Laeken, Belgique, le samedi 15 décembre 2001
LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs,
Nous venons de terminer le Conseil de Laeken. Je voudrais d'abord remercier le Premier ministre belge, et toute son équipe, pour son accueil et aussi pour la façon dont il a conduit
ce Conseil européen, à l'image d'ailleurs d'une présidence belge qui a été digne d'éloges. Elle n'était pas facile puisqu'il fallait, à la fois, assumer l'agenda et
également orchestrer la réaction de l'Union à la suite des événements du 11 septembre.
Alors, cette ambition qui a été satisfaite, je crois, elle est présente dans la déclaration de Laeken sur l'avenir de l'Europe que nous avons adoptée. C'est un débat, vous vous en
souvenez, que nous avions lancé à Nice, qui a fait l'objet en France d'un large débat national qui s'est terminé récemment et qui va maintenant passer à l'échelle
européenne dans sa phase de l'Union.
Grâce à la décision de Laeken, cette phase européenne s'ouvre dans des conditions que nous estimons tout à fait satisfaisantes. La réflexion préparatoire à la Conférence intergouvernementale sera confiée, vous le savez, à une Convention qui sera composée des représentants des gouvernements, des Parlements nationaux et européens, de la Commission. La société civile y sera, comme nous le souhaitions, très étroitement associée.
On peut dire que, rarement, et je crois même jamais, une grande réforme de l'Union, celle qui se prépare actuellement pour 2004, aura été préparée dans une telle transparence. Et nous sommes tout à fait heureux et fiers que la conduite de cette Convention ait été confiée à M. Valéry GISCARD d'ESTAING, au Président GISCARD d'ESTAING dont l'expérience et la hauteur de vue sont incontestablement des gages de succès pour cette importante tâche.
Le deuxième motif de satisfaction pour nous, c'est que la Convention s'est vu confier un mandat très large et très ouvert. C'est un véritable exercice de refondation de l'Union qui est engagé. Il nous permettra de répondre à toute une série de questions essentielles : quelle vision de l'Europe avons-nous pour demain et pour après-demain ? Quelles sont les valeurs qui fondent cette Europe ?
Comment s'assurer du fonctionnement transparent, démocratique, décentralisé de l'Union européenne ?
Vous constaterez d'ailleurs que, conformément à la ligne défendue par la France, cette déclaration se place dans une perspective constitutionnelle.
Alors, s'agissant ensuite de la lutte contre le terrorisme, un pas important a été fait, vous le savez, avec l'adoption du mandat d'arrêt européen auquel nous étions très attachés.
Le Conseil a été également l'occasion de déclarer l'Union opérationnelle sur le plan militaire. C'est un engagement que nous avions pris à Nice, sur lequel nous étions là aussi très attentifs et qui nous a permis de déclarer cette opérationalité, comme on le dit, dès maintenant, ce qui naturellement ne nous dispensera pas de faire les efforts nécessaires en matière d'effectifs, en matière de capacités mais, maintenant, les choses sont en place pour ce qui concerne l'Europe de la Défense.
Les pays de l'Union ont également démontré leur capacité à s'engager dans la gestion des crises. Comme vous le savez, ils ont annoncé leur disposition à participer à une force internationale qui pourrait être déployée à Kaboul, en Afghanistan, sur mandat naturellement des Nations Unies et composée pour l'essentiel, et même en totalité, en tout cas dans l'état actuel des choses, de soldats européens. Il s'agit de contributions nationales, bien entendu, mais il s'agit d'un signe clair de la place prise par l'Union européenne sur la scène internationale. Dans ce contexte, c'est un engagement pour la paix que nous avons manifesté, c'est un engagement dans le prolongement du premier pour l'action humanitaire, c'est enfin un engagement à moyen terme pour ce qui concerne la reconstruction de l'Afghanistan et la constitution d'une force armée afghane qui soit conforme aux normes contemporaines et démocratiques.
