Discours du Président de la République devant le Congrès national du Guatemala réuni en session solennelle au Palais législatif.

Discours prononcé par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, devant le congrès national de la République guatémaltèque réuni en session solennelle au Palais législatif.1

Guatemala, le lundi 16 novembre 1998

Monsieur le Président du Congrès national,

Mesdames et Messieurs les Députés,

Mesdames et Messieurs,

Je voudrais d'abord, Monsieur le Président, en m'adressant à tout le peuple du Guatemala, vous redire l'émotion très forte et les condoléances de la France après les drames provoqués par l'ouragan Mitch dans votre pays et chez vos voisins.

Dans cette épreuve, la France est à vos côtés, solidaire et déterminée. Elle continuera de vous apporter son aide et son soutien.

Monsieur le Président, je vous remercie pour vos paroles de bienvenue. Elles sont pleines d'une amitié à laquelle je suis très sensible. Je vous suis reconnaissant de me permettre de m’adresser aux représentants du peuple guatémaltèque à un moment crucial de son histoire.

Depuis deux jours, je vis des moments inoubliables et aussi émouvants. Inoubliable, l’accueil qui m’est réservé à l’occasion de cette première visite d’Etat d’un Président de la République française. Inoubliables, votre accueil, et cet honneur que vous faites à la France en vous réunissant aujourd’hui en session solennelle.

Emouvants, mes premiers pas en terre guatémaltèque. Cette terre magnifique a donné au monde l’une des civilisations les plus puissantes et les plus fascinantes : la civilisation Maya, avec ses grandioses réalisations architecturales, ses calculs sur le calendrier, la qualité exceptionnelle de ses oeuvres d'art. Il y a bien des années, j’en ai découvert les trésors. J’en ai découvert les raffinements et l’envoûtante beauté. J'en ai découvert l'histoire et le destin mystérieux.

Il y a ce lointain passé, ces " voix du silence ", qu’évoquait André Malraux. Elles se sont refermées sur leur secret. Pourtant, en nous racontant la fragilité de l’oeuvre humaine, elles nous renvoient à nos responsabilités. En venant ici, à votre rencontre, je souhaite, aussi, vous parler de paix et d’avenir.


La paix enfin retrouvée au Guatemala. La paix qui devra chaque jour être consolidée, pour que s’enracine la réconciliation.

Je connais bien votre histoire, difficile, déchirée, souvent tragique. Trop longtemps, c’est la violence qui a imposé sa loi avec son cortège hideux d’enlèvements, son engrenage infernal de disparitions et d’assassinats. Avec de grands moments d’espoir brutalement interrompus par les coups de force. Oui, je connais votre pays, pays meurtri, pays martyr, mais pays qui aujourd’hui se reconstruit.

Au Guatemala, bâtir la paix civile, c’est désamorcer puis apaiser les tensions, restaurer la confiance, reconnaître et respecter l’autre. C’est substituer le dialogue à l’affrontement, porter les passions sur le terrain des idées. N’est-ce pas très exactement le rôle de la démocratie ? Et n’est-ce pas celui de votre Parlement qui est par excellence le lieu de la médiation et du débat ?

Bâtir la paix civile, c’est construire l’Etat. Un Etat fort mais impartial, et donc respecté, indiscutable et donc indiscuté. Un Etat dans lequel chacun se reconnaît, où chacun peut s’affirmer comme citoyen et s’épanouir en tant qu’homme. Un Etat au service de tous et qui rassemble. Un Etat qui joue tout son rôle de garant des grands équilibres, politiques, économiques, sociaux, culturels, et qui le joue avec autorité.

Là encore, c’est la responsabilité du Parlement, la vôtre, de faire entendre chaque voix, d’incarner l’élan de tout un peuple. Cette éminente responsabilité, vous l’exercez en préparant notamment les grandes réformes constitutionnelles qui concrétiseront et compléteront les accords de paix conclus il y a deux ans.

