Paris - Mercredi 11 Novembre 1998
Madame,
Un demi-siècle s'est écoulé, mais les Français portent gravés dans leur coeur et dans leur mémoire les mots que le chef de la France libre avait écrits le 8 mai 1945 à Sir Winston CHURCHILL. Il lui disait : "Ce qui a été fait ne l'aurait pas été sans vous".
C'est pourquoi la France est heureuse et fière de rendre un hommage solennel à celui qui a personnifié l'âme de l'Angleterre dans les heures terribles où se jouaient le destin de la Grande-Bretagne et celui de ses alliés. C'est un grand honneur et une grande joie pour moi de présider cette cérémonie en présence de Votre Majesté.
CHURCHILL, c'est tout d'abord la figure exceptionnelle d'un combattant irréductible qui sut incarner avec panache la volonté de résistance d'un pays et d'un peuple tout entier.
En cet après-midi du 4 juin 1940, qu'a évoqué Pierre MESSMER, Sir Winston CHURCHILL a pris ses fonctions de Premier ministre depuis moins d'un mois lorsque, devant la Chambre des Communes, il a fait, d'un ton grave et ferme, le récit des événements qui, depuis la percée de Sedan, ont conduit à la dislocation du front allié, à l'abandon de la Belgique, à la retraite vers la mer et vers Dunkerque, puis à l'évacuation de 338 000 soldats britanniques et français.
Dans un silence extraordinaire, il conclut alors, d'une voix forte : "On ne nous verra ni faiblir, ni faillir. Nous irons jusqu'au bout... Nous nous battrons sur les mers et sur les océans. Nous nous battrons dans les airs... Nous défendrons notre île, quoi qu'il nous en coûte... Nous ne nous rendrons jamais. We shall never surrender".
En ce jour de menace, de ruine et de sang, une légende est née. Elle va grandir dans l'exercice audacieux du pouvoir, un pouvoir qui s'appuie sur les traditions du royaume, les vertus d'un peuple, la clairvoyance et l'éloquence exceptionnelles d'un homme.
CHURCHILL a déjà montré sa lucidité pendant ces années d'avant-guerre où Hitler, profitant de l'irrésolution des gouvernements, se préparait peu à peu au conflit. Avec courage, avec obstination, CHURCHILL n'a cessé de dénoncer le danger. Mais on ne l'écoute pas, comme on n'écoute pas non plus cet officier français, à l'époque moins illustre, mais tout aussi lucide, qui indique le moyen de faire face à la menace.
Lorsqu'il voit se réaliser les pires de ses prédictions, le patriote et l'ami fidèle de la France, qui admire le pays de la chevalerie, de Versailles, de Jeanne d'Arc et de CLÉMENCEAU, ne formulera pas un seul reproche. Mais si la France souhaite continuer la guerre, il offre l'union immédiate des deux pays, traduisant ainsi, d'une manière éclatante et solennelle, une solidarité franco-britannique sans limite.
En ce qui concerne l'avenir de son pays, son choix est fait. Le jour même où il donne au Général de GAULLE la possibilité de lancer son appel sur les ondes de la BBC, CHURCHILL montre une fois encore devant les Communes son inflexible résolution, il dit : "Hitler sait qu'il doit nous briser dans cette île ou perdre la guerre. Faisons notre devoir".
Et CHURCHILL va obtenir de toute une nation qu'elle fasse preuve d'une discipline, d'un courage, d'un héroïsme exemplaires. C'est sans doute là qu'il se montrera, selon l'expression du Général de GAULLE, le "grand champion d'une grande entreprise, et de plain-pied avec la tâche la plus rude, pourvu qu'elle fût aussi grandiose".
Le Gouvernement, les partis politiques, les syndicats, les paysans, les ouvriers, les soldats, c'est tout un peuple qui, à l'exemple du Roi et de la famille royale, galvanisé par l'énergie farouche de son généralissime, engage d'un même mouvement un combat gigantesque pour le salut de la nation et la libération des peuples alliés.
Au-delà de cette figure exceptionnelle, qui a incarné, sous l'autorité du Roi Georges VI -votre père, Madame-, la résistance inébranlable et la volonté de lutte du peuple britannique, ce sont bien les vertus d'une nation et la puissance du patriotisme que nous devons saluer.
Mais cet hommage est aussi pour nous, Français, une manière d'exprimer notre gratitude à l'égard d'un homme dont le combat s'est identifié à la cause de la liberté et de la dignité humaine, ainsi que le sentiment de profonde solidarité qui unit, hier comme aujourd'hui, la France et la Grande-Bretagne.
Nous ne saurions oublier que CHURCHILL a été le premier à penser, avec le Général de GAULLE, que ce qui était alors en jeu, c'était tout autant la liberté du monde que le sort de la France. CHURCHILL a été également le premier à encourager la création des Forces Françaises Libres, à accueillir, aider et reconnaître leur chef. Quelles que fussent, par moments, les difficultés ou les divergences qui surgirent, il soutint avec constance le Général de GAULLE en qui il avait vu, en mai 1940, "l'Homme du Destin".
CHURCHILL, comme de GAULLE, voulait une France rétablie dans sa grandeur et dans son intégrité, une France qui retrouvât son rang parmi les grandes puissances. Et il ne cessera de se battre pour cela.
Cette solidarité indéfectible entre la Grande-Bretagne et la France, entre la Grande-Bretagne et le continent, n'est pas pour CHURCHILL un fait exceptionnel limité au temps des grands périls. Elle est inéluctable. Pour lui qui pressent les grands bouleversements, prévoit l'évolution des forces et l'affrontement des deux super-grands -il sera le premier à parler de "rideau de fer"-, la place de la Grande-Bretagne se trouve "à l'intersection de trois cercles" : le Commonwealth britannique, l'alliance anglo-américaine et l'Europe. C'est pourquoi il se fera l'avocat ardent et obstiné de la plus étroite coopération entre la Grande-Bretagne et les pays d'Europe, et tout d'abord la France.
Cette grande leçon européenne, nous ne l'oublirons pas.
Nous n'oublions pas non plus l'autre leçon qu'il a donnée au monde : CHURCHILL a magnifiquement montré qu'un peuple uni autour d'une grande cause est capable de faire face et de résister aux dangers et aux épreuves les plus redoutables, pour peu qu'on lui montre le chemin.
Lorsque Sir Winston CHURCHILL, le 11 novembre 1944, après avoir descendu sous une tempête de vivats les Champs-Elysées aux côtés du Général de GAULLE, déposa une gerbe de fleurs au pied de la statue de CLÉMENCEAU, la musique entonna "Le Père la Victoire". Et le Général, se tournant vers lui, lui dit simplement : "For you".
Aujourd'hui, plus de cinquante ans après ce moment d'histoire, le peuple français, par ma voix, souhaite redire "For you" à la mémoire de Sir Winston Churchill. Oui, c'est tout notre peuple qui se réjouit d'offrir à cette figure exemplaire la place d'honneur qui lui revient à Paris. Ainsi, à quelques pas de celle de CLÉMENCEAU qu'il admirait, la statue de CHURCHILL, que nous devons au talent de Jean CARDOT, rappellera aux jeunes générations, comme celle du Général de GAULLE à Londres inaugurée il y a cinq ans par Sa Majesté la Reine Mère Elisabeth, ce que ces deux hommes ont accompli ensemble pour modifier le cours de l'histoire.
La présence de Votre Majesté donne tout son éclat à cette cérémonie. Soyez certaine, Madame, que tous les Français en sont touchés. Et en leur nom, je vous en remercie profondément.
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