Palais d'Egmont, Bruxelles, Belgique, le mardi 29 avril 2003
M. VERHOFSTADT - D'abord, je dois vous dire que la réunion d'aujourd'hui a été le résultat d'un processus de plusieurs mois. Ce n'est pas en quelques jours, en quelques semaines, que cette réunion a été préparée. J'avais pour ma part en effet, déjà, le 18 juillet de l'année 2002, formulé des propositions concrètes visant à relancer la politique européenne de sécurité et de défense. Et j'ai eu l'occasion d'en parler avec le Président CHIRAC le 10 septembre 2002, quelque temps plus tard avec le Chancelier SCHROEDER, le 13 novembre 2002. Et on sait naturellement aussi que, pendant les rencontres au sommet entre la France et l'Allemagne, depuis l'automne de l'année dernière, plusieurs contributions en ce qui concerne la défense européenne ont été élaborées.
Alors, je peux vous dire qu'aujourd'hui, et on va vous distribuer les conclusions de notre réunion, nous avons fait, je crois, avec des conclusions concrètes, une avancée importante dans la réalisation d'une Union européenne de sécurité et de défense. Naturellement, cette Union de Sécurité et de Défense n'est pas une garantie pour avoir une politique étrangère cohérente. Mais en tout état de cause, c'est une condition indispensable pour avoir une politique étrangère commune dans l'Union européenne. C'est un outil qu'il faut avoir pour avoir une politique étrangère commune et cohérente au sein de l'Union européenne.
Et, la deuxième chose que je veux dire, et vous allez le lire dans les conclusions de notre réunion, cette Union européenne de Sécurité et de Défense n'est pas antagoniste ou n'entre pas en compétition avec l'Alliance atlantique, au contraire, je dirais. La défense européenne, c'est surtout le renforcement du pilier européen de l'Alliance atlantique et ça peut renforcer et revitaliser l'Alliance atlantique.
Et, troisièmement, les propositions de collaboration concrètes que nous formulons aujourd'hui sont, et j'y insiste, des propositions ouvertes, ouvertes à tous les Etats membres actuels et futurs de l'Union européenne. Et ce que nous avons fait aujourd'hui, c'est déterminer un niveau élevé d'ambition, mais surtout d'inviter tous les Etats membres actuels et futurs de l'Union à nous rejoindre dans cette collaboration.
Notre déclaration d'aujourd'hui contient en fait trois parties. Tout d'abord, première partie, nous situons le contexte de notre initiative et, cette initiative, il faut la voir dans le prolongement des sommets de l'OTAN de Washington, de Prague, des Conseils européens d'Helsinki, de Cologne surtout, et naturellement aussi de la déclaration de Saint-Malo. Mais il est vrai qu'avec les conclusions d'aujourd'hui, nous voulons entamer une nouvelle étape décisive, une nouvelle étape décisive dans l'élaboration d'une défense européenne.
Dans la deuxième partie des conclusions, nous formulons des propositions pour la Convention, dans le prolongement de la contribution, l'importante contribution, franco-allemande. Et c'est ici, vous allez le voir, que nous parlons de l'Agence européenne de développement et d'acquisition de capacités militaires. C'est ici, également, que nous proposons le concept d'une Union européenne de Sécurité et de Défense. Et toutes ces propositions, nous les formulons aux Vingt-cinq. Enfin, je crois que c'est peut être la partie la plus importante de nos conclusions, nous prenons l'engagement d'un nombre important d'initiatives concrètes et de capacités concrètes. Je vous les donne, il s'agit de sept initiatives concrètes et de capacités concrètes : tout d'abord, la création d'une capacité européenne de réaction rapide et nous voulons créer cela par la création d'une capacité de départ, une capacité de départ qui va être créée autour de la brigade franco-allemande, dans laquelle seront intégrés des éléments commandos belges et des éléments de reconnaissance luxembourgeois. Cela, c'est la capacité européenne de réaction rapide.
Deuxième initiative concrète, c'est la création, au plus tard en juin 2004, d'un commandement européen de transport aérien stratégique. Ceci est un premier pas, vous allez le voir, pour créer plus tard, à plus long terme, une unité commune de transport aérien stratégique en Europe.
Alors, la troisième initiative concrète, c'est la création d'une capacité européenne de protection NBC, nucléaire bactériologique et chimique, conjointe naturellement, avec l'objectif de protection des populations civiles et des troupes déployées dans les opérations européennes.
