Palais de l'Elysée, le jeudi 19 juin 1997
Révérend Père, Jean-Marie Ducruet, ancien Recteur de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, et Président du Conseil d’administration de l’Hôtel Dieu de France, qui, lui, a fait un parcours plus long, aussi dangereux et également remarquable pour notre pays. Un grand universitaire d’abord, un bâtisseur, un serviteur de la pensée française au Moyen-Orient et particulièrement au Liban.
Né à Bourg-en-Bresse, il entre à vingt ans dans la Compagnie de Jésus. Réquisitionné pour le service du travail obligatoire en Allemagne, en 1943, il organise le sabotage des obus dans une usine de munitions où il travaille alors, et d’ailleurs il est pris, envoyé en forteresse, et réussit à s’évader.
Il reprend ensuite ses études : plusieurs diplômes : Droit, Lettres, Théologie, Doctorat de Sciences Economiques, et en 1960, il s’installe au Liban. Ce grand pays qui nous est si proche depuis si longtemps, et où la France a toujours eu une partie de son coeur. Il va consacrer toute sa vie à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Un établissement qui fait l’honneur de notre pays, d’abord comme professeur, puis comme recteur pendant vingt ans, où il est réélu chaque année, à l’unanimité.
Parallèlement, il dirige l’Hôtel Dieu de France qui est un centre hospitalo-universitaire qui a eu, notamment, un rôle capital pendant toutes les années de guerre et de combats.
Un homme libre, qui n’a jamais craint de dire la vérité, même aux heures les plus sombres de la guerre du Liban, et qui jouit d’une très grande autorité morale qui est une référence pour beaucoup de celles et de ceux, quelles que soient par ailleurs leur religion, leur confession, qui aspirent à un Liban, à la fois indépendant, et incarnant les grandes traditions de respect de l’homme et de la démocratie qui furent celles de ce beau pays.
Un grand bâtisseur, aussi, qui s’est consacré pendant vingt ans au développement de l’Université Saint-Joseph, qu’il a agrandie, modernisée, diversifiée, décentralisée et très souvent réparée. Avec une ténacité étonnante, il a réussi envers et contre tout à maintenir l’université ouverte pendant les quinze ans de guerre de 75 à 90.
Malgré les difficultés que chacun connaît, et alors que l’université paye régulièrement un lourd tribut au conflit, je rappelle qu’il y a eu sept Pères, dont cinq Français, qui ont été tués pendant ces événements et j’ai une pensée, et un hommage particulier, à leur intention en ce moment.
Il a maintenu les enseignements. Il a sauvegardé les établissements. Il les a reconstruits chaque fois qu’ils étaient bombardés. Il a soutenu, en permanence, les doyens, les enseignants, les étudiants pendant cette période. Il a été le véritable recteur des années de guerre, ne cessant de créer, alors que tant de gens -et on les comprend- désespéraient.
Un grand serviteur de la pensée et de la culture française dans un Liban qui est devenu naturellement sa seconde patrie.
Le Père Ducruet croit en la francophonie. Il a beaucoup fait pour elle. Il a donné à des milliers et des milliers de jeunes Libanais une formation en français, d’une très grande qualité. Bien entendu, les Libanais le considèrent comme l’un des leurs.
Plaidant inlassablement en faveur de l’unité du Liban, il s’est toujours employé à ce que ce pays demeure une terre de liberté ou redevienne une terre de liberté, de dialogue, de tolérance, ce qu’il a vocation à être. Il a d’ailleurs créé, dans ce but, à l’Université Saint-Joseph, un remarquable Institut d’études islamo-chrétiennes.
Donc, mon Père, une haute personnalité brillante, respectée, qui a consacré sa vie à développer le rayonnement de notre pays à travers cette Université française du Proche-Orient qui a formé tant d’hommes et de femmes de qualité pour l’ensemble de cette région du monde et à renforcer par sa contribution exceptionnelle l’amitié entre la France et le Liban.
Mon Père, pour tout cela, je suis heureux et fier de vous remettre la Croix de Commandeur de la Légion d’Honneur.
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