Palais de l'Élysée, le vendredi 20 mars 1998
Monsieur le Secrétaire Général,
Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs,
Mes Chers Amis,
Je suis très heureux de vous recevoir à l'occasion de cette Journée internationale de la Francophonie. Elle commémore la création à Niamey, en 1970, de l'institution qui est devenue aujourd'hui l'Agence de la Francophonie. En 1988, alors Premier Ministre, j'avais souhaité cette célébration annuelle pour mieux faire connaître le projet francophone. Je me réjouis d'en constater, année après année, le succès croissant.
Le Secrétaire Général à qui je tiens à rendre un hommage particulier et que je souhaite saluer très amicalement a suscité aujourd'hui une rencontre stimulante et sans doute sans précédent. Organisations de coopération régionale, mouvements fondés sur la langue ou la culture, conseils de coopération économique sont ici rassemblés, représentant les cinq continents et l'ensemble des domaines d'activité de la société internationale. Je salue chacune et chacun d'entre vous et je forme des voeux chaleureux pour le succès de votre action à la tête de vos institutions. En invitant, à vos côtés, les représentants personnels présents à Paris et les opérateurs de la francophonie, j'ai souhaité que nous nous retrouvions pour fêter ensemble cette journée, bien sûr, mais aussi pour réfléchir un instant à la signification de notre rencontre.
Je ne suis pas surpris que notre ami Boutros Boutros-Ghali en ait eu l'idée. Ouvrir la Francophonie au monde, c'est bien ainsi qu'il conçoit sa mission. Il veut exposer notre mouvement au vent du large, pour lui donner du souffle, de l'envergure. Cela confirme notre intuition : nul mieux que lui ne pouvait personnaliser la Francophonie, la lancer sur la voie nouvelle tracée à Cotonou puis à Hanoi.
Je salue, cher Boutros Boutros-Ghali, votre ambition pour notre famille et votre enthousiasme pour vos nouvelles fonctions. Ils sont bien à l'image de votre vie tout entière. Au service de la paix entre Israël et le monde arabe, vous avez engagé, auprès du Président Sadate, un mouvement décisif, pour lequel nous devons, sans nous laisser décourager, continuer de lutter. Au service de la paix dans le monde, à New York, vous avez lancé la réforme des Nations Unies, vous avez contribué au règlement de nombreuses crises régionales dans des conditions souvent difficiles. Vous avez travaillé au progrès de la démocratie, au progrès des droits de l'Homme, au progrès du développement.
Dans ces fonctions, vous avez démontré un goût particulier pour notre langue que vous possédez dans ses moindres finesses. Vous avez développé un sens très sûr de sa rigueur et de ses nuances. En grand négociateur, vous avez su vous l'approprier. Aujourd'hui, vous parcourez un peu le chemin inverse, en insufflant au mouvement bâti autour de notre langue, les dimensions politique et économique qui lui manquaient et que l'évolution du monde imposait.
La mondialisation transforme en profondeur la communauté internationale. Nous devons nous y adapter.
Les Etats ne peuvent plus concevoir leurs politiques sans tenir compte du cadre régional, mais aussi des équilibres planétaires. L'ère de l'autarcie est définitivement close. Qu'il s'agisse des progrès technologiques, des problèmes d'environnement, des questions commerciales, des politiques financières, de la lutte contre la drogue, le crime organisé, de la lutte contre les maladies infectieuses, nos actions s'inscrivent désormais dans une perspective globale.
Cette globalisation s'est accompagnée d'une diversification croissante des acteurs de la vie internationale. Pendant plusieurs siècles, les Etats en furent les acteurs principaux, quasiment exclusifs. Le " concert des Nations " ne rassemblait que des Etats. Cette conception a vécu. D'autres forces s'affirment, de mieux en mieux organisées, dont la puissance excède celle de nombreux Etats. Des entreprises, des mouvements religieux, des associations de protection des droits de l'Homme, de l'environnement, des travailleurs, étendent leurs activités au monde entier. Il en va de même, hélas, de certaines organisations criminelles ou terroristes ou de sectes.
Avec les associations et les entreprises, un dialogue institutionnel s'élabore. Une place croissante leur est reconnue dans nos organisations internationales. Contre les criminels, qui se jouent des frontières, la coopération entre Etats s'impose. Pour être efficace, elle doit désormais associer aussi les entreprises.
C'est ainsi que se construit peu à peu une nouvelle société internationale. Depuis le XVIIème siècle, des philosophes, des hommes d'Etat visionnaires en appelaient l'émergence de leurs voeux. La révolution des technologies et la volonté des hommes ont conduit à son application.
