LE PRESIDENT – Mesdames, Messieurs, je voudrais d'abord remercier chaleureusement le Président POUTINE, le Chancelier SCHROEDER, le Président ZAPATERO d'avoir accepté mon invitation à venir pour cette réunion à quatre, dans le cadre notamment de la préparation du Sommet Union européenne-Russie qui, vous le savez, aura lieu le 10 mai prochain.
La relation Union européenne-Russie a été au cœur de nos entretiens. La Russie, l'Allemagne, l'Espagne, la France voient dans cette relation entre l'ensemble russe et l'ensemble européen la clé de l'enracinement définitif de la paix, de la démocratie, de l'état de droit sur notre continent.
Nous souhaitons que le Sommet Union européenne-Russie du 10 mai soit un grand succès et permette l'adoption des feuilles de route relatives à la mise en œuvre des quatre espaces que nous avions définis à Saint-Pétersbourg et que nous sommes en train d'achever ensemble, de négocier. Elles conditionnent en quelque sorte la relation entre nos deux grands ensembles.
Libre-circulation des personnes, rapprochement des normes et des droits de l'homme, renforcement de la coopération et des échanges entre les universités, les laboratoires de recherche, les hommes et les femmes de culture, rapprochement de nos pratiques en matière économique et commerciale, actions conjointes au service de la paix sur l'ensemble de l'Europe et dans d'autres parties du monde où nous avons vocation à intervenir dans le sens de la paix, voilà quelques uns des objectifs ambitieux que nous avons la volonté d'atteindre par cette démarche commune des quatre espaces. C'est une orientation importante car elle témoigne de notre volonté de construire ensemble une communauté de destins entre l'Union européenne et la Russie.
Des efforts d'adaptation seront naturellement nécessaires de part et d'autre pour y parvenir. Il faudra du temps pour atteindre nos objectifs, mais nous sommes déterminés à travailler dans cette direction, ensemble, tout simplement parce que c'est la voie de la paix et de la démocratie dans l'ensemble de la grande Europe.
Nous évoquerons tout à l'heure, à l'occasion d'un dîner de travail, les questions internationales. Je ne ferai, à ce stade, que deux remarques. Tout d'abord pour souligner que nos Etats ont apprécié la volonté manifestée par les Etats-Unis de reprendre, dès le début du deuxième mandat du Président américain, le dialogue d'une part avec la Russie, d'autre part avec les membres de l'Union européenne.
Nous partageons également la même volonté de voir les relations transatlantiques d'une part, russo-américaines d'autre part, contribuer à un ordre international plus sûr, plus juste et plus respectueux de sa diversité.
Pendant le dîner, nous évoquerons aussi les problèmes relatifs à l'Europe, notamment l'Ukraine, le Kossovo. Nous évoquerons les problèmes de la négociation que nous avons avec l'Iran dans le domaine nucléaire ; la relance, naturellement, du processus de paix au Moyen-Orient ; les nouvelles institutions irakiennes et également le problème actuel que connaît le Liban avec la nécessité d'appliquer la décision internationale de mise en œuvre de la résolution 1559. Et de ce point de vue, nous avons adopté un communiqué commun qui vous a été ou qui va vous être distribué, sur le Liban. Un communiqué qui, comme l'ensemble de la communauté internationale, insiste sur la nécessité impérieuse de mettre en œuvre la résolution 1559.
Et, pour être tout à fait complet, je rappelle que nous avons eu ce matin et à l'occasion du déjeuner une rencontre bilatérale avec le Président POUTINE, c'est-à-dire que nous avons évoqué les problèmes plus spécifiquement entre la Russie et la France. Nous avons évoqué dans le meilleur esprit tous les problèmes qui sont à l'ordre du jour entre nos deux pays.
Je vais maintenant, si vous le voulez bien, donner la parole d'abord au Président POUTINE, puis au Chancelier SCHROEDER et après au Président ZAPATERO. Ensuite, chacun d'eux prendra l'initiative de proposer ou de répondre à telle ou telle question qui serait posée par les journalistes ici présents, que je salue et que je remercie bien amicalement d'être venus pour notre réunion.
