Guatemala, Guatemala, le samedi 14 novembre 1998
Monsieur le Recteur,
Très chère Rigoberta Menchu,
Messieurs les Doyens,
Messieurs les Artistes peintres
Mesdames et Messieurs,
Mes Chers Amis,
Je voudrais tout d’abord, Monsieur le Recteur, vous remercier de votre invitation et de l’accueil si chaleureux que vous-même, vos collègues et tous les membres de cette grande maison avez réservé à ma délégation et à moi-même.
C’est un moment inoubliable pour nous, Monsieur le Recteur, de pouvoir rencontrer la création et les artistes descendant de l’une des plus prestigieuses civilisations du monde, et ceci dans le site magnifique de l’Université San Carlos, dont vous assumez depuis peu l'éminente direction. Alors, permettez-moi, Monsieur le Recteur, de vous adresser, ainsi qu’aux professeurs, aux chercheurs et aux étudiants de San Carlos, mes sentiments de gratitude, d’amitié et mes voeux de réussite.
Merci à vous, très chère Rigoberta, qui nous accueillez dans votre famille puisque vous êtes Docteur de cette grande Université. Une fois encore, c’est l’amitié qui est au rendez-vous.
Nous nous connaissons bien pour nous être souvent retrouvés. Et chacune de nos rencontres fut, pour moi, un moment très fort. Je vous admire, chère Rigoberta, pour votre combat mené avec tant de courage et à quel prix : celui des drames et de l’exil. Mais il vous a permis, par la force de votre coeur, de votre intelligence et de votre volonté, de conquérir le respect puis le soutien de toute la communauté internationale.
D’abord le Prix Nobel de la Paix qui est venu, il y a six ans, couronner votre engagement courageux en faveur de la justice et de l’égale dignité des peuples et des hommes. Et tout à l’heure, en visitant le Templo Mayor à Mexico, c’est avec beaucoup d’émotion que j’ai vu, mise en dépôt par vous dans une très belle vitrine, votre médaille du Prix Nobel de la Paix et votre diplôme. Et j’ai observé la fierté du Professeur Matos, mais aussi des autorités gouvernementales mexicaines qui m’accompagnaient, d’avoir ce prêt que vous leur avez fait. Puis ce fut votre accréditation comme Ambassadeur de bonne volonté de l’Unesco. Vous accomplissez dans le cadre de cette mission une tâche remarquable, comme en a témoigné, entre beaucoup d’autres choses, la rencontre historique des représentants des peuples amérindiens qui s’est tenue, à Paris, sous l’égide de l’Unesco, en juin 1996. Et permettez-moi de saluer ici notre ami Léon Bertrand, député de Guyane, qui a apporté tout son coeur d’Arawak à cette belle manifestation et d’avoir une pensée chaleureuse pour notre ami Victor-Hugo Cardenas.
Enfin, il y a moins de deux ans, ce fut la paix au Guatemala. Chacun sait ce qu’elle doit à votre action, à votre courage, très chère Rigoberta, vous, la " petite fille des Mayas ", qui, depuis tant d’années, vous vous battez, pacifiquement mais avec noblesse et détermination, pour la reconnaissance de l’identité, de la culture et des droits imprescriptibles des peuples premiers dans le monde, et notamment, chez vous, des droits des descendants de ces Mayas qui édifièrent la plus prestigieuse des civilisations des Amériques, une civilisation sans égale dans la maîtrise de l’écriture et du calendrier.
Et je voudrais, avec Jacques Soustelle, rendre hommage à ceux qui ont bâti ces temples et ces palais, qui ont sculpté ces stèles et ciselé ces jades et m’incliner devant la beauté et la grâce, la majesté et l’élégance dont ce peuple nous a laissé l’émouvant témoignage.
Mais permettez-moi de revenir à notre temps qui fut ici si dur et si injuste.
L’" Accord sur les droits et l’identité des peuples indigènes ", je préfère dire, vous le savez, chère Rigoberta, des " peuples premiers ", est sans doute l’un des plus importants de ceux signés, le 29 décembre 1996, et qui installent la paix dans votre pays. C’est sans doute la clé de voûte du processus de réconciliation. A travers la mise en oeuvre de cet accord, les Guatémaltèques construisent, dans un cadre unitaire et indivisible, une nouvelle nation, démocratique et solidaire. Une nation multiculturelle, où chacun trouve sa place sans distinction d’origine, de race, de langue ou d’ethnie.
