Biarritz, Pyrénées-Atlantiques, le samedi 14 octobre 2000
LE PRÉSIDENT - Je vais tout d'abord, en qualité de Président de l'Union européenne, vous donner, au nom de cette présidence et des autorités françaises qui la composent, des éléments d'information qui reflètent très exactement ce qui a été fait et les conclusions, le point où nous en sommes de nos travaux, qui nous conduiront jusqu'à Nice. Et, bien entendu, je parle là au nom des Quinze.
D'abord, je voudrais dire que, même si nos esprits étaient mobilisés par les événements extérieurs que nous connaissons, cela n'a pas été naturellement de nature à modifier le déroulement de nos travaux. Hier matin, conformément au programme, nous avons assumé la totalité de notre agenda de même que l'après-midi et à l'occasion du dîner. C'est à l'occasion du déjeuner, comme il était prévu, qu'ont été traités les trois problèmes, le problème dramatique du Proche-Orient, le problème d'espérance de la Serbie et le problème, inquiétant pour tous nos compatriotes, du pétrole. Je le dis pour que les choses soient claires.
Nous avons donc eu hier matin, hier après-midi et hier soir huit heures de discussions approfondies sur la seule réforme institutionnelle. Et j'en retiens trois enseignements. D'abord, nous sommes tous d'accord pour nous fixer un haut niveau d'ambition pour le futur traité de Nice. Ensuite, nous avons enregistré de réels progrès sur deux sujets importants sur quatre, c'est-à-dire la majorité qualifiée et les coopérations renforcées. Enfin, nous sommes vraiment entrés dans la négociation sur les deux sujets les plus sensibles : la composition de la Commission et la repondération des voix.
Alors, d'abord, nous avons enregistré de réels progrès sur la majorité qualifiée et les coopérations renforcées. C'est un point très important pour l'avenir de l'Europe et il existe déjà un accord sur de très nombreux articles. Il y a toutefois certaines questions qui restent encore à éclaircir et devront l'être avant Nice, enfin à Nice, pour lesquelles nous avons néanmoins qualifié les enjeux et identifié des pistes vers les solutions. Dans le domaine fiscal, il reste des réserves mais beaucoup sont ouverts, notamment pour ce qui concerne les adaptations techniques et la coopération dans la lutte contre la fraude. Dans le domaine social, une ouverture existe sur tout ce qui ne touche pas aux principes de la sécurité sociale. En matière de politique commerciale extérieure, nous devrions pouvoir avancer dès lors que cela ne constitue pas une extension des compétences communautaires et que l'on trouve un traitement satisfaisant pour les secteurs les plus sensibles, notamment dans le domaine culturel. Enfin, dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, un problème particulier se pose, qu'il faudra approfondir pour l'asile et l'immigration.
Au-delà de ces questions centrales, quelques autres difficultés ont été relevées et vont être approfondies sur la non-discrimination, sur l'environnement et sur la cohésion. Tout cela devant former à Nice un ensemble équilibré. Voilà pour les majorités qualifiées.
Pour les coopérations renforcées, des gros progrès ont été constatés, notamment sur les principes régissant ces coopérations et sur lesquels tout le monde s'est mis d'accord. Elles doivent avoir un caractère totalement ouvert, autrement dit n'exclure personne. Elles doivent respecter l'acquis communautaire et elles doivent s'inscrire dans le cadre institutionnel.
On se rapproche d'un accord sur la mécanique de déclenchement, qu'il s'agisse du nombre minimum de pays, de la clause d'appel au Conseil européen ou de la clause du dernier ressort.
Pour la PESC et surtout pour la sécurité et la défense, une ouverture existe et il reste à trouver quelques modalités adaptées.
En deuxième lieu, nous sommes vraiment entrés dans la négociation sur les deux thèmes les plus sensibles, la Commission et la pondération des voix.
