Okinawa, Japon, le vendredi 21 juillet 2000
LE PRESIDENT – Nous avons tenu la réunion du G7. Je voudrais souligner que toute la préparation de ce sommet, au niveau des Sherpas, au niveau des ministres pour les sujets qui les concernaient, a été très bien conduite par la Présidence japonaise, très bien conduite. Et donc je tiens à le souligner, car c'est un exercice difficile et, de ce point de vue, il est parfait.
Alors, aujourd'hui, dans les faits, nous avons évoqué naturellement un grand nombre de sujets, qui tournaient pour ce qui concerne l'essentiel autour de la situation économique mondiale, du problème de la dette des pays les plus pauvres et de tout ce qui touche au crime financier, au sens large du terme. Je vais très rapidement revenir sur ces quelques points qui ne retiennent, je le répète, que les plus importants de ceux que nous avons évoqués.
S'agissant, d'abord, de la situation économique, je ne peux pas m'empêcher de me souvenir de la réunion d'il y a deux ans, où les mines étaient assez grises et, comme l'a souligné aussi d'ailleurs le Premier ministre britannique, M. BLAIR, où le pessimisme était ambiant.
Aujourd'hui, naturellement, les choses sont différentes. La croissance, dans nos régions, est retrouvée. Elle est forte et, si on excepte les inquiétudes que l'on peut avoir, ici ou là, en ce qui concerne un éventuel retour de l'inflation, auquel pour ma part je ne crois pas, mais qui peut toujours être craint, notamment, en raison de l'évolution du prix du pétrole, tous les autres indicateurs nous conduisent à la satisfaction. Ce qui, naturellement, a créé un climat particulier pour évoquer le problème de la dette des pays les plus pauvres.
J'ai en effet tenu à souligner la situation un peu paradoxale dans laquelle les pays riches se trouvent. Il y a plusieurs années, dans un grand élan de générosité, je crois que c'était à la suite d'une intervention du Premier ministre canadien PEARSON -je ne suis pas absolument sûr, ni de la date, ni de l'information-, les pays riches avaient décidé de consacrer 0,7% de leur produit intérieur brut à l'aide publique au développement. Cela avait donné lieu à de superbes discours, mettant en exergue l'indispensable solidarité entre les nations et les peuples et la générosité que les peuples riches devaient avoir à l'égard des peuples pauvres.
Alors, naturellement, ce grand vent étant passé, il ne s'est rien passé, si ce n'est que l'aide publique au développement n'a cessé de diminuer pour atteindre des niveaux tout à fait incompatibles avec les exigences du développement et qui expliquent les difficultés sociales mais aussi économiques et politiques d'un certain nombre de pays. La misère est toujours mauvaise conseillère. Notamment, pour ce, qui concerne la bonne gouvernance, la stabilité et l'esprit pacifique. J'en suis venu à dire qu'aujourd'hui, alors que nous expliquons que la situation économique est bonne, que la croissance est revenue, que les recettes affluent et les profits aussi, on pourrait à la fois revoir notre conception de l'aide publique au développement, notamment en ce qui concerne la contribution des pays les plus riches, et puis, aussi, être très actifs en ce qui concerne la suppression des dettes. Ce qui est un autre moyen d'aide, honnêtement moins efficace, dans la mesure où annuler une dette, dont on sait très bien qu'elle ne sera jamais remboursée, n'est pas un acte d'une très grande générosité. Mais enfin, c'est quand même quelque chose d'utile.
J'ai donc fortement souligné, et je n'ai été contredit par personne, la nécessité qu'il y avait pour nous de poursuivre et d'amplifier l'effort que nous avions engagé à Lyon, il y a cinq ans, à l'initiative d'ailleurs de la France, pour l'annulation des dettes des pays les plus pauvres et les plus endettés.
A Cologne nous avons pris des engagements, nous les avons renforcés, portant à 100% le taux d'annulation, et décidant qu'on accélérerait considérablement le processus. Et puis, naturellement, on a pris du retard. J'ai souligné l'importance qu'il y avait à rattraper ce retard. Vous savez, entre le moment où l'on examine la situation d'un pays et le moment où la dette est réellement annulée, il se passe entre deux et trois ans. S'il n'y a pas de difficulté ou de problème. Donc, j'ai souligné la nécessité d'accélérer.
Deuxièmement, j'ai également souligné la nécessité d'être plus attentifs à certains critères politiques. Non pas que je vais émettre des critères politiques à toutes formes de dette ou d'annulation. Mais il est évident qu'il n'est pas très normal de faire un effort important pour des pays politiquement instables. Je pense à ceux qui ont des pouvoirs sortis de coup d'Etat, ce que personne n'a intérêt à encourager. On n'a pas intérêt à encourager ceux qui font des guerres. Hélas, ils sont nombreux, ils sont en conflit. Je pense notamment à ce qui se passe en République démocratique du Congo.
