Palais de l'Elysée le mardi 4 octobre 2005
LE PRESIDENT - Mesdames, Messieurs, je voudrais tout d'abord remercier chaleureusement le Président du Conseil, mon ami, Monsieur Silvio BERLUSCONI qui a bien voulu changer le protocole qui aurait normalement exigé que j'aille à Rome. Il a accepté de venir ici à Paris pour m'éviter de prendre l'avion. Je l'en remercie chaleureusement. C'est pour moi aussi l'occasion de souligner l'importance, la cordialité et l'étroitesse des relations qui exigent, de notre part, un suivi permanent dans une période difficile des relations entre l'Italie et la France. Elles ont toujours été, chacun le sait, excellentes mais dans une période où l'on s'interroge, où les opinions publiques, en particulier, s'interrogent, les Françaises et les Français de leur côté, mais aussi les Italiennes et les Italiens, sur la vision que l'on doit avoir de l'Europe, il était bon que nous puissions, par nos échanges, par notre coopération renforcer les liens déjà très forts qui existent entre nous.
Alors, nous avons d'abord évoqué ces liens, ces actions communes, ces politiques et ces préoccupations que nous partageons. Nous l'avons vu dans le domaine de l'énergie où notre partenariat est tout à fait exemplaire. C'est un partenariat stratégique particulièrement important dans une période comme celle que nous traversons, marquée par le problème de l'énergie et du pétrole. Nous avons une conception commune de l'effort à faire ensemble pour la recherche et l'innovation.
Nous avons donc décidé de nous associer pour mettre en commun, au travers notamment de nos grandes entreprises industrielles, scientifiques, technologiques, nos moyens, nos recherches et nos ambitions, nos objectifs dans le domaine des technologies et de grandes réalisations de demain. Les groupes de travail de même nature que celui que nous avons créé avec l'Allemagne -et nous serons dorénavant trois et probablement plus ultérieurement- assument cette responsabilité.
Nous avons évoqué notre coopération très forte dans le domaine de la défense qui se traduit par notre présence commune sur le terrain, notamment en Afghanistan, en Bosnie où l'Italie va prendre le commandement, au Kosovo. Dans l'ensemble de ces régions et dans des opérations de la communauté internationale pour la paix, Italiens et Français militaires marchent véritablement la main dans la main, et dans une parfaite cohérence et concordance de solidarité et de pensées.
Nous avons aussi cette coopération dans le domaine de l'armement où nous allons mettre ensemble en place notre projet de Frégates Multi-Missions, où nous avons signé un texte tout à l'heure qui nous permet de pénétrer dans nos espaces aériens mutuels pour lutter notamment contre le terrorisme. Bref, une coopération très forte en matière de défense.
Nous avons évidemment évoqué notre vision commune en ce qui concerne l'Europe : constater qu'il y avait aujourd'hui un problème qui s'est manifesté en France et aux Pays-Bas par le refus de ratifier le traité constitutionnel, et qui s'est manifesté dans les autres pays d'une autre façon, avec une inquiétude, des questions que se posent les citoyens et citoyennes sur le bien-fondé de l'action de l'Europe. Et nous devons y réfléchir sérieusement.
C'est ce que nous commencerons à faire au prochain Conseil européen à Londres, c'est ce que nous ferons de façon approfondie au premier Conseil sous présidence autrichienne, en début d'année prochaine. Mais c'est ce que nous entendons faire ensemble déjà, entre l'Italie et la France puisque nous avons une même vision des choses, de l'avenir et des problèmes. De façon à apporter une contribution commune aux problèmes auxquels l'Europe est aujourd'hui confrontée.
Nous avons également évoqué, cela va de soi, notre position commune sur le plan méditerranéen, nous travaillons ensemble, d'ailleurs, à la commémoration du dixième
anniversaire du processus de Barcelone. Nous n'avons aucune divergence de vues dans ce domaine.