LE PRESIDENT POUTINE - Monsieur le Président, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs. Aujourd'hui, nous avons organisé la première rencontre quadripartite. C'est-à-dire que sont présents ici les dirigeants de la France, de l'Espagne, de l'Allemagne et de la Russie. Vous savez parfaitement qu'il existe un format franco-allemand et ensuite un format franco-allemand et russe. Maintenant, l'Espagne va participer à cet exercice. Bien sûr, tous nos pays sont en faveur des principes multilatéraux pour trouver des solutions aux problèmes internationaux et nous espérons que le format quadripartite permettra de renforcer la stabilité, la coopération, et permettra de développer un processus d'intégration en Europe.
Notre objectif commun c'est d'avoir un ordre de justice et de démocratie et nous sommes en faveur de la primauté du droit international, du respect de tous sur un pied d'égalité et ceci concerne tous les Etats. Je dirais qu'un des sujets principaux, c'est développer un dialogue entre la Russie et l'Union européenne, Monsieur le Président vient d'en dire quelques mots. Une fois de plus, nous avons confirmé que nous sommes en faveur d'un partenariat à long terme et multilatéral et nous sommes en train de préparer le Sommet Russie-Union européenne qui aura lieu au mois de mai, à Moscou, en Russie. Nous sommes très actifs pour préparer ce sommet avec la Commission européenne, nous allons aussi envisager des réunions d'experts. La réunion d'aujourd'hui est extrêmement importante pour nous : nous comptons sur le soutien de nos respectés collègues de la France, de l'Allemagne et de l'Espagne pour justement faire avancer ces documents, et j'espère que cela nous permettra de signer une feuille de route qui permettra d'adopter les quatre espaces communs.
D'autre part, la Russie s'intéresse à la prévisibilité, la transparence des processus économiques, nous voudrions que notre continent soit florissant, soit prospère, nous voudrions éviter des stéréotypes et des lignes de division, donc je pense qu'il nous faut œuvrer de concert. Les objectifs que nous nous sommes fixés, à mon avis, doivent être atteints; nous voulons coopérer avec des organisations régionales et avec tous les Etats intéressés.
En conclusion, je voudrais remercier mes collègues pour ce dialogue parfaitement constructif. Il y avait une atmosphère, un climat informel qui, à mon avis, nous a permis de très bien travailler et je crois que tout cela est dans l'intérêt de la très grande Europe. Je voudrais tout particulièrement remercier nos hôtes français pour avoir si bien organisé ce sommet. Je voudrais remercier tout particulièrement Monsieur CHIRAC de nous avoir donné la possibilité aujourd'hui d'aller voir le centre de contrôle aérien de Taverny. Je crois effectivement que cela a été une visite, un petit voyage fort intéressant et j'ai de cette façon vu de quelle manière la France se défend. Et nous voudrions que ces efforts soient développés non seulement au niveau bilatéral, mais que cela existe aussi au niveau de l'OTAN et avec l'Union européenne surtout dans le domaine de la défense. Nous voulons effectivement renforcer nos relations et nous sommes en faveur de travaux communs dans ce domaine. Merci beaucoup.
LE CHANCELIER SCHROEDER - Je pense que nous avons montré que l'Union européenne d'une part, et que la Russie d'autre part, doivent relever deux grands défis. Le premier de ces défis est d'ordre économique : il s'agit de la mondialisation et de tous les problèmes associés à la mondialisation. L'autre défi, c'est la politique étrangère.
Quel est l'enjeu ? Le Président CHIRAC vient de vous le dire. Sachant que nous n'arriverons à relever ces défis que si nous travaillons de façon plus étroite que de par le passé, nous pensons que l'Union européenne et la Russie doivent bâtir un partenariat stratégique et le développer de plus en plus. C'est cela que nous voulons, et l'Union européenne veut œuvrer pour l'aboutissement de ce projet. Dans le domaine de la politique énergétique et dans d'autres domaines économiques, vous savez que la Russie est un fournisseur extrêmement solide, qui contribue dans une très large mesure à l'approvisionnement en énergie de l'Europe. Nous avons tout intérêt à renforcer et à développer cette coopération de façon à ce qu'elle s'étende également à l'exploration, à la distribution et à d'autres secteurs tout aussi importants.