Le chemin est difficile. C’est un long chemin de patience, d’obstination et de courage. Il s’agit de dépasser les querelles, de cicatriser les plaies pour ne plus penser qu’à l’avenir, pour assurer le développement économique mais aussi social, pour partager entre tous les fruits de la croissance. Il s’agit de construire une société nouvelle, fraternelle, multiethnique et multiculturelle, où chacun a sa place, sans distinction d’origine, de race ou de langue. Comme l'a exprimé avec tant de force et de conviction Rigoberta Menchu en recevant à Oslo le Prix Nobel de la Paix : "Nous devons combiner toutes les nuances de la mosaïque ethnique du Guatemala, tisser les fils de multiples couleurs, sans que celles-ci ne s'opposent, ne se heurtent ni ne jurent les unes avec les autres, en leur donnant un éclat, une qualité inégalés, comme savent si bien le faire nos artisans. Un Huipil, harmonieusement composé, une offrande faite à l'humanité". Voilà l’ambition du Guatemala d’aujourd’hui, la vôtre, Mesdames et Messieurs.


Dans cette ambition, la France vous soutient. En vertu d’une certaine idée que nous, Français, nous faisons de l’homme et de sa dignité, des rapports entre les nations et de l’organisation du monde.

Ce matin, je rendais hommage aux " Proceres ", héros de l’indépendance et pères de la nation guatémaltèque. A leurs côtés, des Français se sont battus. Vétérans des guerres napoléoniennes, ils ont poursuivi chez vous et dans tout le continent leur rêve de liberté, leur idéal d’une société juste.

Dès 1827, le Guatemala et la France nouent des relations diplomatiques. Vingt ans plus tard, ils signent un grand traité d’amitié, de commerce et de navigation, complété depuis par beaucoup d’autres.

Encouragés par cette amitié, nos savants vont découvrir votre pays. C’est le temps où notre Académie française commande les premières études ethnographiques et archéologiques sur le Guatemala. Le temps où le " Popol Vuh ", le " Livre sacré " des Quiches, est traduit et publié en français.

C’est le temps où Paris découvre les grands auteurs guatémaltèques, au premier rang desquels le poète José Batres Montufar.

Pendant plus d’un siècle, le Guatemala et la France vont échanger dans tous les domaines. Des commerçants, des entrepreneurs, des agriculteurs français s’établissent ici. Nos deux pays coopèrent. C’est ainsi, par exemple, que naît l’Ecole nationale d’aviation guatémaltèque.

Pendant un siècle, c’est aussi et surtout le vent de l’esprit et de l’intelligence qui souffle sur nos relations. Vos compatriotes viennent nombreux étudier et travailler en France. Luis Cardoza y Aragon et Miguel Angel Asturias vivent dans le Paris des Surréalistes avant d’y être nommés plus tard Ambassadeurs. Les poètes Domino Estrado et Maria Cruz y sont enterrés jusqu’au rapatriement de leurs dépouilles en 1960. Des hommes publics guatémaltèques y trouvent refuge, comme le Président Carlos Herrera ou l’évêque José Pinol y Batres. Et l’on raconte que c’est à l’occasion d’un séjour à Antigua, qu’Antoine de Saint-Exupéry eut l’inspiration de la Planète aux trois volcans et aux roses éternelles du " Petit Prince ".

Oui, Guatémaltèques et Français partagent l’essentiel : leur aspiration à la démocratie ; leur attachement aux valeurs qui fondèrent, il y a bientôt deux siècles, votre combat pour la liberté, et qui sont aujourd'hui au coeur de vos institutions républicaines comme elles sont au coeur des nôtres.


Et, la France, qui a soutenu les négociations pour une solution politique au Guatemala, peut, si vous le souhaitez, vous aider à consolider l’acquis de la paix et de la démocratie.

D’abord, en renforçant et en élargissant notre dialogue politique. L’an dernier, je recevais à Paris le Président Alvaro Arzu. Nous avions eu un large échange de vues et nous étions convenus de multiplier les rencontres franco-guatémaltèques pour donner un nouveau souffle à nos relations. Aujourd'hui c’est moi qui suis l’hôte du Guatemala. Je me félicite de la richesse des entretiens que j’ai pu avoir avec les dirigeants et les représentants du peuple guatémaltèque. Et la présence à mes côtés de représentants de l'Assemblée nationale et du Sénat français montre notre volonté de resserrer la concertation entre nos parlements.

