Mahajanga (Madagascar) - jeudi 21 juillet 2005
M. MARC RAVALOMANANA – Mesdames et Messieurs, bonjour. En mon nom personnel et au nom de tout le peuple malgache, j'aimerais souhaiter la bienvenue,
en terre malgache, à la délégation française dirigée par le Président de la République, Jacques CHIRAC. Nous sommes très émus car vous êtes venu ici, à
Madagascar, deux fois dans une année et, vous aussi, vous avez constaté les résultats ce matin.
Nous sommes là pour le point de presse et sommes prêts à répondre à vos questions si vous en avez à nous poser. Nous voulons vous dire que la relation entre la France et Madagascar est en bonne santé. Le ciel est bleu. Vous savez que même la construction du marché de Mahajanga, aujourd'hui, pour 10 millions d'euros, illustre la relation entre Madagascar et la France. Je vous souhaite bonne chance, et aussi à la communauté de Majunga, au Maire, au Chef de région, le PDS, je vous souhaite grand succès pour la réalisation de ce grand projet, parce que c'est unique à Madagascar. Monsieur le Président, je vous remercie encore pour cette décision, parce que c'est très important pour les Malgaches d'avoir la sécurité alimentaire surtout dans une région chaude comme ici, à Majunga, mais avec des richesses naturelles énormes. Je vous passe la parole.
LE PRESIDENT – Merci, Monsieur le Président. Je voudrais d'abord exprimer au Président RAVALOMANANA mes sentiments d'estime, de reconnaissance et d'amitié. D'estime pour l'action courageuse et efficace qu'il mène pour implanter la démocratie et faciliter le développement dans son grand et beau pays. Courageuse, parce que la tâche n'est pas facile et il sait qu'il peut compter sur l'aide de la France, comme d'ailleurs sur l'aide de l'Union européenne et, plus généralement, des grands pays développés qui y ont exprimé clairement, notamment à l'occasion du dernier G8, leur confiance dans l'action actuellement conduite à Madagascar.
Je voudrais saluer également les représentants des autorités régionales et locales de Majunga, saluer les représentants français et, en particulier, les élus de la Réunion et de Mayotte en raison des relations très fraternelles, très chaleureuses qui se développent entre Madagascar, la Réunion et Mayotte.
Mais je voudrais surtout, c'est encore à mes yeux beaucoup plus important, exprimer à la population de Majunga ma reconnaissance. J'ai été profondément ému, sensible, touché de l'accueil qui nous a été réservé. Profondément impressionné par toute cette jeunesse qui était là, au bord de la route, qui nous conduisait jusqu'à la ville et qui exprimait par ses regards, son sourire, par son comportement une joie et une confiance dans l'avenir. Et je me disais : « soyons attentifs à ne pas décevoir cette jeunesse ». C'est vrai à Madagascar, c'est vrai dans l'ensemble de l'Afrique. Cette jeunesse qui monte et qui risque, dans quelques années, de s'apercevoir qu'elle est laissée un peu au bord de la route de la grande aventure humaine, qu'elle ne bénéficie pas de ce minimum qui est dû à tous les jeunes de la planète en matière d'éducation, de soin, de formation, de travail. Et gare, alors, aux réactions de cette jeunesse, par ailleurs, parfaitement informée de ce qui se passe dans le monde en raison du développement des grands médias.
C'était une observation que je fais régulièrement quand je vais en Afrique et que je bénéficie de cet accueil traditionnel de l'Afrique, mais qui était encore plus forte, aujourd'hui, à Majunga en regardant tous ces jeunes qui, manifestement, respirent la confiance et qu'il ne faut pas décevoir. C'est un problème fondamental pour le monde de demain.
Pourquoi Majunga, aujourd'hui, à l'invitation du Président et dans le cadre des excellentes relations que le Président a évoqué et qui sont celles de Madagascar avec la France ? Parce que je souhaitais effectivement découvrir cette ville superbe et historique, mais également parce qu'elle est un peu exemplaire de cette coopération moderne dans laquelle interviennent à la fois l'Etat malgache, les régions et les collectivités décentralisées sur lesquelles le gouvernement malgache se fonde pour développer l'économie de Madagascar, dans le cadre d'une démocratie qui s'enracine de plus en plus. C'est aussi un exemple de coopération décentralisée avec la France, d'une part, qui apporte son aide technique et financière et avec une région française, l'Alsace, l'IRCORD Alsace qui également contribue à la réalisation d'un équipement moderne et nécessaire ici, qui est le grand marché de Majunga et qui, dans dix-huit mois, aura doté cette ville des moyens nécessaires à son expansion économique et commerciale.
