Conakry, Guinée, le mercredi 21 juillet 1999
M. CONTÉ - Mesdames et Messieurs les journalistes, je voudrais, au nom du peuple de Guinée, remercier le Président Jacques CHIRAC, son gouvernement et le peuple français d'avoir bien voulu accepter de faire cette visite dans notre pays. Nous en sommes très fiers et très honorés. Nous voulons que la coopération entre la France et la Guinée se développe. Vous ne restez pas sans savoir que, depuis 1984, la France a beaucoup fait pour notre pays. Les journalistes ont énuméré beaucoup de choses que la France a effectuées dans notre pays. Le peuple de Guinée reste reconnaissant. Sa visite, ici, aujourd'hui, en Guinée, va certainement renforcer les relations déjà établies entre la France et notre pays.
Certains journalistes français voulaient savoir tout à l'heure, à l'aéroport : " qu'est-ce que la visite du Président CHIRAC nous apporte " ? Je ne veux pas que vous demandiez à nouveau, je voudrais simplement vous dire qu'avec sa visite, nous savons déjà que les rapports seront beaucoup plus solides. Cela va renforcer la confiance entre la France et la Guinée. Cela encouragera les investisseurs français qui ont toujours hésité à venir en Guinée, au retour de la délégation française en France, à venir investir chez nous parce qu'aujourd'hui je pense que nous avons pu mettre à plat quelque chose qu'il faut pour attirer les investisseurs.
Il y a beaucoup de choses dans cela qui manquent encore. Vous savez, quand on dit un investisseur, il ne vient pas pour faire des cadeaux. Il n'y a aucun investisseur qui vient pour faire des cadeaux et repartir. Un investisseur n'est pas une institution humanitaire. Celui qui vient, il donne, mais aussi il prend. Alors, ce qu'il doit prendre, si on l'empêche de prendre cela, il ne revient plus. C'est cette confiance qu'il faut que nous cultivions entre les investisseurs étrangers et la Guinée. Le Président CHIRAC apportera, j'en suis sûr, avec la délégation qui l'accompagne et les journalistes qui l'accompagnent, beaucoup d'investisseurs dans notre pays.
Voilà, je pense avoir répondu à cette question. On n'attend pas d'autre chose de la visite d'un chef d'Etat. Parce qu'un chef d'Etat vient pour une visite à un autre Etat, à un peuple. Ce qu'il apporte, c'est son amitié. Il ne peut pas donner plus. Mais ce qu'il peut faire apporter, c'est ce qui est beaucoup plus important. Je pense que les investisseurs, s'ils ne peuvent pas écouter les Guinéens, ils écouteront au moins le Président français.
Maintenant, si un journaliste a une question à poser, je suis prêt à répondre.
LE PRÉSIDENT - Je voudrais d'abord remercier le Président Lansana CONTE de son accueil, et chacun comprendra que je dise mon émotion à la suite de l'accueil que le peuple de Guinée nous a réservé, Un accueil nombreux, chaleureux, un de ces accueils qui caractérisent l'Afrique, son coeur, son sourire, son regard et dont je rapporterai, dont nous rapporterons dans nos pays du Nord un souvenir très fort. Je voudrais vraiment exprimer ma reconnaissance au peuple de Guinée.
Nous avons évoqué avec le Président les problèmes de nos relations bilatérales, les problèmes de la sous-région, qui sont des problèmes difficiles et dans lesquels la Guinée apporte le meilleur d'elle-même en termes de paix, le problème des relations entre la Guinée et l'Europe et plus généralement l'Afrique et l'Europe, puis les problèmes internationaux qui nous préoccupent ensemble. J'ai voulu indiquer au Président quelle était l'orientation aujourd'hui d'une politique africaine qui est constante pour la France mais qui, naturellement, s'adapte au fil des ans à l'évolution des choses et du monde.
La France, aujourd'hui, souhaite un véritable partenariat actif avec l'Afrique et notamment avec chacun des pays africains. Sa politique est marquée par la fidélité à ses amitiés anciennes, mais également par une ouverture nouvelle à des pays avec lesquels elle n'avait que peu de relations, et c'est le sens qu'il faut donner, par exemple, à ma visite au Nigeria. La France souhaite surtout, en tant que vieille nation notamment marquée par l'élaboration d'un certain type de démocratie, des Droits de l'homme, dans la mesure où les pays africains le souhaitent également, accompagner ces pays, accompagner ces peuples sur le chemin de la démocratie et du développement dans le respect de l'identité de chacun, dans le respect des intérêts de chacun, dans le respect de l'âme de l'autre. Et c'est dans cet esprit que je souhaite que la France et la Guinée puissent, la main dans la main, poursuivre dans cette voie.
