Hôtel Intercontinental, Zagreb, Croatie, le vendredi 24 novembre 2000
M. MESIC - Je voudrais me limiter, à titre liminaire, à quelques mots. Lorsque le Président de France, Monsieur Jacques CHIRAC, m'a proposé que nous organisions ce Sommet à Zagreb, beaucoup de gens estimaient à l'époque qu'il était peu probable que l'initiative aboutisse. Il y avait quelques perplexités, c'était avant que les élections n'interviennent en République Yougoslave. Et c'était avant le changement démocratique, que nous appelions tous de nous voeux, et qui a commencé en Yougoslavie. Mais je crois que le moment est bien venu. L'Europe est en train de rapprocher d'elle-même en quelque sorte, et l'Europe, ce n'est pas un voeu pieux de notre part. Une Europe unie, c'est un destin, c'est notre destin et nous allons donc agir et peser sur cette destinée qui est la nôtre.
En effet, l'Union européenne est une voix qui peut nous mener à construire cette maison qui accueillera les petits et les grands pays. Cette Europe commune exclura la guerre en tant que pratique politique pour toujours. L'Europe unie garantira aux citoyens les droits démocratiques, certes, mais également des droits pour des conditions de vie décente. Aujourd'hui l'Europe a fait un grand pas en avant et je crois que cette date rentrera dans l'histoire. Je profite de cette l'occasion pour remercier tous les participants et je remercie tous ceux qui ont apporté leur concours à l'éclatante réussite de cette conférence. Je tiens à remercier le Président Jacques CHIRAC, une fois de plus, pour sa clairvoyance et pour cette idée audacieuse qu'il avait eue.
LE PRÉSIDENT - Je voudrais d'abord exprimer au Président MESIC, et aux autorités croates, toute la reconnaissance des pays de l'Union européenne pour l'accueil qui nous a été réservé, pour la qualité de l'hospitalité que nous avons reçue et pour l'organisation remarquable de cette conférence. Donc, c'est d'abord un sentiment de reconnaissance que je vais exprimer, suivi d'un sentiment d'amitié. C'est pour moi, c'est pour nous, une grande satisfaction de nous retrouver dans un climat agréable, convivial, à Zagreb, entre les représentants des peuples de l'Europe occidentale et les représentants des peuples de cette région. Il y a un an en effet, dans la perspective de notre Présidence, je m'étais interrogé sur la façon de renforcer l'action de l'Union européenne dans cette région du monde, région difficile, qui porte un lourd héritage.
Non pas que l'Union européenne n'ait rien fait au cours des dix années passées. Pris ensemble, les pays de l'Union européenne sont les principaux contributaires de forces de maintien de la paix pour la région ; les pays de l'Union européenne avaient pris l'initiative du Pacte de stabilité pour le sud-est de l'Europe et, budgétairement, ils étaient - et de loin - les premiers contributeurs puisque l'Union européenne avait engagé quelques 5 milliards d'euros depuis 91.
Mais il y avait des critiques. Des critiques sont toujours plus ou moins justifiées. On nous disait que l'Europe manquait de détermination, qu'elle manquait de visibilité, alors qu'il y avait des drames à ses portes. En clair, on l'accusait de faiblesse politique.
Il fallait donc réagir. Nous ne pouvions pas à la fois affirmer que nous voulions une politique européenne de défense et de sécurité, et ne pas affirmer clairement notre vision des choses, et assumer notre responsabilité dans cette partie de l'Europe.
Réagir cela signifiait en réalité deux choses. D'abord rappeler que le destin des peuples de cette région était un destin européen et, deuxième chose, que cela donnait à ces peuples des droits et aussi des obligations. L'objectif central de ce sommet, tel que nous l'avions conçu, le Président MESIC et moi, c'était de préciser ce que l'Union européenne pouvait apporter à ces peuples et ce qu'elle attendait d'eux en retour. Cet objectif, je crois qu'on peut le dire, a été atteint aujourd'hui, à Zagreb. L'Union européenne a rappelé à chacun des cinq pays, que chacun était un candidat potentiel à l'adhésion à l'Union européenne. D'ailleurs, elle a mis en place les instruments concrets permettant d'avancer dans cette voix, les accords de stabilisation et d'association.
Un accord, vous le savez, a été conclu avec la Macédoine aujourd'hui ; un autre accord a été lancé avec la Croatie et nous préparons des accords de cette nature avec l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine et la République Fédérale de Yougoslavie. De même, l'Union européenne a renforcé ses moyens d'actions dans le cadre du programme CARDS. C'est près de 5 milliards d'euros qui, pour 5 ans, seront affectés par l'Union au développement économique et au progrès social dans cette région, dans ces cinq pays. De la même manière nous avons décidé un certain nombre de préférences commerciales, non symétriques, de façon à permettre de relancer les économies de chacun de ces pays.
