New Delhi, Inde, le dimanche 25 janvier 1998
Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie, Monsieur le Président, pour vos paroles de bienvenue et d'amitié qui me sont allées droit au coeur.
C'est pour moi une grande émotion de revenir en Inde et d'être ce soir votre hôte dans ce lieu prestigieux, au coeur de la Nouvelle Delhi. Et c'est une grande fierté pour la France que vous l'ayez invitée comme hôte d'honneur de votre fête nationale, en cette année où vous célébrez le cinquantième anniversaire de la naissance de l'Union Indienne.
Depuis longtemps, le destin de votre pays parle à l'esprit et au coeur des Français. L'Inde a suscité notre admiration dans la conquête de son indépendance. Il y a plus de trente ans, le Général de Gaulle l'évoquait en ces termes : " Ce que nous pouvions voir et savoir de la vie de l'Inde, de ses épreuves, de sa volonté d'être libre tout au long des années où elle ne l'était plus, nous faisait croire à son grand avenir dès qu'un jour l'aurait touchée le génie de l'indépendance ".
Votre pays est devenu le porte-parole du tiers-monde et le champion des non-alignés. La France, quant à elle, luttait contre l'ordre bipolaire et sa logique d'affrontement. Aujourd'hui, c'est ensemble que nous devons construire un monde nouveau, le monde du XXIème siècle.
Vous le savez, je souhaite que la France et l'Europe écrivent, avec le continent asiatique tout entier, une nouvelle page de leur histoire. C'est une priorité de notre politique étrangère. Et l'Inde est naturellement au coeur de cette priorité.
Tout nous invite à travailler ensemble. Nos affinités profondes d'abord. Nos deux pays sont deux vieilles nations façonnées par l'Histoire, la culture, une vision de l'homme. L'une et l'autre ont nourri le monde d'idéaux. L'une et l'autre offrent l'exemple de démocraties accomplies qui veulent pour chacun plus de liberté, plus de dignité, plus de justice. Quel beau symbole que ma visite en Inde, pour le cinquantième anniversaire de votre indépendance, coïncide avec les célébrations dans le monde entier du cinquantième anniversaire de l'adoption à Paris de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme !
Sur notre capital d'estime et d'intérêt, construisons un partenariat ambitieux. Unissons nos efforts pour bâtir ce monde multipolaire qu'Indiens et Français veulent harmonieux et juste.
La France d'aujourd'hui prépare son avenir dans l'Union européenne. Une Europe qui va s'élargir et comptera bientôt 500 millions de femmes et d'hommes. Une Europe qui, dans moins d'un an, sera dotée d'une monnaie unique. Une Europe, première puissance économique du monde, qui pourra alors peser de tout son poids en faveur d'un meilleur équilibre du système monétaire international. Une Europe solidaire qui est et restera le premier donneur d'aide publique. Une Europe, qui s'affirme déjà comme l'un des tout premiers pôles du monde de demain.
Parmi ces pôles, comment ne pas voir émerger l'Amérique du Sud autour du MERCOSUR, l'Asie Orientale avec l'ASEAN, la Chine et le Japon, et bien sûr l'Asie du Sud avec l'Inde et ses voisins rassemblés autour de la SAARC ?
Cette Inde qui nous fascine par sa civilisation, sa culture, son art, sa sagesse, son histoire cinq fois millénaire. Cette Inde qui est aujourd'hui un grand pays industrialisé, à la pointe de la science et de la technologie modernes. Cette Inde engagée dans d'audacieuses réformes économiques, ouverte sur le monde et qui apporte chaque jour la preuve de son dynamisme et de sa vitalité.
L'Inde éternelle, mais aussi l'Inde moderne et puissante, que ma délégation et moi-même sommes venus rencontrer aujourd'hui. L'Inde avec laquelle nous voulons accomplir de grands desseins.
Hier, à Bombay, nos responsables économiques ont identifié de nombreux projets. Les entreprises françaises souhaitent multiplier leurs investissements chez vous. Nous sommes prêts à d'ambitieux transferts de technologie. Nous vous proposons des initiatives conjointes pour la production d'énergie comme pour la recherche scientifique et médicale, notamment la lutte commune contre le SIDA.
Nous devons aussi travailler ensemble à la préservation de notre environnement, à l'amélioration des conditions de vie de nos concitoyens, notamment dans les villes.
Tous les secteurs d'activité de la France sont mobilisés pour travailler avec vous, comme en témoigne la présence à mes côtés de nos plus grands dirigeants d'entreprises.
Nous vous proposons enfin d'intensifier notre dialogue politique et stratégique, de réfléchir à la relance de notre coopération dans le domaine de la défense.
Pour donner toute leur cohérence à ces orientations et développer un partenariat global, il a été décidé d'installer un Forum d'initiatives franco-indien présidé par de hautes personnalités, le Dr Karan Singh, ancien Ministre de l'Education, et le Sénateur Jean François-Poncet, ancien Ministre des Affaires Etrangères. Entourés d'éminents représentants de nos deux pays, ils devront explorer de nouveaux champs d'actions pour notre coopération.
Car, Monsieur le Président, l'Inde et la France ont bien des responsabilités à l'échelle du monde. Elles doivent les assumer ensemble. C'est ensemble qu'elles doivent agir au sein de l'Organisation des Nations Unies pour promouvoir sa réforme et assurer la paix et la sécurité. C'est ensemble qu'elles doivent contribuer à l'élaboration des nécessaires règles du jeu d'une économie mondialisée, au sein du Fonds Monétaire International et de l'Organisation Mondiale du Commerce. C'est ensemble qu'elles doivent lutter contre les grands fléaux de notre temps : le crime organisé, la corruption, la drogue, les menaces contre notre environnement.
Monsieur le Président, dans l'un de ces fameux dialogues qui réunirent Nehru et Malraux en un passionnant échange entre l'Inde et l'Occident, le Pandit raconta l'histoire de l'ascète Nârada. Envoyé par Vishnou pour chercher de l'eau, Nârada fut, en chemin, frappé par la beauté d'une jeune fille. Happé par la vie, il en oublia sa mission. Au soir de son existence, il entendit la voix de Vishnou qui lui demanda : " Mon enfant, où est l'eau ? J'ai attendu plus d'une demi-heure... ".
Cette histoire, Malraux la rapprocha de l'une de nos légendes. Celle de ce moine, perdu dans la forêt à la poursuite d'un oiseau merveilleux, et qui, au terme de sa course, retrouve enfin son couvent mais transformé par le temps, tous ses frères morts et son Supérieur d'autrefois devenu un vieillard.
Ces deux histoires qui se répondent, Monsieur le Président, cette sagesse de nos deux pays, rappellent, notamment à tous ceux qui ont l'honneur et la responsabilité de conduire le destin de nos peuples, notre humilité au regard de la marche du monde. Elles soulignent l'insignifiance de nos vies, notre ardente obligation de les mettre au service d'un grand dessein, sans quoi elles ne sont qu'illusion et vanité.
Ce grand dessein, c'est le bonheur et la prospérité de nos peuples. C'est la paix qui devra bien un jour s'imposer dans le monde. C'est la dignité de chaque homme. Ce grand dessein pour lequel l'Inde et la France ont convenu de s'unir.
C'est fort de cette volonté que je souhaite, Monsieur le Président, porter un toast. Je lève mon verre en votre honneur. Je le lève en l'honneur des hautes personnalités indiennes et françaises qui nous font l'amitié de leur présence ce soir. Je le lève en l'honneur du grand peuple indien. Je bois à son bonheur et à sa prospérité. Je bois à la profonde amitié entre l'Inde et la France.
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