Palais de l'Alvorada - Brasilia (Brésil) le jeudi 25 mai 2006.
LUIZ INACIO LULA DA SILVA – Mesdames et Messieurs les ministres du Brésil et de France, Mesdames et Messieurs et les journalistes, chers amis
brésiliens et amis français,
La visite du Président CHIRAC est l'occasion de consolider le partenariat privilégié qui a été lancé pendant ma visite à Paris, en juillet 2005. Et c'est l'occasion de reprendre et approfondir les sujets bilatéraux et également ceux qui ont une portée régionale et internationale.
Avec la France, nous avons un partenaire important en ce qui concerne l'avancée des questions internationales cruciales. Nous savons que cela permettra de faire face aux défis du monde contemporain. Nous voulons un monde démocratique, basé sur le dialogue et sur la coopération internationale. Nous croyons que la construction d'un monde plus juste et plus stable passe par la priorité donnée aux questions sociales. Nous avons des vues convergentes sur les thèmes de la réforme de l'ONU. Le Brésil croit par ailleurs que la France, en raison de ses liens historiques et humains avec Haïti, pourra développer un rôle important dans la reconstruction économique et sociale de ce pays.
A Genève, nous avons lancé en 2004, conjointement avec M. Kofi ANNAN, le Secrétaire général de l'ONU, et le Président de la République, l'action internationale contre la faim et la pauvreté, à laquelle se sont associés par la suite de nombreux chefs d'Etat et de gouvernement. Nous travaillons, avec d'autres pays, pour l'adoption d'une contribution de solidarité sur les billets d'avions internationaux. Avec ces ressources, nous lancerons un mécanisme international d'achat de médicaments, pour rendre plus accessibles les traitements contre le Sida, le paludisme et la tuberculose, ces trois maladies qui affectent le plus les pays pauvres.
Notre partenariat avec les pays en voie de développement montre comment nos pays peuvent travailler ensemble pour le développement des nations les plus pauvres. Ceci a été lancé lors de la réunion du G8 élargi, avec la participation des pays émergents, qui est une initiative pionnière prise par le gouvernement français au moment du Sommet d'Evian.
Je voudrais remercier l'appui de la France à la candidature brésilienne au Conseil de sécurité des Nations Unies. Nous sommes en train d'établir un mécanisme de consultations politiques, avec des réunions régulières de haut niveau.
Notre partenariat a reçu une impulsion importante par rapport à l'énergie renouvelable, la défense, l'innovation technologique, le nucléaire et les technologies spatiales. Nous sommes en train d'adopter aujourd'hui une déclaration conjointe qui exprime l'intérêt de la France de s'associer au Brésil pour développer un marché international d'éthanol et diffuser les technologies pour la production de biocombustibles dans les pays d'Afrique et des Caraïbes. Nous allons présenter conjointement cette proposition au cours de la prochaine réunion du G8.
Notre commerce bilatéral a plus que doublé au cours des dix dernières années, et pendant les trois dernières années, il a dépassé les cinq milliards de dollars en 2005, avec plus de 60%. La France est le quatrième investisseur étranger le plus important au Brésil et nous voulons qu'elle prenne une position beaucoup plus importante encore.
Nous souhaitons travailler ensemble pour parvenir à un accord entre le MERCOSUR et l'Union européenne. Nous voulons trouver un dénominateur commun juste, équilibré, qui
permette des résultats importants dans le cycle de Doha, au bénéfice des pays plus pauvres et qui renforce le multilatéralisme.
Nous avons signé, en 2005, un accord sur la construction d'un pont entre l'Amapa et la Guyane, sur le fleuve Oyapock. Cet accord a été adopté par le Congrès brésilien et nous
savons que nous aurons l'appui du Président CHIRAC pour qu'il soit adopté le plus vite possible par le parlement français. Ceci permettra une meilleure intégration physique entre
les deux Etats.