Sur le plan de nos relations, elles sont excellentes, comme l'a rappelé le Président. La France appuie la politique de démocratisation et de développement économique et humain ouvert sur l'ensemble du monde qui est celle du Président RAVALOMANANA. Des mesures importantes ont été prises récemment dans le cadre de la communauté internationale pour répondre aux besoins légitimes de Madagascar, notamment l'annulation de la dette bilatérale et multilatérale, la modernisation de nos dispositifs de coopération bilatérale franco-malgache, l'appui constant apporté par la France auprès des institutions financières internationales et auprès de l'Union européenne pour aider Madagascar. Et nous continuerons, naturellement.
Nous avons une excellente relation justifiant l'importance de la France dans l'économie malgache. La France est le premier investisseur, le premier client de Madagascar, le premier partenaire économique. Plus de 600 entreprises françaises travaillent à Madagascar et je note que, de plus en plus, la confiance conduit un certain nombre d'investisseurs français à se diriger vers Madagascar. Je ne parle pas seulement de ceux qui sont à Madagascar, mais de ceux qui, en France, s'intéressent de plus en plus à Madagascar. Nous apprécions beaucoup la politique d'ouverture aux investissements étranger ; la France ne souhaite pas du tout avoir une situation privilégiée dans ce domaine à Madagascar. Tout ce qui développe Madagascar est utile pour Madagascar mais aussi pour le reste de l'économie mondiale. Nous sommes tout à fait favorables à la politique actuellement conduite dans ce domaine par le gouvernement malgache.
Nous avons également parlé avec le Président RAVALOMANANA, au cours de nos entretiens d'aujourd'hui, des grandes questions internationales. J'ai rendu compte au Président des conclusions du Sommet du G8 sur le plan, notamment, de l'aide publique au développement et plus particulièrement de l'aide au développement de l'Afrique et des perspectives retenues à ce sujet.
Nous avons évoqué longuement notre position qui est d'ailleurs commune en ce qui concerne la prochaine réunion pour les Objectifs du Millénaire à New York, au mois de septembre. Nous avons, de ce point de vue, une position commune notamment pour soutenir, d'une part l'augmentation de l'aide publique au développement, et notamment pour les 50% qui sont la part africaine de cette aide publique, et aussi pour le lancement de financements innovants pour compléter une aide publique au développement qui, sans cela, ne pourra pas atteindre les Objectifs du Millénaire s'il n'y a pas un complément. Ce complément doit être recherché par des financements innovants. Nous sommes, Madagascar et la France, tout à fait sur la même ligne. C'est celle que nous avons définie, il y a un an, avec le Président LULA et que nous avons ensuite développée et qui a fait un pas, je l'espère, décisif au G8 et qui permettra d'être définitivement mise en œuvre à l'occasion du Sommet de New York, à l'ONU.
Nous avons évoqué l'effort à faire, compte tenu de l'exceptionnelle richesse écologique de Madagascar, et j'ai pu rendre compte au Président de ce que nous avions fait dans ce domaine également au G8.
Nous avons évoqué la situation politique de l'Afrique et le soutien que nous devons apporter à la modernisation de la gestion et de la gouvernance de ce grand continent, à la résolution d'un certain nombre de crises et de problèmes qui s'y trouvent et un soutien en particulier à la fois à l'Union africaine et du NEPAD.
Enfin, nous avons évoqué le Sommet Afrique-France qui aura lieu en décembre, à Bamako, où nous nous retrouverons. Et en clair, c'est une parfaite cohérence dans nos positions réciproques tant sur le plan culturel, social qu'économique et politique que nous avons soulignée, le Président malgache et moi. Je m'en réjouis et je le remercie encore de m'avoir donné l'occasion de ce merveilleux voyage, ici, à Madagascar et à Majunga.
QUESTION - Monsieur le Président, il y a une chose un peu douloureuse entre Madagascar et la France, c'est un peu un tabou national, d'ailleurs, ce sont les massacres de 1947. Est-ce que vous avez l'intention de dire quelque chose à ce sujet publiquement ? Et, est-ce que le Président malgache veut bien aussi réagir, si vous dites quelque chose, en tout cas ?
M. MARC RAVALOMANANA – Je crois que vous m'avez posé cette question à l'aéroport et comme je vous l'avais dit, ceci est l'ombre pour l'avenir des générations futures. Je pense toujours aux améliorations pour la génération des Malgaches. Effectivement, on ne peut pas oublier ce qui s'était passé. Vous savez bien que, dans l'histoire du monde, il y a toujours l'histoire.
