Bruxelles, Belgique, le vendredi 17 octobre 2003
LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs, nous venons de terminer cette réunion et je voudrais d’abord remercier la présidence italienne. Vous savez, je vais vous dire, c’était un exercice difficile. Nous sommes maintenant nombreux et la gestion d’un Conseil avec un tel nombre de participants, qui a presque doublé, est délicate et elle exige un peu de rodage.
On pouvait craindre effectivement des difficultés, chacun voulant s’exprimer. Chacun voulant le faire assez longuement et ceci n’étant pas compatible avec les délais impartis. Il fallait donc de la part de la présidence, devant cette situation, je dirais tout de même nouvelle, cette gestion nouvelle du Conseil, à la fois beaucoup de finesse et cela, on sait bien que c’est une des qualités des Italiens. Par ailleurs, il fallait beaucoup de détermination pour arriver au terme de la discussion, dans des conditions convenables. Et cela a été le cas. C’est important, car c’est un pas psychologiquement décisif dans la gestion des futurs Conseils européens à vingt-cinq, vingt-huit, trente. Donc, je le répète, je tiens à féliciter la présidence italienne.
La deuxième remarque que j’ai faite au cours de cette réunion, notamment par rapport à la réunion de lancement de la CIG, le 4 octobre dernier à Rome, c’est qu’au fond, l’expression des divergences de vue des uns et des autres, par rapport à la Convention, aux conclusions de la Convention, cette expression s’est, je dirai, atténuée. Chacun ayant, probablement, depuis le 4 octobre, pris conscience de la nécessité qu’il y avait d’arriver le plus rapidement possible, et de préférence avant la fin de l’année, à un accord. Et qui dit accord, dit naturellement limitation des périodes d’affrontement.
Chacun a bien entendu fait état de ses propres préoccupations, de ses réserves sur tel ou tel sujet, notamment pour ce qui concerne la Commission, sa composition, ou pour ce qui concerne la majorité qualifiée, la double majorité, je veux dire. Mais j’ai eu le sentiment que chacun l’avait fait avec la modération qui est aujourd’hui nécessaire si l’on veut atteindre l’objectif.
Il en va de même, d’ailleurs, pour la relance économique de l’Europe. Sur la proposition de la présidence italienne que nous avons discutée -je ne rentre pas dans les détails, sauf pour répondre à telle ou telle question, vous avez tous les conclusions, nous avons là aussi ressenti un sentiment qui globalement était le suivant : il y a des signes précurseurs de reprise économique dans le monde et en Europe. Ces signes précurseurs devront naturellement être confirmés.
Il y a là un point d’interrogation mais ils supposent d’être encouragés. Et dans ce contexte, une initiative de l’Union européenne, une initiative de croissance, est sans aucun doute positive. Tout le monde l’a facilement admis et en a facilement admis les modalités qui vont maintenant être arrêtées par le Conseil ECOFIN, en liaison avec la Commission et la Banque européenne d’investissement.
Voilà, si vous le voulez, les impressions que j’ai retirées de ce Conseil qui, je le répète, était un exercice un peu ingrat et qui s’est déroulé, de mon point de vue et j’ai une certaine expérience des Conseils européens, dans des conditions positives.
QUESTION - C’est un jour très spécial, Monsieur le Président, dans l’histoire des relations franco-allemandes. Vous représentez aujourd’hui le gouvernement de l’Allemagne et non seulement celui de la France. Pour les cent millions de gens qui parlent allemand, je voudrais donc vous poser une question en allemand. Monsieur le Président, qu’est-ce que vous avez fait aujourd’hui pour l’Allemagne ? Quels sont les propos que vous avez prononcés pour l’Allemagne et les arguments que vous avez présentés pour l’Allemagne ?
LE PRÉSIDENT - Je voudrais vous dire, cher Monsieur, que votre présentation des choses est un peu sollicitée. Je ne représentais pas le Chancelier ou l’Allemagne. Le Chancelier ayant été dans l’impossibilité aujourd’hui -de même que le vice-Chancelier-, d’être présent à cette réunion qui devait adopter les conclusions des discussions d’hier, il m’avait demandé de faire part des réflexions qui étaient les siennes, au sujet de ces conclusions.
