Palais de l'Élysée, le jeudi 16 juillet 1998
Monsieur le Président,
Notre rendez-vous, ce soir, est celui de l'amitié retrouvée. Cette " indestructible amitié ", disait le Général de GAULLE, que, pendant et depuis longtemps, se portent la Syrie et la France. Cette amitié, Monsieur le Président, qui nous permet d'évoquer ensemble les grandes questions, dans un climat confiant et cordial. Pour ma part, je n'oublie pas votre accueil et celui du peuple syrien à l'occasion de ma visite, chez vous, il y a deux ans.
Votre présence à Paris nous ramène plus de vingt ans en arrière. A ce mois de juin 1976 où, déjà, vous étiez l'hôte de la France. J'étais alors Premier Ministre. Je me souviens qu'un mot revenait toujours : la paix. Depuis, le temps a passé. Le monde s'est dessiné un nouveau visage. Pourtant, le même mot court sur nos lèvres aujourd'hui comme hier : la paix.
La paix au Proche-Orient bien sûr. Le chemin fut long et difficile, tracé par des hommes de vision, des hommes de courage jusqu'au sacrifice de leur vie. Un chemin jalonné de grands moments d'humanité et d'espérance mais aussi de doutes, de résistances, de reculs. L'Histoire est une longue patience. Il faut de la persévérance, de la volonté, de l'énergie, pour cicatriser les plaies du passé. Il en faut davantage encore pour vaincre l'intolérance, les préjugés, l'illusion. Il en faut aujourd'hui pour continuer, contre vents et marées, dans la voie de la paix.
Nous voilà, Monsieur le Président, malgré tous les progrès, malgré les engagements de part et d'autre, malgré l'ardente nécessité d'avancer, à ce point où le chemin semble s'arrêter. Où tout pousse à baisser les bras et à reculer. Alors même que tant d'hommes et de femmes, dans votre région, n'aspirent qu'à la paix.
Nous ne devons pas les décevoir ! Nous ne devons pas nous résigner ! Nous savons que la paix n'est possible au Proche et au Moyen-Orient qu'avec la Syrie. Travaillons ensemble, Monsieur le Président, pour la paix.
Une paix juste, globale et durable. Une paix qui ne laisse personne au bord du chemin, pour n'être jamais remise en question, pour installer définitivement la confiance.
Cette paix, le droit international en a posé les fondements. C'est le principe de l'échange de la terre contre la paix qui est au coeur des résolutions 242 et 338. C'est l'application, pour le Liban, de la résolution 425 du Conseil de Sécurité. Ce principe de l'échange de la terre contre la paix est à l'origine du processus engagé à Madrid puis accepté par tous. Il fonde depuis toujours la position de la France.
La paix contre la terre avec le retour du Golan à la Syrie. La paix contre la terre avec la poursuite des redéploiements israéliens et des transferts de compétences dans les territoires palestiniens, conformément aux accords signés.
La paix aussi au Liban. Le Liban cher à la France et que nous souhaitons uni, libre et souverain sur tout son territoire. Le Liban que nous soutenons dans la voie de la réconciliation, de la reconstruction, de la démocratie et de la liberté.
Mais aussi la terre contre la sécurité pleine et entière d'Israël. La terre en échange de frontières sûres et reconnues, de relations de voisinage apaisées, confiantes et normales.
Oui, nous voulons la paix, mais pas n'importe quelle paix, pas à n'importe quel prix. Une paix qui garantisse à chacun ses droits, son existence. Une paix viable, sur laquelle bâtir solidement l'avenir. La paix de Madrid, d'Oslo et de Taba. Cette paix qui, j'en ai la conviction, demeure possible.
C'est le sens de l'Appel que le Président MOUBARAK et moi-même avons lancé depuis Paris, il y a deux mois. Initiative, Monsieur le Président, dont nous avons longuement parlé. Aujourd'hui, l'idée de réunir une nouvelle fois à la même table les pays amis de la paix pour réaffirmer, contre la fatalité de l'échec, la validité du contrat de Madrid, cette idée fait son chemin. Et je me réjouis, Monsieur le Président, de l'engagement stratégique de votre pays en faveur de la paix.
Déjà, il y a plus d'un demi-siècle, en 1941, au plus noir, pour nous, de l'Histoire, à Damas, le Général de GAULLE en appelait à l'engagement conjoint des Syriens et des Français. " Le soleil de la victoire, disait-il, sera le soleil de la paix, d'une paix par laquelle il faudra que chaque nation et chaque homme dans le monde puissent vivre dans la liberté et dans la sécurité ". Un demi-siècle plus tard, cette paix reste à trouver au Proche-Orient. Le Général de GAULLE comptait sur l'alliance de la Syrie et de la France. Plus que jamais, c'est ensemble que nous pouvons faire bouger les choses. Ensemble, déjà, nous travaillons sur le terrain, au sein du Groupe de surveillance sur le Sud-Liban.
