Palais de l'Elysée, le mardi 21 janvier 1997
Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Garde des sceaux,
Monsieur le Premier Président de la Cour de Cassation,
Mesdames, Messieurs,
Sans que soit bien sûr en cause la qualité des magistrats et des fonctionnaires de la justice, le système judiciaire français n'est pas toujours perçu par l'opinion publique comme remplissant parfaitement ses missions. Nos concitoyens lui reprochent d'être lent, parfois cher, souvent peu compréhensible.
Investi par la Constitution d'une responsabilité particulière dans ce domaine, j'ai pour ambition de doter la France, au terme de ce septennat, d'une justice modernisée.
J'ai demandé au Gouvernement, dont c'est la responsabilité, de mettre en place une justice plus rapide, plus simple, plus efficace et plus proche du justiciable. Pour y parvenir, il conviendra d'améliorer l'organisation actuelle, d'accroître les moyens, d'alléger les procédures, de développer la conciliation et la médiation.
Mais, au-delà de ces problèmes, nos concitoyens soupçonnent la justice d'être parfois soumise à l'influence du Gouvernement et de ne pas suffisamment garantir le respect des libertés individuelles en particulier la présomption d'innocence.
Parce que c'est notre conception de la démocratie qui est en cause, j'ai souhaité que la réalité et l'ampleur de ces deux manquements aux textes fondamentaux soient très soigneusement examinés. C'est la mission de votre Commission qui, en toute indépendance, cela va de soi, et forte de sa diversité et de l'expérience de ses membres, devra éclairer par ses débats et ses propositions les choix du Gouvernement et les projets qu'il soumettra au Parlement.
La présomption d'innocence est un droit fondamental, reconnu dans la déclaration de 1789. La dignité de la personne humaine, l'harmonie sociale exigent qu'elle soit strictement respectée. Ce n'est pas toujours le cas aujourd'hui.
Votre Commission devra donc s'interroger sur les meilleurs moyens de ne laisser envisager la culpabilité qu'au moment où elle est suffisamment avérée.
Cette interrogation comporte une série de questions et notamment : comment aboutir à un meilleur équilibre entre les phases d'instruction et de jugement du procès pénal ? Faut-il dès le départ de la procédure soumettre toute décision d'instruction à un débat contradictoire et public et conduire l'information "à dossier ouvert" ? Convient-il au contraire, tout en assurant le droit d'informer, renforcer le secret du contenu de la procédure ? A quelle réparation ou réhabilitation peut-on prétendre en cas de violation de la présomption d'innocence ?
L'indépendance de la justice à l'égard du pouvoir politique, quant à elle, trouve sa garantie dans les dispositions constitutionnelles et statutaires, dont celles résultant de la réforme de 1993. Cependant des voix s'élèvent pour envisager une coupure radicale entre le ministère de la Justice et le Parquet. Une telle position mérite d'être examinée avec la plus grande attention et sans aucun préjugé.
Je vous demande d'étudier les modalités et les conséquences d'une situation nouvelle dans laquelle le Parquet ne serait plus subordonné au garde des sceaux et, éventuellement même, ne serait plus hiérarchisé.
Mais une telle réforme ne saurait s'accomplir de manière isolée. Elle aurait en effet des conséquences importantes sur la place de l'institution judiciaire dans l'organisation des pouvoirs publics et sur l'architecture du service public de la justice.
Ainsi vous devrez, notamment, vous interroger :
- sur le fondement des fonctions de juger et de requérir au nom de la société, sur les sources de leur légitimité ainsi que sur les conditions dans lesquelles les personnes investies de ces pouvoirs, agissant en pleine indépendance, engageraient leur responsabilité dans l'accomplissement de leur mission.
- sur les relations qui devraient exister entre l'autorité judiciaire et les pouvoirs exécutif et législatif, lesquels procèdent tous deux, par la voie du suffrage, de la souveraineté nationale.
- sur les conditions dans lesquelles le Gouvernement pourrait, conformément aux dispositions de l'article 20 de la Constitution, déterminer et conduire la politique judiciaire et notamment la politique pénale de la Nation.
Votre mission devra donc s'exercer en recherchant de la manière la plus large et la plus libre, toutes les implications des nouveaux choix fondamentaux qui pourraient être faits par la France afin de rendre à sa justice le caractère exemplaire qui doit être le sien.
Je souhaiterais, Monsieur le Président, que vous remettiez le résultat de vos travaux au Gouvernement avant le 15 juillet prochain.
Je vous remercie.
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