Alors naturellement, cela, c'est la part de l'Union européenne et elle demande à ces pays en retour, et c'est cela l'objectif du Sommet de Zagreb, de poursuivre leurs réformes, de développer la coopération régionale sur la base du respect mutuel et des principes du bon voisinage et naturellement d'ancrer la démocratie, le respect des droits de l'Homme. C'est la voie qu'a emprunté la Croatie avec détermination, et c'est la voie empruntée par la Serbie qui, je l'espère, sera confirmée en décembre. A l'occasion de ce Sommet les participants ont clairement souligné que la réconciliation régionale et la démocratie d'une part ? leur rapprochement avec l'Union européenne d'autre part, étaient deux processus indissociables. Le chemin de la paix, le chemin des droits de l'Homme, le chemin de la stabilité, c'est le chemin qui conduit à l'Europe. Tout autre chemin éloigne naturellement de l'Europe.
Voilà en réalité ce que nous avions pour objectif. Cet objectif a été atteint. Je voudrais souligner que toutes les interventions qui ont eu lieu autour de la table allaient dans le même sens, c'est-à-dire dans le respect des mêmes valeurs, soulignant ainsi que nous appartenions bien à la même famille. Alors naturellement, il y a encore bien des problèmes, bien des obstacles à franchir, mais pour la première fois la voie a été tracée et je m'en réjouis. Nous répondrons effectivement, je répondrai ainsi que le Président MESIC et le Président PRODI à vos questions, mais d'abord le Président PRODI devrait nous donner sa vision des choses à la suite de cette conférence.
M. PRODI - Merci , Monsieur le Président. Je voudrais m'associer aux propos de gratitude qui ont été prononcés aujourd'hui et je voudrais prononcer les plus vives félicitations pour la façon dont s'est terminé ce sommet novateur. Aujourd'hui, on passe d'un système qui met l'accent sur la situation de crise à un système qui met l'accent sur la programmation de la politique et de l'économie pour ce qui est de l'avenir de cette région. Et nous avons approuvé à l'unanimité les propositions que nous avons faites. S'agissant des accords de stabilisation et d'association, il y aura de nouveaux programmes d'assistance taillés sur mesure d'un pays à l'autre, renforcement de la coopération régionale et des rapports bilatéraux, également, entre les différents pays, plus de droits de douane à l'exportation vers l'Europe, qu'entre les différents pays de la région.
S'agissant des accords de stabilisation et d'association, la voie est déjà tracée. On part d'un désarmement douanier unilatéral de dix ans pour en arriver à une véritable zone de libre échange. Donc, dans un délai de dix ans, il y aura harmonisation des législations qui concernent l'économie et le commerce, avec une attention très marquée pour tout ce qui concerne la justice et la lutte contre la délinquance. La présence d'une clause évolutive pour les pays qui opèrent dans le cadre de ces accords de stabilisation et d'association, est présente, disais-je. Ouvrir la voie, ouvrir une première porte aux pays qui souhaitent se porter candidats à l'Union européenne, en se fondant sur les traités cela va sans dire, et sur les critères de Copenhague. C'est un modèle que nous connaissons bien, c'est le modèle qu'à déjà suivi la Slovénie selon son propre chemin.
Autrement dit, nous devons tourner les yeux vers les pays ici réunis comme étant des pays potentiellement candidats. Et, en conséquence, il faudra se préparer aux futures négociations, qui devront un jour transformer ce caractère virtuel en caractère réel. Les accords d'aujourd'hui avec la Croatie et avec l'ARYM, ce sont des balises, des jalons, de même que le seront les efforts dans le même sens pour, notamment, la République fédérale de Yougoslavie et l'Albanie également. S'agissant des rapports avec l'Albanie et avec la République fédérale de Yougoslavie, ces rapports seront intensifiés le plus rapidement possible. S'agissant du coût, j'ai toujours envisagé la possibilité de débloquer 4,65 millions d'euros, qui se trouvent déjà sur la table. Mais cela me semble suffisant pour ce qui est des capacités de dépenses par cette région. Cela me semble suffisant également pour envoyer un message de mobilisation dans le Chef de la Banque mondiale, de la Banque européenne d'investissement et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Si la capacité d'une absorption transparente et adéquate s'accroît, bien entendu, on évoquera de nouvelles ressources. Une sorte de coopération régionale doit cependant s'accompagner de conditions si on veut en arriver à une capacité sérieuse et efficace d'absorption. Ce caractère sérieux, efficace, requiert une forte coopération quant à l'ajustement législatif et quant à la coopération judiciaire, sans oublier la lutte contre la délinquance. De la même façon, la reprise de l'économie, la relance qui aujourd'hui doit couvrir l'ensemble de ces territoires doit englober le retour des investissements étrangers et, ces investissements, bien sûr, se feront dans le cadre de réformes internes. Dans le même temps, on remettra en ordre le système judiciaire, le système de lutte contre la criminalité. Bref, nous avons devant nous un défi colossal. Il serait malhonnête de le nier.