Nous adoptons une initiative pour encourager l'enseignement du portugais en France et du français au Brésil, ainsi que les échanges académiques. Nous voulons également intensifier notre coopération sur des thèmes liés à la défense, à la recherche et au développement, à la formation, les échanges de formateurs et la collaboration en recherche et développement. Un bon exemple de cette coopération est l'implantation d'une usine à Saõ José dos Campos pour produire des fuselages d'hélicoptères, pour être commercialisés au niveau mondial.
Et pour couronner l'approche entre nos deux pays, et entre les peuples brésiliens et les français, nous annonçons la réalisation, en 2009, de l'"Année de la France au Brésil". Je suis tout à fait sûr que, tout comme l'"Année du Brésil en France", cette année va dépasser toutes les attentes.
Enfin, nous ne l'avons pas insérée dans le protocole parce que n'était pas possible, mais l'intention est que le Brésil et la France soient dans la finale de la Coupe du monde 2006. La France veut naturellement certainement gagner cette coupe, et le Président CHIRAC a dit qu'il allait penser à ce sujet, et nous allons attendre le résultat. Merci.
LE PRESIDENT - Mesdames, Messieurs, je voudrais d'abord saluer et remercier les journalistes brésiliens, étrangers et français qui ont bien voulu suivre ce voyage. Je voudrais remercier chaleureusement le Président LULA pour un accueil exceptionnel, digne des grandes traditions d'hospitalité de son grand et beau pays et aussi de sa propre nature. Je l'ai particulièrement félicité ce matin pour la parade militaire de grande qualité qui nous a été offerte et notamment pour les acrobaties de la patrouille du Brésil. La patrouille du Brésil devait faire ces acrobaties également à Paris, malheureusement cela n'a pas été possible, parce qu'il a une règle très stricte à Paris, on ne peut pas faire d'acrobaties au-dessus de la capitale. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas pu avoir, l'année dernière, la patrouille du Brésil et je suis particulièrement heureux d'avoir pu la voir aujourd'hui. Je ne doute pas que, par la télévision, les Français pourront bénéficier du spectacle que nous avons eu ce matin.
Cette visite répond à celle qu'avait faite le Président LULA, en juillet dernier, à Paris. Un certain nombre de raisons l'explique : d'une part, le Brésil est devenu l'un des très grands acteurs du monde d'aujourd'hui. D'autre part, il partage avec nous beaucoup de valeurs et beaucoup d'engagements. Nous avons entre Brésiliens et Français de profondes affinités, depuis longtemps, historiques et qui ne cessent de se développer, comme en témoigne d'ailleurs le très grand succès, l'immense succès qu'a eu l'année du Brésil en France, l'année dernière, à laquelle d'ailleurs le Président LULA avait aussi participé.
Nous avons également examiné les problèmes de la situation internationale. Vous savez, nous avons une vision largement commune en ce qui concerne la politique internationale, axée sur quelques idées simples et fortes : une mondialisation mieux maîtrisée, plus équitable, plus juste et ceci dans le cadre d'un monde multipolaire. Nous avons aussi une ambition commune qui est de participer, notamment, dans les pays les plus pauvres, à la lutte contre la faim, et au financement du développement. Je n'y reviendrai pas nous en avons déjà parlé. S'agissant de la lutte contre la faim, je tiens à rendre en particulier hommage à ce qui a été fait ici par le Président LULA, avec ce système qui pourrait servir de modèle à bien des pays dans le monde et qu'il a appelé "bourse famille". Il permet à quelques 12 millions, je crois, de familles de pouvoir manger et vivre de façon à peu près convenable, dans le cadre de la lutte engagée par le Président LULA contre la faim et contre la pauvreté.
C'est, à cette échelle, un exemple unique dans le monde contemporain de lutte contre la faim, contre l'extrême pauvreté -et de lutte efficace, parce que cela porte sur un très grand nombre de familles. Je voudrais rappeler que j'ai tenu à rendre un hommage particulier à une action de cette importance.
