Londres, Royaume -Uni, le mardi 14 mai 1996
Madame,
Je souhaite remercier Votre Majesté des paroles de bienvenue qu'elle vient de prononcer. Paroles qui nous honorent, mon épouse et moi-même, et qui nous touchent profondément.
J'ai été très sensible à votre invitation d'effectuer, en Grande-Bretagne, l'une de mes premières visites d'Etat à l'étranger. J'y vois la manifestation de cette amitié puissante qui, depuis si longtemps, unit nos deux pays. Me faisant l'interprète du peuple français, je voudrais, à mon tour, témoigner à Votre Majesté le respect et l'affection que mes compatriotes portent à sa personne ainsi qu'au peuple britannique tout entier.
L'Histoire, les rivalités, la succession des guerres et des alliances, ont tissé entre nos deux peuples les liens les plus forts qui se puissent imaginer. Des liens faits d'un peu de méfiance parfois, mais toujours de beaucoup d'estime. Nos relations au long des siècles, la compétition à laquelle nos deux pays se sont longtemps livrés, ont nourri leur puissance et assuré leur rayonnement. Ce faisant, elles façonnaient le monde.
Ces liens singuliers, leur poids dans l'Histoire, Sir Winston CHURCHILL en donnait une interprétation toute personnelle. Je le cite : "Le Tout Puissant, dans sa sagesse infinie, n'a pas cru bon de créer les Français à l'image des Anglais". Je compléterai ce trait en ajoutant que si cela avait été le cas, la face de la terre en aurait été, à n'en pas douter, profondément changée.
Mais nos différences, Madame, se sont toujours effacées lorsque Britanniques et Français ont dû combattre ensemble pour défendre ces valeurs essentielles auxquelles ils croient : l'homme, sa liberté, sa dignité.
Ainsi rendions-nous hommage récemment à l'engagement, au courage et au sacrifice des soldats britanniques qui, avec les américains, aux côtés de tant d'autres soldats de tant d'autres nations, débarquèrent un matin de juin 1944 sur les plages françaises pour libérer l'Europe. Les cérémonies du cinquantenaire de la Libération et de la victoire finale ont constitué, dans nos deux pays, un fort moment d'émotion. La France tout entière s'est alors souvenue de cette énergie farouche, de ce courage dans l'adversité et de l'inébranlable foi dans leur patrie dont firent preuve les Britanniques aux heures les plus sombres et qu'incarnèrent les membres de la famille royale.
Il y a deux ans, nous commémorions aussi le quatre-vingt-dixième anniversaire de l'"Entente cordiale". Aujourd'hui, l'expression d'"entente cordiale", plus que jamais d'actualité, est devenue le symbole même de notre amitié.
Mais, ces dernières années, nous n'avons pas seulement évoqué notre passé. Nous avons ensemble tourné nos regards vers l'avenir et réalisé un vieux rêve : ce tunnel sous la Manche qu'il y a tout juste deux ans, Madame, vous inauguriez avec mon prédécesseur, le Président François MITTERRAND. Ce tunnel que j'ai emprunté pour répondre à votre aimable invitation.
En liant physiquement nos deux pays, le tunnel sous la Manche prend toute sa signification. La France et le Royaume-Uni ne se font plus face, ils sont devenus des partenaires naturels.
Nos deux nations, de par leur histoire, le socle des valeurs partagées, leur influence, leur vocation à jouer un rôle à l'échelle du monde, doivent agir ensemble sur la scène internationale, et d'abord sur celle de l'Europe.
L'amitié franco-britannique doit être une pierre d'angle de cette construction européenne dont dépend l'avenir de nos enfants. Bâtissons ensemble cette Union qui garantira à nos peuples la prospérité et à nos pays un rôle et un poids dans le monde dignes de leur prestigieux passé et de leur puissance économique. Bâtissons aussi, sur l'ensemble du continent européen, un espace de démocratie et de paix. Déjà, dans l'ancienne Yougoslavie, nos soldats sont côte à côte dans une fraternité d'armes digne de celle de leurs aînés.
Au-delà des frontières de l'Europe, dans ce monde de l'après-guerre froide, riche de promesses mais lourd d'incertitudes et de menaces, je souhaite que nos deux nations avancent ensemble.
Dans toutes les instances internationales, et d'abord au Conseil de Sécurité de l'ONU, Britanniques et Français ont su nouer un partenariat amical et efficace. Allons plus loin. Renforçons encore cette coopération. Nos diplomaties n'en auront que plus de chances de faire aboutir les principes et les idées qu'elles défendent.
La solidarité entre nos peuples, Madame, est forte, et vaste est le champ de nos actions communes. Je souhaite ardemment, avec le soutien de Votre Majesté, développer encore cette entente qui m'apparaît, chaque jour, plus cordiale et plus profonde.
Et c'est en formulant ce voeu, Madame, que je lève mon verre. Je le lève en l'honneur de votre Gracieuse Majesté, de son Altesse Royale le Prince Philip, et de leurs enfants. Je le lève en l'honneur de Sa Majesté la Reine Mère, de leurs Altesses Royales et de la Famille Royale. Je bois à la prospérité du Royaume-Uni et au bonheur du grand peuple britannique, allié et ami du peuple français.
Vive la Grande-Bretagne !
Vive la France !
Vive l'amitié franco-britannique !
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