajouté les mots " et de croissance ". Cette question n'a pas été abordée dans le Sommet. Autant nous avons insisté sur les thèmes de la croissance, autant cette question particulière du pacte de stabilité et de croissance n'a pas été abordée dans le Sommet. Plusieurs intervenants ont dit et notamment des représentants de pays qu'on dit plus petits, même si je n'aime pas ce terme, ont adressé le message "attention avec les risques de la situation internationale, ne coupez pas trop fort dans vos politiques budgétaires". J'ai rappelé que pour ce qui concernait le gouvernement français, tout en poursuivant la politique de réduction des déficits publics à Maastricht et du déficit du budget, l'augmentation des dépenses du budget dans le projet de 99, serait en volume de 1 %. Nous avons essayé de faire des choix qui soient adaptés à cette conjoncture plus incertaine où la croissance est encore là, mais où elle peut être fragilisée.

QUESTION - C'est une question qui s'adresse au Président. Au sujet de la défense, est-ce que vous pensez que les réflexions, les conversations que vous avez eues pendant ce week-end sur ce sujet, peuvent déboucher à court ou moyen terme sur des initiatives précises ?

LE PRÉSIDENT - Cela dépend de ce que vous appelez des initiatives précises. Pour ce qui concerne la défense, nous avons une réflexion européenne sur l'opportunité et les modalités de mise en oeuvre d'une identité européenne de défense qui, pour nous, doit être non pas séparée de l'Alliance Atlantique, mais séparable en cas de besoin, c'est-à-dire dans l'hypothèse où elle devrait intervenir dans un conflit où les Américains n'estimeraient pas devoir intervenir. Ceci naturellement s’exprime parallèlement avec une seconde réflexion qui, comme l’ensemble du concept de stratégie de l’OTAN bien entendu, ne peut plus être aujourd’hui ce qu’il était il y a dix ans et qui fait l’objet d’une réflexion approfondie, qui doit se terminer à Washington au prochain Sommet de l’OTAN, qui sera celui du cinquantenaire de l’OTAN. Réflexion à laquelle nous participons également. Et donc, n'attendez pas d’initiative particulière avant ce Sommet de l’OTAN.

Vous savez, par ailleurs, que la France considère que la responsabilité doit être mieux répartie à l’intérieur de l’OTAN et a maintenu sa position, je dirais traditionnelle, tout en adaptant les modalités pratiques et techniques à l’évolution des choses, qui est une position qui consiste à être à l’extérieur de l’organisation militaire intégrée. De ce point de vue, il n’y a pas de changement. Donc, notre souci, actuellement, c’est de tout faire, nous en avons débattu avec le Premier ministre anglais à l’occasion de cette rencontre informelle, pour permettre la mise en oeuvre de cette identité européenne de défense qui, de notre point de vue, doit s’exprimer, mais tout le monde ne partage pas ce point de vue, par l’intégration petit à petit de l’Union de l’Europe occidentale dans l’Union européenne.

QUESTION - Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre. Le futur gouvernement allemand a annoncé l’abandon du nucléaire, notamment les Verts. Je voulais savoir ce que vous en pensiez l’un et l’autre et quelles conséquences cela pouvait avoir sur la France ?

LE PRÉSIDENT - Je vais demander à M. le Premier ministre de répondre sur les conséquences. Je dirais simplement que nous ne savons pas encore quelle sera concrètement la politique allemande. Ce qui est sûr, c’est que dans la mesure où elle serait de nature à porter atteinte aux intérêts français, il y aurait lieu tout simplement d'en discuter ensemble.

