Palais de l'Élysée, le vendredi 2 juillet 2004
LE PRÉSIDENT - Mesdames, Messieurs, je n'ai pas besoin de dire que j'étais très heureux de recevoir, à l'occasion de ce 23ème sommet franco-italien, le Président du Conseil, mon ami Silvio BERLUSCONI et les membres éminents de son Gouvernement. Je leur souhaite la plus cordiale des bienvenues ; bienvenue aussi aux journalistes italiens, français ou étrangers qui sont venus pour ce point de presse.
Ce sommet a lieu au lendemain de décisions importantes qui ont été prises sur le plan européen, je dirais même d'une situation historiquement nouvelle, si l'on tient compte à la fois de l'élargissement et de la décision concernant la Constitution. Un travail qui a été difficile, ce qui était normal, et qui a été d'abord accompli par la Présidence italienne. J'ai tenu à rendre hommage à la Présidence italienne qui, partant d'un sujet difficile malgré une bonne base qui était celle de la Convention, a livré à la Présidence irlandaise un dossier en excellent état. Et je rends aussi hommage à la Présidence irlandaise qui a été très bonne pour arriver à une conclusion.
Je me suis également réjoui de la décision que nous avons prise en commun pour élire le Président de la Commission, en la personne de Monsieur BARROSO et le futur ministre des Affaires étrangères de l'Union, en la personne de Monsieur SOLANA.
Enfin, je voudrais dire que je me suis réjoui de la décision, prise à l'unanimité, de signer ce traité constitutionnel à Rome, c'est-à-dire en faisant, en quelque sorte, un deuxième traité fondateur après celui de 1957. Je sais que cela tenait à coeur au Gouvernement et au Président du Conseil italien et je me suis réjoui que cela puisse avoir lieu et être décidé ainsi.
S'agissant des sujets que nous avons traités sur les affaires européennes, vous le savez, il y a une grande cohésion entre la position italienne et la position française dans pratiquement tous les domaines. Cela s'était exprimé pour la réforme constitutionnelle et nous avons décidé de continuer la main dans la main sur la voie de l'Europe.
En particulier, à l'occasion de la définition du prochain budget européen 2007-2014 sur lequel nous avons une approche identique, dans la mesure où nous sommes dans une situation identique. Nous sommes tous les deux des contributeurs importants et, par ailleurs, nous sommes tous les deux les principaux contributeurs au chèque britannique. Donc, là encore, cohérence dans nos actions.
Dans le domaine de la défense, nos deux pays coopèrent de façon exemplaire, ils coopèrent sur le terrain, dans les Balkans et en Afghanistan, dans des conditions qui sont tout à fait parfaites au niveau de nos armées. Nous coopérons également sur le plan technique, en particulier avec la mise au point qui progresse dans de bonnes conditions des frégates multi-missions qui vont doter nos armées d'un outil moderne, économique et probablement générateur d'exportations importantes dans l'avenir. Autre domaine de coopération militaire, celui de l'observation, de nos capacités d'observation spaciale, et de capacités de recherche dans les domaines de hautes technologies. Madame la ministre italienne chargée de la Recherche et son collègue français ont fait un point très positif de notre coopération dans ce domaine.
En matière de sécurité, nous avons une action très bien coordonnée de lutte contre l'immigration clandestine et, en particulier, je voudrais souligner le succès de nos patrouilles communes et aussi de notre surveillance maritime commune. Deux domaines importants et sur lesquels notre coopération est parfaite. Par ailleurs, nos relations économiques sont excellentes, les investissements italiens en France et les investissements français en Italie sont considérables, de l'ordre de dix-sept millards de stock, je crois, d'euros et à peu près équivalents, à peu près égaux. D'autre part, pour ce qui concerne la France, l'Italie est le quatrième client et le deuxième fournisseur, c'est dire l'étroitesse de nos relations économiques et leur importance. Là encore, nous n'avons pas de divergences de vues. Il en va de même pour un certain nombre de projets qui sont importants pour nos deux pays, je pense aux liaisons transalpines. Nous nous sommes félicités des progrès et notamment de l'accord qui est intervenu pour la répartition des financements italiens, français et européens pour le LYON-TURIN.
Il en va de même, je l'ai dit tout à l'heure, pour la coopération spatiale et pour l'aéronautique pour lesquelles nous pouvons encore avoir l'ambition, aussi bien dans le transport que dans la fabrication des avions, d'avoir une coopération plus étroite et qui se développera dans l'avenir.
