Washington, États-unis d'Amérique, le samedi 24 avril 1999
LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs,
L’actualité du Kosovo a naturellement dominé ce sommet. Nous en avons parlé, vous le savez, toute la journée d’hier, nous venons d’y consacrer la totalité du déjeuner des chefs d’Etat et de Gouvernement. Mais il ne faut pas oublier que ce sommet avait également pour ambition de prendre des décisions et des orientations importantes pour le rôle de l’OTAN au cours des prochaines années, dans la période qui s’ouvre.
Comme vous le savez, au-delà de sa mission traditionnelle de défense contre une éventuelle agression, l’OTAN a développé de nouvelles missions, en particulier, par sa participation à des opérations de maintien ou de rétablissement de la paix. C’est le cas en Bosnie, depuis déjà plusieurs années, c’est aujourd’hui le cas au Kosovo.
La question se pose donc, est étudiée déjà depuis bien des mois : dans quelles conditions l’OTAN peut-elle accomplir ses nouvelles missions à l’avenir ? Peut-elle agir à son gré sur simple décision de ses membres, autrement dit l’OTAN peut-elle faire ce qu’elle veut, où elle veut, quand elle veut ou au contraire l’OTAN doit-elle faire les choses, intervenir avec l’accord du Conseil de sécurité et conformément à la Charte des Nations Unies ? Vraie question.
Vous connaissez la position française. L’évolution vers un monde multipolaire, qui nous paraît inéluctable, exige, si l’on veut qu’il se développe dans l’harmonie et dans la paix, le respect d’un Etat de droit international, un Etat de droit démocratiquement élaboré par la communauté des nations, qui elle-même est incarnée par l’Organisation des Nations Unies et par son Conseil de sécurité.
Certains de nos alliés, et notamment nos amis américains, je l’avais évoqué à l’occasion du point de presse d’hier, en réponse à certaines de vos questions, estimaient que l’OTAN, parce qu’il s’agit d’une organisation composée de démocraties dont les objectifs seraient de ce fait légitimes par nature, que l’OTAN pouvait s’affranchir de cette autorité de l’Organisation des Nations Unies. La France s’y est opposée, car l’acceptation d’une telle dérogation pour l’OTAN conduirait à admettre d’autres dérogations, demain, pour tels ou tels autres pays ou organisation internationale, dont les objectifs pourraient, en tous les cas de notre point de vue, être contestables et, de proche en proche, il s’agirait donc d’accepter ou d’imposer la loi du plus fort. C’est donc tout l’ordre international mis en place après la seconde guerre mondiale qui était en cause ou qui est en cause dans cette discussion. C’était aussi notre vision du monde qui était en quelque sorte discutée, voire menacée.
La France a fait preuve sur ce sujet d’une grande fermeté. Je vous l’avais dit et je suppose que vous n’en doutiez pas. Je m’en étais entretenu avec le Président Clinton à plusieurs reprises au cours de ces derniers mois et encore longuement au cours d’un entretien que j’ai eu avec lui hier.
Au terme de ces longs débats, débats longs et difficiles, je voudrais vous dire les résultats qui ont été obtenus, les décisions qui ont été prises et qui représentent une vraie victoire dont je me réjouis pour la diplomatie française.
Permettez-moi d’entrer un peu dans les détails, de façon à ce que vous soyez parfaitement éclairés. Nous avons approuvé deux textes qui se complètent. Un communiqué et un rapport dit "concept stratégique ", deux textes qui fixent le cadre de travail de l’OTAN dans les prochaines années. Le rôle de l’ONU y est clairement affirmé à notre demande, et ceci à plusieurs reprises.
Tout d’abord dans les articles qui définissent les tâches de l’Alliance, il est précisé que les alliés sont, je cite : " engagés par la Charte des Nations Unies ", c’est l’article 6 du communiqué et l’article 10 du concept stratégique. Premier point qui pour nous était capital. Ensuite, je cite : "la responsabilité primordiale du Conseil de sécurité des Nations Unies dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale " est affirmée à plusieurs reprises. Ce sont l’article 38 du communiqué, l’article 6 du communiqué, l’article 10 du concept stratégique. Ce deuxième point était pour nous également tout à fait essentiel.
