Palais de l'Elysée, le jeudi 19 septembre 1996
Madame la Présidente de la Confédération
Internationale des Sociétés d'Auteurs et Compositeurs,
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
Je m'exprime en français. Un rapide tour, qui m'a permis de vous saluer, me fait penser que plus ou moins la plupart d'entre vous comprennent ma langue. Alors je vous remercie de l'effort que vous voulez bien faire dans ce domaine.
Permettez-moi d'abord de vous souhaiter la plus cordiale des bienvenues dans cette maison, dans ce palais présidentiel où je suis particulièrement heureux de vous accueillir ce soir.
La CISAC, qui se réunissait il y a deux ans à Washington, revient périodiquement à Paris. Il me paraît symbolique qu'elle ait choisi de le faire en ce 70ème anniversaire de sa fondation. J'en remercie les responsables et tout particulièrement, bien sûr, la présidente.
Je n'oublie pas que le droit d'auteur est né ici de l'imagination de Beaumarchais, idée nouvelle qui fut mise en oeuvre par les juristes révolutionnaires.
Je n'oublie pas non plus que Victor Hugo, en créant son Association Littéraire et Artistique, dessina, en quelque sorte, la dimension internationale du droit d'auteur, consacrée, dès 1886, par la Convention de Berne. Chacun sait que toutes les bonnes choses se font en Suisse.
Je n'oublie pas, enfin, que le premier Congrès de la CISAC eut lieu en 1926 à l'initiative de la France.
C'est dire que l'histoire, l'histoire passée comme celle qui est en train de se faire, militait pour que votre 40ème Congrès se tienne dans notre Capitale et naturellement dans l'enceinte de l'UNESCO.
Il est en effet significatif que l'UNESCO, gardienne vigilante, avec l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, des conventions internationales protégeant les auteurs, ait accueilli votre colloque. J'y vois l'expression d'une conviction. Celle, et je sais qu'elle est partagée par M. Frédérico Mayor, que la protection du droit d'auteur, droit personnel, inaliénable, matériel et moral, inhérent à la création qu'il prolonge naturellement, est aussi nécessaire à la liberté des créateurs qu'au développement de la vie culturelle. Cette conviction, c'est la mienne, et je crois comprendre que c'est également la vôtre.
Depuis 1926, la CISAC se bat pour défendre ce droit. Vous avez compris que c'est en nouant, partout dans le monde, une indispensable et puissante solidarité entre auteurs et créateurs de toutes disciplines que vous rendez ce combat efficace. La CISAC, c'est aujourd'hui 90 pays, je crois, représentés à travers 163 sociétés. Qu'il me soit permis d'adresser un salut amical aux Présidents des sociétés françaises, dont je connais le dynamisme et l'esprit d'innovation.
Vous menez un combat difficile.
Il l'est, parce que les systèmes diffèrent profondément selon les pays, et que s'opposent deux conceptions qui sont en fait deux philosophies. Celle du copyright anglo-saxon et celle du droit d'auteur, tel qu'il existe, dans un certain nombre de pays et notamment en France.
Ce n'est pas le moindre mérite de votre Confédération que de faire coexister ces conceptions divergentes, ce qui n'est pas aisé, je le sais, dans le contexte actuel de négociations commerciales.
Il l'est également, puisqu'il consiste à rechercher l'équilibre le plus judicieux entre la défense de droits économiques et la promotion des valeurs morales et spirituelles qui sont inséparables de la création.
Enfin, votre combat est difficile, parce que nous sommes entrés dans une ère nouvelle, marquée par la révolution des technologies, l'effacement des frontières, l'explosion des techniques de communication. Tout se conjugue pour placer le créateur face à des interrogations fortes, entre espoir et inquiétude : quelle va être, à l'aube du Troisième Millénaire, la fonction de l'auteur ? -C'était l'objet même de votre colloque-. Comment l'oeuvre va-t-elle vivre dans la future société de communication ?
La modernité est une chance mais c'est aussi un risque.
Une chance, parce qu'elle permet d'explorer des voies nouvelles, des formes nouvelles d'expression, parce qu'elle permet surtout de toucher des publics beaucoup plus vastes que par le passé. N'est-ce pas le rêve de tout créateur que de traverser le temps et l'espace pour atteindre, très loin, un inconnu qui, hier encore, l'aurait à jamais ignoré ? Une chance, aussi, parce qu'il y a là une promesse d'expansion pour l'industrie culturelle, avec des conséquences non négligeables en terme d'emploi.