Sur la Commission, chacun comprend qu'il est nécessaire de réorganiser la Commission pour la renforcer avant l'élargissement, afin de la rendre plus efficace. Deux schémas sont sur la table : soit le plafonnement du nombre des commissaires avec rotation égalitaire entre tous les États membres ; soit une Commission avec au moins un national par État membre, alors se pose la question de sa réorganisation. Il faudra choisir à Nice entre ces deux formules qui vont être discutées par la Conférence intergouvernementale jusqu'à Nice. Il faudra le faire en ayant à l'esprit, naturellement, l'intérêt général de l'Union.
Sur la pondération des voix, deux options sont sur la table dans le contexte de l'élargissement et de la nécessaire prise en compte de la légitimité démocratique : soit une repondération simple, soit un système de double majorité. Là encore, nous allons travailler d'ici Nice pour dégager la solution la meilleure pour le bon fonctionnement de l'Union élargie dans l'avenir.
Sur ces deux questions les plus sensibles, naturellement, nous avons eu des discussions particulièrement utiles et approfondies, notamment au cours du dîner d'hier soir, un dîner qui a été particulièrement chaleureux, solidaire, ouvert et dont je garderai la meilleure impression pour ce qui concerne l'évolution des choses. Au niveau des chefs d'État et de gouvernement, en effet, chacun comprend mieux la position des autres et chacun, je l'ai bien noté hier soir à l'issue du dîner, s'inscrit dans une volonté d'aboutir. C'était très important.
Au total, de vrais progrès ont été constatés. Nous sommes tous déterminés à parvenir à un accord substantiel sur ces quatre questions à Nice afin de permettre une véritable réforme des institutions de l'Union indispensable à l'élargissement.
Ce matin, nous avons donné un accord unanime des chefs d'État et de gouvernement au projet de Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Celle-ci pourra donc être proclamée au Conseil européen de Nice après accord de toutes les institutions concernées. C'est un texte qui fera date car il énonce, pour la première fois, les valeurs, les principes, les droits essentiels dans lesquels se reconnaissent les quinze peuples de l'Union et qu'il propose à ceux qui veulent les rejoindre. C'est aussi un texte politique et ambitieux qui consacre ou conforte des principes qui vont souvent au-delà de ceux qui sont déjà proclamés, par exemple dans la Convention européenne des droits de l'Homme. Je pense notamment aux droits sociaux, aux droits dit nouveaux comme la bioéthique, l'environnement ou la protection des données. C'est enfin un texte qui a été élaboré après une large consultation de la société civile.
Nous avons eu, par ailleurs, une discussion intéressante sur la mise en place d'un dispositif visant à prévenir les violations des principes fondamentaux de l'Union. Il s'agit de l'article 7 du Traité. De nombreux États sont ouverts à l'idée de modifier dans ce sens l'article 7 du Traité. La CIG va continuer de travailler sur cette question d'ici le Conseil européen de Nice.
Enfin, et la France y était particulièrement attachée, nous avons examiné les problèmes de sécurité maritime sur la base du rapport de la Commission. Il faut en effet construire un espace européen de la sécurité maritime et nous avons fait le point sur les travaux engagés depuis mars dernier. A Nice, nous devrions pouvoir conclure la discussion sur trois sujets importants. L'élimination accélérée des pétroliers les plus anciens, l'amélioration du système d'agrément des sociétés de classification et le renforcement des contrôles dans les ports. Nous sommes tous d'accord.
Nous devrions aussi disposer à Nice de trois nouvelles propositions de la Commission concernant le système européen d'information, la création d'un système d'indemnisation européen en complément du FIPOL et la création d'une structure européenne de sécurité maritime. Et vous pouvez compter naturellement sur la vigilance de la France pour que cet ambitieux programme soit réalisé.