La France veut aussi accompagner votre développement. Pays de haute technologie, elle occupe une position éminente dans de nombreux domaines de l’industrie et des services. Ses savoir-faire sont reconnus dans le monde entier. Votre pays, quant à lui, peut enfin prendre son essor. Il doit pour cela s’équiper, construire ou reconstruire ses infrastructures, répondre aux besoins les plus urgents de sa population : le logement, l’assainissement, les transports, l’énergie, la santé. Ce sont là précisément des domaines d’excellence des entreprises françaises. Alors, travaillons ensemble. L’Accord d’encouragement et de protection des investissements, que nous avons signé en mai dernier et que nos Parlements doivent encore ratifier, donnera une impulsion nouvelle à nos échanges.

La France veut également aider à la formation des jeunes Guatémaltèques. Votre Gouvernement a lancé un ambitieux programme d’éducation. L’enjeu est vital. Economique, puisqu’il s’agit de donner au Guatemala ses cadres et ses techniciens de demain. Social et politique, puisqu’il s’agit aussi de donner à tous les mêmes chances, de faire de l’école et de l’université le creuset d’une nouvelle citoyenneté, de souder la société guatémaltèque, une dans sa diversité, et de consolider la culture de paix.

Enfin, la France veut contribuer au rapprochement de nos deux ensembles régionaux.

Vous le savez, mon pays est engagé, avec ses quatorze partenaires de l’Union européenne, dans la grande aventure de la construction européenne. Nous avons entrepris notre élargissement le plus ambitieux. Dans quelques années, l’Europe rassemblera 500 millions d’hommes et de femmes. Et nous aurons enraciné la paix et la démocratie sur notre continent. Dans quelques semaines, nous aurons notre monnaie unique, l’Euro, avec laquelle le monde devra désormais compter. L’Union Européenne s’affirme comme la première puissance économique du monde.

L’Amérique latine s’est, elle aussi, lancée dans l’aventure régionale. En Amérique du Sud, c’est le MERCOSUR qui construit un nouveau pôle de solidarité et de prospérité. Ici, c’est le Système d'intégration centraméricaine qui rassemble désormais les Etats d'Amérique centrale. Comme en Europe, comme en Asie avec l’ASEAN, vous voulez être unis pour être plus forts et pour que s’imposent chez vous et autour de vous la paix, la démocratie et le développement.

Il y a un an et demi, à l’occasion d’un voyage qui m’a conduit au Brésil, au Paraguay, en Uruguay, en Bolivie puis en Argentine, j’ai dessiné ma vision de l’avenir. J'ai affirmé la nécessité de construire de nouvelles relations internationales, d’équilibrer le monde par un ambitieux dialogue entre les grands ensembles régionaux qui émergent sur tous les continents.

Et j’ai proposé qu’un Sommet, le premier dans l’Histoire, réunisse en juin prochain, à Rio, les Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Amérique latine, de la Caraïbe et de l’Europe pour donner à nos relations politiques, économiques et culturelles leur véritable dimension. Travaillons au succès de ce grand rendez-vous.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Depuis deux jours, je découvre un pays au destin émouvant. La réconciliation et la paix au lendemain de décennies de violence, votre peuple qui se retrouve, votre volonté de progresser ensemble, tout cela touche profondément et impressionne les Français et les Européens.

Nous, Français, nous avons aussi connu dans notre histoire la division et la guerre civile. Nous avons appris que l’art de vivre ensemble est une longue exploration, un effort de tous les instants. Que la nation est une patience. Qu'elle est aussi une volonté. Nos querelles fratricides, nous en avons triomphé en nous rassemblant, en bâtissant une société tolérante et solidaire, en instituant un Etat qui garantisse à chacun les mêmes droits mais aussi les mêmes chances.

C’est cette société que le Guatemala construit avec et pour tous ses enfants, sans exception. Et j’ai confiance. Après la paix et la démocratie, viendra le développement. Un développement au service de tous. La France souhaite veut vous aider à réussir car vous êtes un exemple.

A Miguel Angel Asturias qui disait : "seul le peuple rend libre les hommes", André Malraux répondait : "l'homme est ce qu'il fait ! ".

Vous êtes le peuple du Guatemala. Faites que tous ses hommes et toutes ses femmes vivent leur liberté dans l'égalité et dans la fraternité.

Viva Guatemala !

Viva Francia !

Viva la amistad Franco-guatemalteca !





.
dépêches AFPD3 rss bottomD4 | Dernière version de cette page : 2004-07-27 | Ecrire au webmestre | Informations légales et éditoriales | Accessibilité