Rio de Janeiro - Brésil , le mardi 29 juin 1999.
Mesdames et Messieurs,
Nous venons de terminer ce Sommet. J'étais accompagné par le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Coopération, et également par deux personnalités qui ont multiplié les contacts, notamment avec les pays de la Caraïbe, mais aussi de l'Amérique du Sud, Mme MICHAUX-CHEVRY et M. Léon BERTRAND. Je les remercie de ce qu'ils ont fait tout au long de ce Sommet.
C'est une rencontre sans précédent. C'est la première fois -et c'était un peu l'idée aussi, naturellement- depuis cinq siècles, que l'ensemble de l'Amérique latine et de la Caraïbe et l'Europe, en tous les cas la partie de l'Europe qui est organisée dans l'Union européenne, se rencontrent dans une réunion de famille.
Il y a eu tout au long de l'Histoire bien des problèmes, bien des affrontements en Europe, en Amérique latine, et nous sommes dans une période de progrès de la paix, de la démocratie, du droit, de l'amitié. Ces deux grands pôles du monde de demain se sont donnés la main, et c'est émouvant, en tous les cas pour moi c'est émouvant. J'ai le sentiment que tous les chefs d'Etat et de Gouvernement qui étaient là ressentaient cette réunion comme quelque chose d'exceptionnel. Ces pays, d'une certaine façon, sortent d'une longue période, sont sortis assez récemment d'une longue période d'affrontements internes, de régimes autoritaires. La plupart des dirigeants actuels ont trouvé leurs inspirations dans l'Europe, souvent dans la France, en ce qui concerne la vie politique, le régime démocratique.
Et aujourd'hui, on peut dire que c'est la victoire, un peu, de la paix et des Droits de l'Homme qui était le ciment de cette rencontre, de ces retrouvailles familiales, et j'en ai été pour ma part très heureux.
Je trouve que l'idée qu'avait eu le Président CARDOSO de faire précéder ce Sommet dimanche soir d'une réunion à l'Académie du Brésil, pour remettre pour la première fois un prix créé ensemble par l'Académie française et l'Académie du Brésil, le prix de la Latinité à un très grand auteur à la fois mexicain mais également francophone, Carlos FUENTES, était un joli symbole d'ouverture de ce Sommet. Et je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de lire ou d'entendre pour certains d'entre vous peut-être le discours de Carlos FUENTES sur le passé, le présent et l'avenir de la latinité, c'était tout à fait, tout à fait admirable. La latinité, c'est bien ce qui nous unit, c'est une civilisation latine qui s'est retrouvée.
J'avais été un peu à l'origine de cette réunion quand je l'avais proposée, certains d'entre vous s'en souviennent peut-être, devant le Parlement du Brésil. C'était il y a deux ans à peu près et j'avais à l'époque une double préoccupation qui était d'une part le renforcement du côté Europe-Amérique latine du Triangle américano-européen, et, d'autre part, l'idée qu'il fallait faire un pas pour renforcer l'émergence d'un monde multipolaire dont à l'évidence l'Amérique latine constitue un élément important dans la vision, telle qu'en tous les cas je l'ai, du monde de demain.
Alors, les résultats ont été ce que l'on pouvait attendre, ils ont été concrets. Je crois que vous avez une note qui a été distribuée sur les décisions principales qui ont été prises lors de ce sommet. C'était un cadre à la fois souple et adapté qui s'inspirait un peu de ce que nous avions fait pour l'ASEM, à Bangkok et ensuite à Londres, et que nous ferons l'année prochaine à Séoul, entre les pays de l'Europe et les pays de l'Asie. Même si cette fois-ci, nous étions plus nombreux. Toute une série de mesures concrètes ont été décidées, la création d'une formation commune au management, la création de forum d'hommes d'affaires, la mise en réseau d'universités latino-américaines et européennes, l'encouragement à la création de filières universitaires bilingues dans les universités d'Amérique latine, la coopération entre les industries culturelles avec, notamment, l'organisation d'un forum culturel, un effort bien entendu de lutte contre la drogue et de solidarité dans ce domaine, et puis toute une série d'autres décisions qui mettent en marche un système de coopération entre nos deux grands ensembles.
