Conférence de presse du Président de la République à l'issue de la réunion spéciale du Conseil de l'Atlantique nord.

Conférence de presse de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'issue de la réunion spéciale du Conseil de l'Atlantique nord.

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Bruxelles, Belgique, le mercredi 13 juin 2001

LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs, je voudrais d'abord vous remercier d'être venus à ce point de presse, à la suite de notre Sommet qui était de nature informelle, comme vous le savez, c'est-à-dire qu'il n'y avait pas d'ordre du jour précis et qu'il n'y avait naturellement pas de décisions. C'était au fond, en réalité, une prise de contact avec le nouveau Président des États-Unis.

Naturellement, l'actualité nous a fourni un certain nombre de sujets qui se sont imposés. D'abord la situation en Macédoine, qui nous préoccupe tous beaucoup, et qui a été examinée par l'ensemble des chefs d'État et de Gouvernement présents. Nous sommes convaincus du danger qui existe pour ce qui concerne la stabilité de la Macédoine, et plus généralement de l'ensemble de la région. Nous avons pensé qu'il fallait qu'un effort important soit fait pour, à la fois, conduire à la démilitarisation, c'est-à-dire soutenir le plan de l'actuel Président macédonien, et faire une pression aussi amicale que possible auprès des autorités macédoniennes pour que le dialogue interne en Macédoine puisse permettre de trouver une cohésion nationale plus forte et donc une capacité de résister plus importante.

Nous sommes en pleine concertation et il va de soi que nous ne sommes pas allés beaucoup plus loin publiquement dans cet exercice, sauf à avoir demandé à M. SOLANA et à M. ROBERTSON d'aller rapidement, ensemble ou séparément, mais de façon totalement concertée, à Skopje.

Nous avons également naturellement parlé de l'évolution de l'Alliance atlantique, qu'il s'agisse de son évolution interne ou des futurs élargissements. Sur le plan interne, nous avons évoqué l'émergence d'une Europe de la défense, constaté qu'elle était dans la nature des choses et qu'aujourd'hui elle était admise par l'ensemble de nos correspondants, qu'il s'agisse des Américains ou des Canadiens ou qu'il s'agisse des Européens, avec une Europe de la défense qui est non seulement une nécessité pour des Européens qui veulent exister mais qui est aussi un atout pour l'OTAN, et un renforcement pour l'OTAN. Et de ce point de vue, les choses se passent bien. Comme vous le savez, il reste un problème qui est celui des relations entre l'OTAN et l'Union européenne, la défense européenne, relations qui ont fait l'objet d'un accord entre l'ensemble des partenaires à l'exception de la Turquie mais qui, aujourd'hui, butent encore sur des réserves de la Turquie qui, je dois le dire, et si j'ai bien compris l'intervention du Premier ministre de Turquie, n'ont pas été levées par lui. Donc, nous avons là un problème qu'il faudra encore régler.

Nous avons évoqué aussi les évolutions externes, c'est-à-dire en clair l'élargissement, sous plusieurs aspects. D'abord, naturellement, nous ne souhaitons pas, et notamment la France, ne veut pas qu'il y ait une nouvelle ligne de fracture en Europe. Et, par conséquent, nous sommes favorables à l'élargissement, dans le mouvement général de réunification du continent européen, réunification engagée depuis dix ans.

C'est la famille européenne qui se rassemble et qui se retrouve. Ce n'est pas facile, naturellement. Mais cela progresse jour après jour. Alors, naturellement, tout ceci sera, comme vous le savez, examiné au Sommet de Prague en 2002. Mais, incontestablement, si vous voulez, l'approche est une approche positive. L'approche de l'ensemble des parties prenantes est une approche positive pour l'élargissement. Et je pense tout particulièrement à nos amis roumains, cela va de soi. Vous savez que nous soutenons depuis longtemps la thèse de nos amis roumains dans ce domaine.