Enfin, naturellement, comme vous le savez, le Conseil européen informel a évoqué hier, à l'occasion de son déjeuner, deux grands sujets d'actualité internationale : la situation au Proche-Orient, cela va de soi, et je vous ai rendu compte hier de nos débats et de nos conclusions. L'appel du Conseil européen a été entendu, il était un appel parmi d'autres. Yasser ARAFAT m'a dit ce matin qu'il acceptait de participer à un sommet avec M. BARAK, sommet qui devrait avoir lieu demain ou après-demain à Charm el Cheikh, en Egypte. Deuxième sujet, les évolutions de la République fédérale de Yougoslavie et, comme vous le savez, le Président KOSTUNICA est en train d'arriver à Biarritz et nous allons avoir un déjeuner de travail avec lui. Avec le Premier ministre, nous vous rendrons compte tout à l'heure de cet entretien.
Voilà le compte rendu de la Présidence sur ce qui a été fait ce matin mais maintenant nous sommes tous ici prêts à répondre à vos questions.
QUESTION - Le Président égyptien Hosni MOUBARAK, ce matin, a fait savoir que l'Union européenne et plusieurs pays européens, notamment la France et l'Espagne, aimeraient prendre part au sommet de Charm el Cheikh. Pourriez-vous le confirmer ?
LE PRÉSIDENT - Je démens tout à fait cette information telle qu'elle est parue et qui, à mon avis, ne peut venir que d'une mauvaise information du Président MOUBARAK qui est pourtant toujours très soucieux de vérifier ses informations.
L'Union européenne a pris une position collective qui était de déplorer l'engrenage de la violence, de souhaiter la reprise du dialogue, préalable à la continuation de ce qui a été commencé à Camp David. Et l'Union européenne a encouragé à ce titre la proposition d'une réunion sur place à l'initiative du Président MOUBARAK, avec M. ARAFAT, M. BARAK et le Président CLINTON. Point final. La France n'a jamais demandé à participer. Simplement, l'Union européenne a fait savoir, par notre bouche, que dans la mesure où l'on souhaiterait que nous fassions quelque chose, nous étions disponibles. C'est d'ailleurs très exactement ce que M. SOLANA, qui a eu longuement hier soir M. MOUBARAK, M. ARAFAT, a dit très clairement, aussi bien à l'un qu'à l'autre. M. SOLANA, en tant que représentant de l'Europe, l'a dit clairement. Il n'y a pas eu de demande ni de l'Union, ni d'aucun de ses membres, aucun n'aurait été fondé à le faire, de participation. Il y a eu simplement une mise à disposition de l'Union qui a été signifiée par l'intermédiaire de M. SOLANA.
QUESTION - M. SOLANA, pourriez-vous nous préciser à quand remonte votre dernier contact direct avec M. BARAK, que ce soit rencontre ou que ce soit par téléphone ? Le Président de la République vient de préciser que vous avez eu longuement hier soir le Président MOUBARAK et M. ARAFAT. Il semblerait que vous n'ayez pas vu ou parlé directement à M. BARAK depuis un certain temps. Pouvez-vous nous le préciser ?
M. SOLANA - Hier soir j'ai essayé de téléphoner à M. BARAK, et vous savez hier soir, on m'a dit qu'il sera difficile de parler avec lui pendant la session de Shabat. Le dernier contact avec M. BARAK remonte à avant-hier, très tard, je crois que c'était onze heures de la nuit.
QUESTION - Une question qui est posée tant au Président de la République qu'au Président de la Commission. Est-ce que vous avez le sentiment, sur la taille de la Commission ou sur la repondération des voix, qu'il y a une opposition entre grands et petits pays. Et si oui, comment comptez-vous rassurer les petits pays qui ont peut-être le sentiment que les grands veulent mettre en place un directoire. Donc la question s'adresse aux deux.