Nous avons évoqué, enfin, les différentes crises dans lesquelles nous sommes là aussi en parfaite harmonie, notamment au Moyen-Orient, qu'il s'agisse de l'Irak et des projets qu'il faut essayer de mettre ensemble en place pour sortir des problèmes que connaît ce pays. Qu'il s'agisse des problèmes israélo-palestiniens et de l'aide nous devons apporter notamment à M. WOLFENSOHN pour ce qui concerne la reprise économique, la situation sociale à Gaza, qui suppose également la maîtrise de la situation politique et matérielle. Qu'il s'agisse de la Syrie et du Liban et les inquiétudes que l'on peut avoir dans ce domaine, notamment en raison de certains actes de déstabilisation se traduisant notamment par des attentats. Qu'il s'agisse de l'Iran où nous partageons la même vision des choses, celle qui a été d'ailleurs portée par l'Union européenne dans la période récente.
Voila ce que nous avons évoqué, le Président du Conseil et moi, et je lui laisse maintenant volontiers la parole pour qu'il donne son sentiment, avant de donner la parole à ceux qui voudront la prendre.
M. SILVIO BERLUSCONI - Merci, Monsieur le Président. Je vais répondre en italien pour la télévision italienne et je crois ne pas devoir répéter ce
qui a été fort bien dit et exposé par le Président CHIRAC car nous avons traité beaucoup de sujets et vous avez entendu de sa bouche même qu'il a utilisé un adjectif "commun". Le
mot "commun" est celui qui marque ces rencontres. Ayant maintenant plusieurs années d'expérience en matière de relations franco-italiennes, je dirai que, jamais comme aujourd'hui,
nous avons eu une vision aussi proche, des sentiments en commun sur l'Europe et les problèmes internationaux.
Notre collaboration est plus étroite que jamais. Nous avons beaucoup de projets en commun, car ensemble, nous devons relever les défis internationaux de l'économie mondiale, de la
mondialisation.
Il y a une autre chose sur laquelle nous avons une communauté de vues, c'est le fait qu'au cours des prochaines rencontres avec nos collègues européens, il faudra approfondir quelle Europe nous souhaitons, comment rapprocher l'Europe des citoyens, comment faire en sorte que l'Europe suscite la sympathie des citoyens européens.
Nous avons examiné les différentes raisons de ce désenchantement. Je dirai que nous nous sommes parfois privés de certains éléments de souveraineté comme sur la monnaie. Nous avons une nouvelle monnaie, nous ne pouvons plus mener une politique monétaire nationale. Nous sommes passés d'un système de dévaluation pour soutenir nos exportations à un système de surévaluation de la monnaie. Nos produits européens sont devenus moins avantageux pour les clients qui paient en dollars et moins avantageux aussi pour les Européens qui, parfois, ont plus intérêt à acheter des produits fabriqués dans la zone dollar.
A cela, il faut ajouter l'augmentation du coût de l'énergie, des carburants, ceci est tout particulièrement vrai en Italie, puisque dans les années 80, nous avons renoncé à l'énergie nucléaire ; à cela il faut aussi ajouter la concurrence des pays émergents, des pays de l'est, de l'Inde, de la Chine qui sont présents sur nos marchés, par des produits qui sont réalisés avec un coût de main d'œuvre qui représente des décimales par rapport à nous. Nous croyons donc qu'ensemble, il nous faudra affronter lors de la réunion informelle de Londres ces sujets pour voir ce qui peut changer dans l'action de l'Europe, dans l'action de la Commission européenne. Et ce qu'il faut faire pour que les citoyens européens voient dans l'Europe une zone de paix et de prospérité, et puissent voir dans l'Europe cet espoir d'une vie meilleure tel que c'était le cas par le passé.
Merci pour votre accueil affectueux et après de nombreuses années, même si nous avons eu parfois des divergences sur certains sujets spécifiques, il y a toujours eu une très grande sympathie, une grande estime, un grand respect, que je confirme aujourd'hui au Président CHIRAC. Je crois pouvoir parler au nom de tous les Italiens ; je dirai qu'il n'y a pas de pays, qu'il n'y a pas de citoyens qui ne soient plus proches de nous que la France et les Français.