La quatrième initiative importante, je crois, est la création de "EU-FAST" -"European Union First Aid and Support Team". Il s'agit d'un système européen d'aide humanitaire d'urgence lors de catastrophes, qui permet que l'Union européenne associe des moyens civils et militaires pour dépêcher dans les 24 heures une première aide humanitaire d'urgence.
Et la cinquième initiative importante est la création de centres européens de formation. Vous allez voir, on va créer tout de suite deux centres de formation concrète, une unité de formation tactique pour les équipages du A400M et un deuxième centre de formation d'équipages d'hélicoptères. Et on va rapprocher un grand nombre de formations dans d'autres unités militaires qui vont plus tard être la base pour d'autres centres européens de formation.
Puis, sixièmement, c'est la création d'un noyau européen de capacité collective de planification et de conduite d'opérations. Le but, c'est, ensemble naturellement, avec les autres pays intéressés, de créer cette capacité collective de planification opérationnelle et de conduite d'opérations, pour l'installer en été 2004 à Tervuren. Pour ceux qui ne savent pas où ce lieu se trouve, c'est tout près de Bruxelles. Puis, finalement, et important, la septième initiative concrète, c'est pour l'année 2004 au plus tard la création d'un quartier général multinational déployable pour les opérations conjointes sur le terrain.
Toutes ces conclusions vont être présentées début mai à nos partenaires de l'Union européenne et aussi pendant le sommet de Thessalonique.
LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur le Premier ministre. Je voudrais tout d'abord remercier notre collègue, notre ami Guy Verhofstadt, pour avoir organisé cette réunion. Il a toujours eu une vision forte et dynamique de l'Europe, il a toujours été l'un des promoteurs de la construction européenne et, une fois de plus, il marque son empreinte sur une évolution positive de notre grand projet commun concernant la construction européenne. Je voudrais lui exprimer ma reconnaissance.
La défense est un problème important auquel nos quatre pays, qui font partie des pays fondateurs, ont toujours attaché la plus grande importance. Vous vous souvenez qu'en 1991, c'est une lettre du Chancelier fédéral allemand et du Président de la République française qui a fixé pour ambition à l'Union européenne la définition d'une politique de défense commune. Notre engagement commun s'est traduit à l'époque par la création du corps européen.
Ce sommet, aujourd'hui, est l'aboutissement de travaux qui, le Premier ministre vient de le rappeler, ont été engagés depuis plusieurs mois, depuis que, le 18 juillet dernier, Guy Verhofstadt nous a écrit pour faire part de sa préoccupation devant l'état de développement de la défense européenne.
Depuis lors, les travaux se sont poursuivis. Il y a eu la contribution franco-allemande à la Convention, contribution qui a été soutenue par la Belgique, il y a eu le quarantième anniversaire du Traité de l'Elysée, il y a eu le rapport du groupe défense à la Convention, il y a eu le sommet franco-britannique du Touquet, qui a marqué une avancée significative sur plusieurs points importants, en particulier dans le domaine des capacités et des opérations.
Ces différentes contributions ont, de manière complémentaire, mis en évidence à la fois les progrès réalisés depuis Saint-Malo, Cologne, Nice et Laeken, mais aussi le caractère illusoire d'une Europe de la Défense qui naîtrait naturellement du développement de l'Europe de la politique étrangère.
Comme dans d'autres domaines de la politique européenne, nous pensons qu'il faut aujourd'hui faire preuve de volontarisme et afficher une vraie ambition pour l'Europe de la Défense.
Dans cet esprit, nous avons donc décidé de présenter à la réflexion de nos partenaires, de nos 21 partenaires, une contribution qui porte tant sur les institutions que sur les outils opérationnels à la disposition de l'Union européenne.
La déclaration, le Premier Ministre vient de le rappeler, comprend une présentation de notre démarche, qui insiste en particulier sur notre volonté de construire une défense européenne crédible et sur le caractère fondamental du partenariat stratégique entre l'Europe et les Etats-Unis dans le cadre de l'Alliance.
Nos pays conçoivent en effet leurs engagements dans l'Union européenne et dans l'OTAN comme des engagements complémentaires. En construisant une Europe plus forte, nous contribuons évidemment à une Alliance atlantique plus forte. C'est également le sens des arrangements dits de "Berlin plus", auxquels nos quatre pays sont naturellement très attachés, ou celui de notre décision de participer à la force de réaction de l'OTAN, la NRF.
