Belgrade, Yougoslavie, le vendredi 7 décembre 2001
LE PRESIDENT KOSTUNICA - C'est avec un grand plaisir que j'accueille aujourd'hui, ici, le Président français, Monsieur Jacques CHIRAC. Je tiens à dire qu'il s'agit d'une visite qui était prévue au début du mois de septembre dernier mais, suite à l'attaque terroriste à New York et à Washington, cette visite avait dû être reportée.
Il n'est pas habituel dans ce genre de circonstances de commencer par évoquer le passé, par rappeler les événements passés mais, s'agissant de la France et de Monsieur Jacques CHIRAC, je me permettrai de le faire. C'est ma cinquième rencontre avec le Président CHIRAC, suite aux changements démocratiques en Yougoslavie qui se sont produits le 5 octobre de l'an 2000.
La première de nos rencontres s'est inscrite quelques jours après les changements, notre arrivée au pouvoir. Elle s'est située à Biarritz et Monsieur Jacques CHIRAC est le premier chef d'Etat étranger que j'ai rencontré suite à mon arrivée en fonctions. Par la suite, nous nous sommes rencontrés au sommet de Zagreb, au sommet réunissant les pays de l'Union européenne et les pays des Balkans de l'Ouest. Ensuite, nous nous sommes vus à Paris, à Genève, lors des travaux de la Commission des droits de l'Homme, et nous voici aujourd'hui à Belgrade.
Mais permettez-moi de souligner un point qui me semble extrêmement important s'agissant des changements démocratiques dans notre pays. Ce point, c'est le soutien que la France nous a accordé, nous a accordé même avant le 5 octobre de l'an dernier. Au début du mois de juillet, lorsque la France est devenue la présidente en exercice de l'Union européenne, la France et le Président CHIRAC ont lancé une initiative, une initiative visant à changer d'approche face à la République fédérale de Yougoslavie. Il s'agissait d'accorder un soutien aux forces démocratiques, et cela d'une manière efficace qui ne procède pas par sanctions, qui empêche précisément que le peuple soit le premier frappé par les sanctions. Donc, en essayant de frapper le régime non démocratique lui-même.
C'est par la voie de cette initiative française que beaucoup a été fait pour encourager les changements démocratiques en Yougoslavie. Beaucoup a été fait pour faciliter le retour de la Yougoslavie en Europe. Lorsque j'évoque le mot retour, je cherche à dire que notre Etat a toujours fait partie de l'Europe. La France a encouragé le retour de la Yougoslavie non seulement en Europe, mais également notre voie vers l'Union européenne.
Monsieur le Président CHIRAC et moi-même avons évoqué avec nos collaborateurs toute une série de questions. Nous avons parlé de notre région, de la stabilité dans notre région. Nous avons évoqué les relations entre la Serbie et le Monténégro. Nous avons parlé de la nécessité de reconstruire l'Etat fédéral. Nous avons évoqué l'initiative de l'Union européenne, l'initiative que nous acceptons non pas d'une médiation, puisqu'il s'agit de question intérieure, mais nous la prenons comme un encouragement à ce qu'une solution juridiquement valable soit trouvée au plus vite.
Nous avons également évoqué la question du Kosovo, en particulier suite aux élections, et nous avons parlé de la nécessité d'assurer le retour des personnes déplacées, de garantir la sécurité au Kosovo, d'établir un bon dialogue entre les autorités yougoslaves et la MINUK, mais aussi entre les Serbes et les Albanais au Kosovo.
Nous avons évoqué notre coopération avec le Tribunal pénal international de La Haye. A ce sujet, nous avons exprimé notre volonté de coopérer avec le TPI en soulignant qu'il s'agissait là d'une de nos obligations internationales, que c'était un des maillons dans la chaîne de notre coopération avec la communauté internationale. Mais nous avons également dit que nous cherchions à avoir des bases juridiques pour cette coopération et que nous cherchions à nous doter d'une loi nous permettant d'asseoir cette coopération. Nous avons mentionné à ce sujet l'intégrité territoriale de la Bosnie-Herzégovine telle que prévue dans les accords de Dayton. Nous avons également évoqué l'inviolabilité, de manière générale donc, des frontières dans la région et le respect nécessaire des droits des minorités.
