Conférence de presse conjointe du Président de la République, du Président exécutif de la commission de contrôle de vérification et d'inspection des Nations Unies en Irak et du directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique.

Conférence de presse conjointe de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, de M. Hans BLIX, Président exécutif de la commission de contrôle de vérification et d'inspection des Nations Unies en Irak et de M. Mohamed EL BARADEI, directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique.

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Palais de l'Elysée, le vendredi 17 janvier 2003

LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs, j'ai eu le privilège aujourd'hui de m'entretenir avec les deux responsables des inspecteurs de la Commission de contrôle et de l'AIEA, M. BLIX et M. EL BARADEI, et ceci à la veille d'une échéance importante, la réunion du Conseil de sécurité du 27 janvier à New York.

J'ai voulu d'abord exprimer le soutien et la confiance sans réserve de la France aux inspecteurs et à leurs chefs en raison de leur rigueur, de leur compétence, de leur impartialité. Le système des inspections est un système qui a fait la preuve de son efficacité. Jusqu'en 1998, où il a été malheureusement interrompu, les inspections ont permis la découverte et la destruction d'un nombre considérable d'armes de destruction massive. Au total, plus ont été détruites par l'inspection à cette époque que par la guerre du Golfe.

M. BLIX et M. EL BARADEI ont exprimé clairement leur demande d'une plus grande clarté dans le comportement des autorités iraquiennes et nous approuvons tout à fait cette demande. Il est évident qu'il appartient aujourd'hui à l'Iraq de donner des témoignages indiscutables d'une coopération active, c'est-à-dire de faire tout ce qui est possible pour que les inspections puissent se dérouler dans des conditions normales.

Dans ce contexte, la position de la France est celle que vous connaissez. Nous considérons que, s'il devait y avoir une action militaire, celle-ci ne pourrait être décidée que par le Conseil de sécurité sur le rapport des inspecteurs. Et la France garde naturellement sa totale liberté d'appréciation sur ce sujet. Les inspecteurs ont demandé du temps supplémentaire, cela a été confirmé à la fois par M. EL BARADEI et M. BLIX. Eh bien, la sagesse oblige à répondre à leur demande et à leur donner le temps qui est nécessaire pour qu'ils puissent apporter des conclusions sérieuses et qui puissent convaincre la communauté internationale.

Je conclus en disant que, pour la France, la guerre est toujours le constat d'un échec, est toujours la pire des solutions, qu'elle comporte des coûts humains difficiles à justifier, qu'elle comporte des coûts politiques importants, et notamment dans les réactions de tout l'environnement dans cette région, que l'on peut imaginer, qu'elle comporte des coûts considérables, économiques et financiers, quand on imagine ce que représente le coût d'une guerre dans un temps où nous n'arrivons pas à apporter aux pays en développement le minimum d'aide pour permettre une survie convenable à un certain nombre d'habitants de la planète. Tout ceci doit nous conduire à réfléchir.

M. BLIX - Je voudrais tout d'abord exprimer ma reconnaissance à l'occasion de cette visite. Je voudrais remercier le Président de nous avoir accueillis ce matin et de nous avoir donné l'occasion d'avoir une discussion de fond, une discussion substantielle sur les questions qui nous intéressent.

Je voudrais également exprimer ma reconnaissance pour le rôle qu'a joué la France pour amener l'unité au Conseil de sécurité. Le Conseil de sécurité a voté à l'automne la résolution 1441 qui renforce le rôle et le pouvoir des inspecteurs. Cette résolution a été votée à l'unanimité, unanimité qui a été obtenue grâce à l'aide de la France. Comme vous le savez, la situation actuelle est particulièrement tendue au Moyen-Orient et je crois que le Conseil de sécurité doit maintenir son unité. Et nous espérons que la France et d'autres membres du Conseil nous aideront à maintenir cette unité.

Nous ne sommes pas politiques, nous ne cherchons pas à jouer un rôle politique, nous agissons sur instruction du Conseil de sécurité. Notre travail est déjà suffisamment difficile et compliqué tel qu'il est et il le serait encore plus si le Conseil était divisé.