Néanmoins, à partir d'aujourd'hui, il y a un engagement irréversible qui a été pris, un engagement de cette réunion qui se met en marche vers l'Europe et, pour ce qui nous concerne, il y a un engagement à faciliter cette marche. Il s'agit de rendre ce chemin vers l'Europe plus facile à parcourir.
Merci.
QUESTION - Une question adressée au Président MESIC. Lors de la cérémonie d'ouverture, Monsieur MESIC a dit que ce sommet représentait un nouveau chapitre et qu'on s'attendait à ce que tous les États de la région respectent les obligations internationales, y compris l'obligation liée au Tribunal pénal international. Mais dans le discours du Président KOSTUNICA, ces obligations n'ont pas été évoquées. Il semblerait que l'Union européenne n'en soit pas très satisfaite de la présentation au Président KOSTUNICA, que c'était en deçà de ce qui avait été présenté à Biarritz.
LE PRÉSIDENT - Ce qui compte, c'est ce qui est écrit. Et de ce point de vue, dans la déclaration finale qui été adoptée, que le Président MESIC a fait adopter par tout le monde, il y a clairement l'acceptation par toutes les parties en cause des obligations internationales à l'égard du Tribunal pénal international. Il n'y a pas d'autres commentaires à faire. C'est pour nous tous, une exigence très importante. Je considère qu'elle est satisfaite.
M. PRODI - Je voudrais simplement rappeler qu'il y a eu un pacte et un accord unanime aujourd'hui à ce sujet. Je ne peux que me borner à répéter ce qui a été dit, parce que mon point de vue est extrêmement clair. Les mêmes politiques doivent être appliquées à tous les pays de la région. Ceux qui ont violé la loi à terme doivent être traduits devant la justice, et pas seulement en Serbie, mais dans l'ensemble de la région. C'est la primauté de la loi qui doit jouer. Ceci est extrêmement clair. La Serbie a fait les premiers pas vers la démocratie. Elle le fait d'une manière rapide et de manière prometteuse. C'est pourquoi nous sommes prêts à accompagner et à appuyer ces pas. Les accords sont clairs et nous sommes prêts à réaffirmer ce qui a été dit au début pour la Serbie ainsi que pour les autres pays. Les mêmes dispositions s'appliquent.
QUESTION - Une question pour Monsieur PRODI. Comment l'Union européenne pourra-t-elle assister les pays de la région dans la lutte contre la corruption et le crime organisé, corruption hyper présente dans ces pays ? Est-ce que vous pouvez prévoir un type d'assistance ? Et quand pouvons-nous nous attendre à des investissements plus sérieux dans la région y compris la Serbie, maintenant, bien entendu ? Merci.
M. PRODI - Je l'ai répété lors de mon exposé initial. C'est là une des conditions à notre politique d'aide, qui a une grande dimension, qui n'est pas négligeable. L'instrument, c'est la démocratie, cela veut dire adaptation de la législation et des structures judiciaires. Donc, garantie lors des procès. Et puis l'attitude à l'égard des crimes passés que je viens de rappeler et, enfin, l'Initiative Adriatique insiste sur ce domaine. La mise à niveau aussi et la coordination entre les forces de police pour parvenir à cet objectif est dans notre réflexion. Nous savons que la lutte contre la criminalité est une de nos exigences fondamentales. Mais ceci ne pourra fonctionner que si l'économie repart, parce dans la misère ou le manque de prospérité, ceci ne peut qu'alimenter la criminalité. Démantèlement des barrières douanières, reprise des investissements, ouverture des marchés européens : on peut espérer avec tout cela que la lutte contre la criminalité peut réussir.
QUESTION - Monsieur le Président CHIRAC, cette conférence se tient aujourd'hui dans un environnement démocratique en Croatie. Nous sommes reconnaissants à vous-même et au Président MESIC de voir cette conférence représenter une avancée substantielle pour la région. Est-ce que vous pensez aujourd'hui, Monsieur le Président, que la Croatie est plus proche de la Communauté qu'auparavant ? Par ailleurs, la Bosnie étant un sujet délicat dans cette conférence, est-ce que vous pensez après les mouvements démocratiques à Belgrade, que la Bosnie, elle aussi, est en train de se rapprocher de l'intégration ? Merci beaucoup.
