Conférence de presse conjointe du Président de la République, du Premier ministre du Canada et du Président de la Commission européenne à l'issue du Sommet Union européenne-Canada

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC Président de la République, de M. Jean CHRETIEN Premier ministre du Canada et de M. Romano PRODI Président de la Commission européenne à l'issue du Sommet Union européenne-Canada.

Ottawa - Canada , mardi 19 décembre 2000

M. JEAN CHRÉTIEN - Mes chers amis, je suis très heureux ce matin d'accueillir de bons amis du Canada, le Président CHIRAC et le Président PRODI. Nous avons eu une excellente réunion entre nous trois et nos ministres ont eu l'occasion de se rencontrer et de discuter des problèmes, ou des solutions aussi, qui existent entre l'Union européenne et le Canada. Nous avons un accord parce que nous voulons poursuivre nos excellentes relations. Comme vous l'avez vu, on a distribué un document sur l'accord qui renforcera nos excellentes relations dans de nombreux domaines entre le Canada et l'Union européenne. Je vais maintenant inviter mes deux collègues à s'adresser à vous.

LE PRÉSIDENT - Cette réunion nous a permis, d'abord, de remercier le Premier ministre du Canada, et à travers lui l'ensemble de ses compatriotes, pour un accueil qui est toujours, ici, particulièrement chaleureux. Je dis chaleureux, parce qu'il y a toujours au Canada, quel que soit le temps ou la température, une ambiance qui est une ambiance qui génère spontanément la joie et la bonne humeur. En tous les cas, c'est ce que je ressens et Romano PRODI m'a dit qu'il ressentait la même chose. Nous avons aussi, cela va de soi, exprimé nos félicitations très sincères, très cordiales, au Premier ministre pour l'exceptionnel succès qu'il a remporté aux dernières élections et qui, à la fois, réjouit tous ses collègues, notamment européens ou du G8, et également, bien entendu, nous-mêmes. Car Jean CHRÉTIEN est un personnage qui est totalement intégré au plus haut niveau de la responsabilité internationale et qui, avec la sagesse qui est la sienne, apporte une contribution souvent décisive dans toutes nos discussions. Je pense en particulier à son rôle dans les différents G7-G8 où je l'ai vu exercer ses talents. Nous nous sommes donc réjouis. Sans vouloir faire naturellement la moindre ingérence dans les affaires intérieures du Canada, cela va de soi. Chacun le comprend.

M. JEAN CHRÉTIEN - Vous ne montrez pas une indifférence non plus...

LE PRÉSIDENT - Je ne ferai aucun commentaire sur la nature des mots... Nous avons fait le point sur la relation entre le Canada et l'Union européenne et nous avons vu comment nous pouvions renforcer notre coopération dans un certain nombre de domaines. Nous avons évoqué les problèmes internationaux et nous avons entendu avec beaucoup d'intérêt ce que le Premier ministre nous a dit des entretiens qu'il a eus avec le Président russe, M. POUTINE. Nous avons progressé dans un certain nombre de domaines, vous verrez les déclarations, notamment, sur les problèmes de justice et d'affaires intérieures. Je pense en particulier à la lutte contre le blanchiment de l'argent, à la lutte contre la criminalité organisée et la drogue, aux affaires concernant l'immigration. Nous avons évoqué, pour nous en réjouir, le programme GALILEO et puis nous avons évoqué quelques sujets très importants qui justifient une coopération renforcée entre le Canada et l'Union européenne, notamment dans le domaine de la sécurité alimentaire, dans le domaine de la lutte pour le respect de l'environnement, en général, et notamment pour le problème des gaz à effet de serre. Nous avons évoqué l'aide au développement. Vous savez que le Canada et la France sont deux contributeurs, avec le Japon, parmi les plus importants en matière d'aide au développement. Et nous renforçons, dans ce domaine aussi, notre coopération. Bref, nous avons observé que nos contentieux étaient microscopiques. Il faut bien qu'il y en ait un ou deux, mais nous avons toujours du mal à les trouver. Sinon, la règle du jeu ne serait pas respectée. Enfin, nous avons dit, en conclusion, que, pour l'Europe, plus que jamais, la relation avec le Canada est un élément essentiel, je dirais de plus en plus essentiel avec l'évolution des choses, notamment la politique étrangère et de défense dont nous parlons et pour laquelle nous avons une étroite concertation. La relation entre le Canada et l'Union européenne est un élément de plus en plus essentiel de la relation euro-américaine ou de la relation transatlantique. Par conséquent, l'évolution que nous connaissons aujourd'hui nous conduit à mettre plus encore que par le passé, beaucoup plus que par le passé, en exergue la relation euro-canadienne dans le lien transatlantique. Voilà les quelques observations. Mais Romano PRODI va sans aucun doute les compléter.

