Palais de l'Elysée, le vendredi 6 juin 2003
LE PRÉSIDENT - Je voudrais tout d’abord remercier très chaleureusement le Premier ministre grec, M. Costas SIMITIS, qui nous rend visite dans le cadre de sa tournée des capitales, dans le cadre de la préparation du Conseil européen très important qui aura lieu dans quinze jours à Thessalonique. Et je voudrais profiter de cette occasion pour dire au Premier ministre toute l’estime que nous avons pour la façon magistrale dont la présidence grecque a conduit les affaires depuis qu’elle est arrivée à cette responsabilité. Cela a été, et je suis sûr que ce sera, une grande présidence.
Comme vous le savez, le sujet principal c’est la Convention. Nous aurons le rapport de M. Giscard d’ESTAING et nous aurons l’occasion donc de le discuter. Le Praesidium a fait des propositions ambitieuses. Naturellement, elles ne feront pas l’objet d’un accord général et il y aura encore beaucoup à discuter. Il faudra toute l’habileté de la présidence grecque pour nous permettre d’arriver à un accord définitif. C’est une affaire difficile, sans aucun doute, mais je fais toute confiance à la présidence grecque et j’ai dit au Premier ministre que la France ferait le maximum pour soutenir et aider la présidence.
Dans ce contexte, pour permettre d’arriver à un traité constitutionnel, j’ai rappelé au Premier ministre quelles étaient nos principales préoccupations. D’abord une présidence stable du Conseil européen, c’est-à-dire une élection à la majorité qualifiée pour deux ans et demi, par exemple, renouvelables une fois. Un Président exerçant ses fonctions à temps plein, un Président, le Premier ministre l’a souligné en utilisant un mot anglais mais auquel je souscris, qui soit un Président « chairman ».
Deuxièmement, une Commission forte, si possible avec, à sa tête, un Président élu par le Parlement européen et qui puisse avoir les moyens d’organiser et de gérer son équipe.
Troisièmement, une extension aussi large que possible du vote à la majorité qualifiée car naturellement plus on est nombreux et plus la majorité qualifiée s’impose si l’on veut éviter les blocages. Et, enfin, un ministre des affaires étrangères européen qui puisse donner une meilleure cohérence et une meilleure impulsion à l’action extérieure de l’Union.
Nous avons également évoqué d’autres sujets, notamment les questions de justice et d’affaires intérieures puisque, à Thessalonique, nous allons faire le point sur les engagements que nous avions pris à Séville, notamment en matière d’immigration, d’asile et de contrôle aux frontières.
Nous avons également évoqué l’initiative de la présidence grecque, à laquelle la France apporte son appui le plus total, concernant le sommet des pays des Balkans occidentaux, la Grèce ayant une espèce de vocation naturelle à être un peu le porte-parole de cette région du monde face à l’Union européenne. Il faut renforcer l’engagement de l’Union européenne dans cette région. C’est le seul moyen d’y implanter la paix et la démocratie.
J’ai évoqué également avec la présidence grecque la nécessité, en accord avec la Commission et sur proposition de la Commission, de conclure sur l’affaire du Fonds Mondial pour la Santé, c’est-à-dire contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme. Notre souhait, c’est qu’on puisse confirmer un milliard de dollars pour le Fonds.
Enfin, nous avons évoqué, naturellement, les questions internationales d’actualité qui feront l’objet du dîner de travail, notamment l’Irak, le Proche-Orient. Voilà les principaux sujets que nous avons évoqués. Je dirai enfin qu’entre la Grèce et la France, il y a une cohérence dans les positions et une volonté de faire du sommet de Thessalonique un succès, ce qui n’est pas évident aujourd’hui, mais nous ferons tout pour que ce soit une réalité demain.
M. SIMITIS - Je remercie le Président Jacques CHIRAC pour ces éloges, si je puis dire, mais je dois dire aussi que, si nous avons réussi, c’est parce que la France nous a aidés, elle nous a aidés pendant une période de crise qui n’était pas facile à gérer.
Comme vous avez entendu, le sujet crucial du Conseil européen de juin est la suite qu’on doit donner à la Convention. Il y a quelques pays qui disent qu’il faut continuer à discuter parce qu’on n’a pas trouvé, en ce moment, de compromis. La présidence n’est pas d’accord, il faut qu’il y ait suite, il faut qu’à Thessalonique on prenne les décisions sur la Conférence intergouvernementale, il faut aussi décider que cette conférence se termine avant les élections européennes de juin 2004 parce que les Européens doivent connaître le projet de nouvelle Constitution avant de voter. Il faut aussi s’engager et réussi à bâtir une Union plus efficace, c’est là le problème. Cela signifie qu’on doit avoir une Constitution pour l’Europe et cela signifie aussi qu’il faut prendre en considération les travaux de la Convention qui ne sont pas un travail parmi d’autres, mais le cadre pour la discussion après le Conseil européen deThessalonique.