Nous avons également évoqué les affaires stratégiques, les propositions de lutte antimissile faites par les Américains très rapidement parce que ce n'était ni le lieu, ni l'objet. Pour ce qui concerne la France, elle est naturellement tout à fait prête au dialogue dans ce domaine, à la concertation. Vous savez que nous avons quelques réserves et quelques craintes, liées notamment à la prolifération que cela risque d'impliquer dans le domaine, notamment, balistique et dans le domaine des armes de destruction massive. Mais nous sommes tout prêts à la concertation, au dialogue, à la discussion, qui se développera entre les pays européens, notamment, et d'autres, et les États-Unis.

Alors, en revanche, une chose est la défense contre une attaque éventuelle, une autre chose est la prévention. Et dans le domaine de la prévention, c'est-à-dire dans le cas particulier la prolifération, nous sommes alors très déterminés à obtenir une accentuation forte de la lutte contre la prolifération, pour la non-prolifération. Car, de ce point de vue, nous avons pris beaucoup de retard et c'est dangereux. Alors, nous en reparlerons d'ailleurs à Göteborg.

La France a lancé une initiative tendant à permettre de donner un cadre beaucoup plus contraignant à la lutte contre la prolifération, fondée sur l'universalisation des principes du MTCR, et nous espérons, nous pensons que nous serons suivis par l'ensemble de nos partenaires de façon à ce que nous ayons, nous puissions décider à Göteborg le principe de l'universalisation du code de conduite du régime de contrôle des technologies balistiques. Je ne dirai pas qu'il s'agit d'une sorte d'élaboration d'une sorte de TNP balistique, car cela pourrait être mal interprété, et ce n'est pas ce que je veux dire, une référence à l'ancien TNP, mais c'est, si vous voulez, un système de même nature, c'est-à-dire un système qui soit également contraignant.

Voilà ce que nous avons dit et fait aujourd'hui, et qui s'est poursuivi par un déjeuner qui nous a conduit à parler essentiellement de la Macédoine.

QUESTION - Monsieur le Président, il semble que vous disiez dans vos commentaires devant le sommet que l'OTAN ne devrait peut-être pas refuser d'envisager une intervention militaire à l'avenir en Macédoine. A quel moment à l'avenir pensez-vous que ceci risquerait de se révéler nécessaire ? Et, deuxièmement, en parlant du point de vue OTAN et Union européenne, est-ce que M. ROBERTSON ou M. SOLANA vont rencontrer les factions rebelles au cours de leur voyage à Skopje ? Est-ce qu'il ne serait pas temps que l'OTAN et l'Union européenne changent leur tactique vis-à-vis des rebelles ?

LE PRÉSIDENT - Tout d'abord, je crois qu'il n'y a pas de solution militaire à ce problème. Je crois que la solution, si l'on veut qu'elle soit sérieuse et durable, ne peut être que politique. Cela suppose naturellement d'avoir des partenaires raisonnables, ce qui n'et pas toujours le cas, d'où l'importance de l'action diplomatique.

Alors, je ne vous dirai pas ce que je pense d'une éventuelle action militaire parce que, pour moi, c'est l'ultime recours et dans la mesure où rien d'autre ne serait possible et qu'il faudrait sauver des vies humaines. Mais, je le répète, je ne pense pas que ce soit là la bonne solution. Nous avons d'ailleurs beaucoup insisté pour que la présence sur le terrain de M. SOLANA marque bien que ce n'est pas seulement le Secrétaire général de l'OTAN qui vient mais qu'il y a une recherche politique.

Naturellement, j'imagine que l'on verra que nos représentants verront tout le monde. Je souhaite également que nos amis macédoniens comprennent qu'il faut faire un réel effort pour renforcer la cohésion nationale entre les diverses communautés à l'intérieur de la Macédoine. Je souhaite également que nos amis albanais comprennent que l'aide à des rebelles, comme vous les appelez, et qui sont des rebelles, oui, n'est pas de nature à faciliter la paix et le développement, la démocratie et l'européanisation dans cette région.