Nous avons déjà commencé à travailler sur la résolution de problèmes internationaux, les Européens et les Russes sont présents dans le Quartet qui s'occupe des problèmes du Moyen-Orient. Et nous travaillons également de façon extrêmement étroite sur le dossier iranien. Nous essayons de convaincre les Iraniens qu'ils ne doivent ni produire, ni posséder des armes nucléaires. Là, nous travaillons, comme je vous l'ai dit, de façon extrêmement étroite.
Le dixième Sommet Union européenne-Russie va être un sommet particulièrement important, car il nous permettra de redynamiser notre coopération sur le plan culturel, sur le plan économique, sur le plan de la sécurité intérieure et extérieure. Je crois donc que ce type de rencontre est extrêmement utile, en tous cas, c'est vraiment ma conviction personnelle et je remercie notre hôte.
LE PRESIDENT- Merci, Monsieur le Chancelier. Le Président du Gouvernement espagnol.
LE PRESIDENT ZAPATERO - Merci beaucoup, Monsieur le Président CHIRAC. Tout d'abord j'aimerais exprimer ma satisfaction pour avoir pu participer à cette rencontre avec les leaders de la France, de l'Allemagne et de la Russie. Je crois que ceci représente une étape supplémentaire dans l'engagement européen de mon gouvernement, de l'Espagne et dans notre engagement d'être en première ligne du projet de l'Union européenne.
Sans aucun doute, l'Union européenne a une vision très large et cette vision représente sa volonté d'établir des relations avec tous ses voisins, des relations qui sont importantes avec une puissance aussi importante que la Russie. C'est la raison de cette réunion, et cette réunion a pour objectif de contribuer à la signature de l'accord entre l'Union européenne et la Russie au mois de mai, à Moscou.
Sous l'angle économique, sous l'angle de la sécurité collective pour l'Europe et pour le monde, il est très important de renforcer une alliance entre l'Union européenne et la Russie. Et des réunions comme celle d'aujourd'hui, contribuent à ce renforcement. J'aimerais également exprimer tous mes remerciements pour ma participation à cette réunion, remercier le Président CHIRAC de son aimable invitation. Un des accords auxquels nous sommes parvenus dan le cadre de cette rencontre et qui au plan économique revêt une très grande importance, c'est la tenue d'une réunion des ministres de l'énergie des quatre pays et des experts. Une réunion qui va étudier la situation énergétique dans le cadre de l'Union européenne, bien entendu, ce sujet est tout à fait important pour l'Espagne et pour nos pays respectifs. Je crois que ceci est tout à fait important, compte tenu de ce que représente la Russie en matière de réserves, en matière d'exploitation et en matière de possibilités énergétiques pour le futur. Cette réunion se tiendra à Moscou, à l'invitation du Président POUTINE d'ici deux mois.
Pour terminer, j'aimerais féliciter le Président CHIRAC d'avoir pris cette initiative. L'Espagne souhaite apporter toute sa volonté européenne, toute sa capacité de coopération car, en ce qui me concerne, je suis profondément convaincu qu'une Europe ouverte, une Europe qui coopère avec la Russie, c'est une Europe qui se positionne mieux pour les citoyens européens et également mieux pour les citoyens du monde.
Merci beaucoup.
LE PRESIDENT – Merci, Monsieur le Président. Je vais d'abord laisser le soin à M. ZAPATERO de donner la parole à une personne, puis au Chancelier, puis à M. POUTINE, puis à moi et on recommencera. Monsieur ZAPATERO vous choisissez une question.
QUESTION – Je voudrais vous demander, après cette réunion, la première de ce type à laquelle vous participez, non pas avec le Chancelier SCHROEDER et Monsieur le Président CHIRAC, mais avec le Président POUTINE, c'est-à-dire les quatre ensemble, est-ce que vous avez l'impression que les problèmes ou les conflits aussi importants que la Tchéchénie peuvent trouver une solution ? Ou est-ce que vous conseillez que cette solution passe par le dialogue ? En parlant de dialogue, j'aimerais parler de la polémique en Espagne après le retrait de la statue de FRANCO, est-ce que vous pensez qu'il subsiste une certaine division entre les Espagnols et est-ce que certains de vos homologues ont fait référence à cela ?