Sur le plan régional, j'ai tenu à dire au Président CONTE toute l'estime que la France avait pour le comportement d'un pays qui a toujours été le sien, notamment dans les drames qui se sont déroulés et qui se déroulent à ses frontières. Et j'ai dit au Président que nous étions solidaires, tout à fait solidaires de son action et que nous partagions la même vision des choses, les mêmes craintes et les mêmes espoirs : qu'il s'agisse du Libéria, de la Guinée Bissau ou du Sierra Léone.
Enfin, nous avons évoqué les problèmes qui ont été, par ailleurs, traités par le ministre de la Coopération sur les relations à la fois bilatérales et euro-guinéennes.
Voilà ce que je voulais simplement dire, en remerciant, encore, le Président pour un accueil que je n'oublierai pas.
QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que vous avez évoqué le cas d'Alpha CONDE avec le Président CONTE et est-ce qu'il y a eu quelque chose qui en est sorti, ou bien on est resté sur la décision, visiblement, du Gouvernement, que l'on a écouté, ce matin, et qui veut aller jusqu'au procès ?
LE PRÉSIDENT - J'ai évoqué ce problème avec le Président non pas pour faire d'ingérence dans les affaires de la Guinée mais parce que nos relations personnelles et amicales me permettaient de le faire. Et j'ai compris que l'intention des autorités guinéennes était de faire en sorte que l'instruction soit menée le plus rapidement possible, et dans le sérieux et la sérénité de la justice, et qu'ensuite le procès soit un procès tout à fait transparent et auquel chacun pourra observer. Et à partir de là, la décision appartient à la justice de Guinée, mais peut-être que le Président veut ajouter un mot.
M. CONTÉ - Je n'ai rien à ajouter, c'est ce que l'on a dit.
QUESTION - Monsieur le Président de la République de Guinée, Alpha CONDE a perdu la présidentielle de l‘an dernier, alors certains se demandent pourquoi, puisqu'il n'est plus un danger pour vous, vous le maintenez en prison au risque peut-être de ternir l'image de la République de Guinée en Afrique et dans le monde ?
M. CONTÉ - L'image de la République de Guinée ne peut pas être ternie parce que l'on a mis un individu en prison. Ce n'est pas seulement en Guinée que l'on met en prison. On met en prison partout, quand il y a des fautes. Quand c'est vérifié. Mais si la faute de l'intéressé est reconnue, la justice est là pour juger. Tous les jours, en France, vous êtes en train de mettre en examen tout le monde : de temps en temps, tel ou tel ministre est mis en examen, tel ou tel député est mis en examen, tout le monde est en examen. Si c'est vrai, on le maintient en prison, si ce n'est pas vrai, on le laisse partir. Pourquoi le cas de la Guinée vous tracasse tellement ?
QUESTION - Monsieur le Président de la République française, après la rencontre de Dakar et beaucoup d'autres contacts entre vous et le chef de l'Etat de la Guinée, vous avez pris le temps de vous connaître, que pensez-vous de ce temps aujourd'hui ?
Deuxième question : vous avez déclaré le 14 juillet dernier que dans une démocratie, il faut une opposition forte et un programme puissant pour prendre le pouvoir. Est-ce que ces propos sont valables pour l'Afrique ? Et je souhaiterais connaître aussi les motivations, le choix des capitales que vous visitez cette fois-ci ?
LE PRÉSIDENT - Je voudrais tout d'abord vous dire que j'ai pour le Président CONTE, et depuis longtemps, un très grand respect fondé sur une réalité. C'est que le Président CONTE est un homme de paix. Et je crois qu'avec la démocratie, la paix est le besoin le plus important de l'Afrique d'aujourd'hui. Quand on voit, y compris dans cette sous-région, ce qui se passe, on se dit que l'on a vraiment besoin d'hommes de paix. D'ailleurs je connaissais le Président CONTE depuis longtemps, notamment au travers du jugement d'un homme pour lequel j'avais un infini respect, avec lequel le Président CONTE n'a pas toujours été d'accord d'ailleurs, et qui était le Président Félix HOUPHOUET-BOIGNY, qui m'a toujours dit, quels que soient les accords ou les désaccords qui pouvaient y avoir entre eux, des choses extrêmement élogieuses sur le Président CONTE, même quand il n'était pas d'accord sur des problèmes politiques ou de politique étrangère.