Un suivi pratique a été prévu, il y a un groupe de hauts fonctionnaires qui va suivre l'ensemble des travaux, il y a des réunions ministérielles thématiques qui sont prévues entre les sommets sur l'éducation, la recherche, la culture, l'environnement, etc...Et, d'ailleurs, la France est candidate pour accueillir la première de ces réunions thématiques l'année prochaine. Et puis il a été également prévu de faire un deuxième Sommet, qui cette fois-ci aura lieu en Europe, en Espagne, en 2002. Pourquoi en 2002 ? Parce que c'est la Présidence espagnole et qu'il nous a semblé que c'était un bon rythme de préparation.
A l'intérieur, et nous en avons parlé, de ce cadre général, il y a eu le lancement de deux négociations commerciales importantes : la négociation, lancée sur proposition française, vous le savez, entre l'Union européenne et le Mexique, et ça progresse très bien. Le Président ZEDILLO est tout à fait satisfait de la façon dont les choses se déroulent. Et puis naturellement, on en a beaucoup parlé, je n'y reviendrai pas, le lancement, qui a une importance majeure en raison des intérêts et des enjeux commerciaux, de la négociation commerciale entre le MERCOSUL et l'Union européenne. Importante parce que le MERCOSUL est tout de même l'élément essentiel d'intégration, il joue un peu dans l'Amérique latine le rôle de l'Union européenne en Europe.
Alors, en marge de ce Sommet, bien entendu, il y a eu quantité de réunions bilatérales, c'est pour cela d'ailleurs que l'on s'est couché tard et levé tôt, un peu trop tôt d'ailleurs, et cela m'a permis pour ce qui me concerne, et cela a permis à bien d'autres, de régler toutes sortes de problèmes ou d'évoquer toutes sortes de relations bilatérales.
J'ai rencontré beaucoup de chefs d'Etat ou de Gouvernement de la Caraïbe et de l'Amérique du Sud pendant ces deux jours et demi. De la même façon, à cinq heures, j'ai une conférence avec les pays de l'Amérique centrale qui ont été victimes de l'ouragan Mitch, puisque, vous le savez et cela a été souligné très gentiment par la quasi-totalité d'entre eux dans leur intervention, la France a été un peu le moteur de la solidarité à l'égard de ces pays frappés par l'ouragan Mitch. Nous allons faire tout à l'heure le point sur ces choses. Voilà ce que je voulais vous dire en introduction et, naturellement, je suis prêt à répondre à vos questions.
QUESTION - Monsieur le Président, ces grands sommets sont souvent perçus par les opinions publiques comme des rencontres très spectaculaires sans résultats concrets. D'autre part, l'Amérique du Sud n'est pas une zone prioritaire pour la France. Si vous deviez expliquer en quelques mots l'intérêt qu'a la France, et plus largement l'Europe, à se rapprocher du continent latino-américain, vous le feriez en quels termes ?
LE PRESIDENT: Un intérêt tout simplement politique, un intérêt économique et un intérêt culturel, les trois étant tout à fait importants.
Un intérêt politique, parce que, je le disais tout à l'heure, je l'ai évoqué, ces pays ont connu des situations, je dirais, inacceptables dans le domaine des Droits de l'homme, de la démocratie, pendant longtemps. Ils se sont battus, et il y a encore de sérieux problèmes. Je vais prendre un exemple. J'ai eu deux entretiens avec le Président PASTRANA, Président de Colombie, qui a à faire face, vous le savez, à une guérilla très ancienne, très dure et qui a engagé avec beaucoup de détermination une action pour rétablir le calme, la démocratie et l'ordre public dans son pays. Et quelle est sa réaction ? Sa réaction, c'est de s'inspirer des réflexions qui sont les nôtres. C'est lui qui, spontanément, a demandé à me voir, comme il a dû demander à voir, j'imagine, d'autres chefs d'Etat et de Gouvernement européen. Et notre intérêt c'est bien que la paix et le droit règnent dans cette partie du monde.
Intérêt politique, mais aussi intérêt économique.