Par ailleurs, nos pays sont évidemment confrontés à des défis similaires, qu'il s'agisse du développement économique, qu'il s'agisse des réformes de l'Etat, qu'il s'agisse notamment des retraites, des problèmes sociaux ou des problèmes d'assurance maladie. Nous avons pensé qu'un échange constant au niveau de nos gouvernements, de nos réflexions, de nos ambitions, de nos efforts, de nos réformes était utile et c'est dans cet esprit que nous avons décidé un Séminaire gouvernemental régulier. Le premier aura lieu au mois de septembre ou d'octobre et il se tiendra d'ailleurs en Italie.
Enfin, nous avons entendu le rapport des deux co-présidents du premier Forum franco-italien qui est une instance que nous avons voulu mettre au point pour faciliter le dialogue et la concertation entre les responsables de la société civile. Nous n'avons pas été déçus par les rapports que nous avons entendus et qui pourront fournir à nos gouvernements d'utiles voies de réflexion et de décision.
Voilà ce que nous avons fait. L'Italie et la France, nations soeurs, si proches par le coeur, par l'histoire, par la culture, doivent toujours construire ensemble et notamment dans le domaine européen, et c'était bien l'esprit de notre réunion de ce matin.
M. BERLUSCONI - Merci, Monsieur le Président. Comme toujours, on peut passer directement aux questions parce que le Président a déjà tout dit et encore plus que tout. Mais je veux souligner le fait que la volonté italienne d'une collaboration avec la France, que nous voyons comme notre deuxième patrie, est totale.
Ce matin, nous avons trouvé que nos ministres ont très bien travaillé. J'en remercie tous les ministres du gouvernement de Jean-Pierre RAFFARIN. Et nous avons entendu avec plaisir tous les progrès que nous avons faits dans les différentes collaborations. Nous espérons pouvoir progresser encore plus et en constatant cette volonté qui nous est commune et qui nous portera à avoir des résultats très positifs pour nos deux pays et pour nos deux peuples.
Merci encore, Monsieur le Président, pour l'accueil, pour l'hospitalité. Et je peux dire en public que j'ai aussi eu l'occasion de faire une invitation à tous les ministres pour venir dans une maison qui est en terre française.
LE PRÉSIDENT - De style et de goût italien !
M. BERLUSCONI - C'est le minimum. Merci à tout le monde de leur collaboration. Nous voulons progresser dans cette collaboration qui, jusqu'à ce moment, a déjà donné des résultats très importants. Seulement une chose encore à dire, on se retrouvera le 20 novembre, je pense, à Rome dans le même Palais et dans la même salle, pour la signature du traité constitutionnel. Ce sera la salle dans laquelle on a signé le traité de Rome de 1957. On aura aussi l'occasion de confronter nos opinions sur tous les grands problèmes qui concernent l'Europe après l'élargissement, après tout ce qui est en train de se passer dans le monde entier et qui doit intéresser l'Europe. Nous voulons la même chose, être parmi les protagonistes de ce qui se passe dans le monde.
LE PRÉSIDENT - Merci, cher Ami.
QUESTION - Selon des journaux arabes, un groupe lié à Al-Qaïda aurait menacé l'Europe avec de nouveaux attentats dans les semaines, dans les mois à venir. Est-ce que la France et l'Italie prennent cette nouvelle menace au sérieux ? Et si oui, est-ce qu'on doit augmenter le niveau d'alerte ?
M. BERLUSCONI - On a déjà un niveau d'alerte très élevé. Nous prenons au sérieux ces menaces et nous avons accordé une attention totale sur ce qu'on désigne comme les objectifs sensibles. Pour ce qui concerne l'Italie, nous sommes presque à 14 000 objectifs qui sont contrôlés par nos forces de l'ordre.
LE PRÉSIDENT - J'ai la même réponse. La France prend aussi très au sérieux tout ce qui pourrait menacer, au titre du terrorisme, le territoire national ou le territoire européen. Nous sommes à un degré d'alerte très important. Troisièmement, nous avons une coopération extrêmement développée et qui s'est beaucoup accrue au cours de ces deux dernières années, non seulement entre l'Italie et la France, mais également entre les principaux pays européens et leurs partenaires, en particulier américains et russes. Et nous faisons le maximum dans ce domaine.
QUESTION - J'aurais souhaité vous poser une question sur l'affaire BATTISTI, puisqu'au-delà de la décision de la cour d'appel de Paris, il vous appartiendra d'enclencher ou non une procédure d'extradition à l'égard de Cesare BATTISTI. On aurait aimé savoir, si possible, qu'elles étaient vos intentions, et dans l'hypothèse où vous décideriez que M. BATTISTI doit être extradé, qu'est-ce qui justifierait, aujourd'hui, la modification d'une politique qui était en vigueur, en France, depuis vingt ans ?
