Palais de l'Elysée, le jeudi 6 février 1997
Votre Sainteté,
Monseigneur,
Monsieur l'Ambassadeur,
Eminence,
Mesdames, Messieurs,
Votre Sainteté, je suis heureux de vous accueillir à l'occasion de votre passage, dans cette maison et notamment en présence de son Eminence, le Cardinal Archevêque de Paris.
Votre Sainteté, en Arménie, où ils avaient cru pouvoir trouver les jardins de l'Eden, les fils de Haïg devaient trop souvent connaître, hélas, comme l'écrit Koutchak, " le destin du captif, le tombeau des prisons, l'exil, la solitude, l'interminable nuit derrière les verrous "... Invasions, séismes et massacres, rien, pourtant, n'est parvenu à diluer l'identité du peuple arménien : si ce pays martyr a pu assurer sa survie, c'est grâce au triomphe précoce de la foi chrétienne et à la fondation de son Eglise, une église bâtie sur la souffrance et devenue, avec les malheurs de l'histoire, " l'âme visible de la Patrie absente ".
On ne peut penser à l'Arménie sans évoquer les hautes figures de Saint Grégoire l'Illuminateur, de Saint Mesrop, de Saint Sahak ; sans évoquer ses premiers historiens, à la fois chroniqueurs et poètes, l'incomparable mystique Grégoire de Narek et tant d'autres qui enluminèrent ces Bibles que j'ai admirées en juin dernier à la Bibliothèque nationale de Paris, en compagnie de mon ami, le Président Levon Ter Petrossian. On ne peut penser à votre pays, Votre Sainteté, sans voir se lever, parmi ses milliers d'églises, l'une d'entre elles dont nous parlions à l'instant, la cathédrale d'Ani, dont l'avenir me tient à coeur ; sans songer à l'épopée des catholicossats d'Etchmiadzine et de Cilicie, dont Vous aurez, fait exceptionnel, assumé la charge, rapprochant plus encore les deux branches traditionnelles de Votre Eglise.
Né dans la ville de Kessab, en Syrie, d'un père officier près des troupes françaises, Vous auriez pu, Votre Sainteté, acquérir notre nationalité. Vous parlez d'ailleurs parfaitement notre langue et Vous êtes un actif défenseur de la francophonie, de cela aussi nous avons parlé à l'instant, en soulignant le rôle que l'Eglise catholique, également, Eminence, pourrait avoir pour faciliter et renforcer la francophonie en Arménie. Ardent dépositaire d'un message oecuménique, Vous Vous êtes tourné très vite vers l'ensemble du monde, comme vous y prédisposaient les études théologiques que Vous avez effectuées à Antelias d'abord, au Liban, puis en Grande-Bretagne, à Oxford.
Nouvel évêque, Vous devenez chancelier du catholicossat de Cilicie, ce nom si cher et si évocateur pour les Français. Votre intimité avec la langue arabe, Votre tolérance naturelle, qu'illustrent Vos excellentes relations avec les clergés de tous les cultes, y assurent le rayonnement de Votre mission pastorale. Puis Votre Sainteté prendra en charge la communauté arménienne d'Iran, avant de poursuivre Sa tâche à New York. Pendant dix ans, au contact permanent avec les cultures si diverses brassées par cette métropole universelle, Vous y renforcez Votre conviction : l'affirmation de l'identité arménienne, de la spécificité de son Eglise, de l'universalité de son message singulier, doit se faire par le dialogue avec les autres cultures, avec les autres Églises, afin de participer mieux encore à cette riche symphonie où chaque Église doit jouer sa propre partition.
C'est pénétré de cet engagement oecuménique qui ouvre à l'Église arménienne une voie exigeante, difficile mais très belle, que Vous serez appelé, en 1983, à assumer Votre mission à la tête du catholicossat de Cilicie, puis, en 1995, à la tête du catholicossat de tous les Arméniens.
Au moment où Votre Eglise se prépare à célébrer ses 1700 ans, il Vous appartient d'accompagner la renaissance de l'Arménie indépendante, et ses premiers pas dans l'ère moderne comme nation pleinement souveraine.
Votre Sainteté sait qu'Elle est ici dans un pays qui, de tout temps, a eu une affection particulière pour l'Arménie, et souhaite l'aider. Nous l'avons fait lors de la reconstruction de Votre pays après le terrible tremblement de terre de 1988 ; nous l'avons fait lors de la crise économique qui a suivi l'effondrement de l'Union soviétique. Nous continuerons à le faire en amplifiant notre rapport, pour trouver notamment une solution durable à ce conflit dont nous venons de parler longuement qui endeuille depuis plusieurs années déjà l'Arménie et l'Azerbaïdjan.