Elle contient aussi, cette déclaration, une contribution à la réflexion sur le concept d'Union européenne de Sécurité et de Défense, que nous avons introduit à la Convention. Nous voyons cette Union comme permettant de réunir des Etats membres qui sont prêts à aller plus rapidement et plus loin dans le renforcement de leur coopération en matière de défense.
Les Etats participant à l'Union européenne de Défense et de Sécurité prendront notamment l'engagement de se porter secours et assistance face à tous les risques de toute nature et notamment, bien entendu, à ceux du terrorisme. Nous avons pour notre part déjà souscrit des engagements de ce type avec l'Allemagne et avec le Royaume-Uni. Ces Etats regroupés rechercheront systématiquement l'harmonisation de leurs positions sur les questions de sécurité et de défense et ils prendront par ailleurs un certain nombre d'engagements concrets en matière d'équipement des forces. Le Premier Ministre belge vient à l'instant de les détailler.
Nous avons, enfin, formulé à l'intention de nos partenaires de l'Union européenne des propositions de mesures concrètes de rapprochement de nos outils de défense nationaux pour compléter les structures politiques et militaires mises en place depuis le sommet de Saint-Malo. Nous proposons de réfléchir avec nos partenaires à la création d'un noyau de capacité de planification opérationnelle et de conduite d'opérations de niveau stratégique, appuyé sur les états-majors nationaux des pays membres.
Cet état-major, ou ce noyau, plus exactement, stratégique pourrait être utilisé lorsque l'Union européenne décidera, conformément aux déclarations de Saint-Malo et du Conseil européen de Cologne, de ne pas recourir à l'utilisation des moyens et capacités de l'OTAN, par exemple dans le cadre d'opérations conduites par l'Union européenne sous l'égide des Nations Unies, comme nous l'avions décidé, ou plus exactement proposé, Britanniques et Français, lors du dernier sommet bilatéral du Touquet.
Il ne s'agit pas bien entendu de créer un Shape européen mais plus simplement de chercher à rapprocher les moyens nationaux des Etats membres de l'Union européenne en limitant ainsi les duplications nationales inutiles. Il ne s'agit pas de dupliquer le Shape. Il s'agit d'éliminer, parce que coûteuses, inutiles et aberrantes, des duplications qui existent actuellement entre nos différents Etats dans le domaine de la défense. Il ne s'agit donc évidemment pas de découpler les efforts de défense entre l'Union européenne et l'Alliance atlantique.
Nous proposerons par ailleurs la création d'une agence européenne de développement et d'acquisition des capacités militaires, une mesure qui évidemment va là-aussi dans le sens d'une plus grande économie de nos moyens et donc d'un renforcement global de notre effort commun de défense.
Tous ces projets s'inscrivent donc dans la perspective de notre participation commune à des opérations conduites dans le cadre de l'Union européenne ou dans le cadre de l'OTAN.
En conclusion, je voudrais tout simplement souligner que cette contribution nous semble de nature à permettre à l'Europe de la Défense de franchir un véritable saut qualitatif.
Sur le plan politique, la mise en place d'une Union européenne de Sécurité et de Défense comportant de vrais engagements pour ses membres sera un pas majeur fait dans la direction de l'Europe de la Défense et donc aussi de l'Europe de la politique étrangère.
Sur le plan des capacités, l'Europe manque aujourd'hui de moyens, chacun le sait. Nos propositions vont dans le sens d'un effort accru, de la mutualisation des moyens et de la suppression des duplications inutiles, donc dans le sens permettant à l'Union européenne de dépenser plus et mieux pour sa défense et donc de représenter un élément solide du pilier que nous formons, le pilier européen de l'Alliance atlantique.
C'est l'intérêt de l'Europe, c'est l'intérêt de l'Alliance atlantique. Et nos Ministres des Affaires étrangères présenteront cette contribution à nos partenaires à l'occasion du Gymnich. Nous aurons ensuite des échanges de vues sur ces idées à l'occasion du Conseil européen de Thessalonique et la réflexion va se poursuivre naturellement avec l'ensemble de nos partenaires.
M. SCHROËDER - Permettez-moi de souligner ce que le Premier ministre belge et le Président de la République viennent de dire. Je vais compléter uniquement par quelques remarques très brèves.