D'autre part, nous avons évoqué les problèmes d'Haïti. Nous partageons la même inquiétude, la même condamnation du fait que la société haïtienne a été maintenue dans une situation honteuse, pendant si longtemps, et qui a besoin de la main du monde pour sortir de ses difficultés. Le Brésil a tendu une main secourable et je ne peux que remercier le Brésil et notamment, les casques bleus brésiliens qui ont fait une action très méritoire, parmi quelques autres, en Haïti.
Cette conception commune du monde a conduit naturellement les Français à soutenir une réforme de l'ONU et, notamment, du Conseil de sécurité, qui est tout à fait nécessaire aujourd'hui, de façon à actualiser ce Conseil de Sécurité. Cette réforme suppose, bien entendu, l'entrée du Brésil en tant que très grande puissance au sein de ce nouveau Conseil de sécurité.
Le Brésil est par ailleurs, nous en avons longuement parlé, un élément clé de la construction régionale dans les Amériques à travers le MERCOSUR. Nous avons évoqué notre réunion de Vienne, je rappelle que c'est à Rio que nous avons décidé de réunir ensemble les pays européens et les pays d'Amérique du sud, l'Amérique latine. La dernière réunion a eu lieu à Vienne et elle nous a permis de prendre davantage conscience des solidarités nécessaires entre nos deux mondes qui partagent, entre autres choses, une culture commune sur bien des points.
Sur le plan bilatéral, nous avons évoqué nos problèmes, qui sont d'ailleurs des problèmes simples. Je rappelle que le Brésil est notre premier partenaire commercial en Amérique latine. Qu'il y a quelques 500 entreprises françaises qui emploient 250 000 personnes au Brésil et que nous nous situons au 4 rang des investisseurs étrangers au Brésil. Le Brésil est également notre premier partenaire en Amérique latine pour la coopération culturelle, scientifique et technique. Avec ses 74 implantations et ses 30 000 élèves, le réseau des alliances françaises au Brésil est le plus dense et le plus importants du monde. La dimension américaine de la France est par ailleurs reconnue par le Brésil : nous avons 700 kilomètres de frontière commune par la Guyane avec le Brésil et nous sommes soutenus par le Brésil pour ce qui concerne la présence en tant qu'observateur dans l'Organisation du traité de coopération de l'Amazonie.
Enfin, nous avons évoqué le pont sur l'Oyapock ; je reconnais que nous avons pris par rapport au Brésil un peu de retard pour la ratification parlementaire, mais ce sera chose faite incessamment. Nous allons pouvoir commencer ce pont sur l'Oyapock rapidement, puisque les études ont été faites, qui va d'un côté de l'autre de la frontière et qui permettra de relier la Guyane française à la région de l'Amapa .
Nous souhaitons continuer à franchir des étapes dans notre partenariat technologique, en particulier plusieurs accords de travail ont été conclus et ont fait l'objet soit de signature, soit d'accords. Dans l'énergie notamment, s'agissant du nucléaire civil, dans l'espace -je parle de travail de groupes de travail : dans l'espace, où notre coopération doit se développer et où la présence de la base de Kourou nous permet de faciliter les échanges dans ce domaine avec le Brésil. Dans le domaine de la défense et de l'aéronautique, en particulier, avec des relations très importantes entre nos deux pays, avec l'innovation et la lutte contre le changement climatique, qui est l'une de nos préoccupations.
Aujourd'hui, de nouveaux accords ont été signés, on les a évoqués tout à l'heure, tout ceci pour vous dire que la relation entre nos deux pays reste une relation véritablement d'amis, excellente et sans problème.
Voilà simplement ce que je voulais dire avant que le Président donne la parole à ceux qui souhaiteraient la prendre.
QUESTION – Ma question s'adresse aux deux Présidents : vous avez évoqué, Monsieur le Président de la République, le différend qui oppose nos deux pays à l'OMC sur la question des subventions agricoles. Quel contenu mettez-vous dans le "donnant-donnant" dont vous avez parlé, Monsieur CHIRAC, dans votre interview à "TV GLOBO" ? Qu'êtes-vous prêt à concéder l'un et l'autre pour sortir de l'impasse ? Le Brésil est-il prêt à ouvrir davantage son marché à l'industrie et aux services européens ?