Donc, je crois que dans cette action commune, il est nécessaire ou même indispensable qu'il en soit ainsi pour régler nos problèmes.
QUESTION - Monsieur le Président, l'Europe est en panne. Ses peuples sont majoritairement eurosceptiques, vous l'avez dit. Est-il de bonne politique d'en appeler à Bruxelles pour des problèmes de gestion dans des entreprises privées ou publiques alors que Bruxelles déclare son incompétence et rappelle ses contraintes ?
LE PRESIDENT - Vous évoquez, et à juste titre, -nous en avons parlé aussi-, une certaine morosité à l'égard de l'Europe chez les citoyennes et les citoyens des pays européens en général et qu'ils expriment sous une forme ou sous une autre et qui est exacte. Alors, il faudrait d'abord se demander, probablement, pourquoi il y a cette morosité ? Je l'ai évoqué, le Président BERLUSCONI l'a fait également, nous pourrons y revenir, mais parmi ces motifs de déception ou d'interrogation, il y a notamment le fait que les citoyens ont le sentiment, en tous les cas c'est vrai en France, mais ailleurs aussi, que la Commission ne défend pas avec suffisamment de détermination et d'énergie leurs intérêts et notamment les intérêts de l'Europe et, en particulier, les intérêts économiques et, par voie de conséquence, les problèmes sociaux qui en découlent.
Est-ce qu'il est légitime et normal que la Commission, je dirais, se désintéresse d'un problème du type de celui que vous avez évoqué : grande entreprise internationale implantée en Europe, ayant ici une part non négligeable de ces marchés, gagnant beaucoup d'argent, faisant des bénéfices considérables, prenant des décisions à fortes conséquences sociales, sans que l'Europe, l'Union européenne, c'est-à-dire en réalité la Commission ne s'estime impliquée, concernée ou n'estime avoir quelque chose à dire ? L'une des raisons qui explique le désaveu actuel de l'Europe, c'est cela.
Au-delà de ce qu'a évoqué tout à l'heure Monsieur BERLUSCONI sur les politiques monétaires et les problèmes que cela pose à la croissance dans des pays comme l'Italie, la France ou l'Allemagne ou d'autres, ce n'est pas normal. La vocation de l'Europe et des institutions européennes c'est aussi, et je dirai surtout, de défendre l'Europe, de défendre les intérêts économiques, financiers, sociaux de l'Europe.
Je prends un autre exemple de la même nature, celui des discussions à l'OMC : ce sont des discussions importantes, chacun le comprend, qui doivent permettre au commerce international de se développer, ce qui est évidemment souhaitable et qui pour cela essaie d'édicter les règles. Les Européens ont le sentiment que, face à un ensemble américain qui défend avec énormément de détermination ses intérêts et qui, pour dire les choses comme elles sont, n'a pas bougé d'un iota dans les domaines qui le concernent, face à des pays émergents qui, à juste titre, défendent également leurs intérêts - souvent d'ailleurs dans ce domaine au détriment des pays les plus pauvres et notamment des pays africains - que face à cela, nous avons une Commission qui évolue de concessions en concessions et qui ne donne pas le sentiment de défendre les intérêts de l'Europe alors que cela devrait être sa vocation.
Il y a donc un problème qui doit être examiné et qui fait partie de cette réserve que l'on a sentie ces derniers temps à l'égard d'une certaine vision de l'Europe. C'est ce dont nous avons parlé ce matin, c'est ce dont nous parlerons à Londres, dans quelques jours, à l'occasion du Sommet organisé par la présidence britannique, par le Premier ministre britannique. C'est ce dont nous parlerons également au moment du premier Conseil européen sous présidence autrichienne sur l'Europe.
QUESTION - Monsieur le Président de la République, au mois de juillet, la France a suspendu l'application des accords de Schengen ; aujourd'hui, il n'est pas bien clair si la France applique ou non les accords de Schengen, ce n'est pas le côté technique sur lequel je voudrais vous interroger, c'est sur la volonté politique de la France et de l'Italie de continuer sur le chemin de Schengen car il y a eu des incertitudes, des balbutiements ces derniers temps. Est-ce qu'il y a cette volonté politique de la part des deux pays ?