LE PRÉSIDENT - M. BATTISTI a été condamné, c'était, je crois, en 1993, définitivement, par la justice italienne, pour plusieurs assassinats et crimes de sang. S'agissant de la question de son extradition, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris y a donné une suite favorable. Cette décision a fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour de cassation et vous comprendrez que j'attendrai la décision de la justice, c'est-à-dire celle de la Cour de cassation ,pour faire connaître la position de la France.
Quant à ce que vous avez appelé "la doctrine française" qui avait été exprimée à cette époque, je crois que c'était en 1985 par mon prédécesseur, M. François MITTERRAND. Je voudrais rappeler que le Président MITTERRAND avait pris position, à cette époque, en 1985, alors que la loi italienne, à tort ou à raison, je n'ai pas de jugement à porter, faisait l'objet de débats notamment sur le plan européen en raison, je dirais, d'une certaine passion qui existait et que l'on pouvait comprendre à cette époque en Italie. Depuis 1989, la loi italienne a changé et elle a été définitivement jugée par la Convention européenne des Droits de l'Homme comme parfaitement respectueuse des exigences des Droits de l'Homme. C'était donc un élément nouveau, évidemment considérable, et c'était la situation en 1993 lors du procès auquel vous faites allusion.
Maintenant, je voudrais simplement ajouter que, sur le plan général, nous sommes aujourd'hui dans un espace judiciaire européen, un espace judiciaire commun. Et si une personne a été condamnée, pour des crimes de nature terroriste, en particulier dans une démocratie et un Etat de droit, il est évidemment de notre devoir et de notre responsabilité de répondre favorablement à une demande d'extradition.
QUESTION - Vous vous êtes toujours opposé à la politique d'isoler M. Yasser ARAFAT, tout en rappelant qu'il est le Président élu des Palestiniens. Cette position est-elle partagée par les Européens, je m'adresse à cet égard à M. BERLUSCONI, M. le Premier ministre italien ?
M. BERLUSCONI - Il s'agit d'un sujet sensible, délicat qui concerne le rôle de M. ARAFAT dans la situation actuelle des relations entre Israël et la Palestine. Je dois dire que je connais bien M. ARAFAT que j'ai rencontré à plusieurs reprises. J'ai également apporté ma contribution au processus de paix avant d'entrer en politique, à titre tout à fait personnel. Et il y a eu des moments où j'ai eu des doutes concernant sa détermination à parvenir à la paix avec Israël et il s'agissait d'éléments que j'ai vérifiés. Par exemple, ce qui était enseigné sous la Présidence de M. ARAFAT dans les écoles palestiniennes aux jeunes palestiniens. Donc, une école de la haine.
A partir de ce moment-là, on a commencé à avoir des doutes sur le fait qu'il serait possible de parvenir à une négociation de paix avec Israël sous la tutelle de M. ARAFAT. Nous n'avons pas donné de suite négative à nos doutes, mais nous avons simplement insisté et nous continuons de le faire auprès de son Premier Ministre pour que, du côté palestinien, on puisse envoyer des signaux qui permettent de marquer une volonté réelle de paix. L'Italie a toujours essayé de servir d'intermédiaire entre les Israéliens et les Palestiniens puisqu'on a fait l'hypothèse d'un plan Marshall pour la reconstruction d'un Etat palestinien. Après la conclusion de la paix, la ville de Erice s'était prêtée pour apporter son soutien.
Ce que nous souhaitons réellement c'est que M. ARAFAT et ses collaborateurs ainsi que la population palestinienne veuillent aller vraiment vers la paix. Nous insistons également auprès de M. SHARON et de sa population pour que cela soit également vrai du côté israélien. Cette blessure au Moyen-Orient est quelque chose de très grave et cela a un impact négatif sur le monde musulman et arabe au sens large. Nous ne pourrons pas surmonter ce problème, ce choc des civilisations si nous n'arrivons pas à un processus de paix au Moyen-Orient. C'était notre position et cela le reste.
QUESTION - Je voudrais connaître votre appréciation, vos sentiments s'agissant du procès qui a commencé hier et la mise en accusation qui a eu lieu hier contre l'ex-président iraqien Saddam HUSSEIN.
LE PRÉSIDENT - Laissons maintenant la justice iraqienne continuer son action.
M. BERLUSCONI - Et de mon côté, même chose. Nous avons donné au gouvernement d'Iraq sa souveraineté, donc il faut qu'il exerce sa souveraineté, selon les lois de ce nouvel état d'Iraq.
Merci.
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