Encore faut-il que cette société globale ait ses règles du jeu et ses arbitres. Sans eux, la mondialisation serait une jungle. Il faut définir les champs du licite et de l'illicite, établir des garde-fous, protéger les moins forts, lutter contre l'exclusion. Telles sont les missions du réseau de plus en plus dense des organisations internationales, avec à leur sommet les Nations Unies. L'ONU permet à notre société moderne d'identifier et de maintenir les valeurs universelles, de bâtir et de garantir la paix, de promouvoir le développement économique et social.
Cette évolution, à laquelle la France apporte naturellement tout son concours, est complétée, équilibrée, par l'émergence de constructions régionales de plus en plus solides : l'Union européenne, le MERCOSUR, l'ASEAN, les accords régionaux africains, d'autres encore.
Les logiques géographiques ou économiques ne sont pas seules à dicter leur loi. Certains rassemblements traduisent d'abord la volonté de nos sociétés de préserver leur identité.
La Francophonie, le Commonwealth, la Conférence Islamique, l'Organisation des Etats ibéro-américains : autant de mouvements qui dépassent les cadres régionaux habituels. Qui soulignent l'importance de la diversité culturelle, du fait religieux et du pluralisme linguistique, face aux risques terribles de l'uniformisation dans le monde. Qui cultivent aussi une approche ouverte des rapports entre les peuples et les civilisations.
A travers la Francophonie, la France entretient et renouvelle sans cesse ses liens historiques avec l'Afrique et avec l'Orient, avec l'Amérique, avec le Pacifique. Elle se tient à l'écoute des mouvements du monde, à l'écoute des préoccupations des autres, afin de mieux répondre à leurs attentes. Oui, la Francophonie représente pour tous ses membres une dimension unique de la vie internationale, qu'aucune autre organisation ne pouvait leur apporter et dont nous ressentons tous le besoin.
A Hanoi, en novembre dernier, sous la dynamique présidence du Vietnam que je tiens à saluer ici, le mouvement francophone a pris des décisions importantes. Parachevant l'action entreprise à Cotonou, il a réformé ses institutions. Il s'est donné, pour le conduire et pour le représenter, une voix, un visage, une personnalité, les vôtres, Cher Boutros. Il a décidé de renforcer sa dimension politique, au service de la paix, de la démocratie et des droits de l'Homme. Il le fera dans le respect des traditions et de la souveraineté de chacun de ses membres, cela va de soi. Il a engagé des actions nouvelles pour mieux affirmer notre solidarité économique, entre pays du Nord et du Sud, mais aussi entre les Etats du Sud.
A Hanoi, nous avons enfin pris les mesures nécessaires pour moderniser nos actions culturelles. Nous serons davantage présents sur les autoroutes de l'information. Nous développerons l'audiovisuel francophone. Nous renforcerons, grâce aux nouvelles technologies, les liens solides qui unissent déjà nos universités.
Autour de notre Secrétaire Général, tous les opérateurs de la Francophonie sont mobilisés. La réforme de l'Agence se profile. Des instances de concertation sont en place. Les représentants personnels ici présents ne me démentiront pas, si j'affirme que leur réunion à Paris, au mois de février, a marqué une étape importante.
C'était donc bien le moment opportun, Monsieur le Secrétaire Général, pour réunir à Paris les représentants de nombreuses organisations internationales, et leur présenter la Francophonie. Ils peuvent aujourd'hui prendre la mesure de notre détermination à maintenir et développer notre langue, notamment dans leurs institutions. Ils peuvent aussi constater la vigueur de notre engagement en faveur d'un monde multipolaire et pluriculturel.
Cette rencontre fera naître des idées de rapprochements. Je souhaite vivement que les opérateurs de la francophonie deviennent davantage encore les partenaires réguliers des autres organisations multilatérales.
L'idée francophone, vous l'avez souvent répété et à juste titre, Monsieur le Secrétaire Général, ce n'est pas l'exaltation d'une langue ou d'une culture au détriment des autres. Notre monde menacé d'uniformisation suscite des réactions identitaires souvent intolérantes, parfois violentes. Notre réponse, Mesdames et Messieurs, la vôtre et la nôtre, est de promouvoir avec détermination et imagination, l'échange entre les cultures, la reconnaissance de la richesse inhérente à la diversité des expériences humaines.
Notre rassemblement aujourd'hui témoigne de l'ouverture de la Francophonie au monde, de notre aptitude à dialoguer, à découvrir ensemble des horizons nouveaux et c'est pourquoi je suis particulièrement heureux de vous recevoir aujourd'hui et de vous saluer avec amitié.
Je vous remercie.
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