Par ailleurs, le Conseil a adopté, vous le savez et je n'y reviens pas, une déclaration sur le Proche-Orient qui répond à la gravité de la situation et à l'inquiétude générale exprimée par tous les participants pour ce qui concerne la situation telle que nous l'observons, hélas.
Nous avons également parlé des relations entre l'Union européenne et la Russie. Le Président POUTINE a très clairement marqué la place qu'il entend réserver à la Russie dans le contexte international et dans la communauté internationale, et notamment dans ses relations avec l'Europe. Et la France a proposé dans cet esprit de franchir une nouvelle étape dans le développement des relations de coopération avec la Russie en créant notamment un Conseil de sécurité intérieure réunissant les Quinze et la Russie pour traiter des questions de lutte contre le crime organisé, contre le trafic des personnes, des drogues, les trafics en général et aussi l'immigration clandestine.
A notre initiative, les chefs d'Etat et de gouvernement ont eu un débat sur la politique africaine de l'Union, un débat intéressant. Nous avons pu obtenir, ce qui était une demande
ferme de la France, appuyée d'ailleurs par la présidence belge, que le programme indicatif national pour le Congo soit signé avant la fin du mois de janvier prochain, ce qui est un
signe clair d'encouragement aux efforts engagés par le Président KABILA pour sortir de la situation de crise et de guerre qui existe dans son pays.
Sur le plan économique, nous avons fait le point sur la préparation de l'euro, avec l'arrivée de la monnaie. Le sentiment général est celui de la confiance, confiance dans les
opérations de préparation technique où tout a été fait, semble-t-il, en Europe, en tous les cas en France, pour que l'arrivée de l'euro entre les mains de nos compatriotes, et
notamment de ceux qui auront le plus de difficultés avec ce changement, soit fait dans les conditions les meilleures possibles, matériellement et psychologiquement. Confiance dans la
mise en œuvre de l'euro lui-même sur le plan financier et confiance dans l'intérêt que cette réforme importante suscite chez nos compatriotes, et dont on a pu voir concrètement la
manifestation avec l'extraordinaire succès qu'a connu en France la vente des pochettes d'euros, c'était hier.
Enfin, le Conseil européen a réaffirmé son engagement de réaliser le programme Galiléo, programme de positionnement par satellite. C'est un programme d'une importance stratégique à la fois pour le bon fonctionnement de l'Europe et pour son indépendance. C'est un programme qui est aussi important qu'en leur temps celui d'Airbus ou d'Ariane et nous sommes heureux que des décisions positives aient pu être prises dans ce domaine.
Enfin, nous avons évoqué le problème des sièges des agences. La présidence belge a tenté de présenter les choses avec autant de bonne volonté que possible en ajoutant aux deux
ou trois agences en cause tout une série de sièges d'agences qui n'existent pas vraiment, qui pourraient être éventuellement mises en œuvre mais qui n'ont pas encore fait l'objet
des études nécessaires, enfin, il y en a une douzaine.
Nous avons pensé que cette inflation d'agences méritait quand même une réflexion approfondie sur le rapport coût-efficacité de ces agences et que, par conséquent, il fallait se
donner un délai supplémentaire.
J'ajoute que la France avait deux candidatures, en étant consciente qu'il faudrait qu'elle n'en ait qu'une, qui étaient d'une part l'Agence alimentaire à Lille et l'Agence
maritime à Nantes. C'était deux dossiers extrêmement justifiés à tous égards. Ils ne figuraient pas, ni l'un ni l'autre, dans la proposition de compromis sur les douze
agences et pseudo-agences de la Présidence et, par conséquent, nous nous sommes rapidement mis d'accord sur le fait qu'il valait mieux renvoyer, il n'y avait aucune urgence
particulière, qu'il valait mieux renvoyer la décision en définitive après une étude plus approfondie des différentes candidatures et aussi de la justification d'un certain nombre
de propositions. Et c'est ainsi que la présidence espagnole a hérité de cette responsabilité.
Voilà, mais le Premier ministre va dire des choses peut-être complémentaires et sans aucun doute importantes sur ce Conseil.
