Nice, Alpes-Martimes, le vendredi 8 décembre 2000
LE PRÉSIDENT - Bonjour Mesdames, bonjour Messieurs,
Je voudrais d'abord, mais je ne vous apprendrai rien parce que vous le savez, vous résumer rapidement, dans son esprit, ce que nous avons fait ce matin. Ensuite, le Premier ministre vous dira ce que nous avons fait à midi, au déjeuner, et le Président PRODI fera une présentation générale donnant la vision de la Commission sur l'ensemble de cette demi-journée et des sujets qui ont été traités.
Ce matin, nous avons pu adopter les conclusions des questions hors CIG. C'est tout de même un travail très important et je voudrais d'abord rendre hommage à la Commission qui, sur toutes ces questions, a travaillé longtemps, a fait des propositions qui ont été, en général, suivies d'effet, notamment sur les plus grands sujets, comme la sécurité maritime, la sécurité alimentaire et d'autres encore, toutes les autres.
Je crois que l'on peut dire que le Conseil a été unanime pour exprimer sa reconnaissance à la Commission pour le travail fait sur l'ensemble de ces dossiers qui intéressent directement la vie de nos concitoyens.
Il en va ainsi de l'agenda social, du plan d'action pour les étudiants, les chercheurs, les professeurs, du volet social de la société européenne. Vous savez que, depuis trente ans, ce dossier était sur la table. Nous avons réussi à avoir un accord général grâce, je dois le dire, à la bonne volonté de nos amis espagnols.
C'est vrai des propositions de la Commission en ce qui concerne l'Autorité alimentaire européenne qui devrait être opérationnelle maintenant dans les mois qui viennent.
C'est vrai sur le problème de la vache folle. Là encore, nous avons tous rendu hommage au travail fait par la Commission qui a permis aux ministres de l'Agriculture de prendre des décisions qui ont été approuvées par tout le monde. D'ailleurs, nous avons rencontré, le Président PRODI, M. JOSPIN et moi-même, ce matin, les représentants des paysans, le COPA, qui nous a fait part, naturellement, de ses problèmes et de ses inquiétudes, que nous avons enregistrées, mais qui n'a pas contesté la qualité des propositions de la Commission et des décisions, qu'à partir de là, les ministres ont pu prendre.
C'est vrai pour la sécurité maritime. Vous êtes déjà au courant et vous le verrez dans le détail.
C'est vrai pour la décision de reprendre, sans délai, si nous ne voulons pas laisser s'effacer l'accord de Kyoto, les discussions sur les changements climatiques et les émissions de gaz à effet de serre.
J'ai été sensible au fait, et le Premier ministre aussi, que tous nos partenaires ont tenu à rendre hommage à la qualité de la Présidence française qui a énormément travaillé dans tous ces Conseils et qui a permis, tout de même, d'arriver à un bilan très substantiel.
Voilà pour ce qui concerne ce que nous avons fait ce matin. Après, nous nous sommes réunis pour déjeuner. Je vais peut-être demander à M. JOSPIN de bien vouloir vous dire ce que nous avons fait au déjeuner et, surtout, le plus important, quelle est la décision qui a été prise au déjeuner sur notre proposition pour la suite de la procédure d'examen des problèmes qui restent en suspens.
LE PREMIER MINISTRE - Merci, Monsieur le Président. Comme le Président, je me réjouis du fait que nous avons pu, dans cette première partie du conseil, aboutir à toute une série de résultats sur des grandes questions qui nous tenaient à coeur, qui préoccupent nos concitoyens d'Europe. Je vois ces avancées comme une forme de couronnement du travail qui a été accompli, pendant tous ces mois, dans les différents conseils.
Donc, je me réjouis de la part qu'ont pris les ministres et, naturellement, de la part qu'a pris la Présidence française, le Président de la République, lui-même, à Biarritz et dans ses suites.