LE PRESIDENT – Merci de cette question. On a l'habitude de dire que nous avons un différend sur l'OMC. Il y a quelques divergences de vues, je n'appellerais pas vraiment cela un différend. Dans cette affaire, il y a trois parties qui défendent chacune leur intérêt. Il y a l'Europe, il y a les pays émergents -et notamment le Brésil, mais aussi d'autres avec lui-, et puis il y a les Etats-Unis qui, en réalité, détiennent la clé du problème. Cette clé, elle n'est ni en Europe, ni au Brésil, ni chez les pays émergents.
Je voudrais rappeler une ou deux choses. D'abord, pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, je le répète, il est faux de dire que l'Europe est un marché fermé. C'est un marché très largement ouvert. Si je prends seulement la France, je constate que la France importe d'Amérique latine, pas du Brésil, chaque année pour deux milliards et demi de dollars. Et elle exporte en Amérique latine quatre cent millions de dollars. Vous voyez la différence. Donc, on ne peut parler d'une difficulté d'exportation d'Amérique latine vers l'Europe. L'Europe est un marché très ouvert, notamment sur le plan agricole.
Alors d'où vient le problème ? Car il existe. L'Europe a fait toute une série d'avancées. Elle a fait deux réformes successives de la politique agricole commune, dans le sens de découpler -ce que souhaitaient, et je le comprends, un certain nombre de pays, notamment les pays émergents- les aides avec la production. Elle a diminué sensiblement ses aides. Elle a pris des engagements formels de les diminuer de l'ordre de 45%. J'avais dit 46, mais le Ministre des Affaires étrangères du Président LULA, qui est un fin technicien m'a fait remarqué que c'était en réalité 40. Enfin, disons de l'ordre de 45% pour les droits de douane.
L'Europe a fait tout ce qu'elle devait et pouvait faire et, honnêtement, ne se sent pas en mesure de faire un pas de plus tant que d'autres choses n'auront pas bougé. Quoi ? Alors, naturellement, il y a le fait que les pays concernés n'ont fait aucun pas significatif en direction de l'Europe, soit sur le plan de l'industrie, soit sur le plan des services. Et qu'on aurait pu attendre quelques avancées dans ce domaine en échange de tout ce qui avait déjà été fait par l'Europe. Mais ce n'est pas cela le fond du problème.
Le fond du problème, c'est que l'intérêt essentiel est celui des Etats-Unis. Les Etats-Unis n'ont absolument pas accepté de bouger sur quoi que ce soit. Ils continuent à avoir les subventions intérieures et le soutien au marché intérieur les plus importants, et de loin, du monde, sans accepter de remettre le moins du monde en cause cette situation. Ils ont un système qui finance très largement, y compris de façon indirecte par l'aide alimentaire, les exportations de biens agricoles américains sans que, là aussi, il n'y ait aucune intention de faire le moindre pas.
Je disais au Président LULA que sur l'affaire de l'OMC, tout le génie de nos amis Américains a été de faire croire que c'était un problème entre les pays émergents et l'Europe, ce qui n'est absolument pas le cas. S'il n'y avait que les problèmes entre les pays émergents, notamment le Brésil, et l'Europe, il serait réglé sans aucune difficulté et avec des concessions très inférieures à celles que l'Europe a été amenée à faire. Le problème fondamental, c'est la situation des Américains.
Alors je lui ai dit : essayons d'abord de nous liguer pour faire une amicale pression sur les Américains, de façon à ce qu'ils deviennent plus raisonnables en terme de soutien intérieur, c'est-à-dire avec une réforme de leur "farm act" de 2002. Qu'ils deviennent plus raisonnables sur leur soutien, tout à fait excessif, aux exportations. Et à ce moment-là, on réglera nos problèmes internes avec un tout petit effort, de part et d'autre, sans aucune difficulté.