LE PREMIER MINISTRE - Elles vont certainement, Monsieur le Président de la République, être importantes, puisqu'elles sont similaires. Ce Conseil européen, vous le savez, avait comme principal objectif de lancer un processus démocratique destiné à préparer une réforme profonde de l'Union européenne en 2004, parce qu'elle est nécessaire en soi et parce que l'élargissement l'exige.
Et puisque je parle de débat démocratique je voudrais d'ailleurs souligner que la France, notre pays, est certainement celui où ce débat a été lancé avec le plus de conviction et suivi par des dizaines de milliers de nos concitoyens et donc nous pouvons être très heureux d'avoir contribué à cette discussion au plan national et d'ailleurs le rapport de la commission d'organisation du débat présidé par M. Guy BRAIBANT a été transmis à la Présidence. Alors je crois que, à ce stade cet objectif a été rempli avec succès puisque la déclaration adoptée à Laeken institue une Convention qui est chargée de réfléchir sur la base d'une série de questions qui lui sont soumises et qui sont ouvertes à l'avenir de l'Union européenne. Cette Convention vous le savez sera présidée par M. Valéry GISCARD d'ESTAING assisté de deux vice-présidents, M. AMATO, ancien Président du Conseil italien et M. DEHAENE, ancien Premier ministre belge, et je me réjouis que la conduite de la Convention soit assurée par une personnalité aussi éminente que l'ancien Président de la République française. Le résultat des travaux de la Convention sera transmis aux Etats membres qui se réuniront le moment venu en Conférence intergouvernementale.
C'est donc bien une nouvelle phase qui s'ouvre pour maintenant et dont je souhaite qu'elle permette à l'Europe d'être plus forte, plus efficace et plus influente, plus concrète aussi dans l'avenir. D'autres avancées ont été opérées sur des dossiers concrets importants : sur l'euro qui va être la monnaie de plus de 300 millions d'Européens dans 17 jours, nous avons marqué à quel point les préparations avaient été sérieuses et surtout l'importance pour des nations de se doter de la même monnaie et avec un projet économique et de cohésion sociale qui leur soit commun.
Cet euro est déjà une réalité pour les institutions financières depuis trois ans et nous a préservé des crises spéculatives, donc a été un élément de protection formidable pour l'Union européenne, cela va devenir une réalité concrète et tangible pour nos concitoyens. Et vous avez vu d'ailleurs qu'hier les Français se sont précipités sur les sachets euros mis en circulation par le Gouvernement. Cette opération qui a été organisée en partenariat avec toutes les professions concernées par le passage à l'euro, auxquelles je veux rendre hommage, a été donc un immense succès. On peut dire qu'il y avait une sorte "d'euro impatience" comme si nos concitoyens voulaient avoir l'euro en mains, se l'approprier, je pense donc que c'est gage d'un succès pour la mise en place de cette monnaie à partir du premier janvier. Il n'y a pas toujours dans les vies quotidiennes de l'ensemble d'une collectivité des choses vraiment nouvelles et ça, cela va être une chose profondément nouvelle et je pense que les Français l'ont saisie comme telle sans frilosité et sans crainte.
Le Conseil a entériné les travaux sur l'emploi et en particulier la fixation des lignes directrices sur l'emploi pour 2002, les indicateurs sur la qualité de l'emploi, la
réaffirmation des objectifs de plein emploi.
L'approfondissement de la dimension sociale de la construction européenne avec l'adoption d'indicateurs en matière de lutte contre la pauvreté et l'exclusion est une autre étape
importante de ce Conseil qui a pris la décision de tenir un sommet social avec les partenaires avant chaque Conseil européen de printemps. Cela sera une façon de favoriser le
renforcement du dialogue social européen.