Nous avons été heureux de constater que ce que nous espérions, s'est produit. À savoir qu'un accord sur la société européenne, sur la dimension sociale, avait été possible, c'est vrai, grâce à l'évolution de la position de nos amis espagnols, dont les préoccupations ont été prises en compte.
C'est, véritablement, un dossier qui existait dans l'Union depuis trente ans, et qui trouve, ce matin, son aboutissement. Donc, je m'en réjouis.
Nous aurons l'occasion peut-être de revenir sur ces points à la fin du sommet, lorsque nous ferons la conférence de presse de compte-rendu final.
À l'heure du déjeuner, nous avons abordé les problèmes de sécurité et de défense, et nous nous sommes mis d'accord, en gros, sur les orientations que nous allions suivre dans ce domaine. Nous avons examiné un point sur lequel l'orientation générale a été dégagée, mais qui doit être concrétisée par un examen de texte précis que la Présidence va présenter, cet après-midi, sur la question des coopérations renforcées dans le domaine de la politique extérieure, ou de la défense, ou des industries d'armement. Cela reste à finaliser.
Nous avons adopté une déclaration sur le Proche-Orient, qui est essentiellement sur le processus de paix, qui va vous être diffusée dans quelques instants.
Nous avons proposé à nos partenaires la méthode par laquelle nous allions entrer, véritablement, après le dîner d'hier, dans la discussion de la Conférence intergouvernementale. Le dîner d'hier soir a été utile parce qu'il a permis à chacun de s'exprimer. Tout le monde l'a jugé intense, j'ai vu ce mot, mais sincère, mené en profondeur. Ce qui nous a tous frappé, c'était réellement la volonté d'aboutir qui s'est exprimée hier soir. Nous espérons maintenant la faire déboucher.
Pour cela, nous avons proposé à nos partenaires la méthode suivante, qu'ils ont accepté : après vous avoir quitté, la Présidence recevra chaque chef de délégation, chaque Premier ministre ou chef d'État, accompagné par un ou deux ministres ou collaborateurs, en principe un, pour une série d'entretiens bilatéraux, ce que dans le langage communautaire des sommets on appelle, paraît-il, des " confessionnaux ".
En tout cas, quel que soit le terme, qu'il soit laïcisé ou non, ces rencontres bilatérales permettront d'entendre chacune des délégations sur les points qui leur tiennent particulièrement à coeur, et nous permettront aussi de les tester sur ce que pourrait être une série d'avancées permettant de constituer un compromis.
Lorsque nous aurons reçu l'ensemble des délégations dans l'ordre des présidences qui vont succéder à la présidence française : Suède, Belgique et ainsi de suite..., lorsque nous les aurons entendues, que nous aurons étudié leur point de vue, vu leurs réactions à nos propositions, nous ferons une synthèse avec la commission, et nous travaillerons ensuite tard dans la soirée à la conception d'une proposition de schéma de compromis qui devrait être présentée aux différentes délégations demain matin, tôt, de façon à ce que nous puissions reprendre nos discussions en séance, vers 9h30 sur la base de ce schéma de compromis. Et, c'est de cette façon que nous entrerons directement, à nouveau, en plénière du Conseil dans le débat sur la CIG, avec la volonté, si c'était possible, de le faire aboutir dans la journée et d'obtenir un compromis dans la matinée, et puis l'examen de la deuxième partie des conclusions du sommet dans l'après-midi.
Voilà, je crois, dans ces conditions, et le dîner nous ayant éclairé hier et ce travail en rencontre bilatérale devant prendre le reste de l'après-midi et du début de la soirée, ce travail devant être fait, nous avons jugé avec les différents chefs de délégation, sur proposition de la présidence, qu'il n'était pas nécessaire que nous nous retrouvions pour un dîner car nous nous retrouverons pour travailler ensemble sur un compromis final.
LE PRÉSIDENT - Les confessionnaux risquent d'être un peu longs et nous ne voulons pas dîner à 11 heures du soir...
Je vais maintenant demander à la Commission et au Président Romano PRODI de nous donner la vision globale de la Commission sur l'ensemble de cette première partie de notre travail.
