Bruxelles, Belgique, le vendredi 21 septembre 2001
LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs,
Je n'évoquerai pas ici la catastrophe de Toulouse, mais chacun doit comprendre que le Premier ministre et moi suivons heure après heure les nouvelles qui nous viennent de cette catastrophe.
S'agissant du Conseil européen, je dirai simplement qu'il était nécessaire pour marquer la cohésion de l'Union européenne, qu'il était utile, car il a permis de clarifier les problèmes et de prendre des positions communes, et qu'il a été très bien conduit par la présidence belge, très bien préparé, rapidement mais efficacement, et très bien conduit.
Au départ, et à la demande de la présidence, après que nous ayons entendu le compte-rendu du ministre belge des Affaires étrangères que j'ai tenu à saluer pour la qualité de sa présidence à Durban, j'ai eu l'occasion d'informer nos partenaires des impressions que j'ai recueillies lors de mon voyage à Washington et à New York, à la suite de mes conversations avec le président américain et avec le Secrétaire général de l'ONU et aussi de mon impression sur la détermination calme de l'ensemble des Américains frappés par une tragédie aussi forte et dramatique.
L'unanimité s'est faite immédiatement pour réaffirmer notre entière solidarité avec les États-Unis. C'est la solidarité du coeur, mais aussi la solidarité de la raison. De la raison tout simplement parce que toutes les grandes démocraties, et hélas la France a été déjà victime du terrorisme, toutes les grandes démocraties peuvent être visées par le terrorisme international. Et nous avons donc très clairement réaffirmé que nous ne serions pas à l'écart, bien entendu, du combat qui doit être mené contre ce fléau qui menace toutes nos démocraties, les libertés et la dignité de l'homme.
La légitimité d'une réaction militaire a été reconnue par l'ONU, vous le savez, par la résolution où elle reconnaît la légitime défense pour les États-Unis, et aussi par l'approbation de l'article 5 du traité de l'Atlantique nord. Il a été précisé, naturellement, que cette action devait être ciblée, qu'elle ne devait pas faire de victimes civiles innocentes, et naturellement, conformément à l'article 5, que chaque Nation serait juge souverainement de la nature et des modalités de sa participation, de sa contribution, le cas échéant car, dans l'état actuel des choses, comme vous le savez, les États-Unis n'ont pas encore fait connaître leurs intentions et, a fortiori, leurs demandes éventuelles.
Deuxième point : nous avons très fortement affirmé, et cela figure au début de la déclaration, que nous rejetions solennellement tout amalgame entre les terroristes fanatiques et le monde arabo-musulman. D'abord parce que cet amalgame serait injuste et, ensuite, parce qu'il s'agit là d'un piège tendu par les terroristes qui recherchent le choc des civilisations. En réalité, les terroristes n'incarnent, chacun le sait, aucune civilisation, ils sont simplement l'incarnation du meurtre, de la corruption, de la violence, de la bêtise. Ils sont en réalité ce qu'il y a de plus méprisable. C'est pourquoi le combat, et nous l'avons réaffirmé, contre le terrorisme ne peut être qu'un combat global. Ce n'est pas l'Occident contre le terrorisme, naturellement, c'est le monde contre le terrorisme, ce qui suppose une action concertée, une cohérence mondiale, ce qui veut dire clairement que l'ONU, les Nations Unies, doivent avoir un rôle décisif, car elles seules incarnent l'ensemble des nations du monde
Alors, au niveau international, nous sommes convenus d'une stratégie, une stratégie déterminée en vue d'inciter à la ratification par tous les États, et le plus vite possible, des douze conventions de l'ONU contre le terrorisme et de lutter contre le financement du terrorisme par des mécanismes plus efficaces qu'aujourd'hui.
Cette lutte contre le terrorisme, nous devons la mener au niveau mondial mais nous devons également la mener au niveau européen. Et c'est pourquoi le Conseil a décidé d'aller de l'avant dans la mise en place d'un véritable espace judiciaire européen, en fixant notamment pour objectif la création d'un mandat d'arrêt européen afin que les terroristes ne disposent d'aucun sanctuaire en Europe.