LE PRESIDENT - Le Président BERLUSCONI vous répondra pour l'Italie, je vous dis moi que pour la France il n'a jamais été question et il n'est pas question de remettre en cause les accords de Schengen.
M. SILVIO BERLUSCONI - C'est absolument la même chose pour nous.
LE PRESIDENT - Il y a eu une clause de contrôle aux frontières, c'est un aspect technique des choses qui est en train d'être revu mais l'accord de Schengen n'est pas en cause. En tous les cas, je ne crois pas pour l'Italie et je suis sûr que non pour la France.
QUESTION - Monsieur le Président, une question sur la Turquie. Malgré le non des Français au référendum, malgré le souhait de l'UMP qui penchait plutôt pour un partenariat privilégié et malgré votre Premier ministre qui déclarait le 2 août qu'il serait urgent d'attendre, la France a décidé de soutenir l'ouverture de négociations pour l'adhésion de la Turquie. Alors, pourriez-vous nous dire quelle est la raison de cette détermination de votre part ?
LE PRESIDENT - D'abord, ce n'est pas la France qui l'a décidé, c'est l'Union européenne, c'est-à-dire, ses 25 membres. Deuxièmement, la question aurait dû être "pourquoi êtes-vous favorable à la Turquie dans cette affaire, malgré les réserves que l'on sent, que l'on voit s'exprimer ici ou là" ? Tout simplement parce que je crois qu'il faut un peu penser à l'avenir.
Quand on parle de l'Europe, que veut-on en réalité ? Forts de ce que nous a enseigné l'Histoire, émaillée de guerres, de drames, ce que nous voulons, c'est laisser à nos enfants un espace aussi large que possible où soient réellement enracinées la paix et la démocratie, en règle générale, d'ailleurs, la démocratie étant une condition essentielle de la paix. La paix et la démocratie. Nous voulons aussi que cette Europe soit forte, elle est confrontée de plus en plus dans le monde à de très grands ensembles, la Chine, l'Inde, l'Amérique, demain la Russie, à de très grands ensembles qui ont une puissance d'intervention pour imposer leurs points de vues tout à fait considérable. Et si l'Europe veut avoir son mot à dire, il faut qu'elle ait le poids spécifique nécessaire dans 20 ans, dans 50 ans pour parler d'égal à égal avec ces grands ensembles et pour y défendre ses valeurs et ses intérêts.
Quand on regarde l'Europe telle qu'elle est, on regarde par le petit bout de la lorgnette et l'on se dit au fond, on était très bien à 6 aussi naturellement. Mais cela ne répond à aucune vue et à aucune exigence de l'avenir, notamment en terme de paix et de démocratie.
On ne peut pas ne pas voir que cet espace de paix, de démocratie et de puissance impose, en réalité, la présence de la Turquie. D'abord, il est légitime qu'un peuple qui veut rallier nos valeurs, puisse le faire. Il apporte une puissance considérable qui donne à l'Europe la dimension nécessaire pour exister dans le monde de demain. Et puis, si dans un mouvement d'humeur un peu léger ou une réaction un peu épidermique, on dit : "eh bien non, ils ne sont pas Européens, qu'ils s'en aillent !", qui vous dit que cet ensemble ne basculera pas, le monde évoluant tel qu'il évolue aujourd'hui, dans l'intégrisme ? Vous vous rendez compte du danger que cela représenterait ?
C'est que l'ensemble du monde musulman autour de la Turquie, cela représente trois cent cinquante millions d'habitants au-delà de la Turquie. Vous vous rendez compte de la responsabilité que l'on prendrait si l'on disait : "non, il n'y a rien à voir, circulez, on ne vous veut pas". Et d'ailleurs, au nom de quoi, au nom de quelle tradition humaniste européenne nous pourrions dire à des gens qui disent "nous voulons avoir les mêmes valeurs que vous", "on ne vous veut pas", au nom de quoi ?