Ainsi, tous les croyants pourront pratiquer leur culte sur la terre de leurs ancêtres, dans les 1600 églises du Haut-Karabakh, comme le pratiquent les 350 000 Arméniens de la diaspora française auxquels Votre Sainteté rend visite aujourd'hui.
Et je suis profondément heureux, Votre Sainteté, que ce premier voyage pastoral en France me permette de témoigner des affinités anciennes que mon pays nourrit avec le peuple arménien et de Vous manifester la très haute estime et le très profond respect que nous Vous portons, en Vous faisant commandeur de l'Ordre national de la Légion d'honneur.
Karékine 1er,
Au nom de la République française, nous Vous faisons commandeur de l'Ordre national de la Légion d'honneur.
Votre Sainteté, il m'est très agréable de promouvoir dans notre ordre le plus prestigieux Monseigneur Kude Nacachian, prélat des Arméniens de Paris, délégué pour l'Europe du catholicossat de tous les Arméniens.
Monseigneur, permettez-moi de dire Cher Ami, votre promotion évoque pour moi un souvenir marquant, - la remise par vos soins des insignes de l'Ordre de Saint Grégoire l'Illuminateur. Elle est liée à vos mérites exceptionnels et aux services éminents que vous rendez depuis si longtemps à la communauté arménienne française, la plus importante d'Europe, une communauté qui, au cours des deux dernières guerres mondiales, a versé son sang pour " notre grand-mère la France ", et lui apporte aujourd'hui encore, dans tous les domaines, sa créativité et ses talents.
Monseigneur, vous êtes né, comme Sa Sainteté Karékine 1er, en Syrie, - à Alep. Vous serez admis, vous aussi, au séminaire du catholicossat de Cilicie, à Antélias. Vous serez fait diacre en 1954, puis ordonné prêtre régulier dans le monastère où, entre autres responsabilités, vous est confiée celle de chef des chantres, où votre charge est de transmettre ces extraordinaires chants sacrés que sont les " charakans ", dont la beauté, révélée à l'Europe par le père Komitas, possède un caractère unique au monde. Reçu, à 25 ans, docteur en théologie, à Etchmiadzine, vous êtes invité à venir à Paris. Prêtre titulaire de l'église-cathédrale Saint-Jean Baptiste en 1961, docteur suprême en théologie en 1965, vous êtes nommé vicaire général du délégué apostolique des Arméniens d'Europe. Vous ne cessez pour autant de dispenser l'éducation religieuse à l'Ecole du Raincy, tout en suivant des cours de théologie à l'Institut catholique.
En 1973, Sa Sainteté Vasken 1er vous sacrera évêque à Etchmiadzine et en 1984, à la disparition de Mgr Séropé Manoukian, vous serez élu, à l'unanimité, prélat de Paris, fonction dans laquelle vous confirmera Sa Sainteté qui fera de vous Son délégué apostolique pour l'Europe, avant de vous nommer archevêque en 1988.
Vous allez vous attacher tout particulièrement, Monseigneur, à développer les relations de votre Église avec les chefs religieux des églises chrétiennes de France - vous deviendrez d'ailleurs membre du Conseil de ces Eglises. Vous ferez de même avec les responsabilités des autres religions et les plus hautes autorités civiles de notre pays. Vous participerez aussi, à titre d'observateur, aux réunions du Conseil oecuménique des Eglises. Vous organiserez et co-présiderez, entre autres, un colloque qui se tiendra à Paris en avril 1993, et auquel participera Sa Sainteté Karékine 1er qui vous nommera dès 1995 membre du Conseil supérieur de l'Eglise et vous déléguera à divers congrès et assemblées qui se tiennent dans le monde.
Dans toutes ces tâches, Monseigneur, vous avez employé votre vaste culture, votre haute autorité morale, votre énergie, votre sens de l'humain, à rapprocher tous les fidèles de toutes les religions monothéistes, mais aussi tous les hommes, quelles que soient leurs croyances. Et c'est votre rayonnement et votre autorité que distingue aujourd'hui cette promotion, que j'ai été heureux de décider, au grade d'officier de la Légion d'honneur.
Kude Nacachian,
Au nom de la République française, nous vous faisons officier de l'Ordre national de la Légion d'honneur.
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