Le Conseil a également marqué sa préoccupation pour ce qui concerne la situation au Proche-Orient, situation que nous allons d'ailleurs évoquer à l'occasion du dîner de travail. Cette situation est dangereuse et très préoccupante et le Conseil est unanime à considérer que les États-Unis, l'Europe, les pays de la région doivent associer leurs efforts pour conduire, amicalement mais fermement, les parties en présence, c'est-à-dire les Israéliens et les Palestiniens, vers la table des négociations, pour reprendre un processus de paix qui est essentiel, plus encore aujourd'hui que jamais. De ce point de vue, le ministre français des Affaires étrangères se rendra très prochainement, dans les tous prochains jours, à la fois en Israël et en Palestine.
Nous sommes également attentifs à la situation des réfugiés, en particulier des réfugiés afghans. On commence à voir sur nos écrans ces images dramatiques d'hommes, de femmes, d'enfants, qui partent sur les routes avec quelques carrioles et quelques modestes affaires. C'est intolérable, inacceptable. Et donc, nous avons demandé à la Commission d'établir d'urgence un programme, en liaison naturellement, et la Présidence s'en assurera, avec le Haut-Commissariat aux réfugiés et le Comité international de la Croix Rouge, notamment, pour apporter aide et assistance aux réfugiés qui en ont besoin et notamment aux réfugiés afghans.
Enfin, le Conseil a tenu, à juste titre, à adresser aux acteurs économiques un message de confiance, de confiance dans la solidité de notre système économique, de notre système financier qui a parfaitement résisté et une confiance dans notre monnaie, l'euro. Et, je vous le dis, pour ma part, j'ai confiance dans les entreprises et dans les acteurs économiques français. Il y a certes des incertitudes ou des difficultés, nous les surmonterons.
Voilà comment s'est déroulé ce Conseil, qui sera suivi d'un dîner de travail. Mais le Premier ministre a certainement un complément à apporter à ces quelques réflexions.
LE PREMIER MINISTRE - Merci beaucoup, Monsieur le Président. D'abord, vous vous doutez à quel point je peux être bouleversé par la catastrophe qui a frappé Toulouse et par ce que j'ai vu, personnellement, pendant les heures que j'ai passées là-bas, avant de rejoindre le Conseil.
L'explosion qui a frappé l'entreprise de transformation chimique AZF, a été extrêmement grave et forte. Au moment où je vous parle, nous savons déjà que dix-huit personnes sont décédées mais ce chiffre sera, malheureusement, certainement dépassé car il y a des disparus sur le site et certaines personnes qui ont été évacuées vers les hôpitaux, en urgence absolue, sont dans un état très grave. Le nombre des blessés est considérable, sans doute six cent cinquante. Mais parmi ces hommes et ces femmes, heureusement, des centaines ont des blessures légères même si le choc est, pour eux, profond.
Au-delà du paysage industriel dévasté que nous avons vu, le Président et moi-même, il y a aussi un choc qui a frappé Toulouse, direct, physique, d'effet de souffle et qui a durement affecté les habitants. Je suis auprès d'eux par la pensée, comme je l'étais plus tôt dans l'après-midi directement.
Au moment où je vous parle encore, il n'y a pas de certitude sur les causes de cette explosion, de cette unique mais considérable explosion. Les enquêteurs semblent plutôt s'orienter dans la direction d'un accident. Mais je dis : semble, car le procureur a demandé à des experts de la police scientifique de travailler de façon très précise. Je pense que nous n'en saurons sans doute pas plus avant demain sur les causes, la cause de l'explosion.
J'ai rejoint, comme le Président et le ministre des Affaires étrangères, le Conseil européen. Évidemment, le choc et la douleur que nous éprouvons à voir une grande ville de notre pays frappée, ne nous fait pas oublier ce que nous avons éprouvé devant les milliers de morts américains ou étrangers vivant à New York.