Donc, voilà, vous verrez naturellement tout à l'heure, dans le communiqué qu'on achève de mettre au point, les détails des décisions prises. Je me limite à l'essentiel.
Troisième point, qui est aussi, je ne dirai pas l'aboutissement, car on est au milieu du gué encore, mais qui est aussi une initiative que j'avais prise à Lyon, et qui est la lutte contre le crime financier, tout particulièrement contre le blanchiment de l'argent sale. Je vois deux ou trois d'entre vous qui étaient à Lyon, ils se souviendront peut-être que j'avais indiqué à l'époque que la lutte contre le blanchiment de l'argent sale était non seulement moralement nécessaire, je n'ai pas besoin de vous en convaincre, mais qu'elle était aussi politiquement essentielle, dans la mesure où c'est le blanchiment de l'argent sale qui permet au trafic de drogue de prospérer, qui permet aux terroristes de toute nature de trouver les moyens nécessaires à leur coupable industrie, qui permet à un certain nombre de pays de s'armer de façon, je dirai, illicite, si tant est qu'il puisse y avoir une manière très licite de le faire, et d'engager des conflits comme on les voit se développer, hélas, notamment en Afrique ou ailleurs.
Donc, la lutte contre le blanchiment de l'argent sale, non seulement est une grande cause morale, mais c'est également un élément essentiel pour le retour à plus de paix et de stabilité dans le monde pour lutter contre les effets de la drogue, etc.
Alors là, tout de même, depuis le Sommet de Lyon, et notamment sous la ferme et continue action de la France, on est arrivé à des progrès sensibles, puisque maintenant on a pratiquement identifié un certain nombre de régions douteuses. Il y a eu le travail fait par le GAFI. Il y a eu le travail fait par le FSF. Il y a eu le travail fait par l'OCDE. Ces organismes et leurs spécialistes ont déterminé quels étaient les points faibles, sur le plan de l'organisation, de ces trafics. Ce que nous avons décidé clairement, et ce que nous avons soumis aujourd'hui, c'est qu'il fallait maintenant que ces endroits se corrigent, c'est-à-dire tout simplement, souvent, annulent des dispositions législatives ou prennent des dispositions législatives permettant d'éliminer ce blanchiment de l'argent sale. S'ils ne le font pas, dans un délai aussi bref que possible, alors, naturellement, nous demandons des sanctions qui soient des sanctions fortes allant jusqu'à l'annulation de leurs opérations financières.
Alors nous progressons sur ce point et je veux dire que c'est pour nous, et c'est en particulier pour moi, compte tenu des positions que j'avais prises dès le Sommet de Lyon, puisque c'est là qu'on a engagé cette affaire, une satisfaction.
Voilà pour l'essentiel de ce qui a été abordé autour de la table cet après-midi. Il y a eu bien d'autres sujets naturellement mais vous le verrez à la lecture du
communiqué qui ne saurait tarder, j'imagine, à vous arriver.
S'il y a des questions, je veux bien, avec plaisir, y répondre.
QUESTION – Deux questions concernant la Russie, Monsieur le Président. La première, concerne les dettes russes. Je voudrais connaître la position française à cet égard. Si
M. POUTINE présente une demande de réduction de dette, un rééchelonnement, quelle serait votre réaction ?
Deuxième question, je crois que vous n'avez pas encore rencontré M. POUTINE. Est-ce que vous allez le rencontrer à Okinawa ? Est-ce que vous allez avoir un entretien bilatéral
? Si tel n'était pas le cas, y a-t-il une intention politique derrière ?
LE PRESIDENT – Le Président POUTINE est arrivé ce soir. Vous évoquez la dette en disant qu'il va demander une réduction ou une annulation des
dettes, et notamment de la dette soviétique. La vérité, c'est que nous ne le savons pas. Nous ne savons pas encore ce qu'il va demander. Donc, c'est sans aucun doute un des
problèmes que nous évoquerons ce soir avec lui. Nous avons décidé ensemble que le pays qui est le créancier le plus important sur la Russie, et de loin, c'est-à-dire
l'Allemagne, serait en quelque sorte le pays leader pour cette discussion.
Alors, plus largement, vous me dites : quelle est la position de la France ? Nous sommes nous, Français, depuis toujours, depuis très longtemps, très attachés à nos relations
avec la Russie. Il y a à cela bien des raisons. D'abord nous respectons un peuple qui est un grand peuple, une grande nation qui a fortement marqué l'histoire et avec laquelle
nous avons eu des relations parfois difficiles, mais toujours fortes, et que nous respectons.
