Egletons - Corrèze le vendredi 2 juin 1995.
Mes chers amis,
S'il est un moment privilégié dans la vie publique, c'est bien la visite d'un établissement d'enseignement car une école c'est le savoir, c'est l'espérance !
Je suis donc très heureux de me retrouver une fois encore à Egletons pour la remise des prix et le baptême de la dernière promotion de l'Ecole d'application des travaux publics. Il est pour moi symbolique que ma première manifestation publique en province ait lieu dans une école, et une école aussi résolument tournée vers l'avenir.
Les élèves de cette promotion ont choisi le nom de Pierre MENIER. Toute sa vie, Pierre MENIER illustra, comme chef d'entreprise et comme président de l'Union des syndicats de l'industrie routière française, la compétence, le dynamisme et l'amour du travail bien fait. Toutes qualités qui caractérisent les professionnels des travaux publics.
Je salue ce parrainage. C'est un choix qui, d'une certaine manière, vous oblige.
Je suis sûr que vous contribuerez, par votre talent et votre savoir-faire, à renforcer le rayonnement de l'Ecole, en France comme à l'étranger. Cette image d'excellence, votre Ecole la doit à des générations de bâtisseurs et de constructeurs qui, poursuivant une tradition multiséculaire, ont mis leur créativité au service de la modernisation de notre pays.
Je souhaite rendre hommage à la Fédération nationale des travaux publics, dont je salue ici le président, Monsieur Philippe LEVAUX, qui a su inspirer des formations dont le succès s'explique par la valeur des maîtres, leurs qualités de pédagogues, leur exigence dans le travail. Et je n'oublierai pas la force que constituent les anciens élèves de l'Ecole et l'efficacité de l'Association gestionnaire des écoles d'application aux métiers des travaux publics que préside aujourd'hui Monsieur Pierre MARTIN.
C'est un grand motif de fierté pour l'école d'Egletons, et pour tous ceux qui participent à son bon fonctionnement, que de saluer la réussite de ces nouveaux diplômés. Je suis heureux de leur adresser, ainsi qu'à l'équipe pédagogique qui les a formés, mes très chaleureuses félicitations.
L'exercice d'un métier librement choisi constitue bien l'un des moyens assurant à l'homme son plein épanouissement. Exercer un métier : ce n'est pas un privilège pour quelques uns ! C'est un droit pour tous.
C'est pour cette raison que toute notre action se résume aujourd'hui en un mot : l'emploi.
L'emploi n'est pas une priorité : c'est la priorité. Il n'est pas un objectif parmi d'autres, une politique parmi d'autres, une préoccupation parmi d'autres. L'emploi doit être le critère de l'ensemble de nos choix . A chaque fois que nous prenons - les uns et les autres - une décision, nous devons nous demander si elle est bonne pour l'emploi.
C'est vrai pour le Gouvernement.
J'ai voulu la création, auprès du Premier ministre, d'un secrétariat d'Etat pour l'emploi chargé d'évaluer l'impact sur le chômage de nos politiques publiques. Il faut désormais passer au crible de l'emploi, avant leur mise en œuvre, les mesures industrielles, financières, budgétaires ou fiscales qui engagent notre avenir.
La lutte contre le chômage est l'objectif central - le point cardinal - d'une politique destinée à libérer les forces vives de notre pays, et à valoriser l'ensemble des capacités d'initiative de nos petites et moyennes entreprises : allégement des charges et des formalités administratives, réforme de la fiscalité, accès au crédit, autant de domaines où j'ai demandé au Gouvernement d'agir sans délai. L'esprit d'entreprise, celui qui anime nos forces vives, est la clé de la croissance et de l'emploi.
L'emploi est également la condition de notre cohésion sociale : accompagnement des personnes âgées dépendantes, garde de jeunes enfants, soutien scolaire, amélioration de la vie dans les cités, intégration des jeunes en difficulté, protection de l'environnement, autant de besoins essentiels à l'équilibre de notre société qui seront satisfaits par un développement des emplois de proximité et de service aux personnes.
Mais ce qui est vrai pour l'Etat, l'est pour les entreprises.
Avant toute initiative, avant toute décision importante, le chef d'entreprise doit aussi se poser une question : ce choix est-il bon pour l'emploi ?