Je le répète, il faut qu’il y ait une Europe efficace, une Europe qui agisse vite et c’est nécessaire car le monde change de plus en plus vite. Il ne s’agit pas seulement de s’adapter. Ce que nous voulons de l’Europe, c’est que l’Europe soit le leader, c’est que l’Europe donne le ton au changement dans le monde d’aujourd’hui. Nous voulons une Europe adaptée au monde, non une Europe qui est adaptée aux petits intérêts des Etats membres. Merci.
QUESTION - Vous avez dit que le succès n'était pas évident à Thessalonique. Est-ce que vous espérez malgré tout parvenir à un accord ? Et également la même question à Monsieur SIMITIS.
M. SIMITIS - J'ai visité jusqu'à présent quatorze capitales, Paris est la quinzième capitale. Je rencontre ce soir Valéry GISCARD d'ESTAING. D'après ces discussions, je vois qu’il est très probable que nous ayons un accord sur ces questions mais il faut faire un travail très important jusqu'à Thessalonique. Le Président doit trouver le compromis et il doit y avoir un consensus de la plupart des membres de la Convention pour qu'ils se mettent tous d'accord et que le résultat de la Convention, le projet de la Constitution, soit le cadre de la discussion. C'est cela le point principal. Ce n’est pas facile encore à réaliser parce que, si on ne tombe pas d'accord sur le cadre, alors on commencera une discussion sur tous les points et cela va durer des mois et des ans. Et nous ne le voulons pas, il faut finir.
LE PRÉSIDENT - Je n'ai rien à ajouter à ce qu'a dit le Premier ministre Costas SIMITIS. Je partage entièrement son opinion. Nous avons la détermination d'aboutir mais il est évident que c'est une affaire difficile. Je compte sur la sagesse historique de la Grèce pour nous inspirer.
M. SIMITIS - Et la sagesse française pour nous aider.
QUESTION - Je voudrais parler de la monnaie européenne et son rapport avec le dollar. Il est vrai que ces derniers temps, nous n'arrêtons pas de voir que l'euro monte et que le dollar baisse. Etes-vous d'accord que ceci peut être dangereux ?
M. SIMITIS - Je me rappelle que nous avons échangé nos monnaies contre l'euro. Après quelques jours, l'euro est tombé. Alors, en Grèce, je ne sais pas en France, mais en Grèce on disait : vous avez échangé votre monnaie qui vraiment n'était pas forte contre une nouvelle monnaie qui n'est pas forte non plus. Maintenant que l'euro monte, les mêmes gens disent : mais l'euro ce n'est pas une bonne monnaie, c'est une monnaie trop forte, il ne faut pas qu'il y ait une monnaie trop forte. Les monnaies montent, les monnaies tombent, c'est l'histoire du dollar, c'est l'histoire des monnaies européennes. Il n'y a pas de grands dangers mais quand même il faut qu'on s'adapte aux situations. Alors, je crois que la décision que la Banque Centrale européenne a prise de diminuer les taux d'intérêt est une décision juste, en ce moment. Il faut aussi faire attention pour voir quel impact de l'euro fort a sur les exportations mais je dirais que ce sont des problèmes d’une gestion normale de la monnaie.
LE PRÉSIDENT - Je suis tout à fait d'accord et je n'ajouterai qu'un mot. Nous l'avons d'ailleurs évoqué au G8, et le Président SIMITIS était là, nous avons tous été d'accord sur une évidence : la stabilité des changes est essentielle pour la croissance.
QUESTION - Monsieur le Président, vous avez dit que vous alliez évoquer à Thessalonique les questions internationales, dont naturellement le Moyen-Orient. Vous avez vu le Président BUSH avant son départ pour le Moyen-Orient, comment vous évaluez maintenant la situation et les perspectives, et est-ce que l'Europe peut faire quelque chose pour pousser ?
LE PRÉSIDENT - Nous espérons que l'horizon se dégage un peu et nous avons bien entendu tous, à Evian, apporté notre soutien et confirmé notre espoir au Président BUSH pour les réunions de Charm-El-Cheikh et d'Aqaba. Alors, nous avons observé ces résultats avec, je dirais, espoir mais un espoir qui a encore besoin d'être confirmé.
L'Europe, à l'évidence, ne serait-ce que par sa connaissance de ces régions, par sa tradition, par sa culture, par sa volonté de paix très fortement affirmée, et d'une paix équilibrée, l'Europe doit jouer son rôle aux côtés des Américains, dans le cadre du Quartet. Et elle le jouera.
M. SIMITIS - Je suis complètement d'accord. Au sommet que nous avions eu à Bruxelles, nous avions eu une discussion sur cette question et les Etats membres avaient donné mission à Monsieur SOLANA et à la Présidence, pour que le Quartet présente la feuille de route, et pour que les Palestiniens et l'Etat d'Israël l’acceptent.
Alors, ce pas est fait maintenant et c'est quelque chose d'important, mais cela ne suffit pas naturellement. C'est le début, il faut faire un très grand effort pour qu'il y ait une suite.
LE PRÉSIDENT - Je vous remercie.
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