Allocution du Président de la République lors de la présentation des voeux des Corps constitués.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de la présentation des voeux des Corps constitués.

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Palais de l'Elysée, le mardi 6 janvier 1998

Monsieur le Premier ministre,

Mesdames et Messieurs les ministres,

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

J'ai été très sensible, Monsieur le Président, aux voeux que vous venez de me présenter au nom des corps constitués. L'appellation est peut-être ancienne, elle a une certaine allure. A mon tour, Monsieur le Président, je souhaite que cette année 1998 soit pour chacune et chacun d'entre vous, soit pour les vôtres, une très bonne, une très heureuse année.

Cette cérémonie, traditionnelle, vous l'avez dit, Monsieur le Président, et qui s'inscrit tout naturellement dans le calendrier républicain, s'adresse aussi, à travers vous, qui les représentez, à toutes celles et tous ceux qui ont choisi de servir l'Etat et donc de servir nos concitoyens.

Au nom de nos compatriotes, je voudrais rendre hommage à leur dévouement et à leur conscience professionnelle. Dans l'accomplissement de leur mission, ils portent, c'est vrai, haut les couleurs du service public auquel nous sommes tous profondément attachés. En cela, ils méritent à la fois reconnaissance et respect.

Vous avez choisi, Monsieur le Président, de revenir, cette année, sur un thème qui constitue un sujet de préoccupation majeur pour les Français. Je veux parler de la place de l'Etat dans la Nation.

L'Etat et la Nation entretiennent dans notre pays une relation complexe, qui a évolué avec le temps.

Tout au long des dix siècles passés, l'Etat a été, en quelque sorte, le principe agissant de la Nation française. C'est l'Etat qui a contribué à faire naître l'idée nationale en France. C'est l'Etat qui lui a donné corps. Les grands rois et leurs ministres n'ont eu de cesse de renforcer l'Etat central pour asseoir leur autorité. Ils n'ont eu de cesse d'effacer les restes d'une organisation féodale qui contribuait à l'éclatement du territoire et au morcellement du pouvoir. Ce faisant, ils ont forgé la Nation française. A tel point que l'on a pu dire qu'en France, l'Etat a précédé la Nation.

Il s'agit là d'un héritage très profondément ancré dans notre culture et dans nos esprits. Bien sûr, et nos textes constitutionnels s'en font l'écho, il y a eu des époques où la Nation s'est identifiée au peuple - c'est particulièrement vrai au moment de la Révolution française - mais dans notre représentation collective, la Nation, c'est d'abord l'Etat.

Aujourd'hui, cette conception ne correspond plus à la réalité.

Elle est d'abord par trop réductrice. La Nation française, forte de son passé, de ses traditions et de sa culture, existe en dehors de l'Etat, qui n'est que l'une de ses multiples facettes. Elle a une réalité, une densité, une vie propre.

Au-delà de l'Etat, la Nation française, c'est avant tout une communauté de citoyens. Une communauté de destins.

Ce serait réduire la France que de l'identifier à une organisation administrative. La substance de notre pays est ailleurs, dans cette histoire partagée, dans ce vouloir-vivre ensemble qui nous unit. Et c'est ce qui fait, je crois, notre force et notre richesse.

C'est d'ailleurs pourquoi la construction européenne et les transferts de compétences qu'elle implique ne sont pas de nature à mettre en péril notre identité nationale.

Assimiler la Nation à l'Etat n'est pas seulement réducteur. Il s'agit aussi d'une conception qui ne correspond plus aux exigences de notre temps. La France est une démocratie adulte, ouverte sur le monde. Dans l'univers fait d'échanges et d'interactions qui est désormais le nôtre, l'Etat ne peut plus être l'alpha et l'omega. Il ne peut plus tout diriger, tout régenter.

Vous avez évoqué, Monsieur le Président, ces thèses qui font du dépérissement de l'Etat une conséquence inévitable, et souhaitable, de la mondialisation.

Force est de constater que, dans notre pays, nous assistons à l'heure actuelle à un phénomène inverse. Si l'Etat aujourd'hui dépérit, ce n'est pas par son rétrécissement, mais au contraire, par son expansion continue.