Ensuite, naturellement, dans la période difficile que connaît actuellement la Russie, après être sortie de cette période glaciale qu'a été le communisme, il nous apparaît légitime d'avoir une solidarité avec la Russie. Nous sommes donc favorables à tout ce qui peut se traduire par une solidarité, notamment entre l'Union européenne et la Russie.
Troisièmement, chacun comprend bien que, si la Russie n'est pas en Europe à proprement parler, la situation de la Russie est un élément essentiel à la stabilité et à la paix en Europe et qu'il est tout à fait important pour l'Europe d'avoir des bonnes relations avec un pays qui fasse les réformes démocratiques nécessaires, qui fasse les réformes économiques nécessaires et qui soit un pays naturellement pacifique. C'est très exactement le programme que le Président POUTINE a fait adopter récemment à la Douma et je souhaite que ce programme puisse être mis en œuvre. Donc, voilà pour ce qui concerne la position de la France.
Lorsque le Président POUTINE a été élu, je lui ai fait savoir qu'il serait le bienvenu en France quand il le souhaiterait. Les circonstances ont fait qu'il n'a pas répondu à cette invitation, ce que je comprends et ce que je regrette. Dès qu'il y aura pour moi possibilité de le voir, j'en serai très heureux. Il m'avait fait savoir que l'on pourrait avoir un entretien ici. L'expérience que j'ai des sommets m'a démontré qu'il était très difficile de prévoir des entretiens bilatéraux sérieux à l'occasion d'un Sommet, très difficile pour des raisons matérielles. C'est la raison pour laquelle je lui avais fait dire qu'il me semblait que ce n'était pas l'endroit le mieux adapté à un sommet bilatéral. Donc, il n'est pas prévu.
QUESTION – Monsieur le Président, n'avez-vous pas malgré tout l'impression que M. POUTINE est en train de vous snober, si je puis dire, dans la mesure où il y a quelques contentieux et qu'il n'accepte pas la vision du gouvernement français sur sa façon de mener la guerre en Tchétchénie. Il y a eu entre temps la saisie du voilier russe aux fêtes nautiques de Brest, le Sedov, et puis il y a aussi une décision de justice française qui gèle les avoirs bancaires de l'Ambassade russe à Paris. Est-ce que vous pensez qu'il a pris ombrage de tout cela ?
LE PRESIDENT – Ne mélangeons pas les choses. S'agissant de la position que la France a prise en ce qui concerne la Tchétchénie, cela n'a jamais été une position agressive. C'était une position qui est simplement conforme à l'idée que nous nous faisons des Droits de l'Homme. Autrement dit, nous ne contestons pas du tout l'appartenance de la Tchétchénie à la Russie, naturellement. Et nous ne contestons pas non plus le droit pour un Etat de lutter contre le terrorisme. Nous avons néanmoins la conviction qu'un problème comme celui-là relève essentiellement d'une solution politique. Je ne dis pas que c'est facile de trouver une solution politique, mais ma conviction, c'est qu'il n'y a pas de solution militaire. C'est vrai que nous l'avons dit de la façon la plus claire et peut-être plus nettement que certains de nos partenaires. Alors, que cela ait pu contrarier le Président POUTINE, je peux parfaitement le comprendre. Mais il doit comprendre que c'était simplement la réflexion d'amis.
Alors, là-dessus, se sont greffées deux affaires, celle du Sedov et celle des moyens de l'Ambassade. Je voudrais dire que nous n'y sommes là pour rien du tout. La France est un Etat de droit. La justice est indépendante. Le Président de la République est même le gardien de l'indépendance de la justice. Nous sommes dans un système de séparation des pouvoirs. Je rappelle aussi qu'il s'agit là d'un différent strictement commercial auquel le gouvernement français et les autorités françaises sont totalement étrangers. Je comprends parfaitement l'irritation des autorités russes. Je suis désolé de cette affaire, notamment parce qu'elle affecte un certain nombre de jeunes Russes qui étaient invités en France. Mais, je le répète, nous n'avons aucun moyen d'intervention, sauf l'aide que peut apporter le ministère des Affaires étrangères. C'est d'ailleurs ce qu'il fait. L'aide et l'appui qu'il peut apporter pour la recherche d'une solution satisfaisante en assistant la Russie, comme d'ailleurs notre ministre des Affaires étrangères l'a écrit à son collègue russe.