M. PRODI - Même si, manifestement, il y a une plus grande attente pour la deuxième partie de cette Conférence, il n'en reste pas moins que la première partie a donné des résultats extraordinairement importants et même si, là aussi, il y avait une attente, les résultats vont au-delà de ce qu'on pouvait espérer ! Une décision qu'on attendait beaucoup, c'était le déblocage du statut de la société européenne car, comme le Premier ministre JOSPIN l'a dit, cela faisait 30 ans que nous attendions cette possibilité d'accord. L'accord est survenu. Donc, pour le monde économique européen, c'est un pas en avant extrêmement important.
Les autres points concernent des questions d'importance fondamentale tels que le problème de la sécurité maritime et le problème de la sécurité alimentaire. Ce sont deux innovations comportant des paquets complets que la Commission a organisés et que la présidence française a décidé de lancer avec beaucoup de vigueur et ce sont deux chapitres importants pour la protection des citoyens. Puis il y a les différents chapitres de l'agenda social, déjà rappelés, la mobilité des étudiants, la mobilité des chercheurs et toute une série de mesures qui concernent la sécurité et le statut social des citoyens européens. Ainsi, cela a été un travail extrêmement important qui s'est terminé quelques heures avant les prévisions, ce qui permet d'être plus à l'aise dans l'organisation des travaux de la deuxième partie, à savoir la Conférence intergouvernementale.
LE PRÉSIDENT - Y a-t-il des questions ?
QUESTION - Monsieur le Président, est-ce qu'on pourrait avoir quelques détails sur le dîner d'hier soir. Vous aviez une opinion après votre tour d'Europe. Après ce dîner, hier soir, est-ce que votre état d'esprit est le même, plus positif, plus inquiet ? Est-ce que vous avez entendu des réflexions qui vous ont vraiment donné l'impression que le compromis était difficile ?
LE PRÉSIDENT - Ah, naturellement, j'ai eu l'impression que le compromis était difficile. Parce qu'on touche là, je ne parle pas des coopérations renforcées qui sont pratiquement acquises, mais sur les trois autres sujets, on touche à des questions très sensibles, soit pour les opinions publiques, soit pour les pouvoirs. Et donc chacun devra faire un effort, un important effort pour accepter un compromis.
Alors, la conclusion que j'ai tirée du dîner d'hier soir, c'est d'abord que tout le monde avait conscience de la nécessité d'un accord, d'un accord convenable, naturellement, c'est-à-dire acceptable par tous mais aussi susceptible de permettre de conduire les affaires européennes dans une Europe élargie. Et c'est la conclusion que nous avons tirée à la fin du dîner que cela supposait que, sur chacun des trois points importants, chaque nation, je dis bien chaque nation, sans exception, accepte de faire un geste, un pas en direction d'un compromis pour que cela puisse marcher. C'est l'expression même, ou le compromis, de la sagesse en démocratie. Alors, voilà et donc je suis sorti du dîner, mais le Premier ministre et M. PRODI vous diront peut-être leurs sentiments, c'est intéressant, plutôt bien impressionné sur la volonté de chacun de faire le nécessaire. Je ne sais pas quel est le sentiment de M. PRODI.
M. PRODI - Je confirme que le dîner a été extrêmement productif et, avant tout, qu'il a revêtu un aspect de grande franchise dans la discussion. Cela n'était pas un dîner où il s'agissait de décider donc on ne peut pas dire qu'on est resté sur ses positions initiales mais les éclaircissements ont permis de mettre en relief quels sont les intérêts des uns et des autres et les possibilités de mouvement qu'ont les uns et les autres dans cette phase.
LE PREMIER MINISTRE - Mon impression est proche de la vôtre. Je suis sorti raisonnablement optimiste. Nous n'avons pas constaté, encore, hier soir de mouvement, mais nous avons senti une disposition à bouger et la conscience que de toute façon il ne pourrait pas y avoir d'accord si les uns et les autres ne bougeaient pas de leurs positions initiales.