Dans le dossier qui vous a été remis, vous avez un certain nombre de chiffres qui montrent à quel point nos économies sont complémentaires et l'importance qu'elles ont l'une pour l'autre. Je l'ai déjà dit, l'Union européenne et notamment la France, qui est au tout premier rang de l'Union européenne dans le domaine des relations avec ces pays, l'Union européenne est le premier fournisseur, le premier investisseur, le premier donneur d'aide publique au développement de l'Amérique du Sud et de la Caraïbe, et même de l'Amérique latine tout court. Nos intérêts y sont donc considérables.
Lors du déjeuné offert par le Président CARDOSO, j'étais à côté du Président FREI du Chili, avec lequel j'ai eu également un entretien il y a deux jours. De quoi avons nous parlé ? Naturellement de nos relations politiques, mais nous avons parlé essentiellement des investissements très importants que la France est en train de faire au Chili. Nous venons par exemple de gagner tout le marché des eaux de Santiago, ce qui est considérable pour notre pays, et nous sommes candidats sur toute une série d'autres villes.
Nous avons parlé de la vente des avions militaires, le Chili veut acheter pour renouveler sa flotte, ce qui représente en termes d'heures de travail pour l'industrie aéronautique française des sommes considérables, considérables. Je prends ces deux exemples, je pourrais naturellement les multiplier.
Nous avons des intérêts très importants, ici. Il ne faut pas oublier que la France est un grand pays exportateur et que par conséquent elle a intérêt à être bien placée dans tous les pays du monde et notamment dans les pays émergents, au premier rang desquels on trouve l'Amérique latine.
Et puis sur le plan culturel, nous savons bien qu'il y a aujourd'hui dans le monde une évolution qui fait courir le risque d'une sorte d'uniformisation culturelle. L'Amérique latine, pour l'essentiel hispanophone, en dehors du Brésil, est un élément fort de réaction. L'espagnol est une langue qui se développe, et notamment vers le nord, fortement. C'est important, notamment pour avoir un monde multiculturel, thèse que nous défendons. On nous accuse parfois d'être trop actifs sur la défense de l'exception culturelle mais nous nous appuyons sur des pays comme ceux de l'Amérique du Sud qui ont également une forte identité culturelle et qui entendent la maintenir.
Donc, sur le plan culturel pour qu'un monde multiculturel existe, ce qui est naturellement l'intérêt de la France, il est important que nous associions nos efforts à ceux de l'Amérique latine. Je pourrais multiplier les exemples, mais permettez-moi de vous dire que nos intérêts ici sont considérables. Alors, il ne s'agit pas simplement de discuter agréablement avec des gens généralement cultivés et sympathiques, il s'agit d'avoir une organisation du monde, d'avoir une vision du monde de demain qui soit aussi conforme que possible à nos intérêts.
Et puis, vous savez, le contact humain est le véhicule essentiel de la démocratie. C'est en se parlant que l'on fait le mieux progresser la démocratie et les Droits de l'homme. Parce qu'on complète ses réflexions, on a des idées nouvelles et puis pendant qu'on se parle, on ne se bat pas. Donc le contact humain est un élément déterminant des progrès de la paix et de la démocratie.
QUESTION - Monsieur le Président, nous savons que la France se préoccupe du contrôle des paradis fiscaux. Ce matin, le Premier ministre des Bahamas a dit qu'il est aussi nécessaire de contrôler le capital dans les pays d'où ils proviennent. Il a dit aussi qu'aux Bahamas, il y a des banques françaises qui reçoivent ces capitaux. J'aimerais savoir si la France a une proposition concernant le contrôle des flux de capitaux à partir du pays de départ, et s'il y a un moyen de contrôler les institutions financières françaises qui reçoivent ces capitaux ?
LE PRESIDENT: Je crains que ce soit une fausse explication d'un vrai problème. D'abord, ces flux de capitaux, naturellement, ne viennent pas des pays contrôlés, ils viennent d'ailleurs. Et très souvent de tractations qui ont pour origine la drogue, la criminalité. C'est pourquoi nous sommes si sévères à l'égard du maintien de ces paradis fiscaux, comme vous dites, de ces centres offshore comme on les appelle également. D'autre part, il n'y a aucun contrôle possible, puisque, par définition, ils bénéficient de législations locales qui assurent le secret de l'arrivée, du départ de la transaction, de tout. Et c'est la raison pour laquelle ces centres offshore sont extrêmement dangereux, car ils sont un élément important qui entretient le trafic de drogue, la criminalité, le terrorisme.