Encore marquées par une conception taylorienne de l'organisation du travail, nos entreprises ont trop tendance à préférer la machine à l'homme. Bien des choses les y incitent. Les charges, bien sûr. Mais peut-être aussi une certaine philosophie. La machine ne parle pas. Elle ne proteste pas. On peut la mettre en équation.
Et pourtant chacun sait que les investissements les plus élaborés, les calculs de rentabilité les plus sophistiqués, peuvent être réduits à néant par le seul fait que les hommes, leur travail, leur savoir, leurs aspirations n'ont pas été pris en compte. Chacun d'entre nous sait, au fond de lui-même, qu'il n'y a jamais - quoi qu'on nous en dise - une seule solution possible. Il y a toujours des marges de manœuvre, des alternatives. Eh bien ! quand plus de trois millions de nos compatriotes sont au chômage, entre deux solutions possibles, à rentabilité égale, nous devons toujours donner la priorité à celle qui crée le plus d'emplois. C'est ainsi que les entreprises deviendront réellement des entreprises citoyennes.
Les salariés ont aussi un rôle à jouer dans la mobilisation contre le chômage.
Il ne s'agit pas d'opposer, je le répète, la feuille de paye et l'emploi. Il ne s'agit pas de culpabiliser les salariés qui doivent percevoir leur juste part des fruits de la croissance. Il s'agit de rechercher de nouvelles modalités d'aménagement du temps et d'organisation du travail qui soient plus créatrices d'emplois. C'est l'un des grands défis de cette fin de XXe siècle.
D'un côté, les entreprises souhaitent plus de souplesse et de flexibilité pour faire face aux exigences de la compétition économique moderne. De l'autre, les salariés aspirent à plus de temps libre, à un temps choisi, mieux adapté aux rythmes scolaires, permettant de concilier vie familiale et vie professionnelle. Il appartient aux partenaires sociaux de définir, à tous les niveaux, les voies et les moyens permettant de conjuguer ces deux aspirations. Là encore, c'est l'emploi, et au-delà toute une conception moderne de la vie en société, qui est en cause.
C'est seulement si tous ensemble, Etat (et quand je dis Etat, je pense également aux collectivités locales), entreprises (et quand je dis entreprises, je pense aussi aux organisations professionnelles et aux chambres consulaires), salariés (et quand je dis salariés, je pense aussi aux partenaires sociaux et aux associations), c'est seulement si, tous ensemble, nous procédons à une véritable révolution culturelle que nous parviendrons à relever l'immense défi de l'emploi.
Mais ici à Egletons, devant votre promotion, alors qu'en sortant de cette Ecole, vous allez obtenir un emploi correspondant à votre qualification, je voudrais m'attarder un instant sur l'une des formes de ce cancer social qu'est le chômage : le chômage des jeunes.
Même s'il tend à diminuer avec la reprise économique, le chômage des jeunes reste une triste spécialité française. La France compte près de 700 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans, à la recherche d'une activité professionnelle. Cette situation n'est plus acceptable.
Pour y remédier, il faut ouvrir notre système éducatif sur son environnement extérieur.
Sans doute la première mission de l'Ecole est-elle de donner à chaque enfant la chance de maîtriser les bases du savoir, de développer ses talents, d'apprendre à apprendre, de s'intégrer dans la communauté, sans considération de ses origines familiales ou sociales. C'est l'un des fondements du pacte républicain. L'école est faite pour intégrer : qu'elle manque à sa vocation, et alors l'exclusion se développe.
Mais l'égalité des chances c'est aussi apprendre un vrai métier, adapté à notre temps. C'est trouver sa place dans la société. Pour cela, il faut multiplier les parcours de formation, reconnaître la diversité des formes de réussite, admettre l'entreprise comme un lieu de formation à part entière.
La revalorisation de l'enseignement professionnel représente un enjeu considérable. Il s'agit de concevoir un enseignement à part entière, que l'on choisit par vocation et non par défaut, et qui permette de franchir tous les échelons de la vie en entreprise, jusqu'aux plus élevés.