D'autre part, je vous l'ai dit tout à l'heure, la France est une vieille démocratie, il y en a d'autres. Elle n'est pas devenue une démocratie du jour au lendemain. Le jour où elle a été une démocratie, elle a connu des accidents, des retours en arrière, des difficultés, des problèmes, ce qui lui permet d'avoir une vision un peu indulgente des choses et la compréhension du temps nécessaire pour renforcer, enraciner la démocratie. Nous voyons que la route qui a été empruntée, de ce point de vue, par la Guinée va dans la bonne direction. Ensuite, naturellement, une opposition a pour vocation de devenir majoritaire, mais chaque chose en son temps. Laissons les choses évoluer à leur rythme. Il y a un rythme africain, il faut le respecter.
QUESTION - Monsieur le Président, la loi de cristallisation des pensions des anciens combattants franco-africains a été votée en 1959 par la France. Cette loi porte atteinte aux droits de plus de 80 000 anciens combattants franco-guinéens qui ont combattu aux côtés de leurs frères d'armes français pour obtenir la libération de la patrie française. Des promesses ont été faites par les autorités françaises de régler progressivement cette situation. Quels sont, aujourd'hui, les derniers développements ?
LE PRÉSIDENT - C'est un problème dont je reconnais bien volontiers qu'il existe et qui est un problème essentiellement financier pour appeler les choses par leur nom. Je souhaite qu'au fil des ans, on puisse faire les rattrapages nécessaires. Mais là aussi, il faut nous donner le temps qui nous permet d'assumer ces dépenses qui sont importantes, mais qui sont en concurrence avec d'autres dépenses, celles de l'aide au développement, qui sont également très importantes. Comme vous le savez, la France est tout à fait en tête des militants pour l'aide au développement à l'Afrique. Nous sommes d'ailleurs, et de loin, le premier donneur d'aide au développement à l'Afrique et le deuxième, après le Japon, donneur d'aide au développement pour le monde. Par conséquent, on ne peut pas tout faire. Voilà le fond du problème pour vous dire les choses franchement.
QUESTION - Monsieur le Président de la République, vous avez relevé tout à l'heure quelques problèmes auxquels la Guinée est confrontée, notamment les problèmes de sécurité. Vous êtes à votre première visite en Guinée, vous avez la réputation d'être très attaché à l'Afrique. Peut-on savoir la place qu'occupe la Guinée dans la politique africaine française, notamment par rapport aux orientations françaises en matière de coopération sous-régionale ?
LE PRÉSIDENT - D'abord, la Guinée et la France ont connu une période, je dirai, de froid qui, naturellement, maintenant appartient à l'Histoire. Ce qui fait qu'aussi bien au niveau européen - cela dit, je rappelais tout à l'heure au Président que l'augmentation de l'aide publique européenne a été de 30 % d'une année sur l'autre - qu'au niveau de nos relations bilatérales, la Guinée est aujourd'hui, pour nous, un pays prioritaire. Il est prioritaire parce qu'incontestablement la situation s'améliore. Le jugement porté par le Fonds monétaire international, comme vous le savez, est un jugement positif qui a permis à la Guinée de maîtriser ses dépenses, de maîtriser l'inflation, d'avoir une croissance relativement forte, supérieure à 4,5 %, probablement aux alentours de 5 % pour cette année, malgré les difficultés concernant le marché de la bauxite ou d'autre. Le directeur général du Fonds monétaire international me disait encore, il y a quelques jours, son appréciation positive en ce qui concerne la Guinée.
Premièrement, c'est un pays qui fait un effort dans le domaine de ce que l'on appelle la bonne gouvernance. Cela est très important pour inspirer confiance au monde extérieur et notamment, comme le disait le Président CONTE tout à l'heure, aux investisseurs.
Deuxièmement, c'est un pays dont le potentiel est très important. Nous allons demain, si le temps le permet, ce que je souhaite, inaugurer le barrage avec le Président. C'est un geste fort, à l'égard d'investisseurs qui s'interrogent parfois en se demandant s'il y aura l'énergie nécessaire que requièrent les usines et la production. Nous allons apporter demain, ensemble, à la suite de l'initiative de la Guinée, une réponse positive à cette question.
Tout ceci fait que la Guinée fait partie des préoccupations prioritaires de la France. C'est d'ailleurs ce que Monsieur JOSSELIN, ici présent, a évoqué, je crois, tout à l'heure et évoquera ce soir ou demain avec son homologue et les ministres compétents de Guinée.
Je vous remercie.
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