QUESTION - Monsieur Romano PRODI, le Conseil européen a exprimé l'espoir que l'élargissement aura lieu à temps pour que les nouveaux États membres participent aux élections au Parlement européen en juin 2004. Cela veut-il dire que l'élargissement aura lieu au plus tard en 2004 et au plus tôt en 2003.
Deuxième question : est-ce que la rotation de la présidence de l'Union demeurera la même après l'élargissement ?
M. PRODI - Je peux vous répondre pour dire que nous devons faire le plus tôt possible. Nous n'avons pas pu fixer de date mais, comme je vous l'avais dit précédemment, nous avons constaté une grande disponibilité à faire au plus tôt et nous avons constaté de grands progrès pour les pays candidats. En ce qui concerne la rotation, on fera comme par le passé. L'ordre dans lequel participeront les pays sera décidé mais il serait absurde de décider maintenant alors qu'on ne sait pas quand les nouveaux pays entreront, lesquels entreront. Et lorsqu'on le saura, on pourra déterminer l'ordre de rotation des présidences.
LE PRÉSIDENT - Je voudrais, si vous le permettez, ajouter un point ou une précision. Nous n'avons rien changé à la décision d'Helsinki. C'est-à-dire que la seule date qui existe pour nous, c'est le 1er janvier 2003, ouverture des portes, ouverture des portes à ceux qui rempliront les conditions pour entrer. Alors, nous avons exprimé un voeu, c'est qu'il y en ait qui soient entrés à temps pour participer aux prochaines élections parlementaires. Mais ce n'est en rien un engagement sur le début de l'entrée de tel ou tel pays. Il n'y a pas d'engagement de date. Il y a un engagement d'avoir la porte ouverte et de faire entrer à partir du 1er janvier 2003 ceux qui seront prêts.
QUESTION - Monsieur le Président de la République, vous avez dit qu'il y a presque un accord sur la coopération renforcée. Dans cet accord, il y a le droit d'évocation, si un pays membre a des problèmes, droit d'évocation devant le Conseil européen. Est-ce que cela signifie la fin du compromis de Luxembourg et le fait qu'à ce moment-là, le droit de veto au niveau du Conseil européen n'est pas possible ?
LE PRÉSIDENT - Non, cela ne signifie pas la fin du compromis de Luxembourg, qui est une pièce qui existe et qui est à la disposition des nations dans certaines conditions et qui n'a jamais été mis en cause.
QUESTION - Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre. Hier, pendant la rencontre des pays membres de l'Union européenne et des pays adhérents, vous vous êtes prononcés pour l'adhésion de l'Ukraine, de la Norvège, de l'Islande, etc. Il ne vous reste que la Russie. Qu'est-ce que vous en pensez ? Est-ce que vous réfléchissez à l'adhésion de la Russie à l'Union européenne ? Merci.
LE PRÉSIDENT - Je ne voudrais pas qu'il y ait d'ambiguïté. Nous n'avons pris aucune décision concernant ni l'Ukraine, ni la Norvège, ni la Suisse. Nous avons toujours considéré que ces pays avaient une vocation à rejoindre, un jour, l'Europe. Et il n'y a eu aucune décision de prise, pour une raison simple, c'est que ce sujet n'a pas été évoqué à Nice.
QUESTION - Monsieur le Président, depuis le début de la présidence française, l'accent a été mis assez fortement par vos soins sur la nécessaire reconnaissance de la spécificité des régions ultrapériphériques. Donc j'aimerais que vous me rappeliez pourquoi cette volonté de votre part et où en sont les travaux sur ce point.
LE PRÉSIDENT - Je vous ai dit tout à l'heure la reconnaissance que nous avons exprimée à la Commission pour le travail considérable qu'elle a fait, la préparation de tous les dossiers concernant l'Europe des citoyens, comme disait le Premier ministre à l'instant.