LUIZ INACIO LULA DA SILVA – Par le fait d'être d'un optimisme incurable. Je dirais qu'il n'y a pas de différend ni d'impasse qui ne puisse être décidé par les parties qui le veulent. Je disais au Président CHIRAC que les commissions qui négocient à l'OMC ont probablement déjà épuisé une grande partie de leur marge de manoeuvre. J'ai également appris pendant ma vie de négociations que, lorsque les parties qui sont impliquées commencent à répéter le même sujet, tous les jours et toutes les minutes, et pendant toutes les réunions, il est nécessaire de changer les gens, de faire venir des gens avec de nouvelles idées pour voir si nous arrivons à négocier.
Depuis décembre jusqu'à aujourd'hui, j'ai parlé au Premier ministre Tony BLAIR, au Président CHIRAC, à la Chancelière allemande et j'ai parlé deux fois avec le Président BUSH, avec le Président ZAPATERO également, dans le sens que nous assumons nos responsabilités politiques. Et au lieu de cogiter ou de penser "qui va perdre ou qui va gagner", qui sait, nous pourrions tout simplement faire un geste pour que, de façon progressive, nous puissions créer des conditions pour que, pendant les dix ou quinze prochaines années, les pays les plus pauvres aient une opportunité dans le commerce mondial.
Il est toujours très difficile de discuter de ce sujet, parce que nous avons un proverbe, un dicton, au Brésil, qui dit "dans la maison qui n'a pas de pain, tout le monde se dispute et personne n'a raison". Tout le monde trouve ou pense qu'il a fait ce qui lui était possible de faire. Tout le monde considère qu'il a concédé. Mais le fait est qu'il n'y a plus d'accord, tout le monde croit qu'il est possible quand même de faire un petit peu plus.
J'ai répété au Président CHIRAC que le Brésil est disposé, avec le G20, à faire les concessions possibles pour qu'un accord soit possible. Les Américains doivent faire leurs concessions, parce que les subventions, l'aide aux Etats-Unis est très élevée et cela crée un déséquilibre dans le commerce agricole du monde. Et l'Europe peut faire des concessions d'accès au marché. Le souhait du Brésil, et les Européens ne sont pas toujours d'accord avec notre souhait, mais je crois que si les leaders politiques discutent ensemble, et s'ils établissent un bilan de la situation du développement de beaucoup de pays, la situation économique et sociale de beaucoup de pays, qui sait, peut-être, nous pourrions trouver une solution. Qui sait ?
Nous serons ensemble à Saint-Pétersbourg en juillet, parce que j'ai été invité. Nous aurons beaucoup de dirigeants politiques et peut-être que ce thème ne sera pas le thème principal, mais lorsque nous sommes ensemble, il n'y a pas de thème permis et de problème prohibé, nous discutons de ce que nous voulons, vraiment. Je voudrais, à la fin de la réunion formelle ou dans les réunions bilatérales, parler de la nécessité d'assumer ce problème, parce s'il doit y avoir un échec, dans dix ans, au lieu d'accomplir ce que nous avons décidé pour le millénaire, nous assisterons à la croissance de la pauvreté du monde.
Je crois que c'est une décision plutôt politique, beaucoup plus politique qu'économique. La décision n'est pas simplement économique ou commerciale, il ne s'agit pas d'argent, un peu plus d'argent, un peu moins d'argent. Il ne s'agit maintenant que d'une décision politique. Chacun de nous aura ses problèmes mais il est certain, et je veux le répéter au Président CHIRAC, à mes ministres et aux ministres de la France et à la presse, je veux vous dire que le Brésil est disposé à faire sa partie du chemin mais il doit y avoir une proportion. Parce que si en Europe l'agriculture, occupe 4% en ce qui concerne l'utilisation de la main d'œuvre nous avons des pays où l'agriculture occupe 70% de la population. Il faut qu'il y ait donc un certain équilibre dans la proportionnalité de ces contributions.
Je pense que nous arriverons à une entente, à un accord certainement et je suis tout à fait d'accord avec le Président CHIRAC, c'est-à-dire qu'il faut que nous convainquions le gouvernement américain qu'il est nécessaire, impérieux de réduire ses aides.