Comme je le disais, la situation actuelle est particulièrement tendue et le monde demande, exige, depuis 1991, la destruction des armes de destruction massive et des missiles de longue portée. Comme le Président l'a dit, beaucoup de choses ont déjà été faites, effectivement, par les inspections. Il y a eu plus de destructions de telles armes que pendant la guerre du Golfe. Mais nous ne sommes pas absolument certains que les armes bactériologiques ou chimiques ont été complètement détruites. C'est de cela que nous devons essayer de nous assurer et c'est l'Iraq qui doit nous le montrer.

Il y a deux options. Premièrement, le désarmement par les inspections, donc avoir des inspections pas seulement pour le plaisir d'avoir des inspections mais des inspections pour obtenir un désarmement. Et, dans ce domaine-là, nous avons besoin d'une vraie coopération, une coopération, disons "proactive", de l'Iraq à nos travaux.

Nous ne sommes pas là pour humilier l'Iraq. Nous savons que l'Iraq et les Iraquiens sont un peuple fier. Nous sommes là pour nous assurer qu'il n'y a plus d'armes et éviter la guerre.

Comme je le disais, nous avons donc besoin de leur coopération, Leur coopération pour nous assurer de la situation. Nous avons besoin qu'il nous aident, qu'ils soient coopératifs, mais vraiment, qu'ils fassent plus que de nous ouvrir les portes. Nous savons qu'il n'est pas toujours très agréable d'être inspecté. Nous le savons tous, quand nous prenons des avions, que ce n'est pas toujours très pratique. Mais ce dont nous avons besoin, c'est d'une vraie coopération pour nous assurer de la situation et pour éviter la guerre.

M. EL BARADEI - Je voudrais également, comme l'a fait M. BLIX, remercier le Président CHIRAC de nous avoir donné l'occasion d'avoir des consultations sur la question iraquienne, à un moment très particulier, très tendu. Je crois que cette visite, que cette rencontre qui a lieu à la veille de notre retour à Bagdad, à la veille de la réunion du Conseil de sécurité le 27 janvier, tombe parfaitement à point.

Je crois que le rôle de la France a été essentiel. La France a été au coeur du processus pour s'assurer du désarmement de l'Iraq par le passé et continuera de l'être dans les semaines et les mois qui viennent.

Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que l'Iraq doit faire tous les efforts possibles pour nous permettre de nous assurer que le désarmement a été obtenu par les inspections et par des moyens de paix, en temps de paix. Les inspections doivent réussir et nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour nous assurer qu'elles réussissent.

Nous savons quelle est l'autre option, la guerre, et nous sommes tous d'accord également pour dire que c'est le scénario catastrophe, le scénario du pire.

Et je crois que si, pour éviter cette situation, nous prenons quelques mois de plus pour travailler, eh bien, ce sera du temps qui aura été dépensé utilement. M. BLIX et moi-même dirons tous deux ensemble au Conseil de Sécurité que nous avons besoin de temps pour que les inspections soient menées à bien. Effectivement, les inspections ont produit beaucoup de résultats jusqu'à leur interruption en 1998 et c'est à ce moment-là, dans cette période-là, que le programme nucléaire iraquien a été neutralisé. Et un grand nombre d'armes bactériologiques et chimiques ont été détruites à cette période également. Donc, nous travaillons aujourd'hui sur ce qui reste de ces programmes. Et nous devons nous assurer que l'Iraq s'est désarmé complètement.

Le niveau de coopération de l'Iraq dans les dernières années a été inégal. Je crois que l'Iraq a besoin de s'avancer vers nous et de faire quelque chose, d'être actif dans sa coopération. Ils doivent le faire pour nous montrer qu'ils n'ont rien à se reprocher. Et s'ils le font, alors ils verront la lumière au bout du tunnel et ils pourront redevenir membres à part entière de la communauté internationale.

C'est le message très clair que nous ferons passer à Bagdad la semaine prochaine. Le message est de dire que, s'ils coopèrent, il y aura des conséquences positives pour eux et que, malheureusement, s'ils ne coopèrent pas, les conséquences ne seront pas très agréables.

QUESTION - Monsieur BLIX, le Général AMIN a affirmé que les ogives découvertes hier faisaient bien partie de la liste du mois de décembre. Est-ce que vous pouvez confirmer ? Est-ce que vous pouvez, surtout, répondre en français pour les radios françaises ? Merci beaucoup.