M. PRODI - Le problème ce n'est pas entre grands pays et petits pays mais c'est surtout sur la taille de la Commission, pour travailler de façon efficace et de façon unitaire. Et alors, il y avait des oppositions, bien sûr, qui ont été surtout soulignées par les petits pays et les grands pays, mais il n'y avait pas une division entre les deux. Je pense que la discussion d'hier soir surtout a clarifié beaucoup de ces points ici. C'est-à-dire qu'il n'y a pas d'opposition, mais, si on adopte une des deux structures, il faut avoir des changements forts dans le modèle d'organisation de la Commission.
LE PRÉSIDENT - D'abord, les autorités françaises, aussi bien le Premier ministre que moi-même, sommes extrêmement attentifs à ne pas accepter de clivage entre petits et grands pays. Parce que ce clivage est contraire à l'esprit des institutions, et parce qu'il est par définition contre-productif. Ce qui ne peut que déclencher des mauvaises humeurs. Alors, naturellement, il faut une Europe équilibrée. Il y a des réalités démographiques qui doivent être reconnues dans les systèmes de gestion, et notamment dans la pondération des voix. Mais en aucun cas on ne doit tomber dans le piège d'une opposition entre petits pays et grands pays. Et d'ailleurs le Premier ministre le faisait remarquer hier soir à table, et c'est très juste, il n'est pratiquement jamais arrivé qu'il y ait une opposition dans l'histoire de l'Union entre petits et grands. C'est toujours un ou deux grands et trois ou quatre petits qui s'opposent à un ou deux grands et trois ou quatre petits. Si on peut appeler petits ou grands, je fais naturellement allusion simplement à des réalités démographiques, évidemment. Mais c'est ça la réalité de l'Union. Ce qui veut bien dire, le Premier ministre en concluait, qu'il n'y avait aucun sens à vouloir opposer les entre guillemets " petits " ou entre guillemets " grands ".
M. PRODI - Du point de vue de la Commission, nous avons étudié la solution de la double majorité pour prévenir la lutte entre petits et grands mais il y a aussi d'autres arrangements techniques.
QUESTION - Monsieur le Président, vous avez dit que le sommet a approuvé la teneur de la Charte des droits fondamentaux. Est-ce que vous avez parlé du statut juridique futur de cette charte ?
LE PRÉSIDENT - Il y a sur ce point des opinions qui sont différentes. Ce n'était pas à l'ordre du jour de notre débat. Nous avons adopté un texte, enfin nous l'adopterons officiellement à Nice, après qu'il ait été adopté aussi par la commission, officiellement, et par le Parlement . Et la Présidence suédoise examinera ensuite ce que veulent les Quinze pour ce qui concerne sa nature juridique.
QUESTION - Hier soir, Monsieur le Président, il n'y a pas eu d'affrontements directs entre les petits et les grands. Vous en avez appelé au sens des responsabilités des petits pays. M. GUTERRES n'a pas traité ces questions, est-ce vrai ?
LE PRÉSIDENT - Le problème de la composition de la Commission a été posé par tous les membres de l'Union, par tous les responsables, par tous les chefs d'État et de gouvernement, et chacun a donné son point de vue. Ce que je vous ai dit, c'est que nous nous sommes rapprochés, nous avons manifesté collectivement une volonté de trouver une bonne solution et il ne m'appartient naturellement pas de commenter la position de l'un ou de l'autre. Si vous voulez de ce point de vue avoir des informations, posez la question à M. GUTERRES.
QUESTION - Monsieur le Président, si vous permettez que je revienne sur le Proche-Orient. Vous avez appelé M. ARAFAT, est-ce que vous comptez appeler M. MOUBARAK , considérez-vous que c'est nécessaire pour continuer les efforts d'apaisement ?
LE PRÉSIDENT - La Présidence de l'Union n'a pas ménagé ses efforts pour faciliter la reprise du dialogue, et chacun a utilisé ses propres relations, ses propres arguments, pour le faire. La France est en relation suivie avec M. MOUBARAK et je me réjouis de cette décision et de cette réunion. Et, naturellement, je me réjouirais beaucoup plus encore si elle arrive à quelque chose de positif, et surtout si le dialogue est réellement repris c'est ça l'enjeu, et repris pour reprendre la discussion là où on l'a laissée au lendemain de Camp David.