LE PRESIDENT ZAPATERO – Je vais commencer par votre deuxième question. Il y a peu, les Espagnols ont ratifié la Constitution européenne. Nous sommes dans une Espagne de valeurs européennes, de valeurs de démocratie et de valeurs de liberté. J'aimerais souligner qu'il est impensable que dans un pays européen il subsiste des souvenirs, à caractère public ou collectif, de dictateurs. Je dirais même plus qu'il y a des pays qui interdisent l'utilisation de symboles ou de souvenirs de dictateurs. Donc, à cet égard, l'Espagne est au-delà de cela. Nous sommes tout à fait à l'opposé d'autres pays. Nous sommes en train de parler de démocratie, de valeurs démocratiques, de démocratie et de liberté. Nous ne parlons pas ni de gauche, ni de droite. Et c'est ce que je pense en la matière. Bien entendu, je respecte les opinions que chacun a pu exprimer.
En deuxième lieu, j'aimerais dire que c'est la deuxième réunion que j'ai avec le Président POUTINE, non pas dans le cadre d'une réunion quadripartite, j'ai eu avec lui une réunion à Moscou. Et à cette occasion, nous n'avons pas parlé dans la conversation à ce stade mais peut-être au cours du dîner, il connaît tout à fait mes principes pour ce qui est du respect de la politique intérieure de chaque pays. Je crois que c'est un principe que nous devons tous partager. Il sait que la lutte contre le terrorisme exige une coopération internationale, que nous souffrons des événements qui se sont produits dans l'école de Beslan en Russie. J'ai toujours dit que le meilleur moyens pour combattre le terrorisme, c'est la force de la raison, c'est la force de l'état de droit et c'est la coopération internationale.
LE PRESIDENT - Une question s'adressant plutôt au Chancelier.
QUESTION – J'ai deux questions à poser qui s'adressent notamment à Messieurs POUTINE et SCHROEDER. Monsieur POUTINE, demain vous allez vous rendre en Ukraine. Le ministre allemand des Affaires étrangères va se rendre en Ukraine avec son collègue polonais. En ce moment, on parle beaucoup de coordination des politiques. Je souhaiterais savoir s'il y a eu une concertation, si vous avez parlé en commun, si vous avez parlé ensemble des problèmes qui se posent et s'il va être possible d'aider l'Ukraine à éviter une scission du pays et à bâtir une société civile. Y a-t-il donc une coordination ou pas ?
Deuxième question qui n'a strictement rien à voir avec la première. Moi, quand je vous regarde, ce sont les trois pays de EADS et la Russie qui sont présents. Lors de la réunion de Toulouse, vous aviez dit qu'il serait bon d'associer la Russie à EADS, lorsqu'on avait parlé de l'Airbus 380. Maintenant, vous nous dîtes qu'il est important de renforcer les liens de coopération économique. Alors, est-ce que vous avez abordé la question parce qu'au fond, c'était l'occasion rêvée et est-ce que vous avez des perspectives ?
LE CHANCELIER SCHROEDER – On ne devait pas forcément en parler. Il y a une coopération entre EADS d'une part, et d'autre part, des sociétés aéronautiques, des fournisseurs et là, effectivement, nous voulons renforcer la coopération. Donc, j'avais fait une allusion et je crois qu'elle a déjà été comprise. Dans ce secteur, je suis persuadé que la coopération marchera parfaitement bien.
Concernant l'Ukraine, maintenant. Vous savez que le Président ukrainien vient d'effectuer un voyage en Allemagne. Je l'ai entendu dire avec grand plaisir qu'il souhaitait, d'une part, avoir des relations étroites avec l'Union européenne, et c'est d'ailleurs ce que nous allons faire, et d'autre part, qu'il souhaite avoir des relations étroites, des relations de confiance avec la Russie. Il nous a dit que l'Ukraine avait un partenariat éternel avec la Russie. Je n'ai absolument aucune raison de mettre en doute ses propos. Je crois que nous avons tous intérêt à avoir une Ukraine stable qui pourra travailler de façon très étroite avec l'Union européenne. Je suis sûr que cela débouchera sur des nouvelles perspectives, sachant que sur le plan économique et sur le plan politique, l'Ukraine souhaite coopérer étroitement avec la Russie. Donc, vouloir évoquer des problèmes dans les relations qui ne se sont pas réellement fondés, moi je ne vois pas pourquoi on devrait en parler.