QUESTION - Monsieur le Président, la non-admission en 1999 de la Roumanie à Madrid, c'était vraiment une grande désillusion pour l'opinion publique roumaine...

LE PRÉSIDENT - Pour nous aussi...

QUESTION - ...tout à fait, et en même temps vous savez, Monsieur le Président, que l'armée roumaine n'a rien à envier ni à l'armée tchèque, hongroise ou polonaise et son histoire le prouve très bien. Comment croyez-vous, Monsieur le Président, que la Roumanie, l'année prochaine à Prague, sera enfin admise compte tenu de ce que vous et la France, vous étiez le plus ardent défenseur de l'entrée de la Roumanie ?

LE PRÉSIDENT - En 1999, il faut dire les choses comme elles étaient, c'est une constatation, ce n'est naturellement pas une critique, en 1999, il y avait une position très ferme de l'administration américaine, probablement en raison de la position du Congrès américain, et notamment du Sénat, qui ne voulait pas élargir l'OTAN au delà des trois pays qui ont été admis. C'est comme cela et, naturellement, nous nous sommes battus, nous avons obtenu des améliorations de forme. Mais, sur le fond, nous n'avons pas obtenu satisfaction.

Je crois que les choses ont beaucoup changé. Il me semble notamment que l'administration américaine d'aujourd'hui est beaucoup plus ouverte, je ne dis pas qu'elle est favorable, je ne préjuge pas, je n'ai pas vocation à m'exprimer au nom de l'administration américaine, mais mon impression c'est qu'elle est beaucoup plus ouverte. Et par conséquent, je pense qu'il y a des chances sérieuses de voir l'élargissement s'opérer en 2002 de façon importante. Voilà mon sentiment et, naturellement, au premier rang des pays demandeurs, il y a la Roumanie qui a en quelque sorte un droit d'antériorité puisque cela a été juste. Encore un effort plus important, et elle aurait pu entrer peut-être. Voilà pour ce qui concerne la Roumanie et 2002, mais je ne peux pas préjuger de ce que sera la situation l'année prochaine.

QUESTION - Monsieur le Président, vous avez rappelé ce matin dans votre intervention que le Traité ABM restait un pilier de notre équilibre stratégique. De son côté, le Président BUSH affirmait, lui hier à Madrid, qu'il s'agissait d'une relique du passé. Sans vouloir rejouer la querelle des anciens et des modernes, est-ce qu'un traité qui remonte à 72 est encore un traité opérationnel ?

LE PRÉSIDENT - Le Traité peut-être pas, et je n'ai jamais prétendu que le Traité était intouchable, naturellement mais les principes sont des principes qui sont importants. C'est à cela que je voulais faire allusion. Et en ce qui concerne le Traité ABM, il est fondé sur un certain nombre de principes qui répondent à des préoccupations capitales.

Première préoccupation, il faut prendre garde de ne pas remettre en cause l'équilibre stratégique international. C'est capital sinon nous allons sur la voie du danger. Aujourd'hui, cela repose sur le Traité ABM. Ce n'est pas le Traité qui est important. Naturellement, un Traité peut être modifié, évoluer etc. C'est les principes. Alors, si un autre cadre devait être envisagé, ce que je conçois naturellement parfaitement, je l'ai d'ailleurs dit au Président BUSH, il faudrait à tout le moins qu'il ait un contenu réel et stabilisateur. C'est cela qui à mon avis reste essentiel, pas le Traité ABM. Son contenu réel et stabilisateur.

J'ajoute qu'il faut empêcher toute militarisation de l'espace. J'ai eu l'occasion de le dire dans un discours que j'ai fait devant l'IHEDN le 8 juin dernier et c'est très important.