Pour y parvenir, il faut donner aux entreprises et à tous les acteurs de la vie économique, je pense notamment aux collectivités locales et aux métiers, la place qui leur revient dans l'enseignement professionnel et dans la définition de ses objectifs.
Les esprits sont mûrs pour un vrai débat, prélude à une coopération accrue entre le monde de l'éducation et le monde de l'entreprise. L'école ne doit pas craindre le vent du large.
Dans une société où s'impose chaque jour un peu plus cette obligation de "formation tout au long de la vie" dont parlait Condorcet, nous devons également reconnaître à chacun, sous la forme d'une créance sur la société, le droit à l'erreur, c'est-à-dire le droit à une deuxième chance, pour que tout ne soit pas scellé dès l'adolescence, et que tous ceux qui n'ont pas bien tiré parti de leur formation initiale, puissent la compléter. C'est une exigence au service d'une grande ambition.
Mais l'adaptation des formations initiales ne suffit pas. Nombreux sont, parmi les 800 000 jeunes qui sortent chaque année du système éducatif, ceux qui ne trouvent pas d'activité. Pour eux, nous devons développer une politique vigoureuse d'accès à l'emploi. Il y a urgence.
Les solutions ne sont pas les mêmes, à l'évidence, pour les jeunes qui quittent le système éducatif sans aucun diplôme, pour les diplômés à la recherche d'une première expérience professionnelle, ou pour les jeunes en grande difficulté que des facteurs familiaux ou personnels menacent de conduire à l'exclusion.
On cite toujours en exemple le système d'apprentissage allemand. Mais il existe aussi un système de formation en alternance à la française. Les partenaires sociaux ont construit un ensemble de formations associant périodes en entreprises et apprentissages théoriques en centres d'enseignement des formations débouchant sur des qualifications professionnelles reconnues. Ce système repose sur un accord national interprofessionnel, signé par l'ensemble des partenaires sociaux, qui a fait la preuve de sa vitalité : en 1994, près de 350 000 jeunes ont été accueillis en contrats d'apprentissage, de qualification, d'adaptation ou d'orientation. Ce dispositif doit être aujourd'hui simplifié, adapté, renforcé.
Les partenaires sociaux se sont attelés à cette tâche dans le cadre de la négociation interprofessionnelle ouverte le 28 février dernier sur l'emploi. C'est en fonction des résultats de cette négociation que le Gouvernement définira les modalités du nouveau "contrat d'accès à l'emploi pour les jeunes" annoncé par le Premier ministre. Une nouvelle dynamique des aides à l'insertion professionnelle des jeunes est nécessaire.
Tous les secteurs d'activité doivent concourir à la promotion de l'emploi. En commençant par le domaine du bâtiment et des travaux publics, parce qu'il s'agit du principal
secteur productif français.
Le bâtiment et les travaux publics incarnent une tradition de l'excellence française, notamment dans notre région. C'est un secteur économe en produits importés et riche en emplois, directs ou indirects. Il dessine notre avenir, nos infrastructures, nos habitations, nos routes, toute la part visible de ce que nous laisserons de nous-mêmes à nos enfants.
Soyez-en conscients, votre activité professionnelle touchera de près la vie des Français, et vous contribuerez au développement de l'ensemble de notre économie et de nos provinces, en particulier de celles, comme le Limousin, qui souffrent de leur enclavement.
Ainsi, à titre d'exemple, sur un sujet qui m'est cher, je veillerai aussi à ce que dès 1996, la première tranche de l'autoroute A 89 reliant Clermont-Ferrand et Bordeaux, dont le principe a été décidé par mon Gouvernement en 1987, soit engagée. Les travaux devront permettre de réaliser simultanément les deux extrémités de cette liaison.
De même, s'agissant de l'autoroute A 20, je serai attentif à ce que les engagements soient respectés.
Aujourd'hui, le secteur du bâtiment et des travaux publics, qui a été frappé de plein fouet par la crise, connaît de meilleures perspectives. Les commandes publiques et privées sont mieux orientées ; nos exportations continuent de progresser sensiblement.
La reprise d'activité devrait permettre, dès l'année prochaine, de stabiliser le niveau d'emploi dans le secteur du BTP, et d'ouvrir ainsi de nouvelles perspectives aux cadres que vous serez demain.