Lorsque mon ministre des Affaires étrangères va quelque part, en général je le sais. Je suis informé d'abord avant son voyage, et on parle de ce qu'il va faire. Et moi aussi, je le fais avec lui, quand c'est moi qui me déplace, bien sûr.
LE PRESIDENT POUTINE - En ce qui concerne notre coopération dans le domaine spatial et dans le domaine de l'aviation, le Chancelier, aujourd'hui, a fait une excellente proposition, à savoir réunir les efforts de nos spécialistes qui, actuellement, élaborent un système de navigation, GLONAS, et le système européen GALILEO.
Je crois que c'est une possibilité très intéressante. Nous pourrions travailler ensemble parce qu'il s'agit d'un domaine hautement technologique. Nous avons déjà procédé à d'excellents travaux dans ce domaine. Nous pouvons maintenant aller de l'avant et essayer de mettre en commun nos efforts pour créer des hélicoptères lourds qui n'existent pas. Sur la base de notre Mi 26, nous coopérons avec plusieurs pays européens en matière d'aviation militaire, d'aviation de combat. Je crois qu'il y a de bonnes perspectives. Je ne parle pas actuellement de techniques soviétiques d'avions de combat, je parle de projets futurs. Je crois que nous avons d'excellentes perspectives aussi pour créer un aéronef à moyenne distance. Je pense que tout cela est extrêmement positif, puisqu'il s'agit de hautes technologies et je pense que nous pourrions très sérieusement établir des bases de travaux communs.
Maintenant, en ce qui concerne l'Ukraine. Vous avez posé une question qui induit l'idée d'une sorte de rupture. Eh bien, je pense que, tout d'abord, il ne faut pas du tout mentionner ce terme de rupture, cette possibilité de fracture en fait. Il ne faut pas obliger tel ou tel à se prononcer en faveur de tel ou tel événement. Personne n'y a intérêt sur ce point. Je ne pense pas que, sur le territoire européen, il convient de créer une situation importante déstabilisante.
La Russie a des relations particulières avec l'Ukraine. Particulières, en ce sens qu'habitent beaucoup de Russes en Ukraine. Vous savez, une famille sur deux en Ukraine a des parents ou des relations amicales avec les Russes, avec la Russie. Nous avons une immense coopération dans le domaine économique. Par exemple dans certains domaines, les économies ukrainienne et russe ne peuvent pas exister si elles n'existent pas ensemble.
Il faut que vous le sachiez, nous n'avons pas de préférence en ce qui concerne telle ou telle force politique parce que, tout simplement, nous sommes en faveur d'un développement de coopérations sur un pied d'égalité avec l'Etat ukrainien et avec le peuple ukrainien. D'ailleurs, je l'ai déjà dit mais je peux le répéter, nous sommes contre le fait que des décisions ne trouvent pas une solution en respectant le droit.
Prenons un autre exemple, la Géorgie. Là, l'occident a activement, pendant de très longues années, appuyé le Président CHEVARDNADZE. Pourquoi, fallait-il, avec une révolution, l'écarter ? Mais quelqu'un appuyait, et pourquoi, cela était le cas ? Alors, je pense que toutes les questions doivent être résolues dans le droit et dans le cadre de la constitution en vigueur. Ce n'est que dans ces conditions qu'on ne parlera pas de fracture au sein d'un pays.
Donc, nous ferons de notre mieux pour appuyer les dirigeants d'Ukraine et nous ferons en sorte que notre influence soit bien comprise pour éviter toute crise politique.
QUESTION – Ma question s'adresse au Président de la République mais aussi au Président du gouvernement espagnol et au Chancelier allemand. Monsieur
le Président de la République, comment comptez-vous mobiliser les Français pour un "oui" au référendum à la Constitution européenne ?
Monsieur le Chancelier allemand et Monsieur le Chef du gouvernement espagnol, est-ce que vous comptez être présents dans ce débat en France, lors de la campagne ?