C'est au moment où le secteur public a atteint des dimensions inégalées, malgré les efforts qui ont pu être faits pour le réduire, au moment où il emploie un actif sur quatre dans notre pays, que l'Etat est en réalité le moins efficace.

Ne nous y trompons pas. Il s'agit bien là de l'une des causes de la crise morale que traverse notre pays. Nos compatriotes continuent à tout attendre de l'Etat dont, par ailleurs, ils n'espèrent plus rien.

Pour sortir de cette impasse, nous devons redéfinir ensemble le rapport de l'Etat et de la Nation.

Une Nation moderne et ouverte, prête à prendre sa place et sa part dans les grands mouvements qui animent le monde, exige un Etat allégé dans son fonctionnement, et comme vous l'avez dit, Monsieur le Président, recentré sur ses missions de souveraineté et de solidarité.

L'Etat producteur, entrepreneur et interventionniste doit céder la place à un Etat garant. L'Etat providence qui chancelle sous son propre poids doit devenir un Etat soutien, un Etat régulateur, un Etat sécurisant.

Ce sont là les vraies missions de l'Etat, comme vous l'avez rappelé, Monsieur le Président. Ce sont celles qui fondent sa légitimité et son efficacité.

C'est pourquoi, une profonde réforme de l'Etat est plus que jamais nécessaire. Il s'agit d'une ambition de grande envergure qui ne pourra se satisfaire de quelques mesures ponctuelles et qui est très difficile à réaliser.

Une vaste réflexion a été engagée au cours des dernières années sous l'impulsion des gouvernements successifs. Elle a conduit à des initiatives concrètes qui vont dans le bon sens. Il serait très dommageable pour notre pays que la portée de ces initiatives soit restreinte ou que leur mise en oeuvre soit différée.

Le rapprochement de l'Etat et du citoyen, la modernisation et l'allégement des administrations centrales, la rénovation de la gestion publique correspondent indiscutablement à une attente profonde de nos concitoyens.

La déconcentration est un acquis de la réforme de l'Etat. Elle témoigne aussi du chemin qui reste à parcourir pour vaincre les résistances et les pesanteurs de l'habitude.

Si la réforme de janvier 1997 a marqué une avancée importante, il est essentiel que le Gouvernement et les services, vous toutes et vous tous, Mesdames et Messieurs, manifestent la volonté de poursuivre et de réussir la réforme de l'Etat qui est en cours actuellement.

Bien sûr, je n'ignore pas le confort des situations acquises, la commodité du consensus, et, souvent, l'influence grande des groupes de pression.

Mais, l'histoire nous l'enseigne : à défaut d'être maîtrisées, les transformations, lorsqu'elles sont inévitables, sont subies. Elles sont alors autrement plus douloureuses et conflictuelles. Quelle nouvelle crise faudra-t-il pour que notre pays ait la lucidité et le courage de se réformer ?

Monsieur le Premier ministre,

Mesdames et Messieurs les ministres,

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs

Les hésitations et les retours en arrière minent la confiance que portent nos concitoyens à notre modèle français de service public. La pérennité de nos institutions comme la préservation des équilibres sociaux exigent une profonde réforme de l'Etat.

Nous devons donner à l'Etat un nouveau souffle. Nous devons lui permettre d'accomplir ses vraies missions avec efficacité et légitimité. Nous devons l'inciter à retrouver sa vocation première, au service du bien commun certes, mais surtout au service du citoyen.

Je sais que, partout en France, des femmes et des hommes, qui ont une haute idée de la mission qu'ils ont choisie, sont prêts à se mobiliser pour la réforme de l'Etat, donc pour la modernisation et le renouveau de notre pays.

A l'aube de cette année nouvelle, je les invite, je vous invite à mettre tout votre talent, et je le sais grand, toute votre énergie au service de cette ambition.

C'est le voeu que je forme, Monsieur le Président, en ce début d'année, avec tous ceux aussi que je vous renouvelle à votre intention, à celle des vôtres et à celle de la France.





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