M. ROMANO PRODI - Je n'ai pas grand chose à ajouter aux observations qui ont été faites par Jean CHRÉTIEN et Jacques. Les relations entre l'Union européenne et le Canada sont excellentes. J'espère seulement qu'elles vont progresser dans la même direction. Je fais seulement deux observations, qui sont importantes. Il faut travailler ensemble plus qu'avant, beaucoup, sur le changement climatique, parce qu'il est nécessaire de faire la rencontre entre l'Union européenne et le groupe, je ne sais pas s'il s'appelle le groupe "du parapluie" en français, mais parce que c'est très important de poursuivre le problème, à mon avis avant que l'administration américaine marche de façon normale. Deuxième problème, nous avons souligné la coopération dans le domaine militaire et souligné qu'il n'y a pas de problème avec l'OTAN. Cela est très important à souligner. La décision européenne est toujours coordonnée et édifiée ensemble avec l'OTAN. Troisième observation, et c'est très important. Nous sommes d'accord avec le gouvernement canadien, hier j'ai parlé avec le Président américain, il faut avoir une action spéciale, forte, pour aider l'Ukraine. C'est la part fondamentale de la politique contemporaine. C'est la part fondamentale de l'Union européenne et du Canada. Nous n'avons pas décidé, mais nous sommes en train de nous orienter, de travailler de façon triangulaire, les États-Unis, l'Union européenne et le Canada, pour aider le développement économique, politique, institutionnel de l'Ukraine. Je pense que ce sera un très important domaine de travail commun. Merci.

M. JEAN CHRÉTIEN - Merci beaucoup Monsieur PRODI, Monsieur CHIRAC, et maintenant nous allons donner la parole aux journalistes.

QUESTION - Vous avez parlé d'une déclaration sur la sécurité. Est-ce que le Canada ne cherche pas à avoir un mécanisme officiel avec l'Union européenne sur les liens militaires ? Vous parlez simplement de rencontres d'experts.

M. JEAN CHRÉTIEN - Vous savez, nous faisons partie de l'OTAN. Ils ont leur propre organisation en Europe. Ils ont décidé que les deux étaient compatibles et que nous serions toujours informés de l'évolution de la situation. Nous ne faisons pas partie de l'Union européenne. Eux mettent sur pied leur propre politique de défense, mais nous voulons nous assurer de garder le contact avec eux, d'être informés de toutes les évolutions politiques et ils ont décidé de nous consulter. Nous faisons tous partie de l'OTAN. Les politiques spécifiques de défense de l'Europe, ce sont des choses auxquelles nous n'appartenons pas. Mais grâce à ce document, nous allons y être associés.

QUESTION - Le Canada se déclare prêt à envoyer des civils, également des militaires, pour supporter la défense et la sécurité. Monsieur CHIRAC, j'aimerais avoir également votre point de vue concernant la vision du nouveau Président BUSH, que vous avez rencontré hier, concernant la défense de sécurité.

M. JEAN CHRÉTIEN - Pour répondre à votre question, vous le savez, le Canada a toujours été présent dans toutes les missions de paix, un peu partout dans le monde, et nous avons été les premiers, avec la France et la Grande-Bretagne, à participer aux missions de paix dans l'ancienne Yougoslavie, en Croatie, en Bosnie et au Kosovo. Et nous sommes là, et nous avons l'intention de continuer, parce que nous croyons que pour toute mission de paix où les Canadiens sont invités à participer, lorsque nous avons les troupes disponibles et les ressources disponibles, soit militaires ou policières, nous sommes toujours prêts à participer. Ceci fait partie de la politique canadienne qui est supportée par tous les partis au Parlement canadien. Alors, c'est l'affirmation de la position canadienne qui date depuis la crise de Suez.

LE PRÉSIDENT - J'ai eu avec le Président BUSH, le Gouverneur BUSH, un entretien privé et vous comprendrez que je ne fasse aucun commentaire sur ce que nous nous sommes dit.

QUESTION - À Monsieur CHRÉTIEN et au Président CHIRAC : est-ce que l'on peut dire, aujourd'hui, après vos entretiens, hier, avec le Président POUTINE, que se dessine un axe canado-russo-français pour dire au futur Président américain sur la NMD, son bouclier anti-missiles : " ne relancez pas la course aux armements et n'essayez pas de rompre le fragile équilibre nucléaire qui existe depuis le traité ABM de 1972 "?