Tout d'abord, il y a une Europe plus grande, qui s'élargit, qui aura besoin non pas de moins mais de plus de cohésion interne, et cela dans tous les domaines politiques. Voilà la toile de fond de ces réflexions qui ont été menées en vue d'une formulation d'une politique commune en matière de sécurité et de défense, qui ont été à l'origine de cette rencontre. La continuité de la rencontre a déjà été indiquée par M. le Premier ministre belge, les dates et les différentes étapes. Je ne vais pas les répéter.
Deuxième remarque que je voudrais faire et que je souligne très explicitement, c'est qu'au sein de l'OTAN, nous n'avons pas trop d'Amérique, nous avons trop peu d'Europe. Et c'est la raison précise pour laquelle nous voulons arriver à un changement sur la base de formulations et de propositions. Cela est important pour notre Alliance, pour notre potentiel d'action et je crois que c'est une évidence pour tous.
La troisième remarque que je tiens à faire concerne ce document qui s'adresse à deux publics-cibles. Il s'agit tout d'abord de la Convention. La Convention où nous voudrions demander que l'on regarde de près ce qu'on a mis sur le papier. Une partie de ce contenu, tel que M. le Président Jacques CHIRAC vient de le dire, se retrouve dans l'initiative commune franco-allemande en vue et à l'adresse de la Convention. Mais il s'agit également de la question de savoir si, à la Convention, il ne faudrait pas parler également du sujet des coopérations renforcées également en matière de politique étrangère et de sécurité. Cela fait partie, en fait, du paquet de travail de la Convention. Les propositions plus détaillées se retrouvent dans le document.
Le deuxième public-cible, ce n'est pas la Convention mais en fait tous nos partenaires au sein de l'Union européenne. Tous ceux qui ne sont pas représentés ici, aujourd'hui. En fait, par le biais de ce document, nous leur demandons de se pencher sur cette question, de réagir par rapport au contenu. Le Président Jacques CHIRAC a indiqué que, lors de la prochaine réunion des ministres des Affaires étrangères qui aura lieu le 2 mai, les Ministres des Affaires étrangères recevront tous ce document pour en discuter et, au mois de juin, nous allons en parler tous ensemble encore lors du sommet de Thessalonique.
Une fois de plus, je tiens à souligner qu'il s'agit-là d'un renforcement du pilier européen au sein de l'OTAN et il s'agit notamment aussi de faire preuve d'ouverture vis-à-vis de tous ceux qui s'intéressent à ces questions. Et, au bout du compte, il s'agira-là de tous les partenaires européens parce que je crois que tous trouvent un intérêt, en plus de l'élargissement, à avoir un approfondissement de l'Union européenne et à compléter cette mission par ce biais-là. C'est un élément de travail pour la Convention et nous soutenons les efforts par cette initiative.
M. JUNCKER - Mesdames, Messieurs, vous vous imaginez bien que je ne suis pas venu à Bruxelles pour renforcer la crédibilité de l'initiative qui est la nôtre en lui apportant le poids militaire du Grand Duché du Luxembourg. Mais, depuis que je suis engagé dans la vie politique européenne, j'ai à de nombreuses reprises constaté que l'Europe avance au rythme de ses ambitions. Et l'initiative que nous prenons aujourd'hui, non seulement en termes rhétoriques mais par des initiatives concrètes, constitue une des grandes ambitions des décennies à venir.
Toujours, en Europe, le modèle d'évolution des choses est le même. Je me rappelle, lorsque j'étais Ministre des Finances et que j'étais chargé de conduire la Conférence intergouvernementale sur l'Union économique et monétaire, en fait, nous étions trois qui étions profondément convaincus que l'Europe avait besoin de la monnaie unique. Il est vrai qu'aujourd'hui nous sommes devenus plus nombreux mais, à l'époque, trois d'entre nous seulement étaient convaincus d'essayer de faire en sorte que cela puisse fonctionner pour en faire un succès européen.
Et, à chaque fois que l'Europe ne doute pas d'elle-même, à chaque fois qu'elle nourrit de grandes ambitions pour elle-même et pour le reste du monde, l'Europe est capable de surprendre ceux qui la composent et ceux qui l'observent. Et je suis profondément convaincu que l'Union européenne de Sécurité et de Défense fait partie de ces ambitions européennes que j'ai décrites et qu'elle connaîtra la même application, avec le même résultat.