Mais actuellement, je vous dis franchement que nous sommes dans le sens du développement et du renforcement des relations bilatérales entre la France et Madagascar. Donc, nous nous concentrons dans le bien-être de la population malgache, et surtout pour l'avenir de notre génération. C'est à nous de sauver la population malgache qui était en difficulté avec la situation économique interne et externe que nous ne pouvons pas contrôler, comme le prix du pétrole ou bien le prix du riz. Mais nous sommes ici pour affronter les problèmes. C'est pour cela que nous sommes Présidents. Donc, je vous dis que pour moi, ce n'est pas un blocage de travailler ensemble. Mais je suis né en 1949 et non pas en 1947. Donc que je n'étais même pas enfant, c'est un peu difficile !
LE PRESIDENT – Je vais parfaitement évoquer, ce soir, ce sujet car je considère qu'il n'y a aucune raison de ne pas tenir compte de l'histoire, de vouloir ignorer tel ou tel aspect d'une évolution. Nous devons être conscients des bons moments et des mauvais moments de nos relations et les assumer. Alors, cela ne veut pas dire indéfiniment nourrir de l'aigreur ou de la haine. Cela n'a pas de sens.
Mais l'histoire est ainsi faite d'affrontements et de réconciliations. Elle n'est pas faite automatiquement d'oublis. Je respecte, par conséquent, les événements, qu'ils aient été heureux ou malheureux. J'aurais l'occasion de le préciser et je ne considère pas qu'on doive les oublier.
QUESTION – Monsieur le Président, parmi les innombrables banderoles que l'on a pu lire sur le parcours du cortège, ce matin, l'une était ainsi libellée : « bienvenue, Monsieur le Président -cela s'adressait donc à votre visiteur-, mais sachez que tout ce qui brille n'est pas d'or ». Je suis allé m'entretenir avec le petit groupe qui avait déposé cette banderole et leur ai demandé ce qui motivait la rédaction de cette formule. Ils m'ont répondu : « la vie quotidienne est difficile, nous avons des problèmes pour manger ». Est-ce que vous sentez que vous êtes, aujourd'hui, en mesure de faire face aux difficultés pour les plus humbles de vos compatriotes, liées à la hausse du prix du riz, de l'eau et de l'électricité ?
M. MARC RAVALOMANANA - Vous savez bien que pour avoir des vies heureuses, il faut toujours passer par des moments plus difficiles. On n'a jamais des vies heureuses tout de suite, ou riches. Comme je vous l'ai dit, la situation économique actuelle connaît des problèmes. Il y a des problèmes sur le plan mondial, à cause du prix du pétrole, à cause de l'augmentation de la demande de la Chine. Et cela aussi nous permet de favoriser le développement rural. Donc, ce n'est pas possible d'avoir des vies faciles, d'avoir le prix du riz très bas, et aussi de construire des routes, d'effacer les dettes, ce n'est pas facile. Donc je suis sûr et certain que la population -vous l'avez vu tout à l'heure, il y avait deux cent mille personnes sur le bord des routes-, j'ai confiance en elle et ils ont confiance en moi, je suis certain qu'ils comprennent ça.
Vous savez que le prix du riz à Madagascar est le même qu'en Thaïlande ou encore en Chine. Actuellement, le cours mondial est de 284 dollars, et le prix actuel à Madagascar est de 2000 à 2500. Donc, vous savez que Madagascar travaille aussi avec les bailleurs de fonds, pour suivre le plan cadre macroéconomique du FMI. Ce ne sont donc pas la population, mais bien de « petits groupes » dont vous parliez tout à l'heure qui disent cela. La population, elle, est souriante, jeune, et a encore confiance en l'avenir. Et nous avons des ressources énormes à Madagascar. Ce que nous allons faire, c'est créer le marché, organiser le travail et aider les communes et les régions. Je ne peux pas vous dire qu'il faut descendre le prix du riz à 2000, 2500 ou 3000 : à ce moment-là, c'est le producteur, soit 80% des Malgaches qui est victime aussi. Donc ce n'est pas ce qui plait à la population, ce que l'on fait, mais c'est ce qui est bien pour eux.