M. JEAN CHRÉTIEN - Ce qui a trait à la position canadienne, nous avons des questions à poser. La position n'est pas prise. Nous n'avons pas été invités par les États-Unis à participer. Seulement, comme vous le savez, nous sommes les voisins et nous sommes géographiquement situés entre la Russie et les États-Unis. Alors, le Président POUTINE a exprimé son point de vue hier et a des questions à poser. Il a des objections. Nous, nous avons des questions à poser et nous espérons qu'il y aura un dialogue entre tous les pays concernés, avant que des décisions finales soient prises par la nouvelle administration américaine. À ce moment-là, il y a moins d'urgence, parce qu'au point de vue technique, ils connaissent encore des difficultés. Mais nous espérons que le dialogue pourra s'établir entre la nouvelle administration et le Canada. J'imagine que la France, l'Union européenne sont pour que l'on essaie de trouver un modus vivendi qui soit acceptable pour tout le monde.

LE PRÉSIDENT - C'est une vraie question d'actualité. Je dirai même que c'est une des questions les plus importantes que l'on puisse poser aujourd'hui. Vous connaissez la position de la France et, d'ailleurs, de l'Union européenne, qui est plus que réservée sur une remise en cause du traité ABM, pour des raisons qui tiennent à notre conviction que ceci pourrait conduire ou risquerait de conduire à une relance forte de la prolifération. C'est donc un sujet majeur. Par ailleurs, chacun sait qu'il pèse sur ce sujet des incertitudes tant financières que techniques. Alors, laissons la nouvelle administration américaine se mettre en place. Et dès qu'elle sera en place et qu'elle aura arrêté sa position, ce qui n'est pas, semble-t-il, tout à fait le cas encore aujourd'hui, en tous les cas pas officiellement -je rejoins complètement la position de Jean CHRÉTIEN-, engageons un dialogue qui sera l'un des grands dialogues des mois et des quelques années à venir. Nous le ferons à ce moment-là et nous verrons ce qui peut en sortir.

QUESTION - Depuis 24 heures, on parle de cette question. Pourquoi est-ce que l'on n'avance pas ? Parce que l'on est trop près des États-Unis ?

M. JEAN CHRÉTIEN - Non. Nous n'avons pas besoin de médiation. Nous sommes géographiquement situés entre la Russie et les États-Unis. Et le Président POUTINE a parlé de médiation. Je ne pense qu'il puisse y avoir une médiation. Il faut établir un dialogue. Vous avez entendu le point de vue de l'Union européenne et de la France sur ce sujet. On pose beaucoup de questions. Nous envisageons, nous autres, l'avenir pour garantir la sécurité, que chacun souhaite. Mais il est évident que M. POUTINE a beaucoup de questions à poser. Il souhaite avoir un dialogue. Comme nous tous, il souhaite trouver une formule plus acceptable pour tout le monde. Mais on n'a pas demandé, il n'y a pas besoin d'ailleurs, pour l'instant, que quelqu'un joue un rôle de médiateur.

QUESTION - Monsieur le Président CHIRAC, tout à l'heure, dans votre présentation, vous avez mentionné la victoire de M. CHRÉTIEN lors des dernières élections. La question devient incontournable. Est-ce que cette victoire change quelque chose dans la nature des relations entre la France et le Québec ?

LE PRÉSIDENT - Non. Non.

QUESTION - À la fois à Monsieur PRODI et à Monsieur CHRÉTIEN. Vous avez vu la reprise de la traditionnelle controverse sur le financement d'Airbus et de Boeing à la faveur du lancement du nouvel appareil géant Airbus. M. PRODI, est-ce que cette controverse s'aggrave ? Est-ce que c'est le vieil argument qui reprend ? Et, Monsieur CHRÉTIEN, est-ce que le Canada est l'un des futurs pays qui vont acheter des Airbus géants A38O ?

LE PRÉSIDENT - Oui, oui. Il me l'a promis !

M. JEAN CHRÉTIEN - Non, non. C'est la concurrence qui décidera.

LE PRÉSIDENT - Alors, c'est gagné pour nous.

M. ROMANO PRODI - Hier, le problème a été posé d'une façon très générale par le Président CLINTON. Mais il n'a pas été, au fond, franchement spécifique et les partenaires européens s'étaient posés la même chose avec Boeing. C'était seulement une prise de position, mais rien de plus. À mon avis, il faut bien travailler maintenant pour qu'une prise de position ne se transforme pas en guerre commerciale. Et, à mon avis, il y a beaucoup d'espace pour éviter des dissensions entre les États-Unis et l'Europe sur ces demandes.

QUESTION - Monsieur CHRÉTIEN, le Président CHIRAC n'a pas l'air d'avoir peur de prendre position sur la question de la défense anti-missiles. M. POUTINE non plus. Pourquoi est-ce que vous ne pouvez pas dire clairement quelle est la position du Canada à ce sujet ?