LE PRESIDENT – Conformément aux institutions de notre pays, j'ai souhaité que les Français se prononcent directement, par voie de référendum, sur cette nouvelle Constitution européenne. Si je l'ai fait, c'est parce que je considère que c'est un choix essentiel pour notre pays au sein de l'Europe, et pour l'Europe et la défense de ses valeurs, de ses intérêts au sein du monde qui s'organise pour demain. Pour vous dire la vérité, je fais tout à fait confiance à nos concitoyens pour qu'ils discernent l'intérêt qui est le leur, celui de notre pays, et celui de leurs enfants et petits-enfants dans une Europe qui soit pacifique, démocratique, respectueuse des droits de l'homme pour demain.
J'entends que certains font campagne pour rejeter ou refuser ce Traité constitutionnel. Je ne discerne pas très bien les raisons qui peuvent justifier leur choix ou leur option. On se plaint parfois, et à juste titre, que nos institutions ne soient pas tout à fait efficaces et que, par voie de conséquence, les autorités de Bruxelles prennent parfois trop de pouvoirs. Précisément, la Constitution permet d'adapter un système qui était obsolète, parce qu'il avait été fait pour une Europe plus petite avec un moins grand nombre de participants, aux exigences d'une Europe à vingt-cinq, c'est-à-dire d'une Europe qui s'étend sur un territoire où elle veut assurer la paix, la sécurité, les droits de l'Homme, le développement économique et le progrès social.
C'est comme je ne vois pas très bien si ceux qui veulent le "non" à cette Constitution, cela veut dire qu'ils veulent que l'on reste dans la situation actuelle. Nous serions d'ailleurs probablement tout à fait isolés avec tout ce que cela comporterait, bien entendu, comme conséquences pour la France et pour sa capacité à défendre ses intérêts.
Donc, je le répète, je fais tout à fait confiance à nos concitoyens pour s'exprimer dans le sens des intérêts qui sont ceux des Français, qui sont ceux de l'Europe et qui sont ceux de la paix, de la stabilité, de la démocratie, des droits de l'homme et du développement économique et du progrès social dans le monde de demain.
LE CHANCELIER SCHROEDER - Je pense que tout le monde sait que l'Europe a besoin de la France et que la France a besoin de l'Europe. C'est quelque chose dont vous pouvez vous rendre compte par vous-même. Nous sommes intimement convaincus que les Français comprendront ce lien et voteront "oui" à la Constitution. Si on m'invitait à participer au débat, et si j'en avais le temps, évidemment, j'accepterais volontiers l'invitation, sans aucun problème.
LE PRESIDENT ZAPATERO - En effet, je suis déjà invité pour participer à la campagne sur le référendum en France et je m'y rendrai avec plaisir. Je le ferai pour défendre et argumenter pour le "oui" car j'ai une conviction européenne profonde en la matière, une conviction européenne qui m'a conduit à prendre la décision de retirer les troupes d'Irak en son heure. J'ai une conviction européenne, car je crois qu'une Europe plus unie est une garantie de l'élargissement de la démocratie à l'ensemble du monde. Je crois également qu'une Europe plus unie est garante de la paix, de la légalité internationale des Nations Unies et de la lutte contre la faim et la pauvreté.
Je me sens fier d'appartenir à l'Europe, d'appartenir à une Union qui, depuis le début de sa construction, a connu une situation de paix. Et je suis fier d'appartenir à une Union à laquelle participent les pays qui contribuent le plus à la lutte contre la pauvreté, contre la misère et la faim de par le monde. C'est la raison pour laquelle je vais défendre le "oui", tout en respectant, bien entendu, les partisans du "non", et ça c'est l'essence des principes européens mêmes.
QUESTION - Question qui s'adresse à Monsieur POUTINE, à Monsieur SCHROEDER et à Monsieur CHIRAC. En ce qui concerne le dossier nucléaire iranien, pouvez-vous répondre à la question suivante : après que la troïka ait obtenu certains succès en Iran, ce qui a permis de réduire la pression et la tension, en particulier en ce qui concerne nos relations avec les Etats-Unis, et lorsque la Russie a signé un accord sur le retour en Russie de l'uranium traité, est-ce qu'il reste d'autres problèmes concernant cet aspect nucléaire iranien ? Et est-ce que ces deux attitudes différentes en ce qui concerne le problème iranien, je parle là de l'Union européenne et de la Russie, est-ce qu'il y a une certaine corrélation entre ces deux attitudes ?