L'Europe, au-delà de ce qui a été exprimé par chacun de nos pays a réagi déjà par une déclaration, surtout depuis plusieurs jours, et le Gouvernement y a travaillé de façon très précise, au-delà de ce qu'il a eu à assumer sur le plan de la sécurité intérieure de nos compatriotes, surtout depuis plusieurs jours, une série de conseils particuliers ont avancé sur des dossiers concrets. Ce conseil extraordinaire d'aujourd'hui vient, non seulement engager pleinement l'Europe tout entière, en tant qu'Europe, dans la mobilisation contre le terrorisme qui est nécessaire, mais permet de prendre des décisions concrètes dans toute une série de domaines et d'en préparer d'autres. Ce plan, ces orientations, ces conclusions et ce plan d'action du conseil en portent directement la marque.
En ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, non seulement celle-ci bien sûr va se poursuivre au plan national, vous avez vu que plusieurs interpellations étaient intervenues et donc, un travail précis est mené par la justice et la police sur la base des renseignements que nous rassemblons. La coopération entre les différents services américains, européens, et les différents services français s'étant évidemment beaucoup accentuée, non seulement au plan national, mais également, bien sûr, au plan européen et international que ce soit sur le terrain judiciaire, sur le terrain policier ou sur le terrain financier.
C'est peut-être, au-delà de tout ce qui a été indiqué par le Président de la République, sur ces quelques points que je voudrais insister. À la suite du Conseil JAI, un certain nombre de décisions d'orientations, ou d'instructions ont été prises :
- le renforcement du rôle opérationnel d'Europol, avec également une transmission plus rapide des informations dont les États membres disposent et avec la mise en place pour une durée de six mois renouvelable d'une équipe de spécialistes anti-terroristes, - l'amélioration de la coopération policière et judiciaire avec la création rapide par les États membres d'une équipe conjointe composée de magistrats et d'officiers de police spécialisés dans la lutte anti-terroriste, - une définition commune du terrorisme et une harmonisation des sanctions encourues dans nos législations, - la création d'un mandat d'arrêt européen qui posera d'ailleurs des problèmes, compte tenu de ce que sont nos législations, notre droit pénal, mais qui va permettre la suppression de procédures longues et complexes d'extradition.
Sur tous ces sujets, l'objectif que nous nous fixons est d'obtenir des résultats tangibles d'ici la fin de l'année. Nous ferons en décembre le point de toutes les avancées concrètes qui auront été réalisées d'ici là. Nous allons naturellement accentuer l'effort sur la protection des frontières extérieures de l'Union et de ses aéroports internationaux. Mais nous pensons, également, que les contrôles d'identité, les mesures de surveillance, en application de l'article 2-3 de la Convention de Schengen, peuvent être développés aujourd'hui sans remettre en cause, naturellement, cet espace de Schengen.
Enfin, la lutte contre la délinquance financière et le financement du terrorisme doit être un nouvel axe de travail. Vous savez que la France a constamment été motrice, et a, à plusieurs reprises, fait des propositions dans cette direction. Elle n'a pas, d'ailleurs, toujours trouvé partout un accueil suffisant à ses propositions. Je pense que ce qui s'est produit le 11 septembre provoque, à mon sens, un basculement et une prise de conscience intense dans un certain nombre de pays, et particulièrement, bien sûr, dans le pays qui vient d'être si durement frappé.
Nous allons faire en sorte que la Convention pour la répression du financement du terrorisme, dont la France avait été à l'origine, signée en janvier 2000 dans le cadre des Nations Unies, soit ratifiée aussi vite que possible. C'est un engagement des États membres et, nous-mêmes, nous allons faire en sorte dans notre calendrier parlementaire de rentrée qu'il en soit ainsi. Cela doit être un objectif pour tous nos pays.