M. BLIX - J'aimerais avoir encore un peu d'explications de nos inspecteurs de Bagdad, mais je dirais d'abord que j'ai l'impression que la découverte était très bonne. On est allé dans quelques bunkers et nous avons trouvé quelque chose. Ça, c'est bien. Il s'agit d'ogives vides, donc il n'y a pas d'armes chimiques là-dedans. Mais il s'agit aussi d'ogives qui sont produites pour porter des armes chimiques. Alors, je crois qu'on devrait les détruire. C'est la règle. Je ne sais pas encore, je ne suis pas encore certain si le rapport les mentionne, si ces ogives existent dans les 12000 pages de la déclaration. On doit m'informer de cela à New York mais ce n'est pas grand chose, il s'agit clairement d'ogives qui sont vides.

QUESTION - Monsieur BLIX, est-ce que vous ne craignez pas que les découvertes d'hier, ces ogives chimiques, poussent le Président BUSH à aller vers le sens d'une action militaire et peut-être même d'une action unilatérale ?

M. BLIX - Il faudrait peut-être demander à M. BUSH lui-même, mais d'après ce que disent les Américains, je vois qu'ils attendent eux-aussi un complément d'information.

Il y a beaucoup de sites en Iraq que nous visitons et que nous inspectons et beaucoup de ces sites sont connus depuis des années. Il est important de visiter les usines de fabrication militaire, les quartiers militaires, les administrations, etc... Mais, naturellement, il est très important de savoir par les services s'ils savent qu'il existe des sièges cachés. Et je dois dire que les services nous aident davantage maintenant. On a commencé à inspecter de tels sièges. Alors, je ne me plains pas mais on aura besoin davantage de ces informations, M. EL BARADEI et moi.

QUESTION - Monsieur BLIX et Dr EL-BARADEI, et Monsieur le Président, après, je voudrais vous demander ce que signifie ce que vous avez dit sur la coopération iraquienne inégale ? Qu'est-ce que, spécifiquement, vous attendez de savoir de ce qui reste de 1998 que les Iraquiens ne vous ont pas encore présenté ? Et, Monsieur le Président, s'il vous plaît, à propos de la concentration des troupes américaines, est-ce que vous voyez dans cela une guerre inévitable ? Est-ce que vous pensez que les Etats-Unis peuvent encore revenir en arrière après avoir concentré toutes leurs troupes ? Et vous-même, Monsieur le Président, vous avez dit à vos forces armées de se tenir préparées. Est-ce qu'on peut avoir un peu votre analyse ? Merci.

M. EL BARADEI - En ce qui concerne la coopération avec l'Iraq, nous avons dit tous les deux, le Dr BLIX et moi-même, que la coopération passive de la part des Iraquiens est bonne, on nous ouvre des portes, on nous laisse aller mener nos inspections mais, sur le fond, nous n'avons pas toujours la coopération dont nous avons besoin. Il nous faudrait un certain nombre de preuves qu'il n'existe plus d'armes de destruction massive. Nous n'avons pas vu, par exemple, un certain nombre de documents que nous voudrions voir, relatifs aux armes bactériologiques ou chimiques. Nous voudrions pouvoir interviewer en privé les savants iraquiens pour être sûrs que nous avons les informations qui nous sont nécessaires. Ce dont nous avons besoin également, c'est des preuves physiques qui nous soient données par l'Iraq. Ils nous disent qu'ils ont détruit tel ou tel agent, tel ou tel matériel, nous devrions pouvoir les voir et en avoir les preuves physiques.

Donc, comme je le disais, il ne nous faut pas seulement une coopération passive de la part des autorités iraquiennes mais également une coopération active. Et nous espérons qu'ils comprendront que c'est dans leur intérêt de le faire.

LE PRÉSIDENT - En France, vous le savez, chère Madame, le Président de la République est constitutionnellement le Chef des armées. Je ne me suis jamais adressé aux armées depuis sept ans et demi sans leur dire qu'elles doivent, par définition, se tenir en permanence prêtes pour faire face à toutes les circonstances qui conduisent à leur mobilisation. Vous savez, ce n'est rien en particulier d'inscrit dans un moment de l'Histoire, c'est une consigne permanente aux armées.

QUESTION - Monsieur BLIX, Monsieur le Président, je voudrais vous demander : si les Etats-Unis s'opposent à une continuation du travail des inspecteurs, s'ils veulent couper court, en quelque sorte, est-ce que la France peut s'y opposer ? Est-ce que la France peut prolonger le travail des inspecteurs ?