Enfin, il est rappelé que l’OTAN soutiendra les opérations de maintien de la paix, je cite "sous l’autorité du Conseil de sécurité ", c’est l’article 31 du concept stratégique concernant la prévention des conflits et la gestion des crises. Ce dernier point était également pour nous capital. Il a été, je dois le dire, résolu, et c’est la raison pour laquelle je ne pouvais pas l’évoquer hier, il a été résolu à la toute dernière minute, c’est-à-dire en réalité tard dans la nuit, hier.
Voilà donc le cadre dans lequel l’OTAN agira dans le futur, qui est celui que nous souhaitions. Vous pouvez être assurés d’ailleurs que la France s’attachera à faire respecter ces dispositions. Je suis naturellement heureux de ce résultat, résultat d’une négociation qui fut difficile, longue, surtout difficile, notamment dans les dernières heures. Et il s’agit, je le répète, d’une vraie victoire de la diplomatie française.
Je souhaiterais, par ailleurs, vous dire que nous avons abordé les questions de défense européenne. II a été pris acte des progrès accomplis par les Européens, je pense en particulier aux décisions de l’Union européenne ou à la déclaration franco-britannique de Saint-Malo. Nous sommes satisfaits que l’OTAN reconnaisse et accepte les ambitions et les réalisations des Européens et il appartient désormais à ceux-ci d’aller de l’avant. Il y a néanmoins un point que je voudrais préciser. Ce texte a fait l’objet d’un accord complet entre les Américains et les Européens, mais il reste encore une interrogation, car il semble que la Turquie ne soit pas disposée, en tous les cas n’était pas disposée, à l’accepter en l’état. Il y a actuellement une réunion des ministres des Affaires étrangères pour lever ce dernier obstacle, mais je n’ai pas encore le résultat de cette réunion.
Enfin, la France était particulièrement satisfaite de l’accueil de trois nouveaux membres de l’OTAN à Washington, vous le savez, la République tchèque, la Hongrie et la Pologne. Comme nous l’avons souhaité, et vous savez que nous nous étions battus depuis longtemps pour cela, la porte de l’élargissement reste ouverte, notamment à la Roumanie et à la Slovénie qui sont citées précisément, mentionnées, bien entendu, cela n’exclut dans notre esprit aucune des démocraties européennes, en fonction de leurs évolutions et de leurs souhaits. En attendant ces nouveaux élargissements, il a été convenu de renforcer la coopération en matière de sécurité avec tous ces pays.
Voilà donc ce qui a été fait ce matin. Je ne parle pas du déjeuner d’aujourd’hui, je le répète, qui était exclusivement consacré à la situation au Kosovo et qui était un échange de vues, je dirais, relativement confidentiel entre les 19 chefs d’Etat et de Gouvernement, sur lequel je n’aurais qu’un commentaire à faire. C’est que comme hier, il est apparu clairement que la détermination était totale et, s’agissant de la stratégie suivie par l’OTAN, l’accord était unanime.
QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que le retour en force de l’ONU, dont vous venez de parler, peut avoir aujourd’hui un impact sur une sortie de crise au Kosovo ?
LE PRÉSIDENT - Vous avez vu que le texte que nous avons adopté hier sur le Kosovo précise que le déploiement d’une force de maintien de la paix, qui est éventuellement prévu dans le cadre d’une sortie de crise, devrait l’objet d’une décision du Conseil de sécurité de l’ONU. De même, vous savez que les propositions qui ont été faites par le secrétaire général de l’ONU et qui ont été adoptées à l’unanimité à Bruxelles par les chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union européenne restent naturellement sur la table. J’ai encore eu ce matin un long coup de téléphone avec le secrétaire général Kofi Annan, qui vient d’ailleurs dans les jours prochains rendre visite en Allemagne au chancelier, en sa qualité de président en exercice de l’Union. Donc l’ONU est, et reste, très impliquée dans la gestion et dans l’élaboration d’une sortie de crise. Et nous le souhaitons ainsi, naturellement.
QUESTION - Selon les informations, la Russie serait réticente à respecter cet embargo, ce blocus naval de la Serbie, en ce qui concerne les produits pétroliers. Qu’en pensez-vous ?