Je souhaite que puisse être adoptée, d'ici la fin de l'année, la directive contre le blanchiment des capitaux. Il faut, par ailleurs, plus largement qu'au plan européen, notamment dans le cadre du GAFI mener une action multilatérale, plus résolue encore, parce que c'est ainsi que nous pourrons nous attaquer en profondeur aux circuits financiers qui facilitent le terrorisme.
Donc, il faut maintenant qu'on considère que l'heure de l'expertise est terminée et qu'il faut passer effectivement à l'action. Il y a des trous noirs dans le système financier international qui ne doivent absolument plus être tolérés. C'est une question de survie pour nos pays, en tout cas, une question absolument aiguë en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme.
En ce qui concerne la situation économique en Europe, le Conseil ECOFIN s'est réuni cet après-midi, se réunira encore demain. Nous serons amenés sur la base de propositions de la Commission et du Président PRODI, et sans doute en perspective du futur Sommet de Gand, qui est une bonne étape de ce point de vue, à prendre un certain nombre de décisions pour réaffirmer notre confiance dans les atouts de l'économie européenne. Nous ne devons pas laisser s'installer un climat de morosité ou de fatalisme devant le risque de ralentissement économique. Donc, nous devons nous mobiliser pour garder en Europe des perspectives de croissance positive. Sachez que le Gouvernement français y est tout à fait prêt. Nous coordonnerons bien sûr davantage nos politiques économiques. Nous aurons à examiner ce que nous devons faire dans un certain nombre de secteurs en difficulté, je pense notamment au secteur de l'aéronautique. Nous devons nous féliciter de l'action coordonnée des banques centrales qui a été rapide et de la sagesse des pays de l'OPEP qui ont agi de façon à ce que les prix du pétrole restent raisonnables.
Nous allons donc travailler sur la base des propositions de nos ministres de l'Économie et des Finances pour, à Gand, être en mesure en fonction des développements des prochaines semaines, sans remettre en cause les grands objectifs de politique économique de l'Union européenne, de tirer les conséquences nécessaires au plan économique de cette nouvelle situation.
QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que le Conseil européen s'est efforcé de faire émerger une sorte de consensus pour une position commune des Quinze en cas d'action militaire américaine ? Est-ce que c'est réaliste, dans la mesure où on peut supposer que le type de cette action militaire américaine va entraîner des attitudes très disparates selon les États ? Et, ensuite, si je peux me permettre une autre question, est-ce que le Conseil approuve le principe d'une visite de la troïka dans différents pays arabes à partir de la semaine prochaine et est-ce que l'Iran en fait partie ?
LE PRÉSIDENT - À la deuxième question, je serais tenté de vous répondre, d'une part, qu'il faut interroger la troïka, c'est-à-dire la Présidence, et, d'autre part, que l'Iran n'est pas un pays arabe et que par conséquent, a priori, il ne doit pas figurer, j'imagine, sur la liste.
Sur la première question, une action militaire, encore faut-il savoir ce que les Américains décideront et, ayant décidé, ce qu'ils demanderont ou proposeront. Par conséquent, il est tout à fait impossible aux pays de l'Union européenne, aujourd'hui, d'affirmer autre chose que leur solidarité et, le cas échéant, dans le cadre de ce qui a été jusqu'ici décidé, leur éventuelle participation.
Le Conseil de sécurité a reconnu que les États-Unis étaient en légitime défense et donc a admis le principe d'une réplique ou d'une riposte militaire. L'article 5 de l'OTAN, qui fait jouer la solidarité des pays membres de l'Alliance, précise que chaque pays apporte sa contribution dans le cadre des décisions qu'il prend sur la nature et les modalités de cette contribution. Ceci est rappelé à nouveau dans le texte que nous avons adopté et, par conséquent, nous ne pouvons pas aller plus loin dans la réflexion, étant entendu que, je le répète, nous attendons que les Américains décident. Et à partir de là, naturellement, nous verrons ce qui doit ou peut être fait dans l'esprit de solidarité qui a été réaffirmé et compte tenu du principe que nous ne serions pas absents d'un combat qui doit être un combat sans merci contre le terrorisme international.
