Palais de l'Elysée, le mercredi 9 février 2000
LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs,
Un mot, d'abord, pour dire ma joie d'accueillir le Président du Gouvernement du Royaume d'Espagne à Paris. J'ai, depuis bien longtemps, beaucoup d'admiration pour l'Espagne qui a mis une forte empreinte dans la vie de l'humanité et je garde de mon récent voyage, de ma visite d'Etat en Espagne, un souvenir très chaleureux.
Je suis content, aussi, de recevoir aujourd'hui un ami. Mais je suis surtout content de recevoir un homme qui, depuis quatre ans, et j'avais évoqué ce point lors de ma visite d'Etat, a réussi à rendre à son pays, à l'Espagne, sa force, son rang et sa grandeur. On le voit en Europe, chacun s'en rend compte et souligne le rôle essentiel de l'Espagne dans la vie communautaire aujourd'hui. On le voit dans le monde hispanophone, et en particulier en Amérique latine, c'est évident, où l'Espagne a retrouvé une place considérable, non seulement économique mais également politique, culturelle. Et puis on le voit dans le monde entier. Et moi, je suis heureux de voir l'Espagne retrouver ainsi toute sa place. Et donc heureux de recevoir, aujourd'hui, le Président de son Gouvernement à qui je passe maintenant la parole.
M. AZNAR - Tout d'abord, je voudrais remercier M. le Président de la République des aimables paroles et de son invitation à être à Paris ce soir. C'est un plaisir pour moi d'être avec un ami et c'est toujours un bon moment de pouvoir évoquer la visite historique de M. le Président CHIRAC, qui nous a tous beaucoup marqués. Je dois dire qu'il faut que je rende hommage au sceau personnel du Président CHIRAC.
Je remercie également la France de sa coopération en matière de lutte anti-terroriste pour défendre les principes de la démocratie et l'Etat de droit. Il s'agit d'un exemple de solidarité. Malheureusement, c'est un problème douloureux que l'Espagne vit pour le moment et la France mérite des remerciements tout à fait spéciaux de notre part.
Quant aux conversations que nous venons d'avoir, je dois dire que nous avons évoqué des thèmes européens, des questions de politique et, qu'à cet égard, notre coïncidence de point de vues est pratiquement totale.
Je voudrais réitérer mes remerciements au Président et exprimer, de nouveau, ma satisfaction de me trouver, ici, ce soir.
QUESTION - Monsieur le Président, j'imagine que vous avez évoqué la situation en Autriche. Donc à propos de cette situation, de l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir dans ce pays, je voudrais vous poser deux questions. La première : il semble que la France soit allée au delà des trois mesures qui ont été arrêtées par l'Union européenne, est-ce que vous pourriez nous en dire un peu plus ? Vous avez été personnellement très en pointe dans cette affaire et vous avez été l'objet d'attaques personnelles de la part de M. HAIDER. Est-ce qu'on pourrait avoir votre réaction ?
LE PRÉSIDENT - Pour la première fois depuis que l'Union européenne existe, depuis que l'Europe est en construction, un parti dont l'idéologie est clairement extrémiste et xénophobe est entré au gouvernement.
Ce n'est pas une petite affaire. Les quatorze autres pays se sont consultés et ont décidé, d'une part de condamner clairement cette situation et, d'autre part, de prendre un certain nombre de mesures collectives entres eux pour marquer cette condamnation. Et ils ont eu raison.
Alors, j'ai entendu ici ou là dire "mais, c'est en quelque sorte une ingérence dans les affaires intérieures de l'Autriche". Non ! Nous avons décidé de construire l'Europe pour assurer la paix, le développement économique, le progrès social, et nous avons pensé que nous le ferions plus vite et mieux tous ensemble et aussi, compte tenu des enseignements de l'Histoire, que nous n'oublions pas, pour permettre le respect d'un certain nombre de valeurs qui sont tout simplement les valeurs de l'humanisme, au premier rang desquelles la tolérance.
Ces valeurs représentent le socle sur lequel est fondée l'Union et, en faisant un accroc important à ce socle, l'Autriche s'est en quelque sorte mise en situation de rupture de contrat. Je le répète : notre condamnation n'est pas une ingérence, c'est un rappel à l'Autriche qu'il y a un contrat auquel elle a souscrit lorsqu'elle a adhéré, et que ce contrat doit être respecté, et qu'il exclut la possibilité de développer une idéologie comme celle dont le parti en question est porteur.
Alors, est-ce que c'était utile ? Oui ! Et d'ailleurs, je constate que sous la pression de cette condamnation, les partis mis en cause ont été obligés, à tout le moins, d'adopter très rapidement une déclaration disant qu'ils respectaient ces valeurs qui nous sont communes. Eh bien, ce que je peux vous dire, c'est que nous serons extrêmement vigilants et extrêmement fermes pour le respect de ces valeurs. Et en attendant, les mesures de condamnation que nous avons prises seront naturellement respectées.
M. AZNAR - Je veux dire seulement un mot sur ce sujet parce que je suis tout à fait d'accord avec le Président CHIRAC.
Je crois que la déclaration des quatorze gouvernements européens est une démonstration que l'Union n'est pas seulement une monnaie, que c'est aussi une communauté de principes, de valeurs et que nous pouvons donner une réponse aux actes quand nous voyons qu'il y a des risques, et que des extrémistes ou des radicaux, ou des forces de racisme, peuvent arriver au gouvernement d'un pays européen. C'est incompatible avec l'idée politique de l'Europe, avec la sensibilité pour certaines choses qui peuvent être dans les pays de l'Union européenne. Je suis tout à fait d'accord avec le Président CHIRAC.