J'ai pu lire, dans la plupart, en fait, des journaux européens, indépendamment de la langue dans laquelle ces journalistes, ces journaux, s'exprimaient, que j'étais invité à une réunion d'un quarteron de putschistes qui se réuniraient à Bruxelles pour organiser une espèce de putsch contre les Etats-Unis d'Amérique ou contre l'Alliance atlantique. Je n'ai pas été surpris de nous voir faire figurer dans le texte qui est devant nous le rappel de tous les engagements qui sont européens et qui le restent et qui ont vocation à durer.
Par conséquent, l'initiative que nous prenons aujourd'hui, nous voulons qu'elle soit une initiative inclusive, invitant tous les autres pays membres de l'Union européenne, les dix qui nous rejoindront bientôt, la Roumanie et la Bulgarie plus tard. En voulant cette initiative inclusive, nous démontrons vers l'extérieur que notre démarche n'est pas celle qu'on a voulu glisser dans le catalogue de nos intentions mais bien une contribution que nous voulons adresser à tous nos partenaires au sein de l'Union européenne et à la Convention d'abord.
On s'est beaucoup interrogé sur l'opportunité du moment, sur la date. On aime bien discuter, en Europe, des problèmes de forme. La forme, c'est le fond qui monte à la surface. Et, le fond, c'est que nous sommes au beau milieu des travaux de la Convention et il est normal que ceux qui voudraient voir l'Europe adopter une Union de Défense et de Sécurité commune veuillent alimenter les travaux de la Convention par la réflexion. C'est ce que nous avons fait aujourd'hui et c'est ce que nous avons fait dans nos divers contacts avec les autres pays membres de l'Union européenne. En développant, comme nous l'avons fait aujourd'hui, le concept d'Union de Sécurité et de Défense, nous rendons en fait notre projet européen plus complet et plus crédible. Plus complet vers l'intérieur, puisque nous prenons dans le giron européen des attributions qui jadis furent exclusivement nationales. Plus crédible vers l'extérieur, parce que nous voudrions que ce géant économique, cette grande figure internationale du point de vue monétaire devienne aussi, avec tous les attributs et toutes les conséquences qui en découlent, un grand acteur international.
J'ai voulu associer le Luxembourg à cette initiative parce que je ne voudrais pas qu'une grande ambition européenne prenne corps sans que le Luxembourg, pays membre fondateur de l'Union européenne, y soit associé.
QUESTION - S'il y a un coeur nouveau de défense, comme vous le prévoyez avec l'Union européenne de Sécurité et de Défense, combien de pays voudriez-vous avoir dans ce coeur nouveau ? Et quelle serait la position des membres non alignés comme la Finlande ?
LE PRÉSIDENT - Première partie de la question : à qui voulons-nous nous adresser ? Pour moi, c'est simple. Et pour nous, c'est simple : aux 25, c'est à dire à l'ensemble de l'Union européenne, naturellement.
Deuxième partie de votre question : mais il y a des pays qui ont des caractéristiques particulières, qui touchent notamment aux problèmes de défense. La réponse, c'est que naturellement il faut respecter ces caractéristiques et qu'il n'est pas question pour nous de leur imposer quoi que ce soit. D'ailleurs, c'est le contrat actuel de l'Union européenne et il n'est pas question de le modifier.
QUESTION - Est-ce que votre volonté, dont vous avez parlé, inclut également de maintenir vos positions en solitaires si les autres partenaires européens n'acceptent pas votre invitation ? Et, Monsieur le Chancelier, vous avez souligné que cela ne se faisait pas contre l'OTAN ni contre les Etats-Unis. Mais est-ce qu'il ne s'agit pas quand même d'un petit bout d'émancipation par rapport aux Etats-Unis dont vous faites preuve, ici ?
M. SCHROËDER - Bien évidemment, cela ne s'oriente ou ne se fait pas contre l'OTAN, tous l'ont bien dit, et cela sert justement au renforcement de l'OTAN. Car un pilier européen en position de force au sein de l'OTAN est un renforcement de l'OTAN. D'ailleurs, le partenariat transatlantique en est renforcé également. Ainsi, je crois que tout ce que l'on évoque comme secret ou message caché est faux, simplement faux. Les Etats-Unis d'Amérique se sont plaints à certains moments que l'Europe n'ait pas de numéro de téléphone. Maintenant, nous sommes en voie de créer plus d'intégration en matière de politique étrangère, de défense et de sécurité et je ne crois pas que qui que ce soit ne s'y intéresse pas.