QUESTION – Monsieur le Président, le Président CLINTON est venu à Okinawa, a quitté les négociations de Camp David pour quarante huit heures. Des négociations très difficiles. On peut penser évidemment qu'il va vous en faire part. Est-ce que la France, l'Europe, plus largement tous ceux qui sont réunis ici à Okinawa peuvent faire quelque chose ? Est-ce qu'on peut imaginer une action, un soutien, pour donner -si vous me permettez l'expression- un coup de pouce à CLINTON pour arracher un accord entre MM Barak et Arafat ?
LE PRESIDENT – Moi, j'ai tenu à rendre hommage à l'initiative du Président CLINTON. Parce qu'il savait mieux que quiconque combien les points de vue étaient opposés sur les principaux sujets de cette négociation, comme Jérusalem, les réfugiés, les territoires, etc. Il le savait mieux que quiconque. Et néanmoins, il a mis tout son poids, je dirais son crédit, dans la balance pour essayer de faire revenir les choses sur un sentier plus pacifique. De ce point de vue, quel que soit le résultat de cette conférence, le geste était à la fois élégant et nécessaire.
Ceci étant, vous savez, quand on veut faire la paix··· Un jour, le Premier ministre RABIN m'avait dit :"je fais la paix dans ma tête et après je la ferai sur le terrain, et c'est parce que je l'ai faite dans ma tête, que je la ferai sur le terrain". Je crois que la paix, il faut d'abord la faire dans sa tête. Et je ne suis pas absolument sûr que ce soit le cas, pour tous ceux qui sont, à un titre ou à un autre, impliqués aujourd'hui.
Donc, que peut-on faire ? C'était votre question. Tout ce qui peut amener les deux parties à faire la paix dans leur tête et à comprendre qu'au total ce n'est au bénéfice de personne que de prolonger une situation de cette nature. Et que l'intérêt de tous et que la dignité de tous consistent à faire chacun les efforts, voire les sacrifices, ou ce qui peut apparaître aujourd'hui comme des sacrifices, et qui apparaîtront demain comme des évidences indispensables pour arriver à une situation de paix.
QUESTION – A mille kilomètres d'ici se trouve Taïwan, Okinawa est un endroit qui est plus proche de Taïwan que de Tokyo. Néanmoins, d'après ce que j'ai entendu dire, le gouvernement japonais et le ministère japonais des Affaires étrangères ne sont pas prêts à discuter de Taïwan d'une façon sérieuse. En Asie, la Chine a, vis-à-vis de Taïwan, une attitude plutôt dure. Très souvent, elle parle de menaces armées vis-à-vis de Taïwan. Quel serait le message que ce sommet d'Okinawa pourrait envoyer à la Chine à propos de Taïwan ?
LE PRESIDENT – Vous avez évoqué la position qui serait celle du ministère japonais des Affaires étrangères. Vous comprendrez que je n'ai pas de commentaires à faire sur la position du ministère japonais des Affaires étrangères. Si vous me demandez quelle est la position de la France et celle, d'ailleurs, plus généralement, de l'Union européenne, elle est bien connue, elle n'a pas bougé et c'est la reconnaissance d'un pays-deux systèmes. Autrement dit, nous n'avons pas, depuis déjà bien longtemps, modifié la position traditionnelle qui est la nôtre. Et par voie de conséquence, tout ce qui nous paraît aller dans le sens de discussions et de liens à créer entre ces deux parties d'une même Chine, va dans le bon sens. Nous souhaitons la paix, ici comme ailleurs.
QUESTION – La France a déjà parlé de ses interrogations et de sa préoccupation sur le projet de NMD des Etats-Unis. Allez-vous parler de ce sujet à M . CLINTON ce soir ? Comment le G8 va trouver la solution sur ce sujet ?
LE PRESIDENT – Tout d'abord, la position de la France. De ce point de vue, la France a clairement indiqué qu'elle n'approuvait pas ce projet. C'est un projet non seulement très coûteux, mais enfin ça, c'est le problème des Américains, techniquement très imprévisible, mais ça c'est encore leur problème. Mais c'est à nos yeux un projet de nature à relancer la prolifération des armements. C'est-à-dire, à la fois, des armements nucléaires et des missiles destinés à les transporter. Et l'on voit bien la réaction de pays comme la Chine ou comme la Russie, même si l'on prétend qu'il s'agit de se protéger contre des petits pays qui pourraient être tentés d'utiliser des armes de cette nature. Tout ce qui va dans le sens de la prolifération, à nos yeux, va dans le mauvais sens. Voilà pourquoi nous avons indiqué clairement notre opposition. Nos partenaires de l'Union européenne, pour leur majorité, partagent notre sentiment, sans entrer dans le détail, mais partagent notre sentiment.
Voilà, je vous remercie beaucoup. J'aurai certainement l'occasion de vous revoir, je m'en réjouis à l'avance. |