Nous avons évoqué la question des relations bilatérales. Nous avons souligné la convergence de vues entre nos deux Etats, qui facilitera le rapprochement de la République fédérale de Yougoslavie avec l'Union européenne.
Nous avons évoqué les questions économiques. Nous avons exprimé notre satisfaction suite au règlement de la question de notre dette au Club de Paris et nous avons évoqué la nécessité de renouveler l'accord sur la protection des investissements.
Par ailleurs, je suis l'auteur de l'initiative que Monsieur le Président CHIRAC a accueillie avec satisfaction, à savoir que la Yougoslavie souhaiterait obtenir un statut d'observateur à la Francophonie.
En résumé, je tiens à dire que nous avons eu un entretien très utile et, s'agissant des relations franco-yougoslaves et franco-serbes, et du Président CHIRAC, un entretien plus qu'agréable et amical.
LE PRESIDENT -J'ai peu de chose à ajouter sur le fond. Je voudrais d'abord remercier chaleureusement le Président KOSTUNICA pour son accueil, pour ses paroles de bienvenue et pour la façon dont nous avons été reçus ici.
C'est pour moi une véritable émotion, mais aussi une véritable joie, de me retrouver aujourd'hui à Belgrade, dans une capitale démocratique et dans une capitale en paix. Et, un peu plus d'un an après la révolution pacifique du peuple de Belgrade, j'ai pu constater les progrès considérables qui ont été accomplis dans le domaine des réformes, dans le domaine des libertés, c'est-à-dire sur la voie qui doit tout naturellement, comme le vient de le dire le Président, conduire la République fédérale de Yougoslavie dans l'Union européenne.
Je voudrais aussi transmettre ici, apporter ici un message d'amitié de la France et du peuple français, un message d'encouragement dans l'effort qui est fait pour surmonter les handicaps qui ont été dressés par les années noires et un message de solidarité, qui s'est notamment exprimé sur le plan de la communauté internationale à la faveur de la décision, qu'évoquait à l'instant le Président KOSTUNICA, relative à la dette yougoslave dans le cadre du Club de Paris, décision qui nous a beaucoup réjouis.
Le Président a évoqué la vocation naturelle de la République fédérale de Yougoslavie à rejoindre l'Union européenne. Un premier pas sera fait prochainement avec l'accord de stabilisation et d'association qui est actuellement en discussion et qui devrait pouvoir être signé, je l'espère, rapidement. Cela suppose évidemment le respect d'un certain nombre de principes, notamment le respect des frontières, le respect des minorités, le développement de la coopération régionale. Je parle là de l'ensemble de la région. Ce sont des principes qui inspirent la politique de la République fédérale de Yougoslavie, qui sont totalement approuvés, comme M. SOLANA est venu le dire tout récemment au nom de l'Europe, et qui sont nécessaires si l'on veut renforcer la démocratie, la paix et remettre cette région et notamment la République fédérale à la place qui est naturellement la sienne, c'est-à-dire au sein de la famille européenne.
Quant à nos relations bilatérales, elles sont excellentes et nous n'avons pas eu beaucoup de difficultés à nous mettre d'accord, notamment pour rénover notre système de protection réciproque des investissements. Voilà, mais nous sommes tout prêts à répondre à telle ou telle question qui pourrait être posée.
QUESTION - Monsieur le Président KOSTUNICA, une question qui n'est pas en relation avec cette visite, mais le Président du Parlement de Serbie a démissionné hier. Une réaction ?