Est-ce que nous le ferions également en solitaires ? Eh bien, cette question ne se pose même pas parce qu'il y a tout une série de partenaires qui ont déjà indiqué leur intérêt, d'autant plus que nous ne sommes pas là seuls, mais déjà à quatre. Et je crois qu'il y a eu différentes étapes citées, pendant lesquelles la politique européenne en matière étrangère et de sécurité a pris forme et cela inclut des étapes tout à fait différentes : il a été question de Saint-Malo, il s'agissait-là d'un sommet franco-britannique, il a été question de Cologne, un Conseil européen, et on aurait pu dire Helsinki, Conseil européen en Finlande, donc toute sorte de réunions très variées avec des participants très différents. Elles ont chaque fois amené le même résultat, à savoir la nécessité d'une intégration dans ce domaine également. Ainsi, je suis convaincu que les Vingt-cinq seront intéressés et que la question du cavalier seul ne se posera même pas.
LE PRÉSIDENT - Tout le monde sera intéressé par cette initiative et je ne crains pas du tout que nous soyons le moins du monde isolés. Toute la démarche européenne s'est faite à partir d'initiatives prises par deux ou trois d'entre nous.
Je voudrais vous rappeler que, s'agissant de l'Europe de la défense, indépendamment des origines que j'ai évoquées, germano-françaises, il y a eu une déclaration de M. Tony Blair qui était passée pratiquement inaperçue au Conseil européen de Pörtschach, en Autriche. Puis il y a eu Saint-Malo. Je me souviens encore de toutes les appréciations des observateurs médiatiques ou politiques disant : c'est une farce, jamais cela ne donnera lieu à une réalisation. C'était unanime, la critique. Si vous avez la curiosité de reprendre les déclarations des observateurs politiques ou médiatiques, vous serez étonnés de voir l'unanimité. Et puis, après, tout le monde est arrivé et on a eu une conception globale.
Au mois de juillet dernier, sous l'impulsion de Guy VERHOFSTADT, nous avons pensé que le moment était venu de donner une nouvelle force à cette politique de défense commune. Nous avons élaboré cela, sans aucun rapport et sans aucun lien avec une conjoncture politique qui est celle que nous connaissons aujourd'hui. Avec la volonté, comme vient de le dire le Chancelier, d'abord et avant tout d'éviter les duplications et les dépenses inutiles entre nous, pour avoir un renforcement du pilier européen de l'OTAN, ne mettant évidemment en rien en cause l'Alliance atlantique, au contraire, en la renforçant. Et je ne doute pas un seul instant que l'ensemble des pays européens, comme ça a été le cas dans tous les domaines et notamment celui de la défense, à partir de nos propositions, s'associent, nous permettant ainsi d'arriver à des conclusions positives et tenant compte naturellement des initiatives et des réflexions de chacun.
QUESTION - Monsieur VERHOFSTADT, quel accueil pensez-vous que vos partenaires vont réserver à vos propositions, notamment les Britanniques et les Italiens ? Qu'espérez-vous ?
M. VERHOFSTADT - J'espère en tout état de cause une réaction positive parce que les propositions que nous avons élaborées aujourd'hui sont des propositions ouvertes, ouvertes à la coopération de tous les membres de l'Union européenne.
Deuxièmement, il s'agit de renforcer le pilier européen dans l'Alliance atlantique et, là, je crois aussi que ça peut aider à renforcer l'OTAN, à renforcer cette Alliance.
Et, troisièmement, je crois surtout que ce qui est important, aujourd'hui, c'est les sept propositions, initiatives concrètes que nous allons et que nous avons présentées et que nous allons présenter au Gymnich et puis plus tard à Thessalonique. Là-aussi, il s'agit de coopérations ouvertes mais qui sont très concrètes parce que je crois que pendant longtemps on a parlé beaucoup de la défense européenne, du pilier européen de l'OTAN, en termes abstraits. Je crois qu'aujourd'hui, on fait quand même un pas très important en avant en formulant cette initiative concrète. Et je suis persuadé que, sur un bon nombre de ces initiatives, il va y avoir des réactions positives parce qu'on les a voulues ouvertes, ces coopérations, ouvertes à nos partenaires.
QUESTION - Dans votre conversation avec le Président BUSH, vous avez indiqué que l'OTAN pourrait jouer un rôle en Iraq. Quel rôle spécifique vous envisagez et avec quel mandat ?
LE PRÉSIDENT - J'ai évoqué effectivement cette question sur l'initiative du président Bush. J'ai naturellement indiqué qu'il fallait qu'il y ait une résolution de l'ONU pour demander à l'OTAN d'intervenir et, si tel était le cas, la France était tout à fait prête à discuter des modalités d'intervention.