La deuxième préoccupation, c'est qu'il faut par ailleurs rappeler la pertinence de la dissuasion, dans son concept de non-emploi naturellement. Ceci pour garantir notre sécurité dans le nouvel environnement international. Je l'ai aussi rappelé ce matin mais je dois dire que, de ce point de vue, nous n'avons pas de divergence de vues avec nos amis américains.

Et, enfin c'est la troisième préoccupation, il faut relancer les efforts de lutte contre la prolifération, je vous l'ai dit tout à l'heure, et ceci dans tous les domaines, mais notamment dans le domaine balistique. Alors, j'en ai parlé aujourd'hui et je souhaite que l'Union européenne prenne l'initiative, à Göteborg, sur ce sujet, en proposant, je le répète, je l'ai déjà dit, l'universalisation du code de conduite du MTCR de façon à pouvoir donner un cadre plus contraignant pour lutter contre la prolifération.

Il y a beaucoup de raisons à cela. D'abord, nous voyons que la prolifération augmente dans tous les domaines, notamment balistique, mais pas seulement balistique, et c'est extrêmement dangereux. Deuxièmement, nous voyons bien que la perspective du système de défense antimissiles, qui est peut-être positive sur le plan de la sécurité, et ça cela relève d'un dialogue, d'une discussion à laquelle nous participerons et sur laquelle je ne me prononcerai pas aujourd'hui, est en tous les cas une incitation très forte à la prolifération. Car il est bien évident que ceux qui voudraient pouvoir atteindre éventuellement un pays et qui se voient opposer un parapluie de protection qui a pour vocation d'arrêter une partie des tirs possibles auront pour réaction tout à fait naturelle de prendre les mesures nécessaires pour avoir le nombre de fusées correspondant à ce qu'ils souhaitent obtenir et donc qui passeraient à travers le parapluie. Donc, au lieu d'avoir trois fusées, ils en auront dix, de façon à être sûrs d'en avoir trois qui arrivent.

C'est une fantastique incitation à la prolifération. Et si vous ajoutez à cela, naturellement, que d'autres pays, qui regardent ceux-là, se disent : mais, après tout, puisqu'ils augmentent leur nombre de fusées, alors nous aussi on va l'augmenter et que vous déclinez ça en chaîne, que vous mettez des noms sur les pays que je viens d'évoquer, vous avez naturellement un système qui, par définition, est proliférant. Alors, je dis simplement : parler de l'affaire de la défense antimissiles et du parapluie, très bien ! Nous sommes tout à fait d'accord pour dialoguer dans ce domaine. Mais ce qui est sûr, c'est que la situation actuelle en toute hypothèse rend absolument prioritaire une lutte contre la prolifération en général et balistique en particulier et que l'éventualité de la mise en oeuvre d'un parapluie antimissiles, naturellement, renforce encore la nécessité de mettre en oeuvre des procédures internationales contraignantes de lutte contre la prolifération.

QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que vous avez l'impression aujourd'hui que vos collègues européens ont montré plus de cohésion aussi bien dans l'analyse des sujets que vous venez d'évoquer que dans l'attitude vis-à-vis de la nouvelle administration américaine ? Plus qu'avant ou moins qu'avant ? Autrement dit, est-ce qu'il y a une véritable cohésion d'analyse en Europe ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, il est normal et légitime et naturel que chacun ait son analyse en fonction de ses convictions, de ses contraintes. Je trouve que, dans l'ensemble, l'Europe réagit de façon assez cohérente sur les propositions de la France concernant la lutte contre la prolifération. Nous avons commencé par saisir nos amis allemands, bien entendu, qui nous ont donné leur accord et, à partir de là, il me semble que nous n'aurons pas de difficultés pour obtenir un accord au sommet de Göteborg.

Sur les problèmes en général, je n'ai pas été sensible à de grandes divergences de vues. Nous progressons raisonnablement.

Voilà. Je vous remercie.





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