LE PRESIDENT KOSTUNICA - Il a été invité à quitter son poste juste au moment où se situe la visite du Président CHIRAC. J'aurais préféré ne pas être saisi de cette question à l'issue de mes entretiens avec le Président CHIRAC, lors de ce point de presse. La crise parlementaire qui vient de se déclencher en République de Serbie est certainement quelque chose qui ne contribuera ni à la sécurité dans cet Etat ni dans la région. Il s'agit d'un Etat qui a connu tant d'instabilité, qui a tant besoin de stabilité après un régime autoritaire. Cela ne contribuera nullement à la stabilité et je me permets d'ajouter que cela n'est pas non plus dans l'esprit de notre rôle d'hôte, au moment où nous recevons le Président CHIRAC. Cela n'est pas non plus dans l'esprit de ce qui est notre tradition d'hospitalité serbe, si je puis m'exprimer ainsi.
Mais le dernier juge dans tous les différends politiques est le peuple et je suis convaincu que le peuple saura juger de manière adéquate. Et je suis convaincu que cette crise intérieure sera résolue comme il se doit et qu'elle ne compromettra pas ce qui est notre priorité aujourd'hui, à savoir la stabilité, que ce soit dans cet Etat ou dans la région.
QUESTION - Je voudrais vous poser une question d'actualité. En Afghanistan, Kandahar est tombé ce matin, apparemment. Est-ce qu'on peut parler d'une capitulation du régime taleban, définitive, et est-ce que vous avez des éclaircissements sur le sort du Mollah OMAR ?
LE PRESIDENT -Il y a une chose qui est certaine, c'est que la chute du régime des Taleban, appelez-la capitulation ou autrement, cette chute rapide confirme que le régime archaïque qu'ils représentaient n'avait pas de soutien populaire. Il était fondé sur la terreur, sur l'oppression des hommes, sur l'humiliation des femmes, il bafouait la dignité humaine, il représentait ce contre quoi la France, l'Europe, se sont toujours battues.
Alors, naturellement, aujourd'hui, le problème est de savoir comment les terroristes doivent rendre compte de leurs crimes. Il ne peut, de mon point de vue, y avoir ni amnistie ni compromis. La priorité, c'est maintenant de mettre en place un régime représentatif des Afghans, un régime qui a été approuvé par les Nations Unies et, dans la foulée, d'acheminer l'aide humanitaire nécessaire et aussi l'aide à la reconstruction de ce pays, à partir du moment où il aura en place un régime transitoire, provisoire, préalable à un régime démocratique et définitif qui permettra de gérer le pays.
Mais, vous savez, notre vigilance, pour autant, s'agissant du terrorisme, ne doit pas se relâcher. La lutte globale contre le terrorisme doit se poursuivre, coordonnée par l'Organisation des Nations Unies dans ses volets police, échange de renseignements, justice, finances naturellement. Il s'agit d'un combat pour la démocratie et le respect de nos valeurs. Ce sera un combat long, ce sera un combat difficile mais c'est un combat qui doit être mené avec la plus grande fermeté.
QUESTION - Avez-vous abordé la question du Monténégro ?
LE PRESIDENT -Oui, nous l'avons naturellement abordée. Et j'ai tenu à redire au Président KOSTUNICA que la France et l'Union européenne
partageaient sur ce point la même préoccupation et avaient la même approche que le Président. Nous pensons que ce problème doit être résolu dans le cadre de la République
fédérale de Yougoslavie et selon des modalités qui doivent être négociées ensemble, entre les représentants monténégrins et les représentants de la Fédération. Une première
réunion n'a pas permis d'arriver
à un accord mais cet accord est indispensable et je suis persuadé, c'est en tous les cas la conviction à la fois de la France et de l'Union européenne, qu'un effort doit
être fait entre les deux parties pour que la reprise de ces négociations permette d'arriver à un accord qui respecte le cadre fédéral de la République fédérale de
Yougoslavie.