QUESTION - Monsieur le Président, suite aux entretiens que vous avez eus avec le Président BUSH, est-ce que l'intervention militaire américaine devrait intervenir rapidement ?
LE PRÉSIDENT - Je n'en ai aucune idée. Et pour être tout à fait franc, si j'en avais une idée, je me garderais bien de l'exprimer. Parce qu'il y a là un sujet qui relève de l'appréciation des seuls Américains. Ils diront le moment venu, et quand ils l'estimeront utile, ce qu'ils souhaitent faire.
QUESTION - Est-ce que les Américains vous ont donné, à vous ou à d'autres membres du Conseil, des indications quant aux auteurs de l'attentat, des éléments de preuve autres que "BEN LADEN est sans doute responsable". Et, deuxième question qui concerne le Premier Ministre, vous avez dit que le temps de l'expertise était terminé. Est-ce que cela s'applique aussi aux travaux du Conseil justice-affaires intérieures, puisque ce Conseil a démontré par le passé sa capacité à affirmer des objectifs mais à les tenir difficilement ? Et, pour le cas de la France, je rappellerai quand même qu'on n'a toujours pas ratifié les conventions de 1995 et de 1996 facilitant la procédure d'extradition.
LE PRÉSIDENT - Sur le deuxième point, le Premier ministre répondra, naturellement. Sur le premier point, je peux vous dire que les Américains ont acquis une certitude pour ce qui concerne la culpabilité ou le rôle de l'organisation dirigée par M. BEN LADEN. Pour ce qui concerne nos propres services, en Europe et en France, nous n'avons pas de certitude absolue, mais tout converge vers la confirmation de cette idée.
LE PREMIER MINISTRE - En ce qui concerne la question que vous me posiez. Lorsque je disais que l'heure des expertises était terminée, je pensais à la capacité que nous avons maintenant sachant qu'un certain nombre de circuits financiers puissants, opaques, sont construits autour de centres off-shore, bénéficient du secret bancaire, nous avons la possibilité maintenant de démanteler effectivement ces réseaux pour autant qu'on le veuille. C'est donc à cette dimension de l'action ou d'une insuffisante action internationale que je pensais.
Mais, sur la base du Conseil JAI, des décisions prises aujourd'hui, on pourrait faire le même raisonnement pour notre propre travail dans un certain nombre de domaines. Et donc mon sentiment, après ce Conseil JAI, dont il m'a été rendu compte par le ministre de l'Intérieur et la ministre de la Justice, est que l'intention est d'agir rapidement et de prendre des décisions, malgré d'ailleurs les problèmes de caractère, on va dire, juridique, si vous voulez, que cela peut poser dans les différents pays membres. La volonté me paraît extrêmement forte et affirmée. En ce qui concerne d'ailleurs les extraditions, on risque de se trouver face à un concept maintenant sensiblement différent. Donc, là aussi, oui, je pense qu'il faudra que l'action l'emporte sur l'expertise quelles que soient les difficultés juridiques que l'on pourra rencontrer.
LE PRÉSIDENT - Avant de vous donner la parole, je voudrais faire une réflexion que j'ai oubliée de faire au début de mon propos. Le Premier ministre l'a souligné tout à l'heure, il y a, en raison de la situation, toutes sortes de Conseils qui sont en train de se réunir, on vient de parler du Conseil justice- affaires intérieures, le Premier ministre a évoqué le Conseil économique, etc. Il y a toutes sortes de Conseils. C'est nécessaire et c'est inévitable, mais cela comporte, naturellement, toujours un risque de confusion quand il y a un trop grand nombre d'instances qui se réunissent et peuvent prétendre arrêter des décisions. Alors, nous avons, au Conseil européen d'aujourd'hui, rappelé le rôle essentiel, déterminant, du Conseil affaires générales, c'est-à-dire du Conseil des ministres des Affaires étrangères, conformément au Traité, d'ailleurs, et au statut du CAG qui a pour vocation de coordonner l'ensemble des Conseils. Il coordonne et il décide au-dessus des autres Conseils et il coordonne et décide ou prépare la décision du Conseil européen selon les sujets. Et donc, nous avons clairement réaffirmé cela pour maintenir la cohérence, la cohésion de notre système de décision et qu'il n'y ait pas d'éparpillement.