C’était naturellement un témoignage de confiance et d’amitié auquel j’ai été très sensible et je me suis donc limité, à sa demande, à faire les observations qui m’avaient été demandées au nom de l’Allemagne. Il se trouve d’ailleurs que ces observations étaient très exactement identiques à celles que la France entendait faire. Je n’ai donc eu aucune difficulté à m’exprimer, à faire valoir le sentiment du Chancelier et à m’exprimer au nom de la France, que là je représentais, ce qui a permis d’être cohérent et de faire aboutir les demandes que nous avions présentées en commun.
QUESTION - Monsieur le Président, une question franco-française concernant la CIG. Avez-vous eu l’impression, hier matin, que la situation était vraiment bloquée ? A-t-on des chances d’avoir un accord d’ici la fin de l’année, compte tenu des positions, pour les moins radicales, des Espagnols et des Polonais ?
LE PRÉSIDENT - Cher Monsieur, je n’ai jamais eu le sentiment que la situation était bloquée. J’ai assisté avec beaucoup d’attention, vous l’imaginez, à la réunion de Rome, au Conseil d’ouverture de la CIG à Rome. Et pour être très franc, lorsque le lendemain, j’ai pris connaissance des commentaires qui étaient faits par les uns ou les autres, les journalistes, les politiques, etc., je n’ai pas retrouvé l’impression que j’ai eue. Je n’ai rien dit. Mais j’ai eu le sentiment qu’on avait systématiquement souligné d’un trait noir des observations ou un climat qui n’était pas celui que moi j’avais ressenti. C’est une première observation.
J’étais très attentif, hier aussi, vous l’imaginez. Je vous ai dit tout à l’heure que je trouvais que les choses allaient dans le bon sens. Je veux dire psychologiquement. Mon impression, qui n’avait pas été négative, en tous les cas, beaucoup, beaucoup moins que ce qui avait été rapporté après Rome, était confirmée hier. Je trouve que l’évolution se fait dans le bon sens.
Voilà ce que j’ai ressenti. L’avenir prochain dira qui avait tort et qui avait raison. Mais je vous le dis très franchement, je suis assez optimiste sur le caractère raisonnable des uns et des autres et sur la prise de conscience de chacun que c’est un grand enjeu et que, naturellement, chacun doit y mettre du sien pour que l’on puisse aboutir et aboutir vite. C’est l’intérêt général. Et à une formule aussi proche que possible de celle de la Convention, ce qu’aujourd’hui, je crois, pratiquement tout le monde reconnaît.
QUESTION - Monsieur le Président, il reste aujourd’hui une certaine ambiguïté s’agissant de la position des Britanniques sur la défense européenne. Est-ce que vous avez retrouvé hier, de la part de M. Tony BLAIR, l’état d’esprit qui était, je pense, le sien lors de la rencontre de Berlin, s’agissant notamment de la création d’une cellule de planification, autrement dit du quartier général européen ?
LE PRÉSIDENT - Vous vous souvenez que nous avons, je crois que c’est le 29 avril, pris une initiative, les Allemands, les Français, les Luxembourgeois et les Belges qui n’était en aucun cas un coup de force à l’égard de quiconque, mais qui était une proposition faite à l’ensemble de nos partenaires pour structurer et organiser la défense européenne. Cette initiative a donné lieu à un certain nombre de commentaires plus ou moins fondés, et naturellement un peu exacerbés par le climat général de l’époque, c’est-à-dire l’affaire iraquienne.
Nous sommes restés -nous quatre-, sur la même position. Nous nous en sommes entretenus avec les Britanniques, le Chancelier et moi pour essayer de convaincre le Premier ministre britannique de s’associer à notre démarche. Pour une raison simple, c’est que la défense européenne sans l’Angleterre, il faut bien le reconnaître, ce n’est pas très cohérent. C’est d’ailleurs ce qui nous avait amenés à nous entendre à Saint-Malo et ensuite dans les différentes initiatives jusqu’à Cologne.