LE PRÉSIDENT - Tout à l'heure, avant le déjeuner, nous avions un entretien avec le Président MESIC. Et je lui disais combien j'étais heureux de cette réunion de Zagreb pour beaucoup de raisons. Et notamment, parce qu'elle allait très sensiblement améliorer l'image de cette région et des pays qui la composent. Une image qui, chacun le sait, n'était pas très bonne. Et s'il y a eu pour la première fois, cette discussion, ce dialogue autour de la même table, sans que personne ne soit agressif, à l'égard de l'autre. C'est quelque chose de profondément nouveau. De même que ce rapprochement consensuel entre cette région et la région européenne, c'est quelque chose de nouveau. Donc, incontestablement, l'image de la région à l'égard de l'opinion publique internationale se sera considérablement améliorée. C'est particulièrement vrai pour la Croatie qui s'est, je dirais la première, engagée sur la voie de la démocratie, du respect de l'autre, avec beaucoup de mérite, compte tenu du poids du passé. J'ai été frappé par une réflexion du Président serbe qui assure actuellement la présidence collégiale de la Bosnie. Celui qui a succédé pour une période au Président IZETBEGOVIC.
Dans son discours, je dois dire particulièrement ouvert, il a dit : " au fond ce qui compte, c'est ce que veulent les jeunes, et les jeunes, ils ne veulent pas obligatoirement assumer les querelles des vieux ". Et donc, il faut écouter les jeunes, ce qui est ma conviction. On ne peut pas avoir une vision de l'avenir sans écouter les jeunes et fermer un peu ses oreilles aux réactions des vieux, qui sont forcément conditionnés par un passé difficile. Tout cela améliore l'image d'ensemble. La présence à cette même table, sans problème, du Président KOSTUNICA et du Président DJUKANOVIC, du Monténégro était également quelque chose de positif. Si bien, qu'effectivement, il y a une amélioration sensible de l'image, vraie pour la Croatie, vraie à l'évidence pour la Serbie, mais vraie pour la Macédoine qui a signé la première son accord de stabilisation et d'accession, vraie pour la Bosnie. Je vous conseille de relire le discours du Président bosniaque qui s'est exprimé aujourd'hui. Vous verrez qu'il y a quelque chose de changé.
Naturellement, le fait d'avoir convoqué ici, à Zagreb, tout le monde, a accéléré ce changement. C'est le grand mérite du Président MESIC que de l'avoir compris le premier et d'avoir accepté la proposition de l'Union européenne.
QUESTION - Une question pour le Président MESIC. Est-ce que vous pourriez commenter la déclaration officielle du Président KOSTUNICA, qui a refusé d'assumer la responsabilité des crimes de guerre commis par les Serbes ? Comment pourra-t-il y avoir de réconciliation sans que cela soit admis ? Est-ce que vous avez eu un entretien privé avec lui aujourd'hui ?
M. MESIC - Non, je n'ai pas rencontré en privé le Président KOSTUNICA, mais ne nous reposons pas sur un seul discours pour juger de ses relations, de ses intentions, intentions qui sont de se rapprocher de l'Europe. La Serbie ne peut rester sur la touche. Elle ne peut devenir une île quoi qu'on puisse en penser. Seule une Europe unie pourra se mesurer aux géants économiques que sont, entre autres, les États-Unis et le Japon.
Personne ne peut donc être laissé pour compte. Si, cependant, dans la déclaration qui a été adoptée aujourd'hui par tous, nous avons dit qu'un des piliers de ce processus est la coopération instaurée avec le TPI à La Haye, en fait, tout a été dit concernant la responsabilité. Donc, ce n'est pas dans les paroles qu'il faut rechercher. Mais dans les écrits que nous avons adoptés. Ce qui compte, se sont les principes de coopération avec le Tribunal de La Haye, les questions de minorités, les ponts jetés pour la coopération et globalement tout cet élan vers l'intégration européenne. Je comprends bien la situation du Président KOSTUNICA. Il n'a pas les leviers du pouvoir à sa portée, il n'a que l'instrument des élections. Nous ne savons pas dans quelle direction la Serbie va s'engager encore après ces élections.
QUESTION - Monsieur DJUKANOVIC nous a parlé d'une éventuelle définition de la future Yougoslavie et du Monténégro comme étant deux États. Pourrais-je recueillir l'avis de Monsieur CHIRAC sur la position de l'Union européenne sur ce point ?
M. MESIC - Je ne voudrais pas me livrer à une spéculation pour tirer des plans sur la comète sur les relations à venir entre la Serbie et le Monténégro. Tout cela dépendra de la volonté des populations serbe et monténégrine.
LE PRÉSIDENT - Je partage ce sentiment. Et je fais confiance à la démocratie pour régler ce problème.
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