Les décisions prises à Tampere en octobre 1999 sur la formation d'un espace de sécurité de liberté et de justice ont créé une dynamique nouvelle que les événements tragiques du 11 septembre ont à cet égard rendue plus nécessaire et les décisions récentes sur le mandat d'arrêt européen où des difficultés ont été surmontées, sur la définition du terrorisme, sur l'Eurojust sont importantes. Nous sommes décidés à poursuivre les efforts engagés en décidant d'une véritable politique commune d'asile, en développant un contrôle plus efficace aux frontières extérieures avec la perspective d'une police européenne des frontières. De même, comme le Président l'a indiqué, a été réaffirmée l'importance stratégique du projet de navigation par satellite Galileo et le fait que le Conseil réaffirmait l'importance de ce programme et rappelle les calendriers, les décisions récentes de l'ESA, l'Agence spatiale européenne, est une bonne chose.
J'ajouterai simplement que, hors de ce Conseil mais au fond cela l'accompagnait bien, vous savez qu'il y a une décision importante qui a été prise en ce qui concerne l'avion de transport militaire du futur et, à cet égard, la décision qui a été prise par le gouvernement allemand de confirmer ses commandes de l'A 400M est une décision tout à fait importante. Nous pouvons encore espérer d'ailleurs que nos amis italiens aillent dans ce sens en matière militaire et en matière d'aéronautique donc dans sa double dimension industrielle et stratégique, c'est là aussi une bonne nouvelle pour l'Europe qui montre qu'elle est parfaitement capable d'avancer. Voilà l'essentiel de ce que je voulais dire pour non pas compléter mais plutôt confirmer le compte-rendu que le Président vous faisait de ce sommet.
QUESTION - Monsieur le Président, pour le Moyen-Orient, l'Europe insiste sur la concertation entre l'Europe, les Etats-Unis, les Nations Unies, la Russie et les pays de la région pour arriver à une solution de cette crise grave. Comment allez-vous faire alors que Washington, d'abord, vient de rappeler son envoyé spécial dans la région, deuxièmement, a demandé à l'Europe, d'après les informations, de ne plus recevoir Yasser ARAFAT ?
LE PRÉSIDENT - Nous avons, je l'ai dit tout à l'heure, évoqué ce problème longuement, très longuement entre nous, chefs d'Etat et de gouvernement, et aussi ministres des Affaires étrangères. Et cela a été aussi l'un des principaux sujets de tête à tête qui ont eu lieu, notamment au niveau des ministres des Affaires étrangères. Et nous sommes très inquiets. Cela, c'est un sentiment unanime.
Je ne veux pas rentrer dans les détails. Vous avez probablement déjà vu notre point de vue commun qui a fait l'objet d'une déclaration commune. Et, s'agissant du retour du général ZINNI aux Etats-Unis, nous n'avons pas de commentaires à faire. C'est un problème qui concerne les Américains.
S'agissant du souhait exprimé par Washington, sur lequel je n'ai pas non plus de commentaires à faire, je peux vous dire que notre Consul général à Jérusalem est allé aujourd'hui même voir le Président ARAFAT pour faire le point des choses avec lui.
QUESTION - Monsieur le Président, concernant les agences, ici, en Belgique, on ne comprend pas la stratégie derrière les agences. On pense que
peut-être vous exagérez avec deux candidats, Nantes et Lille.
LE PREMIER MINISTRE - Les agences doivent être attribuées en fonction de candidatures de villes. Et sur plusieurs agences, il y a eu plusieurs candidatures de villes de pays différents et parfois de plusieurs villes dans le même pays. Nous avons nous-mêmes procédé à des sélections pour les deux agences pour lesquelles nous nous pensions tout à fait compétents, à savoir l'Agence de sécurité alimentaire, plusieurs villes en France ont présenté leur candidature et où, finalement, nous avons pensé que le meilleur projet était celui de Lille et pour l'Agence de sécurité maritime où, là aussi il y avait de nombreuses villes, surtout de la côte atlantique, mais aussi de la Méditerranée. Et au bout du compte, Marseille et Nantes nous paraissaient deux projets, sans doute de qualité voisine. Mais nous avons choisi, pour ce qui nous concerne, une ville, parce qu'il ne nous apparaissait pas possible de proposer deux villes et qu'en plus nous pensions que la symbolique de l'ouest, compte tenu de l'histoire de la sécurité maritime, l'histoire dramatique de la sécurité maritime pour la France, imposait finalement de choisir la ville de Nantes.