QUESTION - Quand je vois le compromis ou le texte final, je vois qu'on ne parle pas des investissements et des dépenses militaires. Quand je compare ce texte avec le document de réflexion belge d'il y a quelques semaines, c'est donc beaucoup moins ambitieux que la Belgique aurait voulu. Pour quelle raison avez-vous changé, ou pas retenu, les propositions concernant les investissements et les dépenses militaires ?
LE PRÉSIDENT - Puisque j'ai été interrogé, je vais passer la parole à Guy VERHOFSTADT. Parce que nous n'avons rien changé depuis quelques semaines et que c'est un problème de rédaction et que la rédaction a été confiée à la responsabilité de la présidence belge.
M. VERHOFSTADT - Je pense que le journaliste qui a posé la question n'a pas encore lu la page 2, deuxième paragraphe, dernier tiret. C'est dedans.
QUESTION - Votre collègue Tony BLAIR a donné hier une interview, dans le contexte de la réunion d'aujourd'hui, pour défendre la thèse comme quoi le monde ne devrait avoir qu'un seul pôle de pouvoir, à savoir les Etats-Unis. Est-ce que c'est votre avis ? Est-ce qu'il ne peut y avoir qu'un seul pôle de pouvoir, les Etats-Unis ?
M. VERHOFSTADT - Moi, je pense qu'une discussion théorique sur la question du mouvement vers un monde multipolaire ou non ne dit rien du tout sur ce qui doit se passer en ce qui concerne la défense et la politique étrangère. Que ce soit un monde multipolaire ou pas multipolaire, ce qui est important, c'est que l'Union européenne développe une défense européenne pour la simple raison, je l'ai dite tantôt dans mon introduction, qu'il est impossible d'avoir une politique cohérente et commune au niveau des Affaires étrangères de l'Union européenne sans qu'il y ait d'abord l'outil, je dirais l'instrument, de la politique de défense.
Et, deuxièmement, la politique de défense européenne, comme nous l'avons conçue aujourd'hui aussi dans notre papier, fait partie intégrante de l'Alliance atlantique. Il peut y avoir des différences de points de vue entre l'Union européenne d'une part et les Etats-Unis d'autre part. Mais ce qui est vrai, c'est que nous défendons les mêmes valeurs. Nous défendons la démocratie, la liberté, les Droits de l'Homme. Nous formons une communauté avec les Etats-Unis, qui défend ces mêmes valeurs. Et c'est pour cette raison, pour renforcer cette communauté de valeurs, que nous voulons élaborer la défense européenne et ce pilier européen.
Donc, l'idée de faire avancer la défense européenne comme pilier de l'Alliance atlantique est tout à fait concordante et en convergence avec l'idée qu'ensemble, avec les Etats-Unis, nous formons une communauté qui défend les mêmes valeurs.
M. SCHROËDER - Je ne connais pas le détail de cette interview mais lorsque l'on dit que les Etats-Unis restent la seule superpuissance du monde, c'est un constat tout à fait correct et nul doute n'est permis au vu des capacités. Mais cela n'a rien à voir avec un élément-clé, un élément fort de la politique étrangère allemande qui est d'insérer toutes les actions vers l'intérêt commun, à savoir vers les Nations Unies. Cela restera ainsi pour la suite.
J'ai un petit peu le soupçon que, derrière cette citation, dont je ne connais pas les détails, se cache peut-être la crainte qu'une Europe qui va plus loin et qui va plus en profondeur pourrait constituer ou devrait constituer un pôle qui s'opposerait aux Etats-Unis. Mais ce n'est pas la compréhension que nous avons de l'Union européenne, comme le Premier ministre belge vient de l'indiquer. Non. Notre compréhension commune concerne l'OTAN mais également d'autres domaines. Nous nous voyons en tant que partenaires des Etats-Unis, aujourd'hui et à l'avenir. Partenaires et amis. Une telle relation ne contredit pas la possibilité d'être d'un autre avis dans l'un ou l'autre domaine, au contraire. Cela se fera de manière raisonnable sur la base d'une communauté de valeurs. C'est ainsi qu'il a toujours été et c'est ainsi qu'il en sera aussi à l'avenir.