Dans les conversations bilatérales, j'ai l'impression que les choses ont marché. Mais lorsque nous retournons à notre réalité, les choses, en vérité, ne se passent pas avec la facilité que nous imaginions et que nous souhaitions. Mais je vous affirme que je continue à être optimiste par rapport à un accord à l'OMC, qui signifie, même s'il s'agit d'un tout petit progrès, que les pays les pauvres puissent gagner quelque chose en plus, que les pays émergents ne perdent rien et que les pays les plus riches fassent une petite concession.
Si cette chose se réalise, le monde va dire merci parce que nous aurons beaucoup plus de paix, certainement, sur la planète.
QUESTION – Je voudrais poser une question à Monsieur le Président CHIRAC. Je voudrais savoir comment l'Union européenne voit les questions de la Bolivie, le cas du gaz en Bolivie et si cela peu changer d'une certaine façon l'attractivité de la région. Est-ce que vous croyez qu'il n'y a plus de risque ?
LUIZ INACIO LULA DA SILVA - En vérité, cela va être le contraire : je vais parler, puis le Président CHIRAC va réagir.
Tout d'abord, il faut que nous prenions conscience du fait que l'Amérique du sud vit un moment politique très riche. Pour les personnes qui ont des doutes, c'est ce que j'ai dit, il est important de savoir qu'il y a moins de dix ans, et dans quelques pays, il y a vingt ans, nous avions beaucoup de pays ou presque tous, sous des régimes autoritaires, dans ce continent. Monsieur le Président CHIRAC , il y a vingt ans, tous les pays considéraient que la lutte armée était une solution pour les problèmes et c'est ce qui s'est passé de 1990 jusqu'à nos jours.
Tous les groupes, à l'exception des FARC, en Colombie, tous les groupes ont décidé d'abandonner la lutte armée et d'entrer dans la compétition démocratique. Il est important de rappeler que même le Président CHAVEZ lui-même a cherché, il n'y est pas arrivé, et puis il a gagné les élections par la voie démocratique.
Si nous sommes un pays qui, en très peu de temps, a consolidé notre démocratie, il faut que nous apprenions à cohabiter avec des turbulences qui existent, qui n'existent que dans les démocraties. Je pense que ce qui s'est passé dans le cas de la Bolivie ne s'est pas passé à cause d'Evo MORALES. Le problème a été, en vérité, parce qu'il y avait un mouvement pour la nationalisation du gaz : le Président Carlos MESA a fait un référendum et 92% du peuple de Bolivie a voté pour la nationalisation du gaz en Bolivie.
Je sais que le gaz appartient à la Bolivie, beaucoup de personnes voulaient que je sois agressif par rapport à la Bolivie et moi, un homme qui a utilisé pendant ma
campagne politique, qui a dit plusieurs fois d'ailleurs que ma candidature était une candidature de paix et d'amour, au lieu d'être virulent par rapport à la Bolivie, j'ai
voulu croire au pouvoir du dialogue.
J'ai eu une réunion avec le Président MORALES et après, de cela sans doute, qui a passé deux jours là bas, je crois que nous avons trouvé un dénominateur commun. La Bolivie sait que le gaz lui appartient, personne ne le conteste. Mais la Bolivie sait également qu'il faut qu'elle vende le gaz au Brésil et elle le sait. Alors quel est le jeu si la Bolivie a le gaz et si le Brésil veut acheter, il faut que nous trouvions, de façon équilibrée un prix qui réponde aux intérêts du peuple de Bolivie, mais qui réponde également aux intérêts du consommateur brésilien.
Pour le reste, je crois que l'Amérique du sud traverse une phase très riche. Ne pensez pas que l'Union européenne a été quelque chose de facile et de tranquille non. Je disais d'ailleurs à une journaliste du "Monde" que, si nous étions en Amérique du sud et le peuple avait voté contre la Constitution d'une Union comme les Français, la monnaie, une monnaie unique, comme les Français ont voté contre, non, c'est une décision d'une population que nous aurions accepté.