Nous l'avons dit : nous avons deux très bonnes candidatures pour deux agences différentes. Nous n'avons jamais pensé que nous pouvions obtenir, demander, deux agences, même si nous avions deux très bons projets.
Donc, nous avons dit notre première priorité est l'agence de sécurité alimentaire, parce que le projet de Lille nous paraissait exceptionnellement bon. Pas simplement par le potentiel scientifique et technique rassemblé à Lille, mais aussi parce qu'il y avait une proximité de Bruxelles pour une agence qui va faire fonctionner des comités pratiquement tous les jours, des dizaines et des dizaines de comités spécialisés. L'argument de la localisation sur la base d'un très bon projet, par ailleurs, nous paraissait un argument essentiel. Donc, c'était notre première priorité. Et honnêtement, je crois que tout le monde considérait, y compris la Commission, que du point de vue technique, du point de vue du projet, c'était sans doute le meilleur.
Bon, d'autres pays étaient candidats. M. BERLUSCONI a avancé la candidature de Parme et puis il y avait la candidature d'Helsinki. Et c'est vrai que tout le monde était soucieux du problème d'Helsinki qui n'avait pas d'agence. Donc, nous avons dit, si on doit renoncer à ce qui est notre premier choix pour lequel notre projet est unanimement considéré comme le meilleur, nous le ferons. Mais alors, à ce moment-là, compte tenu du tribut que les côtes françaises ont payé aux marées noires, c'est-à-dire aux conséquences de l'insécurité maritime depuis des décennies et encore au cours des trois dernières années avec le naufrage de l'Erika et du Levoli Sun, compte tenu en plus de la force de proposition de la France dans les instances communautaires et dans les instances internationales pour améliorer la sécurité maritime, éliminer les bateaux poubelles, imposer des normes plus strictes de sécurité, on ne pouvait pas comprendre que si nous n'avions pas cette première agence, nous n'ayons pas la deuxième.
Voilà, nous n'avons absolument pas proposé d'avoir deux sièges d'agences. Cela dit, nous avons une préférence. Nous sommes prêts à y renoncer. Mais comprenez que l'agence de sécurité maritime, compte tenu de ce qu'est le trafic maritime dans ce que l'on appelle le "rail d'Ouessant" où les risques sont majeurs, peut légitimement revenir à la France.
Alors, voilà, c'est tout. Et nous étions tout à fait prêts à donner notre accord ce soir à un paquet. Je l'ai dit au Président Guy VERHOFSTADT. Si, par exemple, nous avions eu y compris, simplement, notre deuxième proposition. Donc, nous étions prêts à un accord ce soir. Et je pense que cet accord aurait pu se faire sur cette base.
Voilà ce qui s'est produit. Je pense que notre dossier était d'une grande simplicité et fondé sur des arguments très forts.
LE PRÉSIDENT - Cela était tellement fort, d'ailleurs, que tout le monde a reconnu bien volontiers qu'il y avait intérêt à approfondir la question et donc à la transférer à l'Espagne.
QUESTION - Monsieur le Président, il semble qu'il a été assez difficile d'obtenir la désignation de M. Valéry GISCARD d'ESTAING comme Président de la Convention, parce qu'il y avait deux candidats en lice au départ. On parlait d'un troisième homme. Donc, je voulais savoir si cela avait été dur.
Et, Monsieur le Premier ministre, je voulais savoir s'il n'était pas étonnant, quand neuf des pays de l'Union européenne sont plutôt à dominante de centre gauche, que ce soit M. Valéry GISCARD d'ESTAING qui soit élu. Justement, quels sont ses mérites ?