Naturellement, cela a une conséquence, c'est que ce n'est pas l'Europe qui adhère à la Turquie, mais la Turquie qui adhère à l'Europe et, par conséquent, cela exige qu'elle fasse tous les efforts nécessaires pour adhérer à la totalité de nos valeurs, de nos principes. C'est un effort considérable pour elle. C'est une révolution culturelle majeure, elle est demandeur, très bien. Est-ce qu'elle pourra y arriver ? Je n'en sais rien. Ce qui est sûr, en revanche, c'est qu'il lui faudra du temps, beaucoup de temps.
C'est une affaire de dix à quinze ans minimum. Parce que cette révolution culturelle en Turquie qui est tout de même un vieux peuple avec une longue histoire, des traditions, d'une culture forte, c'est un effort considérable. Alors, est-ce qu'elle réussira ? Je ne peux pas vous le dire. Je le souhaite. Mais je n'en suis pas sûr du tout. Et, par conséquent, ayons l'élégance et c'est conforme à nos intérêts, de discuter.
Alors, vous me direz : "mais si ça ne marche pas, alors, qu'est-ce qu'on fera" ? Si ça ne marche pas, on verra à ce moment là quelle est la nature des liens privilégiés, d'une façon ou d'une autre, des liens forts que nous pourrons créer si la Turquie le veut encore, avec elle. Mais cela, c'est au terme de notre discussion et de la procédure qui a été arrêtée. Vous me dites : "les Français ne veulent pas" ou bien d'autres d'ailleurs, peu importe. Mais qui vous permet, aujourd'hui, de dire ce que les Français voudront dans quinze ans ? Au nom de quels principes certains s'arrogent le droit de parler au nom de nos enfants ou de nos petits-enfants ? Pour être bien sûr qu'il n'y ait pas de problème, j'ai décidé, et j'ai fait faire une réforme constitutionnelle pour l'acter définitivement, que l'éventuelle entrée de la Turquie dans l'Europe, puisque c'est d'elle dont il s'agissait, exigerait une décision prise, non pas par le Parlement, mais par voie de référendum.
Donc, les Français garderont la décision entre leurs mains quoiqu'il arrive. Mais quand j'entends certains dire : "mais les Français ne veulent pas", qu'est-ce qui leur permet de dire ce que les Français voudront dans quinze ans ? Au nom de quoi se permettent-ils ce coup de filet sur la volonté des Français ? Attendons le moment venu. Ce que je peux vous dire, c'est que les Français auront le dernier mot, comme il se doit dans une démocratie.
M. SILVIO BERLUSCONI - Je veux ajouter qu'au-delà du fait que, de toute façon, je suis totalement en accord avec la position du Président CHIRAC sur ce sujet, en tant que responsable d'un gouvernement européen, je suis parmi ceux qui ont le plus voulu que ces négociations débutent. Et nous ne pouvons donc que considérer ce moment, comme un moment fort pour les rapports entre l'Occident et le monde musulman et le monde arabe, en général. Bien sûr, ces rapports sont émaillés par des événements tragiques qui sont dûs au fondamentalisme, de ceux qui pensent que leurs Etats doivent être gouvernés par la Charia, c'est-à-dire la loi de Dieu, la loi de la religion qui devient loi de l'Etat.
Eh bien la Turquie est un grand peuple, de plus de soixante dix millions d'habitants et, au contraire, c'est devenu un pays laïc. La Charia a été mise à l'écart. Elle réglemente la vie privée et la vie religieuse et la Turquie s'est dotée d'une constitution faite de lois laïques qui se tournent vers ce que l'on appelle l'acquis communautaire européen, c'est-à-dire l'ensemble de valeurs et de principes qui sont le fondement du fait que l'on se sente occidental et qui font partie de la Constitution européenne.
La Turquie, par le biais de son gouvernement et de son Parlement a déclaré sa volonté d'adhérer à ces principes et d'adapter ses propres législations et ses propres règlements à ces principes. Je crois donc que nous avons là une occasion que nous ne saurions laisser passer, de jeter un pont entre l'Europe, l'Occident et le monde arabe et musulman. Ainsi nous pourrons instaurer un dialogue qui est pour nous la seule possibilité qui, nous soit offerte de résoudre les problèmes qui se posent.