LE PRÉSIDENT - Je n’ai pas d’informations sur une position de la Russie, mais je dois dire que votre renseignement m’étonne un peu, et même beaucoup. Mais enfin, je ne le conteste pas. Mais il est évident que l’embargo doit être respecté par tous les pays qui sont solidaires d’une certaine idée de la démocratie. Et vous avez vu quelle était la position de l’Union européenne, qui non seulement a décidé l’embargo total, mais également a demandé à tous les pays avec lesquels elle a des accords, et ils sont forts nombreux, qu’ils respectent également cet embargo. On peut donc dire, globalement, que cet embargo sera respecté.
QUESTION - On a parlé aussi de sécurité dans l’Europe ou dans la zone atlantique et européenne, et hors de cette zone. Qu’en est-il des résolutions qui ont été prises là-dessus, sur le nouveau concept stratégique. Est-ce que l’OTAN peut appliquer ces résolutions hors de sa zone ou est-ce qu’elle reste dans sa zone ?
LE PRÉSIDENT - Je crois avoir répondu à cette question. L’OTAN, c’est un accord de défense. Il l’a été, nous lui devons probablement cinquante ans de paix, il n’a jamais eu à guerroyer. Dans cet ensemble, dans ce contexte, sa mission reste et rien n’est changé. En revanche, comme je vous l’ai indiqué, l’OTAN apparaît dorénavant comme pouvant être impliquée plus souvent dans des opérations extérieures de sa zone, soit pour des missions de maintien de la paix, soit pour des missions de rétablissement de la paix. Cela a commencé avec la Bosnie, cela concerne maintenant le Kosovo. Alors je le répète, à partir de cette affaire du Kosovo, on pouvait discuter longuement, notamment les juristes, sur le point de savoir si l’action de l’OTAN était bien autorisée par la résolution 1203 des Nations Unies. Certains considéraient qu’effectivement ces résolutions autorisaient l’OTAN à agir, d’autres contestaient cette affirmation. Et par conséquent, le problème de fond, pour ce type d’opérations, ailleurs, c’était de savoir si l’OTAN pourrait prendre tout seul la décision d’agir ou si l’autorisation des Nations Unies, du Conseil de sécurité, était nécessaire et dans quelle condition. Et cela a donné lieu à un grand débat, depuis près de deux ans, qui s’est naturellement intensifié au fur et à mesure qu’on approchait de l’échéance. Un débat qui a connu son sommet, je dirais, dans la journée d’hier et dans la nuit d’hier à aujourd’hui. La réponse apportée est celle que je vous ai dite. En réalité, l’OTAN ne pourra et ne devra pas agir sans avoir l’assentiment de l’Organisation internationale.
QUESTION - Je voudrais simplement revenir sur le " ailleurs ", qui pose problème. Est-ce que le " ailleurs " c’est sur l’ensemble de la planète, ou est-ce qu’on reste quand même dans une zone européenne ?
LE PRÉSIDENT - A partir du moment où l’on est sorti de la zone européenne, le ailleurs c’est tout le reste. Sur cette affaire de zone, je rappelle que naturellement, quand je dis " ailleurs ", pour définir le " ailleurs ", la compétence de l’Alliance atlantique reste limitée géographiquement à la zone euro-atlantique bien entendu. C’est cela le " ailleurs ".
QUESTION - Vous avez mentionné le cas de la Roumanie qui est spécialement mentionnée dans le communiqué final. Qu’est-ce que c’est cette mention exacte de la Roumanie, et quelles sont les portes ouvertes pour la Roumanie ? Deuxièmement, que pensez-vous de cette idée de convoquer une conférence sur la stabilité des Balkans, et quel sera le rôle des pays de ligne de front comme ils sont nommés maintenant ?
LE PRÉSIDENT - Sur la première question, vous savez que la France, en particulier, s’était battue pour que la Roumanie et la Slovénie entrent à l’OTAN à l’occasion de la dernière réunion, qui était celle de Madrid, si j’ai bon souvenir. Et nous étions arrivés à un tiers de victoire et deux tiers de défaite. La partie victoire, c’était la mention de la Roumanie et de la Slovénie comme ayant vocation à entrer. Les deux tiers de la défaite, c’était qu’elles n’étaient pas entrées. Depuis, les choses n’avaient pas beaucoup bougé, et les partisans d’une porte fermée ou quasi-fermée étaient nombreux. Alors nous avons, nous, insisté beaucoup pour que la porte reste ouverte. Puis, quand on a obtenu que la porte reste ouverte, soutenus d’ailleurs par un certain nombre de gens, nous n’étions pas les seuls naturellement, il y avait l’Italie en particulier qui était tout à fait sur la même ligne que nous. Alors nous avons dit : oui mais on ne peut pas aller moins loin qu’à Madrid. Or à Madrid, on avait cité la Roumanie et la Slovénie, alors il faut au moins citer la Roumanie et la Slovénie. Alors on les a citées, ce qui n’exclut personne d’autre, bien entendu.