LE PRÉSIDENT - C'est d'abord l'un des mérites, probablement, de l'Union européenne que de ne pas se décider exclusivement pour des raisons politiques, mais de savoir exprimer un choix d'intérêt général. D'autre part, je voudrais noter qu'il n'y avait, lorsqu'on a en quelque sorte présenté la candidature de M. GISCARD d'ESTAING, il n'y avait qu'un seul candidat, puisque la Finlande n'avait pas présenté la candidature de M. AHTISAARI. M. GISCARD d'ESTAING, pour la France, était le seul candidat à avoir déclaré sa candidature, même si beaucoup de gens, y compris parmi les chefs d'Etat et de gouvernement européens, auraient sans aucun doute vu d'un œil favorable la candidature de M. Jacques DELORS. Mais il n'avait pas présenté sa candidature. Quant, pour appeler les gens par leur nom, à l'éventuelle candidature de Wim KOK, celui-ci avait dit très clairement qu'il ne serait pas candidat et n'a pas manifesté aujourd'hui sa candidature.
Deuxièmement, il est certain que personne ne pouvait sérieusement contester la qualité de la candidature du Président GISCARD d'ESTAING. Il est l'homme qui a lancé l'euro que nous allons avoir dans nos poches dans quelques jours. Sa compétence dans ce domaine est indiscutable. Sa hauteur de vue n'est pas non plus discutable. Donc, sa désignation a été, je dirais, naturelle et n'a pas posé de problème particulier.
LE PREMIER MINISTRE - La possibilité d'avoir un Président de la Convention qui soit français a été ce qui a guidé légitimement la délégation française, cela a été notre première préoccupation. Si le processus des candidatures avait été différent au plan français, il y aurait pu y avoir éventuellement une autre candidature. Ca n'est pas exactement ce qui s'est passé au plan français. Donc, à partir d'un certain moment, nous avons eu une candidature française pour la présidence de la Convention et cela nous paraissait être une bonne chose. Si les choses s'étaient présentées d'une façon un peu différente on aurait pu imaginer une autre candidature également française et nous l'aurions soutenue, à la fois le Président de la République et moi-même, et moi avec, sans doute, un plaisir particulier. Donc ce n'est pas d'abord, en l'espèce, sur critère politique que la décision s'est faite.
Le Président de la République a évoqué le nom de Jacques DELORS. Nul doute qu'il aurait été un Président de la Convention exceptionnellement fait pour cela. Je pense aussi que l'ancien Président de la République Valéry GISCARD d'ESTAING assurera avec beaucoup de maîtrise, de compétence et de hauteur de vue la mission qui maintenant lui a été confiée unanimement par le Conseil européen, c'est unanimement que cela s'est fait. D'ailleurs en plus comment pourrais-je, devant la presse, apprécier les mérites d'un ancien Président de la République ?
QUESTION - Peut être pas une question sur les mérites de Valéry GISCARD d'ESTAING mais sur sa pensée. Tout récemment, à l'Assemblée nationale, il a récusé la notion de fédération d'Etats-nations, il a parlé d'union à compétence fédérale. Alors vous seriez-vous ralliés à cette notion ? Et c'est une façon, en fait, de demander quel sera le contrôle des Etats sur les travaux de la Convention, qui pourraient déboucher sur des éléments contraignants ?
LE PRÉSIDENT - La connotation fédéraliste de la pensée de M. GISCARD d'ESTAING, telle que vous l'exprimez, permettez-moi de vous le dire, n'engage que vous. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il n'a pas signé le fameux papier qui a été signé il y a une quinzaine de jours par un certain nombre, cinq ou six, sept ou huit, de grands Européens. Parce qu'il trouvait que la connotation de ce travail était trop fédérale. Donc, je dis cela simplement pour resituer, je n'ai pas à me substituer au Président GISCARD d'ESTAING pour exprimer sa pensée en matière européenne mais enfin elle me semble un peu différente de ce que vous venez de dire.
A partir de là, il conduira la Convention comme il l'entend. Je vous rappelle que la Convention doit présenter des options qui seront soumises au Conseil européen et le Conseil européen, dûment éclairé par le travail de la Convention, sans aucun doute après avoir étudié les différentes options proposées, prendra des décisions qui lui paraîtront s'imposer pour la réforme de l'Union européenne, c'est à dire la Conférence intergouvernementale. C'est la conférence intergouvernementale, la CIG, qui est le seul organe de décision.