LE PRÉSIDENT - Puisque l'on a demandé la réaction des quatre, je vais parler en troisième dans l'ordre des pupitres. Je voudrais tout d'abord rappeler, je parlerai au nom de la France seulement, naturellement, que la France et la Grande Bretagne sont des acteurs communs de la construction européenne et partagent à cet égard les mêmes sentiments sur un très grand nombre de sujets. On évoquait la défense : je rappelle que c'est une initiative franco-britannique qui, à Saint-Malo, a lancé, ou a relancé plus exactement, le processus de la défense européenne.
Nous avons la même volonté de construire l'Europe. Il n'en reste pas moins que l'Angleterre et la France ont des traditions, des cultures, une histoire différentes, ce qui les conduit et c'est tout à fait naturel, c'est vrai d'ailleurs pour la plupart des pays d'Europe, à une vision qui peut être un peu différente, voire contradictoire, de ce que doit être l'avenir. Je n'ai naturellement pas l'intention d'exprimer la moindre critique à l'égard des positions rappelées par le Premier ministre britannique dans l'interview en question. Je me garderai bien entendu de faire la moindre critique, parce que je n'en ai pas à formuler et que je n'en pense pas. Je souhaite d'ailleurs que le Premier ministre britannique soit d'ailleurs dans le même état d'esprit, ce dont je ne doute pas.
Il n'en reste pas moins que, quand on regarde l'évolution du monde, on voit bien que tout naturellement se crée un monde multipolaire, qu'on le veuille ou non, c'est inévitable, et qu'à côté des Etats-Unis, l'Europe mais aussi la Chine l'Inde, l'Amérique du sud, dans l'avenir prochain c'est à dire dans les cinquante ou cent ans qui viennent, constitueront des ensembles et qu'entre ces ensembles, les liens devront être forts si on veut éviter des affrontements, et notamment entre les ensembles qui ont la même culture, c'est à dire essentiellement entre l'Europe et les Etats-Unis. Mais, pour que l'équilibre existe, il faudra bien qu'il y ait une Europe forte et des Etats-Unis forts et liés ensemble par un pacte fort, qui est un pacte de culture.
C'est cela que, pour notre part, nous défendons et cela suppose naturellement que les relations entre l'Europe et les Etats-Unis soient des relations de complémentarité, des relations de partenariat. Entre partenaires égaux, naturellement, ou alors il n'y a pas relation de partenariat et c'est un autre monde. Ce n'est pas celui qu'observe et que souhaite la France.
Voilà pourquoi nous pouvons avoir une légère divergence de vues. Il appartiendra aux Européens, ensemble, aux vingt-cinq européens aujourd'hui et je l'espère un peu plus demain, ensemble, de répondre à cette question de fond.
M. JUNCKER - Je crois que, pour M. Tony BLAIR ainsi que pour d'autres, il serait bénéfique de relire les conclusions du sommet de Londres en avril 1998 entre les chefs d'Etat et de gouvernement européens et asiatiques. Là, les quinze européens et nos dix collègues asiatiques disent qu'il serait souhaitable et qu'il faudrait faire des efforts pour que le monde de l'avenir se poursuive et se développe dans une logique multipolaire.
Deuxièmement, je voudrais dire que nous ne voulons pas créer l'Europe en tant que superpuissance militaire, non. Nous voulons créer une Union européenne de la Défense et de la Sécurité. Nous la souhaitons au service, notamment, de la politique étrangère et de sécurité commune. Et cela se retrouve notamment dans la liaison entre effort militaire, politique et diplomatique classique. Dans cette composition, personne n'a une quelconque exigence de monopole. Nous aimerions bien partager ces valeurs avec d'autres.
QUESTION - Une question pour Monsieur CHIRAC et Monsieur SCHROEDER. Vous représentez le noyau de ce qui a été l'opposition d'une partie de l'Europe à la guerre en Iraq. Ne craignez-vous pas de renforcer cette division avec vos propositions ?
M. SCHROËDER - Non. Je ne le crains pas du tout car l'un n'a rien à voir avec l'autre. Il y a l'invitation du Premier ministre belge. Et, dans son introduction très impressionnante, il a évoqué les différentes étapes de la création et de l'extension de cette politique européenne dans ce domaine. Qu'il y ait parfois des sujets plus importants encore et qui nécessitent un avis spécifique, comme le récent conflit, c'est une chose complètement à part. Cela ne pourrait pas avoir pour conséquence que l'on interrompe les efforts en matière de création de cette Europe de la Défense. Ce serait contradictoire.
M. VERHOFSTADT - Voilà, merci beaucoup.
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