M. JEAN CHRÉTIEN - Nous avons dit que nous avons beaucoup de questions, comme eux. On ne nous demande pas de prendre une décision. Pour l'instant, il appartient à l'administration américaine de se positionner. Nous voulons un dialogue, parce que nous avons les mêmes préoccupations. Nous craignons que cela puisse déboucher sur une reprise de ce que l'on appelle la course aux armements. Nous voulons poser ces questions, comme les Européens et comme M. POUTINE. Nous voulons trouver la meilleure solution possible.

QUESTION - Mais, est-ce que cela veut dire que vous êtes contre la position ?

M. JEAN CHRÉTIEN - Pour l'instant, nous posons des questions. Ce sera une décision américaine. Nous, nous posons la question. Nous voulons avoir leur réponse avant d'avoir une position catégorique. Nous essayons tous, pour l'instant, de trouver une position commune qui sera acceptable par les Américains et les autres partenaires qui ont des questions à poser.

QUESTION - J'aimerais savoir si la question du boeuf aux hormones a été abordée ? Et le principe de précaution ? Est-ce que cela a été un sujet de vos discussions ?

LE PRÉSIDENT - C'est un sujet que nous allons aborder à l'occasion du déjeuner. Il n'y a pas de lien direct, n'est-ce pas. Mais nous avons réservé cela au déjeuner. Vous connaissez notre position. Il y a une négociation en cours sous l'autorité de la Commission et du Commissaire, M. Pascal LAMY. Et nous espérons trouver un accord qui soit issu du dialogue.

QUESTION - Nous avions cru comprendre que le Canada souhaitait, c'est-à-dire que l'OTAN souhaitait un lien plus institutionnel avec la force de défense européenne et, dans le communiqué que nous venons de recevoir, c'est plutôt vague comme lien. C'est plutôt imprécis. Vous n'êtes pas un peu déçu du résultat...

M. JEAN CHRÉTIEN - Nous n'avons absolument rien contre une politique commune de défense de la part des pays européens. C'est tout à fait légitime qu'ils s'organisent en fonction de l'Europe. Et l'Europe fait partie de l'OTAN et nous sommes membres de l'OTAN. Alors, comme nous, nous avons des arrangements particuliers avec les États-Unis sur le NORAD par exemple, qui est une organisation bilatérale entre le Canada et les États-Unis, alors, que les Européens veuillent faire la même chose entre eux, c'est tout à fait normal. Mais nous voulons que l'organisation de la défense européenne ne nuise pas aux relations entre le Canada et chacun des pays d'Europe.

LE PRÉSIDENT - Si vous me permettez de rajouter, sur ce point qui est un point effectivement très important, un commentaire. C'est vrai, tout ce que vient de dire le Premier ministre canadien, c'est vrai. Cela, c'est une affaire des Européens, qui s'organisent pour être plus efficaces dans la gestion des crises lorsque, pour des raisons qui leur appartiennent, les États-Unis ne se sentiraient pas concernés et où l'OTAN n'interviendrait pas en tant que telle. Donc, cela, c'est notre problème. Naturellement, nous le faisons dans un esprit de totale solidarité avec l'OTAN et dans le respect, bien entendu, du caractère essentiel pour la défense que représente l'Alliance Atlantique. Dans notre conception des choses, cette organisation européenne de défense est un plus pour l'Alliance Atlantique. C'est un élément supplémentaire. D'ailleurs, les Américains, depuis longtemps, avaient demandé que l'Europe fasse un effort plus important, donne une contribution plus importante et, de ce point de vue, ils ont exprimé leur satisfaction. Ceci étant, nous en avons parlé ce matin. Et j'ai bien dit au Premier ministre Jean CHRÉTIEN que, compte tenu de la position particulière du Canada, notamment de sa participation très importante et très active dans la gestion des crises dans le monde, le Canada a un rôle particulier. Je suis un peu tenté de dire que, bien sûr, il y a l'OTAN, mais il y a les États-Unis, il y a le Canada, il y a l'Europe. Et, par conséquent, à partir du moment où nous progressons en Europe dans l'organisation de notre défense, nous ne pouvons pas le faire en ignorant les États-Unis, cela va de soi, mais nous ne pouvons pas le faire non plus en ignorant le Canada. D'où la nécessité d'avoir une relation très renforcée, une concertation permanente, un dialogue avec le Canada sur ces problèmes de défense, ce qui sera le cas. C'est ce que nous avons prévu et c'est ce que j'évoquais tout à l'heure en disant qu'au fil des ans et avec le développement de la politique européenne dans le lien transatlantique, le rapport Union européenne-Canada se renforce et ne peut que se renforcer. Voilà.

M. JEAN CHRÉTIEN - Merci beaucoup.





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