LE PREMIER MINISTRE - Je voudrais peut-être dire juste un mot. Le Président de la République a raison, n'interprétons pas à l'avance la pensée du bientôt Président de la Convention.
D'autre part la Convention elle-même va travailler sur une série d'options. Et ce qui est envisagé c'est qu'elle présente des options sur un certain nombre de sujets et que, si elle le peut, elle dégage des consensus. Naturellement selon qu'elle présentera des options, en qualifiant peut-être d'ailleurs, si elle le souhaite, c'est dit dans la déclaration de Laeken, le degré de soutien à telle ou telle approche ou bien selon qu'elle présente un consensus qui prendra plus de force, tout cela effectivement éclairera de façons diverses les gouvernements, c'est-à-dire la Conférence intergouvernementale, puis le Conseil européen qui, à un moment, aura à trancher. Donc, ne franchissons pas les étapes d'un bond. Les gouvernements auront la responsabilité politique finale d'avoir à trancher. Le travail de la Convention ne sera pas facile. Quand on voit la difficulté que nous avons eue à avancer, puis à déboucher à Nice sur des objectifs moins ambitieux et quelle est l'ambition qui est tracée là, vous pouvez vous dire que la tâche de la Convention sera complexe et peut aboutir finalement à un accord entre les gouvernements au bout du compte, peut-être en 2003. Mais enfin à chaque jour suffit sa peine !
QUESTION - Monsieur le Président, compte tenu de l'état de blocage des négociations sur la répartition des sièges, est-ce qu'on peut exclure que la France retire une de ses candidatures pour favoriser les chances d'une deuxième candidature ?
LE PRÉSIDENT - Vous savez, le Premier ministre vous l'a dit tout à l'heure, nous avons dit clairement que les candidatures doivent être appréciées non pas pour des raisons, je dirais, politiques, au sens général du terme naturellement, mais pour des raisons techniques. Nous avons deux candidatures qui, sur le plan technique, sont parfaitement justifiées. Et donc, les choses étant ce qu'elles sont, je ne vois absolument pas pourquoi nous serions conduits à abandonner une candidature pour théoriquement mieux sauvegarder l'autre. Qu'au terme d'une négociation, nous soyons amenés à faire un choix en fonction des données de la négociation, cela, c'est autre chose. Mais je ne vois pas pourquoi nous retirerions l'une de nos candidatures.
QUESTION - Monsieur le Président, la présidence belge, dans son lyrisme et avec beaucoup d'enthousiasme, a parlé d'une force multinationale européenne qui serait pour la première fois envoyée en Afghanistan. Il s'est avéré que cet enthousiasme est vite retombé. Est-ce que vous ne regrettez pas que l'Europe n'ait pas profité de cette occasion pour aller ensemble sur le terrain ?
LE PRÉSIDENT - Ne confondons pas hâte et précipitation. J'observais un certain nombre de critiques formulées ici ou là dans le domaine de la défense européenne, je me souviens, lorsque nous avons lancé, il n'y a pas longtemps, c'était il y a quelques mois avant Saint-Malo, l'idée d'une défense européenne. J'en avais fait pour ma part l'objet d'un discours particulier. Tout s'oublie vite et tout s'efface rapidement, mais si vous avez la curiosité de voir à l'époque les commentaires, c'était extraordinaire : initiative irresponsable, aucune espèce de chances d'aboutir, tout ceci ne peut pas marcher, etc. En trois ans, trois ans et demi, on a fait la défense européenne. Elle est maintenant en place et, en quelques mois, conformément à ce que nous avions dit à Nice, les organes ont été arrêtés et ce qu'on appelle l'opérationalité a été décidée aujourd'hui, à Laeken.