C'est encore la paix et c'est la coopération que nous avons au coeur, Monsieur le Président, en bâtissant notre fraternité méditerranéenne. Trop souvent espace de rivalités et d'affrontements, la Méditerranée, notre mer, est notre lien naturel. Elle est notre berceau. Elle est notre famille. Par elle, et depuis toujours, les hommes, les cultures, les civilisations se rencontrent et dialoguent.
Les Syriens le savent bien pour avoir développé, dès l'aube de l'humanité, l'une des civilisations les plus brillantes. Civilisation qui rayonna bien au-delà de la vallée de l'Euphrate, jusqu'en Perse et en Egypte. Puis, aux premiers siècles de l'ère musulmane, la Syrie devait resplendir de son éclat le plus vif, recueillant et repensant l'héritage grec avant de le transmettre à l'Occident, par le truchement des savants réunis à la cour des souverains omeyyades d'Andalousie. C'est ce grand dialogue des civilisations qui donne à votre pays sa richesse et sa beauté.
Aujourd'hui les deux rives de la Méditerranée ont engagé leur rapprochement, avec un grand dessein : le processus de Barcelone. La récente réunion de Palerme a confirmé la volonté de tous d'aller toujours plus loin. Et je salue votre décision d'engager les négociations sur l'Accord d'association avec l'Union européenne.
Oui, nous pouvons bâtir, dans tous les domaines, un grand partenariat pour le siècle prochain. Et nos deux pays doivent en être les artisans inlassables, eux qui, déjà, nourrissent d'anciennes et puissantes relations, souvent entravées dans le passé par des différends et des malentendus désormais surmontés.
Relations culturelles, bien sûr, héritées de l'Histoire. Relations denses et qui le sont davantage encore depuis 1996. Ainsi notre coopération en matière d'enseignement prend-elle un nouvel essor, avec la formation en France des assistants de vos universités, avec la multiplication d'accords entre nos établissements. Ainsi deux de nos plus prestigieux instituts, l'Institut français d'archéologie du Proche-Orient et l'Institut français d'études arabes, concourent-ils à vos côtés à faire mieux connaître dans nos deux pays et dans le monde l'inestimable patrimoine historique et culturel de la Syrie et du monde arabe. Ainsi nos deux peuples expriment-ils avec toujours plus d'empressement leur volonté de se rencontrer. Ce furent, il y a quelques années, les manifestations : " Syrie, mémoire et civilisation " qui eurent chez nous un immense succès. Ce sera, à Paris, en l'an 2000, la grande exposition consacrée par l'Institut du Monde Arabe à la civilisation omeyyade. C'est, en retour, la réussite de la toute jeune Ecole française d'Alep, qui a pu voir le jour grâce à l'appui de votre Gouvernement, dans cette ville symbole des liens entre la Syrie et la France, depuis l'ouverture, il y a plus de 400 ans, de notre premier consulat d'Orient.
Enfin, aujourd'hui, notre coopération, ce sont aussi d'importants échanges économiques. Que de chemin parcouru depuis ma visite, il y a deux ans ! Le règlement des contentieux financiers a donné un nouveau souffle à nos relations. Le protocole financier signé par nos deux Ministres des Affaires étrangères donnera le coup d'envoi d'importants projets de développement. Ce sont aussi nos plus grandes sociétés, dans le domaine notamment du pétrole et du gaz, qui souhaitent travailler plus étroitement avec vous. Votre compagnie nationale recevra prochainement son premier Airbus. Et ce ne sont, Monsieur le Président, que les prémices de ce que doit être la relation entre la Syrie et la France.
Oui, vous et moi avons pour nos deux pays une grande ambition. L'ambition de liens nouveaux, forts, confiants. Au service de la paix au Proche-Orient pour laquelle nous devons nous mobiliser et nous unir. Au service du développement de nos deux peuples et de tous ceux qui, par la Méditerranée, forment une même et grande famille.
Alors, Monsieur le Président : bienvenue en France. Et pour sceller notre nouvelle amitié, notre nouvelle ambition, je vais lever mon verre. Je le lève en l'honneur de Son Excellence, Monsieur Hafez El ASSAD, Président de la République arabe syrienne. Je le lève, Monsieur le Président, à la santé de vos proches, à la santé du peuple syrien et à cette paix à laquelle, avec d'autres, il aspire. Je le lève à l'amitié entre nos deux pays.
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