M. BLIX - En ce qui concerne nos discussions avec Mme RICE, nous avons parlé du rapport de mise à jour qui sera produit le 27 janvier. Nous avons l'impression effectivement que les Américains ont peur que nous retombions dans une routine, dans la routine des inspections telle qu'elle pourrait être décrite dans les résolutions précédentes. Néanmoins, la résolution 1441 a donné plus de puissance, plus de force aux inspecteurs et c'est quelque chose dont nous nous félicitons et c'est le cadre dans lequel nous opérons aujourd'hui.

Néanmoins, aux termes de la résolution 1284, j'ai produit un premier rapport au mois de décembre, un deuxième rapport est prévu au 1er mars. Je ne vois pas, je ne crois pas que le Conseil de sécurité m'ait délié de cette obligation. Et, comme Mohamed EL BARADEI l'a dit, nous espérons effectivement que les Iraquiens pourront continuer à travailler avec nous, nous donner des preuves, nous montrer des armes de destruction massive si elles existent encore. Et nous espérons effectivement pouvoir continuer dans cette voie, continuer à travailler dans ce cadre pour le bien du désarmement, pour la paix. Et je crois que le Conseil de sécurité peut réconcilier les légères divergences qui pourraient exister entre les deux résolutions. Je crois qu'on en voit déjà les signes aujourd'hui et ce sera d'autant plus facile que l'unité du Conseil sera maintenue.

LE PRÉSIDENT - Je voudrais d'abord répondre que les inspecteurs ont reçu leur mission du Conseil de sécurité de l'ONU. Il appartient au Conseil, et à lui seul, de porter un jugement à la fois sur les rapports et sur les demandes des inspecteurs. Et, par conséquent, si tel ou tel pays prenait une mesure qui ne soit pas conforme à ce que je viens de dire, il se mettrait purement et simplement en contravention avec la règle internationale. C'est une position que la France ne pourrait naturellement pas soutenir.

QUESTION - Etes-vous confiant dans le fait que la guerre puisse être évitée après ce qui s'est passé hier ? Comment pouvez-vous être sûrs que Saddam HUSSEIN ne jouera pas au chat et à la souris comme il l'a fait dans les années 90 ?

M. BLIX - En termes de coopération, l'Iraq coopère sur les procédures, il accepte que les inspecteurs se rendent dans tous les lieux que nous avons inspectés, il accepte ces inspections relativement rapidement et c'est tant mieux. C'est même indispensable. Effectivement, s'il y avait des lieux qui étaient sanctuarisés, alors, il y aurait une chute dans la confiance dans notre relation. Mais si les Iraquiens devaient cacher sous terre ou dans des unités mobiles un certain nombre de choses, alors, ils seraient vraiment en train de jouer au chat et à la souris, comme vous l'avez dit. Mais nous n'avons pas de preuve, nous n'en avons pas, et je crois qu'il faut que les services de renseignement nous donnent les renseignements nécessaires pour que nous puissions travailler mieux et être plus efficaces.

Alors, vous nous avez demandé ce qui manquait, quels étaient les éléments qui nous manquaient. Je crois qu'en 1999, l'UNSCOM avait produit un rapport dans lequel on parlait d'un certain nombre d'incohérences sur l'anthrax, sur le VX, par exemple. L'Iraq a eu une tendance à balayer d'un revers de main ces accusations, ces questions, et je crois que ce dont nous avons besoin, c'est que l'Iraq nous donne des preuves, des documents, nous laisse avoir accès à des témoins qui puissent nous donner des réponses et nous permettre d'avoir une vraie confiance dans notre relation.

Tant que nous n'avons pas ces éléments, nous n'allons pas les accuser d'avoir ceci ou cela mais nous allons seulement dire que nous ne sommes pas sûrs que tout a été détruit et que nous ne sommes pas sûrs d'avoir une vraie relation de confiance avec eux.

LE PRÉSIDENT - Je voudrais simplement, en terminant, redire à M. BLIX et à M. EL BARADEI la confiance de la France, la reconnaissance de la France pour ce qu'ils font et le soutien sans réserve de notre pays à leur action.

Je vous remercie.





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