Mais la modernité c'est aussi un risque. Risque que se développent, de manière anarchique, les réseaux de la connaissance, avec une tentation de plus en plus forte et de moins en moins contrôlable, de considérer les biens culturels comme de simples produits.
Risque pour l'auteur de voir son oeuvre dévoyée ou trahie. Risque de ne pas recevoir la juste récompense de son talent et de son travail.
Risque que le droit d'auteur se voit nié au nom du droit à l'information. Raisonnement fallacieux mais problème réel.
Pour une large part, la réponse à ces inquiétudes est entre les mains des sociétés que vous représentez. Au développement de nouveaux modes de communication, doit répondre, de votre part, un effort accru d'organisation et de compétence technique. Moderniser et adapter la gestion collective des droits. Vous donner les moyens d'exister et de négocier avec les grands groupes de l'industrie culturelle. Anticiper les avancées technologiques. Voir loin et voir grand. Telles sont désormais vos responsabilités en forme d'ambitions.
Mais les états ont aussi leur rôle à jouer. La France quant à elle y est prête.
Fidèle à sa tradition humaniste, la France, et j'en prends devant vous l'engagement, s'opposera à ce qu'il soit porté atteinte au droit moral et patrimonial des créateurs.
L'Union Européenne a clairement affirmé que les conditions de la libre créativité devaient être, quoi qu'il arrive, sauvegardées et assurées, grâce notamment à l'harmonisation des législations nationales, harmonisation nécessaire à la circulation des oeuvres au sein du Marché Unique. C'est dans cet esprit que la France a souscrit aux directives communautaires touchant à la propriété littéraire et artistique.
Il convient, et j'y porte une attention personnelle, que cet équilibre soit également préservé au plan mondial.
La France s'est battue avec un certain succès pour l'exception culturelle dans le cadre du GATT. Je souhaite que les décisions prises à son initiative ne soient ni contournées par les travaux de l'Organisation Mondiale du Commerce, ni menacées par la négociation d'un Accord mondial sur l'investissement, et nous y prendrons garde avec beaucoup de détermination.
Je souhaite que les instances communautaires adoptent très rapidement la nouvelle Directive " Télévision Sans Frontière ", telle qu'elle a été renforcée en ce qui concerne l'obligation de la diffusion des oeuvres européennes. Il ne faut pas prendre le risque de réduire la culture.
Je souhaite également que les aménagements qui vont être apportés à la Convention de Berne dans le cadre de la conférence diplomatique réunie par l'O.M.P.I. en décembre prochain ne compromettent pas un équilibre jusqu'ici préservé. Au sujet de la maîtrise des réseaux numérisés, j'ai demandé au gouvernement français de soutenir les projets de sanction qui ont été préparés au sein de l'O.M.P.I.
La position de la France est donc claire. Elle considère que la protection des droits de propriété littéraire et artistique entre dans l'exception culturelle. Elle affirme que les oeuvres de l'esprit prolongent l'acte créateur et qu'elles ne sauraient être assimilées à un simple produit.
Dans les négociations présentes et à venir, la France fera entendre sa voix pour que s'impose une vision humaniste du droit de création. Elle appellera ses partenaires européens à se mobiliser avec elle pour aborder, unis et résolus, les échéances de demain. Elle fera de même avec tous ses amis autour du monde.
Madame la Présidente, Monsieur le Ministre, Mesdames, Messieurs, nous en sommes tous convaincus, se battre pour les droits des créateurs, c'est se battre en réalité pour la culture, pour le paysage culturel de l'An 2000.
L'avenir se construit évidemment aujourd'hui. L'un de vos dirigeants écrivait récemment : " la vie sans auteur serait un désert ". C'est maintenant qu'il nous faut choisir entre le désert et la vie.
Cette société de l'information qui s'édifie sous nos yeux, faisons en sorte qu'elle soit une société de la création, qui encourage et stimule l'acte créatif au lieu de l'asservir. L'histoire et les succès de votre Confédération nous montrent qu'il est possible de concilier les démarches économiques et créatrices, et de faire avancer ensemble tous ceux qui font la culture.
Dans ce combat pour l'épanouissement de la création, pour la diversité, pour la richesse, pour le dialogue des cultures, vous trouverez, Mesdames et Messieurs, la France à vos côtés.
Je vous remercie.
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