Je veux saluer ici, ce soir, la sagesse et le courage de mon ami, le Président Alvaro Arzu, dont l’engagement personnel a permis de mettre fin à près de quarante années d’injustice, d’oppression et de déchirements absurdes. Le Prix Félix Houphouët Boigny pour la paix qui lui a été remis l’année dernière, à Paris, a récompensé ses efforts et ceux des artisans de la réconciliation au Guatemala.
Il faudra encore du temps et de la volonté pour vaincre les égoïsmes, les doutes et les hésitations, lever les ultimes obstacles, assurer l’unité dans le respect des diversités. Pour que la nation se retrouve et se soude. Pour que l’Etat ouvre la voie et que chacun reconnaisse les droits de tous ceux qui veulent préserver leur langue, leurs usages, leur culture. Je crois en cette réconciliation du Guatemala avec lui-même. C’est ce message de confiance que je souhaite, au nom de la France, porter, aujourd’hui, au peuple guatémaltèque.
Vous êtes sur la bonne voie. L’approbation, le mois dernier, des réformes constitutionnelles prévues par les Accords de paix et la consécration du caractère pluriculturel du Guatemala, avec notamment l’intégration du droit coutumier dans le système judiciaire, est une étape essentielle.
Une autre étape essentielle a été franchie avec la reconnaissance des langues premières. Rien n’est plus important que de pouvoir parler la langue de ses ancêtres. Rien n’est plus important que les racines, la mémoire, l’histoire qui sont les repères intimes de chaque homme, qui construisent son être profond. Un homme sans passé est un homme malheureux. Chaque langue est porteuse d’une culture et rien n’est plus important pour la culture humaine que de conserver et de vivifier l’ensemble de ses racines.
C’est le sens du combat pour la diversité culturelle que Rigoberta Menchu illustre de façon si émouvante et qui est l’un des grands combats du siècle prochain. Le danger, à l’heure de la mondialisation, c’est l’uniformisation, c’est qu’une seule langue, une seule culture, un seul et même mode de vie s’imposent partout. C’est en maintenant chacune des langues par laquelle des hommes expriment leur culture et leur génie propre que nous éviterons l’appauvrissement de l’humanité.
En cela aussi l’expérience guatémaltèque est exemplaire. Durant des millénaires, de grandes civilisations se sont édifiées sur cette terre de Mésoamérique, sur cette terre de maïs, dans cette Egypte du Nouveau Monde. Parmi elles, les Mayas ont une place à part en raison de leur art et de leur savoir. Eux seuls eurent le privilège d’être les auteurs de leur propre destinée. En apportant cet héritage, et malgré les malheurs, ils contribuent à la force et à la grandeur de la nation guatemaltèque.
J’ai voulu qu’en France, l’on reconnaisse aux peuples premiers la place qui leur revient dans le mouvement universel de la création et de la pensée. A l’image du " Musée imaginaire " d’André Malraux, qui connaissait et qui aimait le Guatemala et qui avait préparé ici la grande exposition des Arts Mayas à Paris, la France aura bientôt son Musée des Arts et des Civilisations qui fera une large part à l’Amérique pré-hispanique. Je souhaite qu’il fasse mieux connaître et mieux comprendre aux hommes la richesse et la diversité de leurs origines.
Chère Rigoberta, vous aimez à parler d’" interculturalidad ". Voilà l’un des grands défis de l’avenir : poursuivre le dialogue des civilisations, et d’abord respecter chaque culture, en reconnaître l’apport, garder et transmettre la mémoire. C’est cela aussi l’enjeu de la paix partout dans le monde et en particulier ici, au Guatemala. Oui, très chère Rigoberta, votre combat a valeur universelle. C’est pourquoi j'ai souhaité qu'à l'occasion du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, à Paris, en décembre prochain, vous soyez présente et mon invitée personnelle, vous qui incarnez ici, comme l’aurait dit ou aurait pu le dire le général de Gaulle, la lueur de l’espérance.
Nous allons maintenant parcourir ensemble la grande exposition que les artistes amérindiens nous font l’honneur de nous présenter. Ils viennent de toutes les régions du Guatemala. Ils témoignent bien sûr de leur formidable talent mais aussi de la vitalité, de la force, je dirai, de l’éternité de l’âme indienne. Car, comme vous l’avez exprimé à Oslo en recevant votre Prix Nobel, chère Rigoberta, et je vous cite : " Tant qu’elle vivra, une clarté d’espérance et une façon originale de concevoir la vie continueront de briller ".
Une fois encore, je tiens à vous remercier tous pour ce moment exceptionnel, pour cette rencontre avec les hommes de science et d’esprit du Guatemala et avec l’âme profonde de votre pays.
Je vous remercie.
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