LE PRESIDENT POUTINE - Je dois vous dire qu'en ce qui concerne la problématique iranienne, nous avons un assez grand niveau de compréhension avec nos partenaires européens. Il n'y a pas de contradiction en ce qui concerne nos positions, le principe est évident. Nous sommes contre la prolifération de l'arme nucléaire. Et je pense que c'est à cela que sont consacrées toutes nos actions sur le dossier nucléaire iranien.
Nous nous fondons sur cela et cherchons ensemble les voies d'une solution d'un problème qui ne porterait pas atteinte aux intérêts de l'Iran dans la mise en œuvre de son plan nucléaire civil. Il y a encore certains problèmes et le problème, à mon avis, est unique, c'est-à-dire que je crois qu'il faut assurer une transparence de tous les programmes nucléaires, en particulier de l'AIEA. Et je crois que l'Iran doit faire preuve de son refus total de l'acquisition de l'arme nucléaire. Aucune autre limite n'existe. Effectivement, nous avons signé un accord très important, il s'agit d'un traité de retour en Russie de l'uranium traité. Et conformément à ces accords, nous respecterons bien sûr toutes les obligations sur une base bilatérale. Mais nous ferons preuve d'attention en ce qui concerne le niveau de coopération de l'Iran avec les organisations internationales en matière de contrôle des technologies nucléaires.
LE CHANCELIER SCHROEDER - Vous avez dit qu'il y a une contradiction, moi je ne le pense pas. Nous avons intérêt, tous, à ce qu'il n'y ait pas en Iran d'arme nucléaire. Il ne faut pas qu'ils les produisent, il ne faut pas qu'ils les possèdent mais par ailleurs, personne ne peut dénier à un pays le droit de disposer de l'énergie nucléaire à des fins civiles et pacifiques. D'après mes informations, le traité qui a été signé est justement une mise en œuvre de ce principe. La Russie livre du combustible et le reprend. Ce combustible n'est donc pas traité, il n'est pas non plus enrichi. Il ne peut pas être enrichi en Iran. Et c'est justement pour cela qu'il n'y a aucune contradiction par rapport à la position commune que le Président russe vous a explicité.
LE PRESIDENT - J'ai été également interrogé et je partage exactement le sentiment exprimé par le Chancelier. Il n'y a aucune contradiction entre la position russe et la position que négocient -ou qu'essaient de négocier actuellement, avec d'ailleurs des pas positifs- ensemble, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France. Aucune contradiction.
QUESTION – Messieurs. les Présidents, Monsieur le Premier ministre, Monsieur le Chancelier, cela fait deux ans que la guerre d'Irak a commencé. Vous étiez tous les quatre opposés à cette guerre. Est-ce que les élections du 30 janvier ont changé votre opinion?
LE CHANCELIER SCHROEDER – Non, les élections ne m'ont pas fait changer de point de vue. Mais ces élections sont un progrès pour le développement de l'Irak. Nous avions une position sur la guerre, je ne change pas d'un iota, mais ce que nous croyons ensemble, c'est qu'il faut aider l'Irak de façon à ce que celui-ci se transforme en pays stable, démocratique et capable de veiller à ses propres intérêts en matière de sécurité. Ceci explique que l'Allemagne ait décidé de participer à l'opération de réduction de la dette irakienne. C'est également la raison pour laquelle nous avons prêté main forte à la formation de soldats et de policiers en Irak. C'est également la raison pour laquelle nous sommes prêts à aider pour la mise en œuvre de la Constitution et pour la réorganisation des ministères, à condition bien sûr que le gouvernement irakien le souhaite et le demande. La situation n'est pas simple, nous le savons tous et elle va rester difficile. Mais ce que nous voulons, c'est aider l'Irak à stabiliser sa situation, pour avoir également plus de stabilité dans la région.
LE PRESIDENT – Je tiens à dire que ma position est exactement identique sur le problème de l'Irak à celle que vient d'exprimer le Chancelier.