QUESTION - Quelles sont les chances réelles d'obtenir un bon accord à Nice et quelles seraient les conséquences d'un échec au mois de décembre ?
LE PREMIER MINISTRE - Puisque le Président m'invite à le faire, je voudrais vous dire qu'il est naturellement difficile pour nous d 'évaluer quelles sont les chances de parvenir à un accord à Nice. Ce que le Président a marqué tout à l'heure, c'est que les échanges de vue dans le conseil, la profondeur des discussions hier soir dans le dîner informel, ont montré une volonté d'aboutir, et nous avons essayé au niveau de la Présidence, et je me suis exprimé à plusieurs reprises sur ces questions pour donner un point de vue français puisque le Président avait assumé davantage sa mission de Président de l'Union, nous avons essayé de dire la chose suivante : il faut une réforme institutionnelle conséquente pour aborder la période qui vient, l 'élargissement bien sûr. Nous ne pourrons pas assumer l'élargissement d'une Europe à vingt, vingt-cinq, vingt-sept ou trente, avec les institutions telles qu'elles fonctionnent actuellement, et avec les modes de prises de décision tels qu'ils existent. Nous devons absolument aboutir à un accord, à un succès à Nice, parce que cela peut retentir sur d'autres aspects : la confiance des Européens, la force qui doit être affirmée de notre monnaie, d'autant que la construction européenne est une construction originale, et qu'elle a toujours besoin aux yeux des peuples et aussi aux yeux des observateurs de donner des preuves qu'elle avance. Sinon, si ces preuves ne sont pas apportées, commencent à naître à nouveau des interrogations et au fond elle ne peut pas se contenter, surtout quand elle a des rendez-vous importants, et l'élargissement en est un, d'une gestion du statu quo. Donc, nous avons besoin de réussir Nice et réussir Nice c'est faire une réforme réelle des institutions de l'Union européenne, car si nous ne faisions pas cette réforme réelle, je pense que beaucoup des observateurs considéreraient que Nice n'est pas un succès. Donc nous voulons aboutir à Nice, mais nous voulons aboutir à Nice à une véritable réforme des institutions européennes. Et donc la Présidence a mis chacun des participants, et le Président en particulier, devant notre responsabilité collective et nous cherchons le succès. Mais un accord au minima ne pourrait pas être considéré comme un succès. Voilà en gros l'état d 'esprit, la thématique qui était la nôtre, et nous avons ressentit que, malgré les différences qui existent, et que le Président a rappelé, et à propos de la repondération de la double majorité, cette conscience de l'enjeu avait progressé à Biarritz hier et, en particulier, hier soir. J'espère que cet esprit de Biarritz inspirera la suite des travaux et notamment ce que nos ministres auront à faire pour progresser sur les points où les clivages restent encore plus importants.
Quand on recherche un succès, on ne commence pas par examiner les conséquences d'un échec.
QUESTION - Devant la presse belge, le Premier ministre belge a notamment mis en évidence une contradiction qui existerait entre le discours sur le futur de l'Union européenne de certains grands pays, notamment la France, en plaidant pour une Commission avec moins de pouvoirs, tandis qu'ici, au niveau de la CIG, ces mêmes orateurs plaident pour une Commission forte. Et certains s'étonnent de cette contradiction et se posent des questions quand des pays comme la France plaident en ce moment pour une rotation égalitaire. Quelle est la stratégie derrière cette proposition ?
LE PRÉSIDENT - Je crois qu'il y a confusion. Nous n'avons jamais proposé de Commission avec moins de pouvoirs. Nous avons proposé une Commission avec moins de membres, ce qui n'a aucun rapport, et M. le Premier ministre belge n'a pas fait cette confusion.
Monsieur PRODI veut-il ajouter quelque chose ?