La France est favorable à une conférence, qui d’ailleurs est une proposition allemande, de stabilité et de développement dans les Balkans, pour le moyen terme. C’est-à-dire qu’il faut attendre que la paix soit revenue. Mais nous y sommes favorables.
QUESTION - Pour être bien clair sur les opérations en dehors de la zone de l’OTAN, est-ce qu’il faudra, à chaque fois, une résolution du Conseil de sécurité ?
LE PRÉSIDENT - C’est incontestablement notre souhait, notre interprétation des choses, et ce qui a été retenu dans les textes qui vous ont été distribués.
QUESTION - Sans trahir la confidentialité de votre déjeuner concernant le Kosovo, pourriez-vous nous donner quelques éclaircissements sur des propos qui ont été tenus par le porte-parole de l’OTAN, sur la flexibilité accordée au commandement militaire sur le choix des cibles. Je précise ma question : est-ce que le maintien du contrôle politique sur le choix des cibles en Serbie est un souci pour vous ?
LE PRÉSIDENT - D’abord, je ne ferai aucun commentaire sur ce qui a été dit à ce déjeuner, cela va de soi. Je donnerai donc mon sentiment personnel. Je considère que les militaires sont responsables pour tout ce qui concerne la conduite des actions de guerre, et donc ils doivent avoir les mains libres pour cela. Mais, bien entendu, cette liberté doit s’inscrire dans un contexte politiquement borné, et les bornes ne peuvent être effectivement que fixées par le politique, et donc il doit le faire.
QUESTION - Monsieur le Président, il semble que les ministres de la Défense aient évoqué la possibilité de contrôler les bateaux qu’on soupçonnerait de transporter du pétrole. Est-ce que l’on pourrait prendre une décision effective là-dessus ou est-ce que la France s’y opposerait comme vous sembliez un peu le dire hier ?
LE PRÉSIDENT - Alors, je vais répondre avec prudence puisque le texte n’est pas encore au point, on l’aura en principe dans l’après-midi. Il faut bien comprendre que, d’abord, il est légitime de la part des alliés de vouloir interdire toute livraison de matériel ou de produits utilisables par l’armée du régime serbe. C’est un souci tout à fait légitime. A quoi répond, notamment pour ce qui concerne le pétrole, la position de l’Union européenne, l’embargo que j’ai évoqué tout à l’heure.
Alors s’agissant du droit d’inspection, auquel vous faites allusion, c’est extrêmement délicat, le mot est faible. Car l’inspection, cela va bien si le bateau que l’on veut inspecter se laisse inspecter. Mais supposez qu’il ne se laisse pas inspecter, alors il faut l’arraisonner pour l’inspecter, si j’ose dire, de force. Or, l’arraisonnement d’un bateau, en droit international, c’est un acte de guerre. Alors, je vous laisse à penser que cela pose quelques problèmes.
Et c’est la raison pour laquelle nous avons dit qu’il fallait être très prudent dans cette affaire et bien en étudier tous les aspects avant de prendre une décision définitive. Et c’est parce que nous avons demandé cela que le texte tarde un peu à sortir puisque le ministre français de la Défense, hier, a été, je crois, le seul à faire une réserve qui a justifié une reprise de l’étude sur cette affaire.
QUESTION - Partagez-vous le point de vue de Tony BLAIR pour qui la force de sécurité prévue pour le Kosovo pourra, le cas échéant, entrer au Kosovo, même sans l’accord de Belgrade ?
LE PRÉSIDENT - Cette question est prématurée. Si nous arrivons à un accord de paix, il faudra une force, je dirais de maintien de la paix qui s’installe au Kosovo. Elle avait été prévue dans les accords de Rambouillet sous la forme d’une force OTAN.