QUESTION – Monsieur le Président, Madame RICE était récemment en Inde pour persuader les Indiens de ne pas acheter le gaz iranien. Il y a des problèmes entre l'Iran et les Etats-Unis, tout le monde la sait. Avant la guerre Iran-Irak, les Américains essayaient de faire peur aux pays du Golfe avec l'Iran. Aujourd'hui, ils essayent de faire peur au monde avec l'Iran en parlant des armes nucléaires. Y a-t-il eu des pressions de la part des Etats-Unis sur les Européens pendant leurs négociations avec l'Iran ?
LE PRESIDENT – Je crois pouvoir vous dire, comme vous l'a dit tout à l'heure le Chancelier, qu'il n'y a eu aucune pression. Les trois Européens concernés, qui ont pris cette initiative, dans le même esprit d'ailleurs que la Russie, le Président Poutine vous l'a dit tout à l'heure, n'ont été l'objet d'aucune pression. Ils ont en revanche poursuivi leur négociation dans un esprit de transparence totale à l'égard de nos amis américains.
Et je dois dire que ceux-ci, encore tout récemment, ont apporté leur contribution à la recherche d'une solution qui soit conforme à nos objectifs, c'est à dire pas de prolifération, mais en revanche la possibilité pour chacun et notamment pour les Iraniens, d'avoir une utilisation du nucléaire civil conforme à leur désir. J'ajoute que les Américains tout récemment encore viennent de décider d'ouvrir leur position concernant la candidature de l'Iran à l'OMC, concernant les transferts de moteurs d'avions civils, etc. C'est à dire des choses tout à fait positives. On est actuellement dans un climat positif et non pas du tout dans un climat belliqueux.
QUESTION – Ma question s'adresse à tous les quatre. Vos quatre pays maintiennent une très bonne relation avec la Chine ; l'Assemblée nationale chinoise vient d'adopter une loi anti-sécession. Quelle est votre impression à ce sujet ? Est-ce que cette loi peut avoir un effet négatif sur la levée de l'embargo sur les ventes d'armes à la Chine, préparée avec l'Europe ? Monsieur le Président POUTINE, la Russie est un grand fournisseur d'armes à la Chine, est-ce que vous êtes tout à fait d'accord avec la démarche de la France et de l'Europe, entre autres, pour cette levée de l'embargo ?
LE PRESIDENT POUTINE – Est-ce que je dois tenir compte de considérations économiques ou politiques pour répondre à cette question ? Nous vendons un grand nombre d'armes à la Chine. Or, moins il y aura de concurrents, mieux ce sera. Je dis les choses telles qu'elles sont, simplement, de façon un peu directe. Mais, de façon générale, nous sommes convaincus que nous parviendrons à un accord avec nos partenaires européens.
Je pense que nous pourrions travailler ensemble sur le marché chinois et je crois que cela nous permettra d'aller de l'avant. Cela permettrait une coopération de la Russie et les pays européens dans le domaine des hautes technologies. A mon avis, c'est une perspective de coopération très intéressante, maintenant.
En ce qui concerne la composante politique, ce n'est pas à moi de prendre la décision sur la levée de l'embargo. Cela, c'est une décision qui doit être prise ou ne pas être prise par l'Union européenne.
Maintenant, en ce qui concerne la loi anti-sécession, l'Union soviétique et la Russie se sont toujours prononcées en faveur d'une intégrité territoriale de la République populaire de Chine. Notre position n'a pas changé. Nous estimons que la République populaire de Chine a le droit à restituer son intégrité territoriale et nous comprenons les efforts des dirigeants chinois pour résoudre justement ce problème. D'ailleurs, nous nous fondons sur le fait que cette tâche trouvera sa solution par des moyens de paix.
LE PRESIDENT – La position européenne, elle, est clairement pour la levée de l'embargo, sans pour autant, naturellement, que cela implique des ventes d'armes et notamment de systèmes sophistiqués à la Chine. Nous comprenons parfaitement la position de la Russie. Et donc, nous n'avons aucune espèce d'opposition entre la Russie et l'Union européenne dans ce domaine.
Je vous remercie.
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