Je peux répondre à la journaliste qui m'a posé la question que le Brésil continue à croire en l'intégration de l'Amérique du sud et le Brésil considère que l'intégration de l'Amérique du sud est un besoin, une nécessité, et la construction de la démocratie et la paix est la seule possibilité que nous avons de nous transformer en des nations riches. Parce qu'il faut que nous attirions des investissements, parce que il faut que nous attirions des technologies, il faut que nous investissions beaucoup en éducation et nous ne pourrons le faire qu'en paix, parce que sans paix nous n'arriverons pas à le faire.
Il est important que le Président CHIRAC emporte du Brésil ce que le Président du Brésil croit. L'Amérique du sud se trouve dans une phase, dans un moment très riche de l'exercice de la démocratie. Si nous avions eu une révolution française il y a 200 ans, qui sait, peut-être que notre démocratie serait encore plus forte. Mais nous ne l'avons pas eue cette révolution, et je suis très heureux parce que je pense que tous les problèmes sont discutés autour d'une table. Et nous tous, les Présidents d'Amérique du sud, nous savons que l'Europe, les Etats-Unis vont investir ici au Brésil si nous méritons ces investissements, dans la mesure où nous aurons la confirmation, nous aurons l'établissement de règles juridiques consolidées. C'est de cela que nous avons besoin, en vérité.
LE PRESIDENT – Le Président LULA a parlé avec sagesse, je n'ai rien à ajouter. Je n'ai, en particulier, pas de commentaire à faire sur les changements politiques qui sont intervenus dans tel ou tel pays. Moi, j'ai rencontré deux fois déjà, officiellement, le Président MORALES et j'ai eu le sentiment qu'il était tout à fait décidé à tenir compte de l'ensemble des intérêts en jeu et qu'il était tout à fait sensible aux arguments qui pouvaient être donnés par les différents pays concernés, à commencer, bien entendu, par le Brésil.
Donc, je n'ai pas de commentaire à faire sur ce point. Et je fais confiance aux deux Présidents pour trouver une solution harmonieuse à cette petite difficulté. En revanche, je tiens à dire que les entretiens que j'ai eus avec le Président MORALES m'ont conduits à constater que c'était tout de même un homme qui avait rendu son honneur à un peuple meurtri.
QUESTION – Ma question s'adresse aux deux Présidents. Elle porte sur le dossier du nucléaire iranien. La France et le Brésil se prononcent pour une solution diplomatique, pour le multilatéralisme sur ce dossier, mais il semble que cette voie diplomatique commence à s'épuiser. Ce refus répété de l'Iran de renoncer à l'enrichissement d'uranium. Est-ce que vous n'avez pas le sentiment que la communauté internationale est entrée dans une impasse sur cette question, une impasse qui serait lourde de menaces. Comment réagissez-vous aussi pour évoquer le contexte régional ici en Amérique latine aux propos du Président Hugo CHAVEZ qui a affirmé son soutien au programme nucléaire iranien et a déclaré que l'Iran était confronté à une menace impérialiste de la part des Etats-Unis ?
LUIZ INACIO LULA DA SILVA – Le Président CHIRAC connaît bien mieux l'Iran que moi. Mais la position du Brésil est claire. Le Brésil a une opposition, le Brésil a un comportement par rapport à l'enrichissement nucléaire, enfin, tout ce qui peut être fait par la voie pacifique, en accomplissant tout ce qui trouve dans les protocoles internationaux, le Brésil aura le droit de le faire. La France aura le droit de le faire et l'Iran également. Mais l'Iran devra se soumettre, s'assujettir à tous les accords auxquels nous nous sommes tous soumis parce qu'il faut respecter le multilatéralisme. Il faut que nous respections les institutions. Nous les avons toutes créées nous-mêmes. Le monde sera beaucoup plus tranquille, il y aura beaucoup plus de paix.