LE PREMIER MINISTRE - Pardonnez-moi, Monsieur le Président, je voudrais juste rajouter, à l'intention de M. QUATREMER, une précision pour dire, au-delà des événements nouveaux qui sont maintenant devant nous, que de toute façon le projet de loi de ratification des conventions sur l'extradition est actuellement devant le Conseil d'État. En tout état de cause, nous étions en train d'avancer dans le sens de vos souhaits ou remarques pertinentes, mais tout cela va se retrouver peut-être dans un autre contexte.
QUESTION - Je voudrais revenir au Conseil de l'économie et aux conclusions que vous avez manifestement avalisées. Le Commissaire européen, tout à l'heure, parlait, prévoyait pour l'année 2001, un taux de croissance nettement inférieur à 2%. On peut peut-être être frappé par la modestie de ce qui est contenu dans cette déclaration des ministres des Finances que vous avalisée parce que je sais que la méthode Coué a des vertus mais c'est un peu, en quelque sorte : " oui, l'économie va bien, elle est solide ". Mais les inquiétudes se font fortes, parce qu'on avait déjà dit que les économies européennes résisteraient mieux que l'économie américaine au ralentissement, puis on a vu que ce n'était pas tout à fait possible et, aujourd'hui, on est dans l'inquiétude, ou en tout cas dans l'inconnu, de ce que seront les conséquences des attentats aux États-Unis. Donc, est-ce que vous ne pensez pas que les marchés, les acteurs, les citoyens européens attendent un message un peu plus fort et un message plus allant ?
LE PRÉSIDENT - Je ne parlerai pas du Conseil des ministres des Finances, le Premier ministre l'évoquera certainement. Je voudrais d'abord noter que notre système financier a montré sa solidité sur le plan technique, c'est un point important. Toutes les transactions s'effectuent correctement en Europe comme aux États-Unis.
Deuxièmement, c'est vrai, les marchés boursiers sont chahutés, c'est évident. C'est en règle générale le cas chaque fois qu'il y a une période d'incertitude. Dans ces périodes, il faut garder son calme et, au-delà du court terme, nous devons constater que les perspectives de rebond, comme disent les techniciens, et de croissance sont fortes. Les techniciens sont unanimes pour le dire, en Europe et aux États-Unis. Cela, c'est un fait.
Par ailleurs, les marchés des changes sont solides et stables. La relation entre l'euro et le dollar est satisfaisante, c'est important. La baisse des taux d'intérêt obtenue grâce à la décision de la Banque centrale européenne, lundi, apporte, si j'ose dire, du carburant supplémentaire à notre économie et à notre croissance. Au total, ce n'est pas la méthode Coué qui m'anime, croyez le bien, mais, pour ma part, et en examinant les choses avec autant de sérieux que possible, je parie sur la solidité de nos économies.
Mais le Premier ministre a peut-être quelque chose à ajouter.
LE PREMIER MINISTRE - Oui, bien sûr, Monsieur le Président. La bourse de Paris, qui était à -7 à un moment dans la journée, a terminé, je crois, à -2,50. C'est à peu près le chiffre à Francfort et à New York, où la bourse était à -2,50 à 17 heures. Je crois que ce sont des réactions évidemment à la baisse de la bourse, mais qui ne sont pas des réactions majeures. Je crois que c'est important et j'espère que les marchés financiers continueront à réagir de la même manière. Cela est une première chose.