LE PRESIDENT - Si vous me permettez d'ajouter simplement un point. Madagascar a incontestablement, dans les années passées, enregistré une espèce de blocage. Un blocage de vingt-cinq ou trente ans, c'est très difficile à surmonter, ça ne passe pas tout seul et en quelques années. Je crois que ce qu'il faut souligner, c'est que l'orientation actuelle de Madagascar -qui est, me semble-t-il, fondée sur trois exigences : décentralisation, démocratie et développement- correspond à une grande ambition et à une vocation pour cette population et pour ce pays. Je crois qu'elle est bien engagée -mais elle ne va pas régler tous ses problèmes du jour au lendemain-. Elle a su tout de même inspirer suffisamment confiance à la population pour que celle-ci, manifestement, adhère à ce projet. Mais surtout -je ne veux pas faire d'ingérence dans les affaires intérieures de Madagascar ni porter de jugement-, je constate que Madagascar a su créer un climat de confiance à l'extérieur, fort et indiscuté sur le plan international. Ceci au niveau des pays qui sont ses partenaires, et notamment des grands pays qui sont ou peuvent devenir des partenaires de Madagascar, et deuxièmement dans les institutions internationales. Aujourd'hui, la voix de Madagascar est écoutée et entendue, je l'ai observé encore lors du dernier G8. Et elle est écoutée et entendue simplement parce que les orientations sur lesquelles se fondent les autorités malgaches, c'est-à-dire, je le répète, décentralisation, démocratie et développement- correspondent à l'évidence à ce que l'extérieur, la communauté internationale pense être justifié et utile pour Madagascar. C'est pourquoi je suis parmi ceux dans la communauté internationale qui font confiance aujourd'hui à Madagascar.
QUESTION – Une question sur Danone. Est-ce qu'une intervention des pouvoirs publics est envisageable face aux projets de rachat par Pepsi Cola ?
LE PRESIDENT – Pardon de cette question purement nationale française, mais si vous le permettez··· D'abord, je ne souhaite pas faire de commentaires sur des rumeurs de marché, vous le comprendrez. Néanmoins, s'agissant d'une grande entreprise française comme Danone, je suis, avec le gouvernement, particulièrement vigilant et particulièrement mobilisé. Ceci d'autant plus que la priorité pour la France, aujourd'hui, c'est de défendre sa compétitivité industrielle, et naturellement la force de ses entreprises.
QUESTION – Monsieur le Président, l'opposition de Madagascar a dit avoir déposé une demande d'audience auprès de vous. Est-ce que vous comptez y répondre favorablement ?
LE PRESIDENT – Je ne suis pas encore informé de cette demande, mais mon emploi du temps ne me permettra probablement pas de les recevoir moi-même. Mais des membres de mon gouvernement ici feront naturellement le nécessaire ; nous sommes ouvert à tout débat démocratique avec l'opposition, le cas échéant.
QUESTION – Le différend entre la France et Madagascar concernant les frontières maritimes entre la Réunion et la Grande Ile a été réglé par un accord signé à la Réunion il y quelques semaines. Qu'en est-il des Iles Eparses ···?
LE PRESIDENT – C'est un sujet que nous allons aborder tout à l'heure avec le Président, sur lequel je ne ferai pas de commentaire aujourd'hui. Vous connaissez la position de la France : elle veut une négociation et une discussion franches et amicales, dans le respect de ses intérêts historiques et traditionnels.
QUESTION – Etant donné que le cadre théorique de la politique étrangère française a évolué depuis une décennie, notamment avec l'aide publique au développement, comment la France appréhende-t-elle aujourd'hui la position stratégique de Madagascar ? Et pensez-vous que toutes les aides et coopérations satisfont les objectifs d'une politique étrangère qui, traditionnellement, protège les intérêts de la France à Madagascar ?
LE PRESIDENT – Je vous ai dit tout à l'heure que nous évoluons avec l'histoire, et nous avons modifié notre système de coopération pour le rendre à la fois plus proche des besoins des pays avec lesquels nous coopérons, plus proche des ambitions des gouvernements de ces pays, plus conforme aux évolutions internationales. C'est vrai pour Madagascar comme pour l'ensemble des pays avec lesquels nous avons des liens de coopération. C'est d'ailleurs dans cet esprit que nous avons un ministre de la coopération, qui est présent ici, qui s'est beaucoup investi dans cette modernisation de notre politique de coopération, ce qui était nécessaire parce que l'histoire change et qu'il faut évoluer avec elle. Ce que nous souhaitons, s'agissant de Madagascar, c'est d'être dans le cadre d'un Madagascar ouvert, parce que tout ce qui permet le développement est pour nous favorable. C'est d'avoir une coopération aussi forte et bonne que possible, permettant le développement à Madagascar dans un contexte de démocratie, ce qui est l'ambition des autorités malgaches. Tout ceci se faisant naturellement en totale négociation. Notre accord de coopération, nous sommes en train de le négocier actuellement et nous ne l'imposons pas : nous le négocions avec les autorités malgaches, comme avec un certain nombre d'autorités d'autres pays, notamment africains.
Merci beaucoup.
|