J'aurais pu souligner particulièrement le dossier sur les régions ultrapériphériques. C'était un dossier très difficile, extrêmement difficile, qui intéresse trois pays, l'Espagne, le Portugal et la France. Et nous avions fait de fortes et amicales pressions sur la Commission tout en sachant très bien que les propositions nécessaires étaient difficiles à mettre au point. Et la Commission a néanmoins tenu à être prête avant le sommet de Nice et à soumettre des propositions qui, honnêtement, nous semblent les meilleures possible, même si elles ne sont pas aussi favorables que nous aurions pu le souhaiter. Mais je dis bien les meilleures possible et qui ont été donc déposées il y a quelques jours et qui ont été approuvées dans leurs principes. Nous nous en réjouissons beaucoup. Alors, maintenant, il y a naturellement la mise en oeuvre qui va se faire. Mais, là encore, M. PRODI peut dire un mot sur ce point.
M. PRODI - Non, je n'ai rien à ajouter. Simplement le fait que nous avons approuvé un cadre satisfaisant pour les régions périphériques et dans les prochains jours nous devons rendre ces mesures concrètes et détaillées, mais le cadre a été tracé. Il y a eu une satisfaction générale sur ce sujet.
QUESTION - En ce qui concerne la défense, est-ce que vous êtes complètement content avec les conclusions sur la défense ? Le mot indépendance n'existe pas dans le texte. Est-ce que vous êtes 100 % contents ?
LE PRÉSIDENT - Nous sommes 100 % contents pour deux raisons : la première, parce que c'est un très bon accord, la deuxième, parce que c'est un tour de force. Lorsque la France a lancé cette idée, il y a moins de deux ans, nous étions totalement isolés et personne ne pensait que l'on pourrait régler ce problème.
Nous nous sommes d'abord entendus avec nos amis britanniques, cela a été Saint-Malo et, ensuite cela s'est élargi et cela se termine à Nice avec la mise en place de l'ensemble des moyens, à la fois de commandement et ses moyens militaires pour que notre Union puisse faire ce qui est nécessaire pour la défense de ses intérêts.
Le mot indépendant n'a pas de sens et n'avait pas à être prononcé ou pas prononcé. Je crois que la question ne se pose pas du tout dans ces termes, je tiens à le préciser. L'objectif c'est que l'Union européenne puisse agir sur la scène internationale et qu'elle soit capable de gérer des crises lorsque ses propres intérêts sont en jeu. Il s'agit donc d'un objectif politique global.
Pour en être capable, l'Union doit posséder, disposer de capacités opérationnelles civiles et militaires et c'est ce' que nous avons décidé aujourd'hui, achevé de décider aujourd'hui.
Ce développement se fait naturellement en parfaite harmonie avec l'Alliance atlantique. Les moyens de l'OTAN seront parfois nécessaires dans la conduite des opérations, parfois ils ne le seront pas. Et, plus généralement, l'OTAN demeure naturellement le fondement de la défense collective des alliés et l'Alliance atlantique reste notre meilleure garantie. Nous sommes de ce point de vue tous d'accord. Il est donc tout à fait, à la fois politiquement et militairement, artificiel d'opposer la démarche européenne à la démarche atlantique. Cela n'a pas de sens, c'est un complément. Et le fait d'avoir une identité européenne de défense est un élément qui renforce l'Alliance atlantique et qui ne l'affaiblit pas.
QUESTION - Je voudrais vous poser une question. Je voudrais citer Monsieur Montesquieu, il est mort depuis longtemps, mais enfin il avait dit des choses importantes sur la démocratie. Il avait dit que le législatif et le judiciaire devraient être séparés et que, si ce n'était pas le cas, il s'agissait d'un régime despotique. Alors vous êtes membre de l'exécutif, vous prenez des décisions législatives, je voudrais donc vous demander si vous avez déjà réfléchi à ce fait d'être despotique et à rendre aux citoyens le pouvoir législatif ?