Pour ce qui me concerne, je suis tout à fait ouvert à la discussion permettant de définir quelle sera la nature de cette force. Je souhaite qu’elle soit aussi large que possible, qu’elle comprenne notamment des contingents russes ou ukrainiens, comme cela se voit en Bosnie. Ce qui veut dire, en fait, qu’elle ne peut se concevoir que dans le cadre d’un accord politique, parce que, supposez qu’elle veuille s’installer au Kosovo contre l’accord des Serbes, vous voyez bien les conséquences que cela comporterait. Ce ne serait plus une force de paix ou de sécurité, ce serait une force de guerre qui aurait, en tous les cas, sinon l’initiative de la guerre, mais qui aurait, sans aucun doute, à en subir les conséquences de la part des Serbes. Donc, c’est un peu une fausse question.
QUESTION - Monsieur le Président, vous vous êtes réjoui à l’instant des progrès concernant la défense européenne. Après les sommets de Berlin, de Madrid qui avaient défini un certain nombre de concepts dans ce domaine, je voudrais vous demander ce que vous en attendez pour l’avenir, et ce que cela aurait changé dans une situation actuelle ou analogue, par rapport à ce qui se passe aujourd’hui ?
LE PRÉSIDENT - Je pense qu’il n’y a pas de collectivité, l’Histoire nous apprend qu’il n’y a pas de collectivité humaine qui ait longtemps résisté sans capacité autonome de défense. C’est une première constatation qui me conduit à dire que l’Europe n’échappe pas à cette réalité, et serait bien inspirée de se doter d'une capacité autonome de défense.
Alors, deuxième observation : il est clair, et les cinquante ans passés nous le démontrent, que l’équilibre du monde, et, notamment, en tous les cas du monde euro-américain, dépend d’une vraie Alliance transatlantique. Donc, il faut avoir une Alliance transatlantique qui, concrètement, prend la forme de l’OTAN. Mais la deuxième réflexion n’annule pas la première. Et donc, nous sommes depuis longtemps extrêmement favorables à l’élaboration d’une identité européenne de défense qui ne soit pas à l’extérieur du système de l’Alliance, mais qui puisse, le cas échéant, lorsqu’il s’agit d’actions qui n’intéressent pas les Etats-Unis, ou que les Etats-Unis ne veulent pas mener, mener elle-même ces actions avec un ensemble de commandements, de logistique, etc., qui lui permette de les mener.
Cette conception des choses a toujours été, relativement et théoriquement, sympathique à tous nos partenaires européens sans pour autant qu’ils se mobilisent pour la pousser en avant et l’organiser. On ne peut pas dire que les responsables de l’OTAN y aient vu là une idée géniale. Si bien que les choses ont un peu traîné. Et la France était un peu seule, en fait, dans une volonté clairement exprimée pour une identité européenne de défense. Seule, pas dans les discours, mais dans les faits.
Et là-dessus est arrivée la réunion de Pörtschach où l’Angleterre, après réflexion, a réalisé qu’on ne pouvait pas rester dans cette situation et qu’il fallait qu’elle fasse mouvement. Elle a donc fait sa déclaration qui a conduit à une négociation franco-britannique, qui s’est clairement exprimée dans la déclaration du Sommet franco-britannique ou anglo-français, de Saint-Malo. Et cette déclaration qui a, je dois le dire, un peu surpris les Américains, qui n’avaient pas été, semble-t-il, préalablement informés, et qui ont réagi avec un peu d'humeur dans un premier temps, si j’ai bien compris, cette déclaration de Saint-Malo a fait immédiatement l’objet d’une concertation avec nos partenaires européens, au premier rang desquels, bien entendu, notre partenaire allemand, qui soutient cette initiative, qui est soutenue par l’ensemble, aujourd’hui, des membres de l’Union européenne. Alors, nous allons voir.
Nous avons réussi à obtenir, ou il semble que nous allons réussir à obtenir -je dis : il semble, parce que, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, nous avons un problème avec la Turquie, mais tous les autres, les 18 autres sont unanimes-, je dirais, une reconnaissance de cette réalité. Les diplomates français disaient qu’ils souhaitaient que le Sommet de Washington tire un coup de chapeau -c’est leur expression- à l’identité européenne de défense. Alors, cela a été fait, cela a même été bien fait, sous réserve de l’accord de nos amis turcs qui n’est pas encore donné, pour des raisons complexes.