M. PRODI - Non. C'est simple. En principe, tout le monde était d'accord qu'il faut avoir une Commission plus forte. Sur la réalisation pratique, ce n'est pas facile à donner des alibis précis dans quel cas la Commission sera plus forte ou plus faible. Hier soir, nous avons aussi discuté de cette possibilité mais de façon vraiment ouverte. Je pense que, d'ici Nice, nous aurons beaucoup réfléchi sur ces points.
QUESTION - Monsieur le Président, je souhaiterais savoir dans quel état d'esprit vous attendez le Président KOSTUNICA et si, par ailleurs, vous allez lui demander des garanties en échange de l'aide substantielle que l'Europe s'apprête à lui donner ?
LE PRÉSIDENT - Il y a eu mardi une rencontre extrêmement positive entre le ministre français des Affaires étrangères, M. Hubert VEDRINE, en sa qualité aussi de Président du Conseil des affaires générales, et le Président KOSTUNICA. Cela ne s'est pas du tout passé dans un esprit de " je te donne la rhubarbe, donne-moi le séné ". Non, ce n'est pas l'état d'esprit de la Communauté. L'Union s'est réjouie profondément, toute entière, de l'évolution démocratique en cours actuellement en Serbie. L'Union a appuyé, et par tous les moyens possible, la démarche du Président KOSTUNICA et lui confirmera tout à l'heure qu'elle continuera de l'appuyer. Nous souhaitons le succès de cette rénovation parce qu'elle remet la Serbie sur la route qui va vers sa maison, sa famille, c'est-à-dire l'Europe. Et donc, nous ne sommes pas là à poser des conditions. Nous apporterons une aide dans la mesure de ses besoins au Président KOSTUNICA.
Sur ce point, le Premier ministre l'ayant eu en dernier, je vais lui demander de compléter ma réponse.
LE PREMIER MINISTRE - Nous avons eu une discussion, mercredi au Conseil des ministres devant lequel le ministre des Affaires étrangères nous a rendu compte de son entretien avec M. KOSTUNICA et avec des leaders l'opposition. Nous avons eu une longue discussion sous votre présidence, Monsieur le Président. Et l'opinion qui se dégageait, j'en ai été heureux, je l'ai au fond retrouvé dans les prises de position de nos collègues européens lors du déjeuner hier, lorsque nous avons abordé cette question. On ne traite pas un pays qui se tourne vers nous comme l'on traite un pays qui se détournait de nous et des valeurs communes de l'espace européen. On ne traite pas un gouvernement qui tend à remettre en place la démocratie comme un gouvernement de dictature ou un gouvernement très autoritaire. Et donc, nous pensons que l'Europe doit rappeler ses valeurs, ses principes, la Communauté internationale rappellera ses décisions, ses exigences mais que nous devons intégrer le facteur temps et que nous devons accueillir d'une autre façon les nouveaux dirigeants. Donc les problèmes ne peuvent se poser dans les termes, non pas que vous vouliez les poser, mais les termes où vous nous interrogiez et je crois, que nous pourrons peut être vous en dire davantage quand nous aurons repris l'échange tout à l'heure avec M. KOSTUNICA, mais ces éléments ont paru partagés par l'ensemble des membres du Conseil et par le Président de la Commission. C'est donc une démarche progressive qui se met en place et qui va supposer de notre part à tous, beaucoup de finesse.
LE PRÉSIDENT - Et le mot qui la caractérise, c'est espoir.
QUESTION - Monsieur le Président, vous avez mentionné des progrès importants sur les coopérations renforcées. Est-ce que cela signifie que la possibilité pour un seul pays de bloquer le déclenchement d'une coopération renforcée pourrait être dépassée ?
Sur la Commission, le Président PRODI s'est inquiété dernièrement d'une dérive intergouvernementale, est-ce que vous êtes tout aussi inquiet de cette dérive ?