LE PREMIER MINISTRE - Je suis forcément un spécialiste de la séparation des pouvoirs, encore que dans notre cas nous partageons le pouvoir exécutif, naturellement avec les chefs de l'État au sommet de l'État.
Je ne suis pas sûr que Montesquieu, au nom de la séparation des pouvoirs avait prévu le caractère extrêmement original de la construction européenne. D'abord, si vous m'y autorisez, je vais vous corriger sur un point. Dans nos démocraties, du moins dans les démocraties parlementaires, ce ne sont pas les citoyens qui exercent le pouvoir législatif, ou plutôt ils l'exercent par la voie d'une délégation qu'ils accordent à des parlementaires qui font la loi, sauf si des formes de démocraties directes, référendum, d'initiatives populaires ou de consultations nationales, font que le peuple fait la loi directement, et ça a pu arriver dans notre propre pays, nous avons révisé récemment notre constitution sur la base d'un référendum qui a changé notre constitution, c'est-à-dire notre loi fondamentale.
Alors, il se trouve que d'abord les pays qui composent l'Union européenne sont eux-mêmes des pouvoirs démocratiques dans lesquels la séparation des pouvoirs existe, et la construction européenne s'est faite de façon originale avec un pouvoir législatif, le Parlement, mais une commission qui ne représente pas les gouvernements qui représentent l'intérêt général de l'Union européenne, qui a un pouvoir d'initiatives au plan législatif, donc il y a une construction particulièrement originale, et c'est vrai, vous n'avez pas tort, une certaine imbrication des pouvoirs, qui fait que la théorie de la séparation des pouvoirs à la Montesquieu, dans sa pureté, ne trouve peut-être pas dans l'Union européenne aujourd'hui son meilleur exemple, d'où les réflexions que nous aurons sans doute à conduire peut-être pour donner un peu de clarté à cela, mais nous, les Français, nous avons la réputation d'être rationnels, rationalistes ou cartésiens, et moi j'ai appris, justement dans l'Union européenne au contact peut-être des anglo-saxons les méritent du pragmatisme.
Alors il y a une construction, elle est ce qu'elle est, elle a permis d'avancer, sans doute faudra-t-il lui donner plus de clarté, mais faisons-le aussi avec le souci du pragmatisme et de ne pas casser une construction originale.
Voilà ce que m'inspire votre interpellation, dont je ne suis pas sûr, au fond, de savoir si j'y réponds parfaitement, parce ce que je n'ai pas tout à fait compris votre question.
QUESTION - Que pensez-vous de ce qu'on lit dans un journal roumain disant que le fait de reporter la décision de suspendre les visas pour la Roumanie entraîne un pessimisme dans le pays et crée un nouveau rideau de fer ?
M. PRODI - J'ai suivi avec beaucoup d'attention ce problème car c'est là l'une des tâches de la Commission, d'analyser cet aspect. Il n'est pas exact qu'il y ait eu un refus pour la Roumanie. Il s'est avéré que, sur certains aspects, les structures administratives n'étaient pas encore prêtes et, donc, on n'a pas voulu porter préjudice à l'harmonie entre nous. Les États membres risquaient de craindre un manque de diligence dans l'examen de ces problèmes.
Mais cela a été reporté de quelques mois. Comme vous le savez, il y a un réexamen de la situation. Il s'agira d'indiquer quelles seront les mesures prises afin de passer à l'élimination des visas, qui demeure l'un de nos objectifs. Ainsi, cela n'a pas été renvoyé mais c'est seulement un report.
QUESTION - Vous avez dit que chaque État, dans le cadre de la CIG, devrait consentir d'importants efforts. Quels importants efforts, la France, pas en tant que Présidente, mais en tant qu'État membre, est prête à consentir ?
LE PRÉSIDENT - Je vais vous dire. Il n'y a aucune chance que je réponde à cette question et je pense que vous le comprendrez. Le moment viendra où je le ferai savoir à nos partenaires, mais pas avant terme.
M. PRODI - Avant tout, le concept d'autoconfession n'existe pas...
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