Sauf à vouloir une guerre de religion et de civilisations, je crois que ce serait impardonnable si nous devions dire non à la Turquie. Ce serait impardonnable de rejeter quelqu'un qui vient vous voir, mu par sa sympathie. Si l'on peut comparer des rapports entre personnes et des rapports entre gouvernements, quelqu'un qui vient vous offrir son amour, et vous le repoussez ? Non, à ce moment-là, l'amour peut se changer en haine ou quelque chose qui s'approche de la haine.
Je crois, au contraire, que le Président CHIRAC s'est montré courageux ainsi que l'ont été les ministres du gouvernement malgré la réponse négative du peuple français, à un moment donné, en fonction d'une actualité et d'événements qui ont généré une certaine préoccupation. Il a su regarder vers l'avant, vers l'avenir. Il a su raisonner en pensant à la négociation à long terme. La première date de négociation sera 2014. Et il a su prendre cette décision en commun avec les autres pays européens. Donc, je le félicite pour cette décision. Je le félicite pour sa détermination, pour son courage, et pour sa capacité à se tourner vers l'avenir. Je crois que nous n'aurions pas pu prendre une décision différente de toute façon, et cette décision nous l'avons prise pour nous, mais nous l'avons prise pour ceux qui viendront plus tard.
QUESTION - Il y a de nombreux points communs, nous l'avons vu lors de ce Sommet. Cependant, il existe encore une divergence, au sujet de l'Irak. Est-ce que vous en avez parlé, parce que les soldats italiens sont encore stationnés en Iraq avec les Anglais et les Américains ?
M. SILVIO BERLUSCONI - Effectivement, nous en avons parlé, bien sûr. Nous avons partagé nos opinions concernant l'avenir de l'Irak, l'avenir d'un pays démocratique, libre, autonome, indépendant. Un pays qui doit savoir gérer seul son propre ordonnancement public. C'est indispensable pour qu'il y ait une véritable démocratie. Nous sommes tous les deux convaincus que le processus pour aller dans cette direction ne pourra s'achever que lorsqu'il n'y aura plus de soldats étrangers, et quand l'ordre public et la sécurité et la défense des frontières iraquiennes seront garanties par des forces iraquiennes. Force de l'ordre et forces armées, bien évidemment.
L'Italie a annoncé un retrait progressif des troupes stationnées dans ce pays, et ce retrait a d'ailleurs commencé avec un premier contingent de trois cents militaires en moins. Un retrait qui, de toute façon, fera l'objet d'un accord avec le gouvernement iraquien, et les alliés. Un retrait qui sera rendu possible par le fait que, progressivement, nous sommes en train de former, d'entraîner, les soldats des forces armées iraquiennes ainsi que des policiers qui composent les forces de l'ordre iraquiennes. Dans notre province, nous en avons déjà formé plusieurs milliers. Ils sont, à l'heure actuelle, capables d'apprendre ce que nous avons à leur enseigner. Donc, nous réfléchissons bien évidemment en fonction d'un parcours qui s'étale dans le temps, jusqu'à ce que l'Iraq soit capable de gérer sa propre sécurité publique sans avoir besoin de l'aide des troupes étrangères.
QUESTION - La France est d'accord ?
M. SILVIO BERLUSCONI - Bien sûr que la France est d'accord. Bien sûr. La France est d'accord sur le fait qu'on doit donner à l'Irak la liberté la plus complète pour se défendre et régler ses problèmes intérieurs.
LE PRESIDENT - Nous avons pu avoir une divergence d'analyse à l'origine. Tout cela est passé. Sur l'analyse de la situation actuelle et la nécessité de tout faire pour que l'Irak reprenne son destin en mains et conserve son unité, nous sommes entièrement d'accord et nous n'avons pas du tout de divergences de vues.
Je vous remercie.
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