Cette position pose incontestablement des problèmes à nos amis britanniques. Problèmes que nous pouvons comprendre. Nous les avons évoqués très franchement, hier, avec nos partenaires britanniques, belges, luxembourgeois et allemands. Nous poursuivons nos discussions. Je ne peux pas vous en dire plus. Nous souhaitons que les coopérations structurées nous permettent de créer une défense européenne qui d’une part, soit totalement ouverte à tous, il n’est pas question de rejeter quiconque voudrait adhérer et qui deuxièmement, soit tout à fait cohérente avec les engagements que nous avons vis-à-vis de l’OTAN. Pas de question non plus sur ce point. Mais néanmoins, nos amis britanniques ont des réserves pour ce qui concerne la création d’un état major de planification et d’opération.
Nous poursuivons notre discussion mais nous sommes, nous, décidés à poursuivre cette mise en oeuvre car nous pensons qu’il n’y aura pas d’Europe si elle n’a pas aussi une capacité de défense qui soit, je le répète, ouverte à tous et cohérente avec ses engagements avec l’OTAN.
QUESTION - Monsieur le Président, le Premier ministre, il y a quelques jours, a confié qu’il était favorable à une ratification de la Constitution européenne par référendum. Et vous, est-ce votre avis ? Avez-vous pris votre décision là-dessus ?
LE PRÉSIDENT - Cher Monsieur, c’est une question qui n’est pas d’actualité. Une telle décision ne pourra être prise qu’après la signature du nouveau traité en fonction de son contenu et, en toute hypothèse, après l’entrée définitive des nouveaux participants à l’Union européenne, c’est-à-dire après le 1er mai 2004. C’est donc, je le répète, une question qui n’est absolument pas d’actualité.
Nous sommes aujourd’hui dans le temps de la négociation. Et nous verrons quel sera l'accord final sur le traité constitutionnel. Je vous signale qu'en toute hypothèse, j'ai l'intention, compte tenu de l'importance de ce sujet pour l'Europe et pour la France, d'inviter les responsables politiques, des partis politiques représentés au Parlement pour, non pas discuter de ce sujet, mais pour informer les partis politiques, pour les consulter aussi sur le déroulement de la conférence intergouvernementale. Je leur exposerai à cette occasion les positions que la France a retenues, les objectifs que nous poursuivons au sein de la CIG. Je souhaite que ces consultations puissent intervenir avant la fin de ce mois. Le gouvernement, par ailleurs, tiendra le parlement informé de l'évolution des négociations.
QUESTION - Monsieur le Président, les conclusions parlent de la fixation éventuelle de quotas de travailleurs étrangers. M. PRODI a par ailleurs évoqué les droits civils et politiques des immigrés en situation légale. Quel est votre sentiment sur ces deux questions ?
LE PRÉSIDENT - Il y a eu d'abord un rapport qui a été lancé par la Commission, sous sa responsabilité et sans que les conclusions de ce rapport, que nous ne connaissons pas, n'engagent, naturellement, les parties, c'est-à-dire les pays, les Etats, sur l'opportunité ou non de prévoir des quotas. Quelques pays, peu nombreux me semble-t-il, ont exprimé un avis plutôt favorable à un système de quotas. D'autres, plus nombreux m'a-t-il semblé, ont exprimé un avis défavorable. Parmi ceux qui ont exprimé un avis défavorable au système de quotas dans son principe, il y avait l'Allemagne et la France. Ceci étant, nous n'avons pas d'objection à une étude faite par la Commission dans ce domaine mais, je le répète, elle n'engage que la Commission. La position de la France, de l'Allemagne et d'un certain nombre d'autres pays est, a priori, hostile au système même des quotas.
QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que vous avez l'impression aujourd'hui que la fracture créée l'année dernière concernant l'affaire iraquienne est comblée au niveau de l'Europe, surtout après le vote hier de la résolution au Conseil de sécurité et par ailleurs, quelles sont les conclusions du sommet concernant le Proche-Orient ?