Alors, le G7, vous le savez, depuis plusieurs années se préoccupe de ces sujets et nous progressons pas à pas.
La France, c'est vrai, est en tête des pays qui souhaitent mettre un terme à ce que nous estimons inacceptable. Et encore, au dernier G7 à Cologne, nous avons pris des décisions positives dans ce domaine. Mais le problème est loin d'être réglé, naturellement. Parce qu'il faut un minimum de contribution de la part des pays en question qui, trop souvent, ont une grande indulgence, pour des raisons d'intérêt national, à l'égard de ces pratiques plus que douteuses. J'ai eu un entretien avec le Premier ministre des BAHAMAS, je lui en ai touché un mot, mais lui ne m'a pas dit ce que vous me dites.
QUESTION - Plusieurs questions en une, Monsieur le Président, si vous le permettez. L'un des objectifs affichés de la France pour ce sommet, c'était une meilleure insertion, c'était de contribuer à l'insertion des départements français d'Amérique dans leur environnement régional. Donc, quels résultats, quelles perspectives ? Mais si les départements français d'Amérique sont les représentants de la France, physiquement, ici, dans cette région du monde, les autres départements et territoires d'outre-mer le sont aussi dans d'autres régions du monde et ces morceaux de France sont aussi des morceaux d'Europe. Alors, pensez-vous, Monsieur le Président, que l'outre-mer français soit un atout pour l'Europe ? Pensez-vous que l'Europe soit un atout pour l'outre-mer français, et pensez-vous qu'il faille lui accorder, comme certains le réclament aujourd'hui, plus de marge de manoeuvre en matière de coopération régionale ? Enfin, si vous voulez répondre à une autre question un peu annexe, puisque qu'il a été question ici de culture et de sauvegarde du patrimoine, j'aimerais bien avoir un mot sur les langues régionales, puisque si on en recense 175 en France, 50 sont recensées en outre-mer et, bien sûr, il s'agit notamment du créole.
LE PRESIDENT: Les départements français d'outre-mer ont une importance capitale pour la France et pour l'Europe, parce qu'ils sont une vitrine, et en général une vitrine de qualité, de la France et de l'Europe. Je crois qu'ils ont intérêt à être d'Europe en même temps qu'ils sont d'ailleurs. Et, dans le cas particulier, d'Amérique. Probablement que Mme MICHAUX-CHEVRY ou M. BERTRAND répondraient avec plus de sensibilité que moi sur ces problèmes. Pendant longtemps, la France a eu une réaction un peu conservatrice à l'égard de ces départements. C'est-à-dire que, volens dolens, elle les a un peu isolés. Elle ne s'est absolument pas préoccupée de les ouvrir sur leur environnement régional.
Pourquoi ? Je ne peux pas vous le dire, il y a vraisemblablement un certain nombre de raison. On considérait que là c'était la France et qu'il n'y avait pas lieu d'avoir de contacts particuliers avec ce qui était autour. Ce qui est une grave erreur. Aujourd'hui, la France a tout à fait changé de doctrine et elle assure la promotion d'ouverture sur l'environnement. Qu'il s'agisse de l'Amérique du Sud, de la Caraïbe, de l'Océan indien ou du Pacifique sud, c'est une politique systématique. Nous essayons d'ouvrir ces pays sur leur environnement. Mme MICHAUX-CHEVRY en tant que présidente du Conseil régional de la Guadeloupe, et qui est chargée d'une mission de ma part dans ce domaine, pourrait vous dire qu'elle passe une part importante de son temps à prendre des contacts, à créer des échanges de toute nature, politique, économique, culturelle, avec l'ensemble des pays qui entourent la Martinique et la Guadeloupe.