Vous êtes désormais, en quelque sorte, les artisans de notre futur. Car c'est bien l'homme qui se trouve au centre de vos ouvrages : hôpitaux et cliniques, écoles, lycées et universités, usines, bureaux, salles de sports, lieux de culture. Chacun de nous est façonné par son cadre de vie, par son logement.
C'est autour de leur domicile que les familles bâtissent leur unité et que se manifeste la solidarité entre générations.
Aujourd'hui, nombre de nos compatriotes ont des raisons d'être insatisfaits. Je pense bien sûr aux sans-abri, pour qui l'absence de logement signifie bien souvent la perte d'identité. Je pense à l'inquiétude des jeunes, des familles ou des personnes âgées, logés de façon précaire. Je pense à ceux qui sont obligés de renoncer à leur légitime aspiration d'accession à la propriété, ou aux autres, si nombreux à être mal logés, notamment dans les villes, qui éprouvent tant de difficultés à trouver un logement qui leur convienne.
Pourtant, plusieurs dizaines de milliards de francs sont dépensées chaque année en faveur du logement, mais avec une efficacité décroissante, car notre dispositif d'aides, défini il y a près de 20 ans, se révèle inadapté dans un monde sans inflation où le chômage s'est massivement développé. Il nous faut le moderniser pour le rendre plus efficace et en faire un véritable instrument de solidarité nationale, sans pour autant avoir à dépenser davantage.
Nous devons nous mobiliser pour que chacun dispose d'un logement. Nous, c'est-à-dire l'Etat, garant de la cohésion nationale, mais aussi les collectivités locales, les acteurs du logement social, la grande famille des organismes d'HLM, et les associations dont la participation active sera un gage de réussite. Le Gouvernement vient d'annoncer un effort significatif pour que les plus démunis trouvent le toit auquel ils ont droit : c'est un devoir national, et l'urgence commande.
Mais au-delà du très court terme, nous devons promouvoir une politique ambitieuse d'accession à la propriété. Il appartiendra au Gouvernement de présenter rapidement au Parlement les solutions qui permettront d'améliorer le dispositif d'aides existant. Chacun en bénéficiera : les accédants, bien sûr mais aussi les plus modestes qui pourront occuper les logements HLM ainsi libérés. Pour cela, il faut encourager les efforts d'épargne des ménages en vue de l'acquisition dans le neuf ou dans l'ancien. Il faut protéger les accédants à la propriété contre les accidents de la vie, notamment le chômage : trop de projets immobiliers sont différés par crainte du surendettement. Il faut enfin redonner au secteur du logement et, plus généralement, au secteur du bâtiment, la dynamique dont il a besoin. Cette dynamique passe par la confiance : confiance de l'investisseur immobilier et confiance du propriétaire afin de relancer l'investissement locatif privé. Donnons-nous pour objectif de garantir à l'épargne qui s'investit dans l'immobilier un traitement fiscal comparable à celui des autres formes de placement. C'est une exigence économique ; c'est une nécessité sociale.
C'est ainsi, au plus près des attentes des Français, que la politique du logement retrouvera sa pleine efficacité.
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La relance du bâtiment et des travaux publics s'inscrit dans une perspective ambitieuse qui consiste à repenser notre cadre de vie, pour préserver notre environnement, promouvoir un développement équilibré de notre territoire, maîtriser la croissance urbaine et revitaliser l'espace rural.
C'est une tâche à laquelle, mes chers amis, vous allez directement participer.
Vous qui sortez de l'Ecole remarquablement préparés, je connais votre ambition et votre enthousiasme. Aussi n'ai-je nul besoin de vous engager à donner le meilleur de vous-même.
Vous allez exercer un beau métier, le métier d'entrepreneur et de constructeur. Aujourd'hui, c'est une chance. N'oubliez pas les devoirs qu'elle implique. Donnez-vous pleinement à votre nouvelle activité. La France a besoin que vous apportiez votre pierre à l'oeuvre de redressement qui est engagée.
Je vous souhaite donc, alors que s'ouvre devant vous un avenir de bâtisseur, l'une des plus nobles vocations qui soient au monde, une belle carrière et une grande réussite.
Je vous remercie.
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