LE PRESIDENT – Je crois que le Président LULA a encore parlé avec sagesse. Ce n'est pas un problème de contestation du droit pour l'Iran à
avoir la technologie nucléaire. C'est un problème de respect d'une décision internationale qui s'impose à tous, à ce titre. Et elle s'impose à tous, non pas pour
ennuyer qui que ce soit, simplement parce que les risques sont considérables, aussi bien d'utilisation d'une arme nucléaire avec les conséquences que cela peut comporter, que le
risque très important de prolifération que cela implique.
Voilà les raisons pour lesquelles j'approuve tout à fait ce qu'a dit le Président LULA.
QUESTION – Le Président LULA a évoqué le football, est-ce que vous en avez vraiment parlé entre vous ?
LUIZ INACIO LULA DA SILVA – C'est très difficile pour un Président du Brésil de parler avec le Président d'un pays qui a un bon football, comme la France, à la veille de la coupe du monde et ne pas parler football. Nous disons cela pour tout le monde. Je voudrais vraiment que le Brésil et la France puissent se rencontrer, parce que le Brésil a un compte à régler avec la France, en raison de la dernière coupe.
Mais je suis tout à fait sûr que ce sera une grande finale démocratique, une finale entre pays amis avec des histoires extraordinaires. Et le Président CHIRAC, excusez-moi, Monsieur le Président, mais en ce moment, je crois que l'équipe brésilienne est bien meilleure.
LE PRESIDENT – Hélas, mais c'est temporaire ! Evidemment, on ne peut pas être Brésilien et Français et, actuellement, ne pas avoir au moins un propos affectueux, admiratif pour la coupe du monde. Alors, le sport nous réserve bien des surprises et je ne sais pas ce qui se passera.
Je peux exprimer un vœu, c'est que, compte tenu, c'est vrai, de l'exceptionnelle qualité actuelle de l'équipe du Brésil, je fais un vœu, c'est que la finale soit une finale France-Brésil. Je dois à la vérité de dire que j'ai un peu hésité sur ce sujet. Parce que dans un premier temps, je m'étais dit, tout de même, vis-à-vis de l'Allemagne, ce n'est pas convenable. C'est eux qui nous reçoivent, ce sont nos amis traditionnels. Nous sommes liés par un pacte fort d'amitié au sein de l'Union européenne, et par conséquent, tout de même, France-Allemagne, et puis il y aurait peut-être moins de risque que France-Brésil.
Et puis, finalement, cela n'a pas résisté à la réflexion. Je me suis qu'au total, je retiendrai, je crois que c'est le 9 juillet, mes places pour la finale, pour le France-Brésil et que le meilleur gagne !
LUIZ INACIO LULA DA SILVA – Et justement il est important de dire, parce qu'une grande partie des joueurs qui se trouvent dans l'équipe brésilienne ont passé quelques temps en France, Ronaldinho a passé quelques temps en France, il a eu un séjour en France et il y a beaucoup de joueurs de notre équipe qui jouent en France. Et même si la France perd, ce ne sera pas très triste, parce qu'il y a beaucoup de joueurs brésiliens qui sont en France maintenant.
QUESTION – Pour nous tous, ici, au Brésil, je voudrais vous dire que c'est un thème clé pour la solution à la pauvreté et à l'injustice dans le commerce international. Je demanderai donc au Président CHIRAC quelle est la garantie, que la France, en tant que membre de l'Union européenne, va définitivement présenter une proposition d'ouverture du marché agricole qui soit raisonnable pour nous tous pays en développement ?
LE PRESIDENT – Je vous ai répondu, chère Madame, tout à l'heure de la façon la plus claire. Je m'en suis longuement expliqué avec le
Président LULA. Je vous ai dit tout à l'heure quelle était la position de l'Europe, quelle était la position des pays émergents. Au sein des pays émergents, quel était le
problème des pays les moins avancés. Et quels étaient enfin les problèmes américains. Et je vous ai dit dans quel cadre nous pouvions trouver un accord sur l'ensemble, pour peu que
chacun y mette du sien, et le principal, c'est aux Américains, je vous l'ai dit.
Merci beaucoup.