QUESTION - Monsieur le Président, je voudrais revenir sur les " propositions ", entre guillemets, de Slobodan Milosevic. Entre guillemets, puisqu’elles n’ont pas été considérées comme recevables par les Occidentaux, la première fois après la visite de Primakov, la deuxième fois après la visite de M. Tchernomyrdine. On peut imaginer que dans...
LE PRÉSIDENT - Ce n’étaient pas les mêmes, n’est-ce pas ?
QUESTION - Non, pas exactement...
LE PRÉSIDENT - Dans le premier cas, il n’y avait rien du tout, et dans le deuxième, pas beaucoup plus.
QUESTION - Voilà, mais on peut imaginer que, dans quinze jours ou dans trois semaines, il y en ait une nouvelle, et que cela aille un petit peu plus loin. Donc, ma question est de savoir si les approches européennes et américaines, par rapport à ces propositions, quand elles sont faites, seront exactement les mêmes ou est-ce que l’on peut considérer que les Européens sont peut-être un petit peu plus réceptifs à l’idée d’une sortie de crise par la négociation que les Américains ? Et puis, j’ai une deuxième petite question qui n’est pas en liaison directe avec le Sommet. Mais l’exercice de notre métier n’est pas facile sur le terrain. Vous savez qu’un journaliste français a été condamné à un mois de prison préventive par les Serbes, en attendant l’instruction de son procès. Il semble que vous soyez intervenu ?
LE PRÉSIDENT - Sur le premier point, les propositions de Milosevic, je ne crois pas que l’on puisse dire qu’il y ait une divergence entre les Américains et les Européens. Dans les minutes, si j’ose dire, qui ont suivi, il y a eu quelques avis divergents fondés sur le fait qu’on ne savait pas exactement ce qui s’était dit. Les gens sont toujours un peu trop pressés de parler ou de répondre aux questions qui leur sont posées par la presse. Mais, très rapidement, on s’est aperçu qu’il n’y avait pas de substance dans les propositions de Milosevic et que, par conséquent, elles ne pouvaient pas servir de base à une discussion. Et là, je crois que les 19 pays ont été d’accord. Et je n’ai pas observé la moindre nuance entre eux. L’une des impressions générales, d’ailleurs, de ce Sommet, c’est qu’il y a vraiment une totale unité sur la stratégie adoptée, la nécessité de la poursuivre, de l’amplifier et la détermination des gens. Cela me frappe beaucoup. Souvent, car nous sommes quand même 19, il y a des nuances, plus ou moins. Je crois qu’il n’y a pas de différence.
Pour le caméraman qui a été arrêté au Monténégro, et condamné effectivement à 30 jours de prison, nous sommes en train de faire tout ce qui est possible. J’ai téléphoné à M. Djukanovic. Nous restons en contact avec lui et nous faisons naturellement tout ce qui est humainement possible, car nous considérons qu’il s’agit là d’un acte extrêmement condamnable, et que nous n’attendons pas du Monténégro. Sauf si, en réalité, ce sont les Serbes qui l’ont pris et non pas les autorités dépendant de M. Djukanovic. Mais enfin, néanmoins, nous avons fait et nous faisons la pression au maximum.
QUESTION - Il y aura une deuxième réunion consacrée au Kosovo, à 19 + 7. Sera-t-elle, comme la précédente, un conseil de guerre ?
LE PRÉSIDENT - Ce n’est pas tout à fait la même nature de réunion. A l’origine, la France a demandé que l’on prenne en considération les problèmes des 7 pays limitrophes de la zone de crise, et cela a été accepté. Alors, dans un premier temps, cela a donné une réunion qui devait avoir lieu vendredi après-midi au niveau des ministres des Affaires étrangères. J’ai dit immédiatement au Président Clinton, par téléphone, que je trouvais que c’était un peu juste, et que la situation était telle, ce que supportent ces pays, compte tenu de leur situation, qu’il fallait une réunion au niveau au-dessus. D’où cette réunion de demain matin entre les 19 et les 7. Elle aura pour objet, non pas de faire un conseil de guerre ou de défense, mais d’apprécier les conséquences de la crise en général sur ces pays, et les conséquences qu’il faut tirer de cette situation.
Je vous remercie.
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