Ce matin, j'ai eu un entretien avec le Premier ministre de Sainte-Lucie, qui se trouve être le président en exercice du CARICOM, et nous en avons parlé. Il m'a dit d'ailleurs qu'il avait l'intention d'inviter Mme MICHAUX-CHEVRY dans les tous prochains temps pour évoquer avec elle ces problèmes. De la même façon, M. BERTRAND pourrait vous dire mieux que moi que ses contacts avec le Brésil, avec notamment le Gouverneur de l'Etat qui jouxte la Guyane, mais également avec le Président CARDOSO, sont de plus en plus constants, qu'une ligne aérienne a été créée, sous son impulsion d'ailleurs, et qu'il y a aujourd'hui un avion par jour entre Cayenne, Macapa et Belem, je ne crois pas me tromper. Et il est tellement plein, cet avion, qu'il va falloir en mettre un deuxième, ce qui n'aurait pas été imaginable, il y a 3 ou 4 ans. De la même façon, la coopération ouverte dans le domaine spatial avec le Brésil, dont s'est occupé également M. BERTRAND est maintenant quelque chose que nous considérons comme normal et le Président CARDOSO me parlait de Kourou, avant hier soir ou hier soir, un peu comme s'il y était chez lui.
J'exagère un peu mais enfin l'état d'esprit a profondément changé. Si bien que l'ouverture de ces départements d'outre-mer français ou des territoires d'outre-mer est maintenant une vraie politique, et je souhaite qu'elle soit systématiquement développée, dans le domaine des échanges culturels et économiques et dans le domaine de la coopération et de l'aide au développement que nos départements peuvent apporter à ces pays qui les entourent.
Sur les langues régionales, je ne développerai pas ici ce sujet parce que c'est un sujet de politique intérieure français. Je vous rappelle simplement que je suis depuis très longtemps, notamment dans cette région, un militant du développement des langues régionales, que je l'ai fait beaucoup pour les langues amérindiennes et que je ne suis pas totalement étranger à certaines des réformes qui ont permis à certains pays d'Amérique du Sud, à commencer par la Bolivie, d'inscrire dans leur constitution la reconnaissance du bi ou du multi-linguisme. Je ne peux pas évoquer cela sans rendre un hommage particulier à mon ami Victor Hugo CARDENAS, l'ancien vice-Président de la Bolivie.
QUESTION - Monsieur le Président, les agriculteurs brésiliens attendent avec beaucoup d'anxiété un accès au marché européen. Nous n'avons pas l'impression que les milieux d'affaires et les milieux gouvernementaux brésiliens ne considèrent pas que l'étiquetage des aliments OGM se traduise par une nouvelle barrière à l'entrée des produits brésiliens au marché européen. Or, les ministres de l'Environnement européens, il y a quelques jours, ont décidé que les OGM n'entreraient plus en Europe.
LE PRESIDENT: Je voudrais d'abord essayer, avec un succès dont je ne suis pas convaincu, de dire que l'Europe n'est pas une forteresse contrairement à ce que certains voudraient faire croire. Y compris dans le domaine agricole. L'Amérique du Sud exporte en Europe dix fois plus de produits agricoles qu'elle n'en exporte dans le NAFTA. Alors, en grâce, n'affirmons pas ce qui est notoirement faux.
S'agissant des OGM, le problème est différent. Les Européens sont à juste titre préoccupés parce que l'expérience leur a prouvé que c'était dangereux, par les manipulations qui pouvaient être faites sur des aliments. Et, en particulier, en ce qui concerne les produits génétiquement modifiés, nous n'avons pas la preuve scientifique qui permettrait de dire qu'ils ne sont pas nuisibles pour la santé. Il y a un principe auquel nous sommes tous en Europe profondément attachés, et que je conseille au monde entier d'adopter, qui est le principe de précaution. Quand on n'est pas sûr que quelque chose est bon, eh bien, on s'abstient de l'utiliser. Donc, l'Europe et les ministres de l'Environnement européens, récemment, ont décidé de se prémunir, d'appliquer le principe de précaution et ils ont eu raison.
QUESTION - Monsieur le Président, le communiqué conjoint des chefs d'Etat et de Gouvernement n'a pas établi une date pour le début de la libération des échanges entre le MERCOSUR et Union européenne. Néanmoins, le Président CARDOSO a déclaré que, jusqu'en juillet 2001, il espère que les négociations seront déjà entamées. Est-ce que vous êtes d'accord avec les prévisions du Président CARDOSO ?