LE PREMIER MINISTRE - Moi, je serai très bref, M. Le Président. Cette question n’a pas été abordée du tout à l’occasion de cette rencontre informelle. L’énergie nucléaire ne représente pas toute la politique énergétique française mais représente une part déterminante et essentielle de cette politique énergétique. Cette politique nous pouvons d’ailleurs veiller à la diversifier progressivement. Disons que ces problèmes de filière nucléaire nous les maîtrisons techniquement de façon exceptionnellement performante et d’autre part qu’il y a un degré d’acceptabilité de la politique nucléaire en France qui est tout à fait considérable lui aussi. Donc, les contextes psychologiques, les choix énergétiques, les capacités en ressources, notamment charbonnières, n’étant pas les mêmes, les attitudes de l’opinion n’étant pas les mêmes, les attitudes des forces politiques composant le paysage politique français/ allemand étant aussi sensiblement différentes, on peut comprendre que des choix nationaux différents puissent être faits. Pour autant, nous ne savons pas encore comment telle ou telle évolution se fera en Allemagne, à quel rythme et, d’autre part, nous n’avons pas d’indications précises sur les conséquences que cela pourrait avoir sur des coopérations qui existent ou sur des contrats qui ont été signés. Donc, nous prenons cela tranquillement, nous examinerons avec nos amis allemands, avec la nouvelle équipe, progressivement quelles conclusions nous aurons ensemble à en tirer. Quand je dis ensemble, c’est pour ce qui nous lie. Pour le reste, le Président le dirait mieux que moi, mais la France détermine naturellement sa propre politique.

QUESTION - Monsieur le Président, dans les prochains mois vous devez choisir un Monsieur PESC et un Président de la Commission européenne. Je voudrais savoir quel est le profil politique que vous souhaitez pour ce poste ?

LE PRÉSIDENT - Alors, vous dites que je devrais choisir dans quelques mois le Président, malheureusement, ce n’est pas moi tout seul, je dis malheureusement parce que cela serait beaucoup plus simple. S’agissant de M. PESC, la France a indiqué son souhait de voir cette fonction confiée à un homme politique. C’est-à-dire à quelqu’un qui aurait en tous les cas exercé des fonctions gouvernementales, aurait siégé dans un gouvernement, qui ne soit pas donc seulement un technicien. Et quelqu’un qui, par là-même, pourrait avoir un accès facile à des chefs d’Etat et de gouvernement étrangers.

Voilà, ceci étant, personne aujourd’hui, au cours de ce Sommet, n’a discuté d’autre chose que du principe. J’ai cru comprendre d’ailleurs, que sur cette proposition ou sur cette suggestion française, il y avait un accord assez large. Pour ce qui concerne la Présidence de la Commission, chaque chose en son temps. Nous verrons cela lorsque le débat sera ouvert, c’est-à-dire en début d’année prochaine.

QUESTION - Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, je voudrais revenir un instant sur le problème des taux. Une question sur le problème des taux, simplement parce que, certes, vous prenez toutes les précautions oratoires qu’on comprend bien pour exprimer votre opinion. Mais de fait les marchés ne vont-ils pas comprendre ça comme une épreuve de force engagée entre les gouvernements d’une part et les banquiers centraux d’autre part ?

LE PRÉSIDENT - Ecoutez, Monsieur, non. Je m’excuse de vous interrompre. Mais évidemment, si vous le présentez de cette façon, alors vous pouvez peut-être avoir une petite influence sur les marchés. Mais ce serait stupide. Au nom de quoi des Chefs d’État et de Gouvernement réunis ensemble à titre informel, au coin du feu, devraient avoir des tabous, des sujets qu’ils n’auraient pas le droit d’aborder parce que d’autres instances sont compétentes ? Il y a aussi les problèmes éthiques que l’on pourrait exclure de notre réflexion, et bien d’autres. Je le répète, ce qui a été dit, n’est en rien une mise en cause de l’autorité des banquiers centraux. Chacun a donné son avis. Et ce n’est pas mauvais. Ce qu’on a dit en fait, eh bien cela ne vous regarde pas. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on ne vous l’a pas dit. Et donc vous ne pourrez pas dire qu’on a dit ceci ou cela, puisqu’on ne vous a pas dit ce qu’on avait dit.

Je vous remercie.





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