LE PRÉSIDENT - Concernant le Proche-Orient, je n'ai, hélas, rien de plus à dire que ce qui a été dit, et que vous pourrez lire dans les conclusions du sommet, c'est-à-dire un sentiment de pessimisme et une volonté de participer à un effort permettant de retrouver, par la voie de la négociation et de la concertation le chemin de la paix tout en étant bien conscient de la très grande difficulté de ce chemin.
Pour ce qui concerne les divergences de vue qui ont existé et qui globalement, existent encore, au sein de l'Union européenne pour la situation en Iraq, je dirais que les choses ont évolué non pas sur le fond, chacun ayant pour les arguments qu'il a développés, conservé son sentiment sur l'approche qui a été retenue à l'égard du problème iraquien. En revanche, chacun est conscient du fait que la situation est mauvaise, qu'elle se dégrade et que tout doit être fait pour essayer de l'améliorer. Et que pour améliorer cette situation, il faut d'abord essayer de ne pas donner l'image d'une communauté internationale divisée, quels que soient les arguments des uns et des autres. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, même si personne n'avait tout à fait satisfaction, la résolution a été votée à l'unanimité, hier, au Conseil de sécurité.
QUESTION - Monsieur le Président, vous avez évoqué la collaboration ou la coopération franco-allemande lors de ce sommet. Est-ce que vous pourriez vous imaginer que dans une situation semblable, les choses se fassent d'une manière réciproque, c'est-à-dire que le Chancelier allemand défende les intérêts de la France ici à Bruxelles, au nom et à la place du Président français ?
LE PRÉSIDENT - Naturellement. Si les mêmes circonstances se reproduisaient en sens inverse, la même conclusion en serait tirée par les deux parties. Mais je me permets de vous rappeler à nouveau que le Chancelier ne m'a pas demandé de le représenter, que je ne représentais pas l'Allemagne. J'étais, en quelque sorte, le porte-parole d'un Chancelier absent, comme il pourrait être le porte-parole d'un Président français, pour une raison ou pour une autre, valable, absent.
QUESTION - Monsieur le Président, est-ce que vous vous êtes senti bien conseillé par les conseillers ou le conseiller politique du Chancelier que nous avons vu à vos côtés ce matin ?
LE PRÉSIDENT - Le conseiller politique du Chancelier était à mes côtés, à ma demande. J'ai même dû faire une intervention auprès de la présidence pour obtenir un quatrième fauteuil puisque, comme vous le savez, nous étions déjà trois, le ministre français des Finances, celui des Affaires étrangères et moi-même. Je dois dire qu’avec beaucoup de gentillesse et de compréhension, la présidence nous a accordé un quatrième fauteuil. C'est donc à ma demande que se trouvait le conseiller du Chancelier à côté de moi. Je vais vous dire, j'en ai été très heureux ! Parce que j'ai beaucoup d'estime pour ce conseiller, beaucoup. C'est un homme compétent et intelligent. J’'étais sûr qu'il ne trahirait pas la pensée du Chancelier et que je serais instantanément bien informé, en fonction des réactions du Conseil.
QUESTION - Monsieur le Président, une affaire transatlantique : la décision de refuser l'accord avec la justice américaine sur Executive Life vous a été attribuée, à tort ou à raison. Pourquoi avez-vous pris cette décision et ne craignez-vous pas qu'elle vienne envenimer un climat qui, entre la France et les Etats-Unis, reste quand même difficile ?
LE PRÉSIDENT - Il s'agit là d'un contentieux qui remonte à plus de dix ans. Plusieurs entreprises françaises, dont le Crédit Lyonnais, ont été mises en cause. Le gouvernement français, et lui seul parce que c'est sa vocation, défend les intérêts financiers de l'Etat, de l'Etat qui a hérité des engagements de l'ancien Crédit Lyonnais, après la crise très grave que cette banque a connue au début des années 90. L'Etat avait signé un accord en septembre et il a considéré, le gouvernement a considéré, qu'il ne pouvait accepter que cet accord soit remis en cause quelques jours après avoir été signé. Je peux le comprendre. Au nom des intérêts financiers de l'Etat, le gouvernement continuera à rechercher activement un accord qui soit, cette fois, définitif avec les autorités américaines.
Je vous remercie.
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