LE PRESIDENT: Le Président CARDOSO a tout à fait raison, j'allais dire comme d'habitude. Il y a un mandat de négociation qui a été adopté par les Européens, qui a été proposé à l'occasion de cette réunion et adopté à l'unanimité. Ce mandat prévoit que, s'agissant de tout ce qui est non tarifaire, les négociations vont commencer tout de suite. Et le Président CARDOSO l'a rappelé à juste titre en souhaitant que tout de suite, ce soit vraiment tout de suite. Ce avec quoi nous sommes naturellement tout à fait d'accord. Et, par ailleurs, pour ce qui concerne le tarifaire, il est prévu que cela commence le 1er juillet 2001 et que cela se termine, ce qui est la logique même des choses, après la fin de la ronde de l'OMC, de l'Organisation mondiale du commerce. Voilà ce sur quoi tout le monde s'est mis d'accord et ce qui nous permettra de progresser utilement.
QUESTION - Quelle impression vous a fait Fidel CASTRO, que vous avez rencontré pour la première fois assez longuement hier, pensez-vous le revoir ultérieurement ? Et sans faire de rapprochement hasardeux, c'est l'actualité, quelle est votre réaction à la condamnation à mort de Abdullah ÖCALAN ?
LE PRESIDENT: Je voudrais dire d'abord que j'ai toujours été hostile à la politique d'isolement de Cuba. J'ai toujours pensé que ce n'était pas une politique raisonnable. Deuxièmement, effectivement, je n'avais rencontré Monsieur Fidel CASTRO qu'une seule fois, lorsque je l'avais reçu à l'Elysée avec tous les chefs d'Etat et de Gouvernement qui étaient venus à l'occasion des obsèques de mon prédécesseur, M. François MITTERRAND. Mais je n'avais pas eu, à proprement parler, d'entretien avec lui.
Et je l'ai rencontré pour la première fois, assez rapidement, mais suffisamment, néanmoins, pour l'interroger, dès que j'ai pu prendre la parole, pour l'interroger sur ce que je crois être une inflexion dans une évolution positive. Autrement dit, j'avais le sentiment, après le voyage du Pape à Cuba, qu'il y avait eu une inflexion positive dans le sens, si vous voulez, dans le sens de la liberté, de la démocratie des Droits de l'homme. Et puis, nous avons l'impression, nous, collectivement, que depuis quelque temps on assiste plutôt à un retour en arrière. Je ne veux faire de procès d'intention à personne, mais mon impression était suffisante pour que je l'exprime. Et alors, je l'ai exprimée, clairement. Je n'ai pas reçu de réponse satisfaisante pour une raison simple, c'est que le Protocole est arrivé pour nous dire qu'il fallait entrer en séance. Je ne dirais pas que j'ai été sauvé par le gong, mais on a quand même le sentiment que le système reste très fermé. Alors, je souhaite naturellement qu'il s'ouvre, ce que j'ai dit aura peut-être été entendu. Je n'en suis pas certain, pour dire la vérité. Mais enfin, le système reste très fermé, me semble-t-il.
Alors, vous m'avez posé la question sur ÖCALAN. Vous savez que la France a toujours naturellement condamné le terrorisme sous toutes ses formes, comme d'ailleurs la plupart des pays du monde, et personne ne peut contester le caractère terroriste de l'action qu'a menée ÖCALAN pendant longtemps. Vous savez d'autre part que la France, comme d'ailleurs tous les pays européens, condamne la peine de mort. Et vous vous souviendrez peut-être qu'au début des années 1980, j'avais fait partie d'une minorité qui avait voté l'abolition de la peine de mort sur la proposition à l'initiative, à l'époque, de mon prédécesseur. Donc, je ne suis pas suspect dans ce domaine et je ne vais pas naturellement changer d'avis. Et donc, la France comme les pays européens et bien d'autres, souhaite que la peine, si elle est confirmée, parce que comme vous le savez la procédure n'est pas terminée, si elle est confirmée, que la peine ne soit pas exécutée mais qu'elle soit commuée en une autre peine qu'il appartient à la justice, naturellement, de déterminer. Voilà notre position.