On est arrivé à un résultat spectaculaire. Dans quelques mois, nous serons en mesure de projeter 60 000 hommes. Souvenez-vous que nous avons fait ça en trois ans et demi à partir d'un accord franco-britannique. Il a fallu convaincre les treize autres participants à l'Union. Alors, maintenant, on me dit : mais pourquoi est-ce que vous n'êtes pas partis ? Oui, alors, on aurait pu effectivement faire en vitesse un uniforme pour M. Javier SOLANA, un uniforme de général, et le faire partir à la tête de nos troupes là-bas. Mais les choses ne se passent pas comme ça.
Les pays de l'Union européenne ont accepté de participer à une force multinationale pour une durée limitée, avec un but très précis qui est d'assurer la protection -ce n'est pas d'aller faire la guerre là-bas, c'est d'assurer la protection- des nouvelles autorités afghanes et des autorités de l'ONU qui seront installées à Kaboul. C'est ça, notre mission. Ceci pour une durée limitée, le temps que les choses se mettent en place en accord, bien entendu, avec les autorités afghanes qui sont demanderesses et, cela va de soi, dans le cadre d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. Voilà. Alors, ce n'était pas là l'armée européenne, ce sont probablement des Anglais, des Allemands, des Français. Nous nous sommes d'ailleurs mis d'accord pour que le commandement soit assuré par un britannique et, voilà, c'est l'efficacité qui voulait ça.
QUESTION - C'est une question pour le Président et le Premier ministre : vous n'avez pas pu acheter de sachet d'euros puisque vous étiez à Bruxelles mais la présidence belge vous en a donné. Qu'est-ce que cela vous a fait d'avoir pour la première fois des euros dans la main ?
LE PRÉSIDENT - Cela ne nous a pas été donné par la présidence belge. La présidence belge nous a donné un sachet belge. Mais là, aujourd'hui, nous vous montrons, le Premier ministre et moi, un sachet français qui vient de France. Voilà, et nous avons pris une grande satisfaction à le soupeser et nous avons surtout eu une grande satisfaction de voir, comme le disait le Premier ministre tout à l'heure, l'accueil extraordinairement positif que l'euro a suscité dans l'opinion publique française. On l'a vu avec les achats de ces sachets, on l'a vu également dans tous les sondages, c'est très positif. Il faut dire que tout a été fait pour que les choses se passent le mieux possible dans une opération délicate, naturellement.
QUESTION - Vous n'avez pas évoqué l'élargissement. Si je suis bien informée, les noms de dix pays candidats se retrouvent dans le communiqué final du sommet. Alors, comme c'est M. VEDRINE qui a soulevé ce sujet-là il y a peu de temps, je voudrais savoir comment a réagi la France par rapport à ça ?
LE PRÉSIDENT - La France réagit naturellement de façon très positive puisqu'elle a soulevé, à juste titre, un
problème qui était à la fois un problème de principe et un problème politique, sur le plan de la politique européenne, et que la conclusion à laquelle le Conseil est
arrivé est très exactement celle que nous souhaitions. Il n'y a pas de décision de "big bang" tel qu'à un moment donné certains l'avaient envisagé. Les conclusions
réaffirment le principe de différenciation, c'est-à-dire à chacun selon ses mérites, et vous savez que c'était un principe auquel la France était très attachée. Les
conclusions énoncent une évidence : si les négociations se poursuivent au rythme actuel et, c'est un ajout important, si le rythme des réformes dans les Etats candidats se
maintient, alors, naturellement, les dix pays cités ou tout ou partie d'entre eux pourraient être prêts pour rentrer en 2004. Et, entre nous, nous le souhaitons naturellement. Ce
n'est pas là une novation, je dirais même que c'est un souhait. Pour le moment, la preuve n'en est pas encore apportée.
Alors, j'ajoute que, comme nous le souhaitons, le Conseil européen par ailleurs demande qu'un effort particulier soit fait pour la Roumanie et pour la Bulgarie. Pour avoir eu des
entretiens, aujourd'hui, avec le Premier ministre roumain et avec le Premier ministre bulgare, nous avons pu mesurer à quel point ces deux pays avaient été sensibles au fait
qu'une certaine procédure ne soit pas de nature, en quelque sorte, à les humilier.
Je vous remercie.
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