LE PRÉSIDENT - Alors, premièrement, il est naturellement hors de question qu'un seul pays puisse s'opposer à une coopération renforcée. Deuxièmement, je n'ai aucune inquiétude pour la dérive intergouvernementale de la Commission, mais c'est à M. PRODI d'exprimer son point de vue.
M. PRODI - Je ne suis jamais inquiet. Je suis préoccupé. J'ai déjà exprimé dans mon discours à Strasbourg tous les détails de ces problèmes là, mais la réponse était jusqu'à maintenant que c'est la préparation partagée et personne ne veut voir la Commission affaiblie.
QUESTION - Une question pour le Premier ministre. Sur l'article 7, est-ce que un changement de l'article 7 a été changé pour la France et quel argument la France va utiliser dans ce débat là ?
LE PREMIER MINISTRE - Je crois que le Président de la République, le Président de l'Union a rappelé tout à l'heure la nature de la discussion. Il y a un souhait d'une modification de l'article 7. Il n'y a pas encore d'accord sur les modalités selon lesquelles cela pourrait se faire, et la France fait partie des pays qui souhaitent cette évolution.
LE PRÉSIDENT - En terminant, je voudrais, et je le dis vraiment au nom des autorités françaises, faire une réflexion. Avec les drames qui se sont, hélas, déroulés au Proche-Orient, nous avons observé en France même des paroles, des comportements indignes, des actes inacceptables dont la Communauté juive a été la cible. C'est inadmissible. Inadmissible. Chacun en France doit respecter les valeurs de fraternité, de liberté, de tolérance qui sont le fondement même de notre République. Le Gouvernement a pris des dispositions pour que le respect des communautés, la sécurité des croyants, la liberté des cultes soient partout assurés.
Je voudrais, face à cette crainte, exprimer aussi un espoir et rendre un hommage. Car j'ai entendu également beaucoup d'appels à la raison, à la paix, à la tolérance, au dialogue, de la part des responsables des grandes religions dans notre pays. J'ai vu les mains tendues, les gestes de paix, les rencontres, le dialogue dans plusieurs villes de France, notamment à Marseille. C'est ça, cette main tendue, ce dialogue, ce respect mutuel. C'est ça, le vrai visage de la France, la vraie réponse de la France aux images de haine et de violence.
Le Premier ministre voudrait ajouter quelque chose.
LE PREMIER MINISTRE - Naturellement je partage totalement ce qui vient d'être dit par le Président de la République. Je voudrais vous dire simplement que le Gouvernement, et en particulier le ministre de l'Intérieur, a pris toutes dispositions pour assurer aux institutions de la communauté juive française la protection nécessaire. Que tout en veillant à ne pas grossir les événements qui se sont produits, à ne pas donner de la publicité aux mauvais exemples qui peuvent créer des entraînements, nous agissons, à la fois au plan judiciaire où la ministre de la Justice a adressé aux Parquets généraux des éléments de politique pénale et aussi au niveau des forces de police, nous agissons avec la plus grande fermeté contre tout acte ou toute tentation d'action à caractère antisémite ou à caractère raciste, dans quelque direction d'ailleurs que ces actes pourraient être perpétrés ou décidés. Et donc, nous ferons preuve à cet égard de beaucoup de fermeté dans la répression lorsqu'elle sera nécessaire et d'ailleurs quelques interpellations ont déjà été opérées.
Puisque je suis sur ce terrain, je voudrais, si vous le voulez bien Monsieur le Président de la République, aussi remercier ici l'ensemble des forces de sécurité qui, par leur présence, leur mobilisation, et aussi leur sang-froid face aux violences qui ont été perpétrées par des groupes extrémistes, ont permis que ce Conseil se déroule dans l'ordre et se déroule aussi dans le respect qui était dû à nos hôtes étrangers. Et donc je voudrais leur adresser à tous les remerciements du Gouvernement.
LE PRÉSIDENT - Nous vous remercions.
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