QUESTION - Le Président Fidel CASTRO, lorsqu'il a parlé aujourd'hui, a dit que la priorité de l'Europe, c'est la reconstruction du Kosovo, l'intégration des pays de l'Est européen et a posé la question suivante : qu'est-ce qu'il restera à l'Union européenne pour investir en Amérique Latine et aux Caraïbes ? Pouvez-vous nous répondre, Monsieur le Président ?
LE PRESIDENT: Je vous ai répondu tout à l'heure que l'Europe était le premier investisseur du monde en Amérique latine. La France est dans les trois ou quatre premiers investisseurs dans beaucoup des pays d'Amérique latine. Cela prouve qu'il reste tout de même suffisamment de moyens en Europe pour investir ici et nous continuerons d'investir, c'est l'intérêt de l'Amérique latine, c'est l'intérêt de l'Europe. Et nous souhaitons que, très rapidement, ce soit également l'Amérique latine qui multiplie ses liens en termes d'investissements avec l'Europe.
QUESTION - Monsieur le Président, vous avez parlé ce matin d'une réforme de l'architecture financière mondiale. Vous avez rendu hommage aux actions entamées par M. CARDOSO et le Président du Chili et vous avez défendu la création d'un système qui puisse empêcher des nouvelles crises. Je souhaiterais savoir si vous avez déjà en tête ce système ? Le Président CARDOSO a parlé de la taxe TOBIN, je voudrais savoir si vous êtes favorable à un impôt pour contrôler le flux des capitaux ?
LE PRESIDENT: Il y a d'abord une première exigence qui est la transparence, et il y a un vrai progrès en matière de transparence, notamment sous l'impulsion du G7 et aussi naturellement du Fonds monétaire international. Deuxièmement, on peut imaginer des incitations. Je ne suis pas pour ma part favorable à une taxation, qui ne me paraît pas techniquement possible, enfin on peut bien entendu en discuter.
Je crois qu'il faut qu'il y ait une vraie responsabilité politique. Et c'est la raison pour laquelle dans la réforme que la France a proposée au G7 et qui n'a été adoptée qu'en partie, malheureusement, je souhaite que le reste soit adopté au prochain G7, nous avions demandé que le Comité intérimaire du Fonds monétaire international soit transformé en un vrai Conseil politiquement responsable.
Je crois que, dans le monde globalisé que nous connaissons, il est très important qu'il y ait une responsabilité politique. Alors, voilà, nous n'avons pas obtenu, au G7, satisfaction sur ce point-là, mais j'espère que ce sera pour la prochaine fois. Et c'est très important à mes yeux.
QUESTION - Monsieur le Président, le communiqué conjoint des chefs d'Etats et de Gouvernement de l'Union européenne et du MERCOSUR hier, ne parle pas de la création d'une zone de libre échange entre les deux blocs. Par exigence de la France, le texte dit seulement que les pays se sont engagés à créer des conditions qui puissent favoriser la création d'une association interrégionale. Pourquoi la France ne veut-elle pas une référence à une zone de libre échange ?
LE PRESIDENT: Tout simplement parce que lorsqu'on veut progresser avec sécurité, il faut progresser dans l'ordre. Nous ne disons pas seulement ce que vous avez dit, puisque le mandat de négociation prévoit que cette organisation vise à l'institution du libre échange et c'est d'ailleurs ce qui se passera, naturellement. Mais faisons les choses raisonnablement, de façon à être sûr de ne pas créer de difficultés.
Permettez-moi de vous dire que, d'abord, ce n'est pas la France, contrairement à ce que j'ai cru entendre ou lire ici ou là, de façon assez polémique, mais l'ensemble de l'Europe qui a affirmé ce point de vue. Et quand on discute avec eux, c'est également le sentiment, naturellement, des pays de l'Amérique du Sud qui, sur le plan industriel et plus encore sur le plan des services, doivent assurer une certaine protection pour garantir le développement. Est-ce que vous imaginez que ce serait sérieux de parler de libre échange entre l'Amérique latine et l'Europe dans le domaine des services ou dans le domaine de l'industrie ? Cela se fera naturellement, laissons le temps au temps.
Je vous remercie.
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