La deuxième chose, c'est qu'on a constaté dans des cas de catastrophes que l'effet mécanique de ces catastrophes sur l'économie était finalement assez faible. Nous en avons fait l'expérience, nous-mêmes, Français, à la suite des ouragans de décembre 1999. Nous pensions que l'impact sur le PIB, comme on dit, sur la production, serait beaucoup plus fort. Cela a été littéralement digéré. Donc, je ne pense pas que ce qui c'est passé à New York, indépendamment des problèmes qui peuvent exister dans tel ou tel secteur, - les transports aériens ou dans le domaine des assurances -, que cela puisse avoir en soi un effet mécanique direct sur la croissance. Ce qui est beaucoup plus important, ce sont les effets psychologiques, les dimensions psychologiques. Je crois qu'il est de notre responsabilité d'hommes d'État de porter une parole en direction des agents économiques pour leur dire : "votre réaction, à partir du moment où, par exemple en Europe, les fondamentaux sont bons, votre réaction, elle, sera décisive dans la situation économique qui va se développer et il vous revient, à vous aussi, de manifester le même courage qu'ont manifesté, à leur façon, les pompiers de New York, tous ceux qui se sont dévoués. C'est une sorte de devoir que de vous engager dans la bataille économique, de ne pas céder à l'effet dépressif". Et donc c'est ce message que nous devons donner.
En outre, si l'on ne regarde pas simplement les choses à très court terme, mais qu'on les regarde aussi selon les éléments structurels de la situation économique, -parce que là nous sommes sous l'effet de choc-, nous constatons que nous n'avons presque pas d'inflation, ou une inflation très faible, qui s'est désormais apaisée, que la consommation reste solide, que la santé financière des entreprises est bonne, que les taux d'intérêt sont faibles dans nos pays, notamment parce que la Banque centrale s'est décidée à agir en complément à l'action de la Federal Reserve Bank. Et donc les fondamentaux sont solides. C'est pourquoi, je pense, qu'il ne faut pas simplement réagir en fonction d'une analyse de court terme.
Je terminerai en disant que Romani PRODI, le Président de la Commission, m'a appelé ce matin, au moment où j'allais partir pour Toulouse, pour me dire que la Commission était prête à faire des propositions et souhaitait discuter avec les gouvernements sur les perspectives économiques mais qu'il pensait que c'était en direction du Sommet de Gand, qui est très proche maintenant, que ces décisions seraient prises.
Ce Sommet extraordinaire d'aujourd'hui devait être centré sur une réponse politique des chefs d'État et de Gouvernements, sur un engagement de solidarité dans le respect, évidemment, de la souveraineté de chacun des États aux côtés des États-Unis et devait être tourné aussi vers la lutte contre le terrorisme sur les plans financiers, judiciaires, policiers. Donc, nous prenons les choses dans l'ordre. Des Conseils particuliers ont travaillé, le rôle du CAG, du Conseil affaires générales, étant, comme l'a rappelé le Président de la République, d'assurer la coordination. Nous avons quelques semaines maintenant pour tirer les conséquences au plan économique.
Je pense que c'est une façon sérieuse de réagir.
QUESTION - On connaît vos conditions concernant la participation à l'action militaire éventuelle, mais ma question est différente. Est-ce que vous trouvez, du point du point politique, important et nécessaire que la France ou d'autres pays européens prennent part à une telle action ou vous préférez que ce soit la cause des États-Unis tout seuls ?
LE PRÉSIDENT - Nous avons, je le répète, affirmé notre solidarité. Nous avons des engagements, nous avons, naturellement, toujours la capacité souveraine de décider de la nature et des modalités d'une éventuelle contribution. Rien ne nous oblige aujourd'hui à quoi que ce soit, dans la mesure où les Américains n'ont pas encore arrêté leur position. Mais croyez bien que le jour où les Américains auront arrêté leur position, l'ensemble des pays de l'Union européenne, chacun à sa façon, sera solidaire.
Je vous remercie.
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