QUESTION - J'aimerais savoir si vous êtes favorable à des sanctions à l'égard du Parti conservateur autrichien, notamment au sein du PPE ?
LE PRÉSIDENT - Il ne m'appartient pas de porter un jugement sur ce que doit faire un groupe parlementaire ou un parti européen. Donc je n'ai pas de commentaire.
M. AZNAR - J'ai dit clairement mon opinion de chef de parti qui forme le Parti populaire européen. J'ai dit très clairement que je crois que la décision du Parti populaire européen doit être très proche de la décision des quatorze gouvernements des Etats de l'Union européenne et qu'en conséquence le Parti populaire européen doit savoir arriver à un accord. Il y a une sanction très claire vis-à-vis du Parti populaire autrichien, qui peut être ou bien la suspension ou bien l'exclusion de ce parti. Je crois qu'il y a trois partis qui vont demander l'exclusion du Parti populaire européen, tant que la situation en Autriche ne change pas. Je suis d'accord avec cette position.
QUESTION - Il s'agit d'une question pour M. AZNAR et j'aimerais aussi connaître l'opinion du Président CHIRAC. Je voudrais savoir quel risque il y a que le Parti nationaliste basque assombrisse la collaboration en matière anti-terroriste entre la France et l'Espagne. Je dis cela à cause des déclarations qui ont été faites par M. ARZALLUS ce matin qui disait que la collaboration franco-espagnole est une espèce d'impôt révolutionnaire que l'Espagne paie à la France sous forme de troisième téléphonie mobile, etc. ?
M. AZNAR - Je voudrais tout d'abord préciser qu'il existe des pays respectables, des gouvernements honorables, des personnes décentes qui luttent contre le terrorisme comme contre le racisme et contre les politiques d'exclusion. Je considère que la première politique d'exclusion est le terrorisme puisqu'il exclut la vie. Je peux vous assurer que le Gouvernement français et le Gouvernement espagnol n'ont jamais pensé à ce genre de choses que vous venez d'évoquer.
LE PRÉSIDENT - Je voudrais dire simplement une chose : le terrorisme est une attitude inacceptable, qui en vérité ravale l'homme au rang de la bête. La France est tout à fait déterminée à lutter contre le terrorisme partout où il se produit. Elle en a elle-même été victime et elle ne l'oublie pas.
S'agissant de l'Espagne, la France est aux côtés de l'Espagne, quoi qu'il arrive, dans la lutte contre le terrorisme. Parce que c'est l'Espagne. mais aussi et surtout parce que c'est le terrorisme. Et donc je tiens une fois de plus à redire, comme d'ailleurs le ministre français de l'Intérieur l'a dit lundi, il y a deux jours, à son collègue espagnol, que la France sera toujours aux côtés de l'Espagne pour lutter avec tous ses moyens contre le terrorisme.
J'ajoute que la France approuve sans réserve la politique courageuse et déterminée menée par le Président AZNAR dans ce domaine.
QUESTION - L'Espagne a vécu un problème de racisme à El Ejido il y a quelques jours. Je voudrais savoir, Monsieur le Président AZNAR, quelles sont vos conclusions à cet égard et si l'action de la police a été correcte.
M. AZNAR - Je voudrais tout d'abord dire qu'il est compréhensible que, quand il y a une mort qui est due à un assassinat et que cela se passe dans un laps de temps très court, il y ait tout d'abord une réaction d'indignation et d'irritation. Mais ce que l'on ne peut pas faire, c'est faire la loi du talion.
La loi doit être appliquée mais tout en respectant l'Etat de droit et le pluralisme. C'est ce que je pense. Et je voudrais souligner que, quand il y a des événements comme celui qui s'est produit dernièrement, je suis toujours contre les attitudes des radicaux, les attitudes extrémistes, les attitudes qui vont à l'encontre de l'intégration au sein d'une société comme la nôtre, qui doit être plurielle. Quant à l'action de la police, je pense que la police a fait de son mieux pour rétablir la paix et la tranquillité au sein de la population.
QUESTION - Est-ce que vous avez évoqué les difficultés du processus de paix au Moyen Orient en ce moment ? Est-ce que vous pensez que l'Europe pourrait faire quelque chose ou davantage pour essayer de sauver la situation ?
LE PRÉSIDENT - Oui, nous avons naturellement évoqué la situation au Moyen Orient. Nous souhaitons que l'Europe apporte le maximum de ce qu'elle pourra faire pour faciliter le bon déroulement de ce processus qui connaît des difficultés, mais qui tout de même est porteur d'espoir. Je rappelle le rôle éminent joué par un Espagnol dans ce domaine, l'ambassadeur MORATINOS, qui est le représentant de l'Europe et qui a conduit une action extrêmement positive et intelligente depuis déjà un certain temps pour faciliter le développement de ce processus.
M. AZNAR - Je suis d'accord avec l'appréciation du Président CHIRAC. J'ai parlé il y a quelques jours avec M. BARAK et M. ARAFAT. Je connais bien la difficulté. J'ai rapporté au Président CHIRAC et nous avons eu une conversation sur ce sujet. Et j'ai l'espoir aussi que les choses peuvent avancer, avec difficulté sans doute, mais avancer, et nous pouvons soutenir la bonne action de M. MORATINOS. Il fait un bon travail au Moyen Orient, pour la paix.
LE PRÉSIDENT - Je vous remercie.
|